Les vrais raconteurs d’histoires ne sont pas nombreux dans le biotope de la littérature romande, à quelques exceptions près, tels Corinna Bille, Jean-Paul Pellaton, Jean-François Sonnay ou encore Olivier Sillig, entré en littérature avec un roman de science fiction, récemment remarqué pour une incursion historique intitulée La Marche du loup, et qui « remet ça » avec un drôle de polar poético-fantastique, Je dis tue à tous ceux que j’aime, qui séduit par son atmosphère évoquant le réalisme magique de certains auteurs balkaniques ou latino-américains.
« J’ai poireauté 8 ans avant de trouver un éditeur pour mon premier roman », raconte Olivier Sillig dans son logis du centre ville où l’on remarque, en passant, une étonnante série de petits bateaux de récente construction – sa dernière passion, pas loin d’évoquer l’art brut. Revanche apréciable : publié en 1995 par L’Atalante, Bzjeurd figure depuis 2000 au catalogue SF de la collection Folio.
Personnage peu conforme au type de l’écrivain romand, Olivier Sillig a d’abord passé par les beaux-arts (il a une patte de dessinateur « au vol » qui a laissé de mémorables traces aux cimaises du CHUV), avant de se spécialiser dans l’informatique, en passant par une tournée de conférences sur Versailles et autres shows vélocipédiques, que suivirent divers essais cinématographiques. Quant au goût de la narration, il lui est venu en racontant des histoires à ses filles, en attendant que, sur le tard, le mordille le goût pour son propre sexe. Telle étant l’imprévisible humanité…
Tout cela ne serait pourtant qu’anecdotique si, par delà son talentueux dilettantisme, Olivier Sillig n’imposait pas, dans ses livres, un univers tout à fait original et un art de conteur aux grands pouvoirs d’évocation. La meilleure preuve en est son dernier roman paru, Je dis tue à tous ceux que j’aime, dans lequel il évoque l’amitié « au bout de la nuit » d’un employé-comptable du nom d’Axis Gooze débarquant, aux ordres d’une fabrique de radiateurs réfrigérants, dans une ville en mystérieuse mutation, et d’un jeune ange glauque prénommé Bresel, dont les amours vénales n’entament en rien l’aura de pureté.
« Le véritable personnage de ce roman est la ville dans laquelle il se déroule », remarque encore Olivier Sillig, qui a construit une sorte de labyrinthe onirique dans lequel ses protagonistes, et quelques comparses, poursuivent une quête de sens et de complicité affective à laquelle s’opposent de sourdes forces d’oppression et de brutalité. Polar aux dehors de rêve éveillé, roman d’un impossible amour, nouvelle variation sur le thème ancien du double sacrifié : il y a de tout ça dans ce roman trouble et pur d’un auteur à surveiller…
Olivier Sillig. Je dis tue à tous ceux que j’aime. Editions H&O, 193p.