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  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, XI)
     
    Des emportements .- Savoir d’où leur était venu ce goût du pire revenait à se poser toute les questions de la jouissive morbidité et de la cruauté cupide et ce qui était sûr est que ça cartonnait et qu’en esprit tant qu’en faits et méfaits le gang l’emportait de soir en soir dans le bruit des bolides...
     
    De la mutation.- La tendance nouvelle à la banalisation du crime par acclamation des clientèles mêlées du Killer, aux écrans de la projection mondiale tous supports, alla de pair avec la marchandisation du simulacre suave et à l’obligation de s’extasier ou de s’indigner de concert selon les modes indiqués et les codes au format...
     
    De la rage conditionnée.- Savoir comment l’esprit de complot et l’esprit de revanche, l’esprit d’envie et l’esprit de rapine , l’esprit des dépités et l’esprit de acharnés s’allièrent dans la rue et par les allées du Pouvoir dont l’esprit s’empara de l’universelle clientèle, revient à s’interroger sur le mal à la queue du serpent se la mordant...
     
    Des flux continus.- Un autre mensonge de ces temps-là que véhicula le Troll mondial fut de prétendre que tout passerait désormais par ses dispositifs au motif que tout lendemain serait formaté désormais à sa seule disposition accessible à tous selon ses seules conditions...
     
    De la nature des choses.- Aux affects de la fausseté et de la laideur, de la tristesse entretenue et du ressentiment accru s’opposèrent naturellement nos ressources naturelles de peuples des marais et des clairières, des promontoires au bord du ciel et des vastes étendues, et chaque soir nous échangions simplement notre bonsoir innocent de tout temps...
     
    Des aimables propositions.- Vous qui avez le front levé et la joie au cœur , vous échappez à la jactance et aux concours insensés pour vous contenter de ce qui vous contente sans compter et ce sont de conviviales invitations dans les jardins où sur les toits voisins, de profitable entretiens avec telle magicienne des hôpitaux ou tel conseiller patient de jeunes aspirants à la Libre Pensée, de lentes déambulations imaginaires le long des allées ombragées ou largement arrosées de pluies solaires, de stases patientes et d’extases attentives...
     
    D’autres bons moments.- Le soir j’ouvre à la lune, c’est le début de l’été et des parfums l’accueillent montés du cellier, donc ça sent la pomme et la prune et ça lui plaît - on sait qu’elle a des goûts simples et ses rayons baignent mes rayons de livres, après quoi je la laisse m’inspirer des contes et la lune s’éteint quand j’écris le mot FIN...
     
    De l’obstination.- Après, la nuit tombée, pendant le dernier café ou la télé, quand les enfant et les divers animaux de compagnie sont couchés, les oiseaux muets dans les branches et l’éléphant debout immobile sous le dais du sultan, l’herbe rampe et pousse au pied des palais, ne l’oubliez pas car l’herbe, elle, n’a jamais renoncé...
     
    D’autres phénomènes.- Juste avant le fondu au noir vous le notez: le diamant des Alpes scintille, et cela vous rappelle tous ces étés des glaciers désormais en vrilles, puis le lendemain le vent qui a veillé revient dans les vallées et ce sont alors d’autres années qui se rappellent à votre souvenir, qui dilate les collines semblant alors des nuages au non moins incertain devenir...
     
    Du bon dieu cheminant.- En fin de la journée je mets tout à plat et je regarde tout ça dans sa simplicité, à savoir que la terre est plate et que le clocher là-bas au milieu de tout ce bleu et des maisons posées sur le brun de saison est à sa place, alors pourquoi ne pas se féliciter de ce qui est parfait se dit le dieu ignorant à ce moment des calamités...
     
    Des témoins muets.- Il est vrai que le très haut peuplier qu’il y a derrière le chalet se tait depuis tout le temps qu’il se trouve là sans personne que moi qui le sache pousser sans se prononcer jamais, et qu’importe que je me taise encore, ou pas, quand enfin il parlera...
     
    De notre humilité.- Si tant est que vous vous sentiez appelé, vous devez éprouver l’immensité des choses chaque nouveau matin qu’elles éclosent et vous accueillent au milieu de vos papiers déchirés...
     
