Louis Soutter, maudit et génial.
Il n’a pas besoin de faire de la beauté convulsive un programme esthétique: il la vit au milieu de ses forêts qui sont des temples et de ses enfants qui sont des anges et de ses catins qui sont des saintes sous le regard de Notre Seigneur crucifié. Frère en esprit de Rouault mais sans doctrine, frère aussi de Van Gogh et de Soutine, c’est un peintre sans peinture, un dessinateur usant de la plume du bureau de poste voisin, on pourrait dire que c’est au commencement l’artiste surdoué qui échappe à l'académisme virtuose par un génie que soulève le feu sacré. Bref: tout ce qui se dit de lui est insuffisant: Louis Soutter est La Poésie incarnée en sa chair blessée.
Sur Louis Soutter on ne devrait donner que des renseignements de police. Né en 1871 à Morges, au bord du lac Léman. Fils de pharmacien. Voisinage darbyste hyper-puritain. Parent de Le Corbusier par sa mère - Corbu qui le soutiendra généreusement, conscient de son génie. Rate ses études d’ingénieur. Se hasarde en architecture, en vain, puis étudie le violon auprès d’Eugène Ysaie, à Bruxelles. A 24 ans abandonne la musique et se lance dans la peinture. A Paris suit les cours du soir de l’Académie Colarossi. Virtuosité classique, sans plus. En 1897 épouse Madge Fursman après s’être installé aux Etats-Unis, où il enseigne la peinture à Colorado Springs. Divorce en 1903. Décline physiquement et psychiquement. En 1907, violoniste à l’orchestre du théâtre de Genève et à l’Orchestre symphonique de Lausanne. Passe pour excentrique et de plus en plus. Refuse la nourriture et claque son argent et celui de ses amis. Sous tutelle dès 1915. Admis en 1923 dans la maison de retraite de Ballaigues, sur les crêtes du Jura vaudois, d’où il s’échappe le plus souvent pour d’interminables errances. Le postier de Ballaigues lui interdit l’usage de l’encrier public, dont il use pour ses dessins. Milliers de dessins à l’encre, tenus pour rien par ses proches, sauf quelques-uns, artistes ou écrivains... Tous autres détails biographiques et critiques à recueillir dans les deux grands ouvrages de Michel Thévoz : Louis Soutter ou l’écriture du désir (L’Age d’Homme, 1974) et Louis Soutter, catalogue de l’œuvre (L’Age d’Homme, 1976).
Mais que dire à part ça ? Que Louis Soutter incarme, avec Robert Walser, l’impatience sacrée de l’artiste au pays des nains de jardin et des tea-rooms, des bureaux alignés ou des maisons de paroisse à conseils sourcilleux. Soutter danse au bord des gouffres et se fait tancer par le directeur de l’Institution pour abus d’usage de papier quadrillé. Soutter rejoint Baudelaire au bordel couplé à la grande église sur le parvis de laquelle mendie un Christ en loques, et c’est tout ça qu’il peint de ses doigts de vieil ange agité…
Commentaires
... Merci pour cette sublime découverte !
Puisque vous découvrez Louis Soutter, autant que je rajoute un post scriptum sur cet immense artiste tenu pour un nul ou un dément de son vivant. Je vous l'offre avec un clin d'oeil, vous qui traitez de beaufs ceux qui osent en pincer pour le dernier Houellebecq...
C'est au hasard des clics que je découvre votre réponse à mon libertaire commentaire... J'en profite pour souligner l'appréciation que vous suscitez auprès du site : "le blog de l'année" !
http://www.blogsdelannee.com/
Ca se confirme, la Suisse est une fée des rations ! bon promis après ça je rentre Soutter !
"et c’est tout ça qu’il peint de ses doigts de vieil ange agité… "
Sublime!
ha ! génial, voila que vous redevenez raisonnable ....milles merci pour cet illustre inconnu.
Louis Soutter n'est pas un illustre inconnu pour tout le monde. Son oeuvre a été exposée l'an dernier à Maison Rouge, à Paris, largement commentée dans les médias. Il est vrai que Soutter est mille fois moins connu qu'un tas de faiseurs en vue, et c'est tant mieux. On peut encore se payer des dessins originaux à des prix abordables et il ne fait l'objet d'aucune spéculation qui relégueraient ses œuvres dans des coffres. Pour ceux que ça intéresse, plusieurs livres documentent largement sa vie et plus encore son œuvre. Puisse sa déraison rayonner !