Les Arrêts déplacés de Marius Daniel Popescu
Dans l'amical préambule à ce nouveau recueil de Marius Daniel Popescu, René-Luc Thévoz prétend que la démarche du Roumain établi à Lausanne " n'est pas de la littérature ", ce qu' on admettra à la rigueur dans la mesure où cette écriture est toute de simplicité apparente, mais risque de confiner l'auteur, conducteur de bus atypique et auteur unique du journal Le persil, dans les marges du pittoresque.
Plus judicieux, le préfacier précise ensuite que " l'objectif poétique de Marius Popescu consiste à faire entendre, à faire voir ". Et d'ajouter qu' " on part à la découverte sensorielle des objets qui nous passent sous la main, sans discrimination, et de là, on s' envole vers des univers plus intérieurs ".
De fait, c'est à partir des " événements " les plus anodins en apparence, que le poète compose ce collage de sensations et d'émotions dont le premier mérite est de rendre aux mots leur densité première, comme par le truchement d'un rituel.
Telles des " cellules " poétiques, une suite de petits grains (d'un à onze) cristallisent des instants simultanés, du plus simple (" toutes / les femmes / sont / belles ") à de plus complexes intersections, comme pour faire percevoir tout ce qui se trame à la même seconde, ici et partout. De la chose vue à l'émotion, il suffit parfois d'un lien de mémoire comme celui qui associe, " événement rare dans ces contrées ", ce chien noir et sans laisse errant en ville et l' " un des passages de ta grand-mère parmi une foule d'hommes qui buvaient des bières debout "…
Arrivé en Suisse en 1990, Marius Daniel Popescu pratique notre langue avec une étonnante maîtrise, alternance de limpidité et de baroquisme inventif, en usant (et parfois en abusant) de procédés formels ou typographiques rappelant les expériences lettristes. Pourtant le noyau vif de cette poésie doit moins aux " trucs " qu' à la perception fraîche (" quand / la pluie sursaute autour de toi / comme une gitane ") et à l'accueil de " cela simplement qui est ", selon l'expression d'un Cingria, restituant la présence des proches (les enfants, la compagne ou les amis), de telle vieille dame assise à la gare de Lyon, de tel moribond étendu sous un drap blanc au pied d'un immeuble, de toutes ces vies qui se croisent (" de plus en plus de gens qui parlent seuls "), et l'on oscille du minimal haïku aux plus amples coulées de La sept ou du Tueur de livres, dans une atmosphère d'intimité collective, si l'on ose dire, rappelant un peu la poésie d'un Raymond Carver (Travail manuel ou Big-bang en sont de bons exemples) ou les icônes profanes d'un Charles Bukowski.
Parfois insuffisamment transposée, la matière poétique de ces Arrêts déplacés n'en est pas moins habitée et frémissante, fraternelle en son regard et généreusement accessible à tout un chacun, comme l'était celle d'un Prévert. D'ailleurs " les paroles dorment sous les gouttes d'eau comme des moineaux ", écrit Marius Daniel Popescu, dont les pépites du verbe étincellent dans le tout-venant des jours.
Marius Daniel Popescu. Arrêts déplacés. Antipode, 87p.
Commentaires
Ca donne envie d'en lire plus.
De la poésie accessible, c'est formidable.
Accessible aux lecteurs, c'est encore mieux, je vais chercher tout de suite dans Google s'il y a quelque chose à lire en ligne.
Si vous voulez un avant-goût de la prose de MDP, avant d'aller goûter à sa poésie, vous trouverez un beau récit de la mort de son père dans l'Auberge du loup du présent blog, intitulé Les couleurs de l'hirondelle. A part quoi le site du Culturactif.ch lui a consacré plusieurs pages et je crois qu'il y a aussi de la poésie à y voir...