    De la bonne vie.- À l’autre bout du potager vous attend un blessé de guerre qui vous supplie, et quelque chose en vous fait qu’en dépit de votre ennui vous allez vous lever...

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    (Pensées du soir, X)
     
    De la bienfacture. - Pour le dire avec exactitude et précision, elle ne s’occupait guère des bienfaits de nature supérieure, dispensés ou reçus, qu’elle estimait humblement au-dessus de sa compétence, mais plutôt de la bonne façon de ses enfants la semaine et le dimanche, de la belle ordonnance de ses rosiers et des vergers avoisinants, de la juste appréciation qui autorisait le travail de force ou le repos à l’avenant, enfin de la préservation des usages et pratiques de la famille unie en milieu provincial ou survit l’artisan probe et la maîtresse de piano assurant le job...
     
    De la préoccupation.- Rien de plus rassurant qu’une repasseuse à son affaire, se dit le jeune philosophe inquiet dès le lever du jour à l’idée qu’il puisse perdre le fil de sa pensée en achoppant à quelque Aporie (c’est en ces termes qu’il ressent sa limite), et la vision de Madame Arthur dans sa buanderie l’incite à reprendre confiance en la vie ...
     
    Des utilités.- La femme d’affaires ne fera pas l’affaire en l’occurrence: nous avons surtout besoin de rêveuses et de praticiennes libérales de l’intuition révélatrice, de jardinières de l’insouciance et autres familières du bon sentiment qui ramènent un peu de sens commun à la cité déboussolée...
    Du bruit des gens.- Tout à coup les cris de la foule en panique ou fêtant le champion de piano lui manquent, et les propos idiots des files d’attente, et les gestes inconsidérés, les bousculades et les échauffourées : tout cela lui manque à l’heure de se sentir si seul et jugé par l’âge, seul avec ses pieds immobiles et ce silence imbécile...
     
    Des mains inconnues.- Vous ne savez pas comment cela s’est fait, par quel hasard ou quelle grâce inconnue, mais c’est un fait: vous avez été reconnu(e) dans la foule de ce matin-là, où c’était le soir dans un café, une main s’est posée sur votre épaule, une voix, un regard ou Dieu sait quoi et comme une lumière est apparue dans l’obscurité, une idée dans le magma, cette mélodie qu’il vous a semblé reconnaître et cette voix qui vous disait : je t’appelle par ton nom, tu es à moi...
     
    Des noms gravés.- Sur le bois du banc vert, au couteau dans l’écorce, au mur malodorant des latrines masculines qu’on appelait naguère vespasiennes, dans les escaliers des clochers, au tréfonds des prisons, sur les rochers et dans les cabines des plages aux cloisons chaulées, les doigts noircis de suie et les craies ou les crayons, les canifs ou les poinçons ont gravé vos noms de voyous ou de barons, et Lucien de Samosate à griffé le marbre de la Rome à cinq étoiles alors que Riton a mis les voiles de l’ergastule où Donatien marquis de Sade a laissé son nom, mais qui dira ce qu’on lira demain sur les parois des chambres des jeunes filles aux chers petits secrets ?
     
    Des lendemains d’hier.- Après les images oubliées de la maison en deuil aux vitres ruisselantes, que nous resta-t-il sinon les échos en nous de cette voix gracile qui nous parlait les yeux fermés du sang et du lait des villes...
     
    Des transerelles.- Nous avions dépassé les impasses de la Raison , par delà même les paradoxes et autres contorsions attendues : dans l’imprévisible des relations de causes perdues à effets inconséquents, au libre jeu des associations non convenues, et le jeu des figures fut relancé dans le nouvel élancement des subconsciences aux ravissants épiphénomènes et les musicales musiques se reprirent à musiquer...
     
    Des arguments féminins. – Nous n’entendons pas les discours assénés ni les contradictions et autres fulminations raisonnées : nous n’en avons qu’aux preuves tangibles de l’agir délicat et du sentir accordé aux grâces de l’offrir – et ce qu’offre l’éternelle Demoiselle ne se discute pas…
     
    Des terrasses d’été. – Vous vous rappelez ce qui fut et subodorez ce qui sera, mais ce qui est ne se mesure pas plus aux étés passés qu’à ceux qui passeront – et c’est pourquoi vous ne le voyez pas passer à l’instant ni ne songez à en parler…
     
    Du chemin qui s’en va. – Ainsi y a-t-il, dans le chemin du soir, une qualité particulière de silence qui semble vous écouter, à croire que l’ombre se faisant se tait pour vous laisser parler, et vous ne savez si le chemin vous précède, vous suit ou vous accompagne…
     
    Peinture: Robert Indermaur.

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    (Pensées du soir, IX)
     
    De l’equanimité.- C’est en vous imposant le calme le plus opposé à votre nature naturelle que vous êtes devenu ce parangon de flegme et de sang-froid célébré par vos camarades diplomates que vous rêvez, à vrai dire et sans exception, d’étrangler pour leur manque de retenue en présence de Madame la consule, votre béguin secret...
     
    De l’éphémère.- Nous calligraphions nos poèmes à l’eau de pluie sur les grandes pierres blanches du bord du fleuve, et le temps de les lire les voilà s’évaporer...
     
    De l’excès de bleu.- D’avance nous nous savons en faute mais nous le disons quand même au peintre du monde au travail ce matin dans le ciel de Florence : que tout ce bleu nous afflige au moment même où notre âme impure craint de se voir en ce miroir, mais la bénédiction d’une soudaine averse nous rappelle que la bonté de tout artiste se mesure à son humour...
     
    Des premières larmes.- À quel moment du long récit les mots de Levant et de Couchant sont-ils apparus sur les parois de nos cavités pleines encore de cris de crainte ou de colère , et peut-on dater le premier sourire de l’enfant de l’ère paléo dans le déferlement du multiple ? se demande l’adolescent ferré en préhistoire qui voit ce matin, inexplicablement, son cœur pleurer comme il pleut sur la ville...
     
    De la candide assurance.- Vous croyez que l’esprit ingénu de la véritable jeune fille est en voie de disparition, mais quelle preuve en avez -vous, avez-vous assez sondé la Virginie du sud et consulté les statistiques de la globalité confidentielle en la matière ? Sûrement pas ! morose que vous êtes en votre désir secret d’extinction alors même que refleurit la fille de joie dans le jardin d’à côté...
     
    Du bon et du mauvais fils.- Savoir lequel est le préféré du supposé Seigneur relève de la plus délicate conjecture, sachant que des deux le brigand est le mieux vu des gentils (autre terme sujet à discussion) et que l’autre honore ses mère et père en paroles plus qu’en actions, mais comment expliquer à part ça que les deux anciens enfants de chœur liés par le sang continuent de se tenir l’un et l’autre pour le préféré et de se le reprocher ou de se le pardonner tous les jours que Dieu fait...
     
    Des pères et des fils.- Alors que les Pères brûlaient tous les livres au nom du ciel où se dissipaient les fumées, les fils (et quelques filles lettrées) sauvaient Aristophane et Lucien, et Sapho l’inspirée et le mutin Pétrone, tout joyeux de se retrouver ensuite en bonne compagnie, loin des lits de cendre et des plats de suie...
     
    Des lassantes litanies .- Il est vrai que je n’ai point été tenté de baiser Maman ni de flinguer Monsieur Père, mais qui prétendrait que j’en suis handicapé au vu de mes résultats académiques et militaires (ou de mes échecs foireux qui reviendraient au même) accueillis par mes vieux avec la même indéfectible tendre humeur - et nous vieillissons à l’unisson sous la même lumière en dépit de nouveaux pics de pollution...
     
    Des malentendus.- Celui-là, qui s’impatientait de te convertir à la seule vraie foi, en est arrivé à enrager quand il t’a vu si bienveillant envers ton prochain, voire ton lointain, et tellement apprécié partout en ta qualité de guérisseur non titré, puis c’est ensemble que vous avez été déportés et avec le même silencieux respect que vos noms sont évoqués par ceux-là qui ne savent plus trop à quel saint se vouer...
     
    De la fantaisie des dieux.- Le nom d’Allah est apparu dans une aubergine coupée en deux, votre conseiller en méditation affirme détenir une authentique dent de Bouddha que son cousin taxidermiste toujours malveillant (parce que jaloux) prétend une dent de crocodile, et vous avez tous entendu parler des empreintes de pieds du Seigneur moulées au bord du lac de Tibériade ou sur telle plage de Goa, mais rire de tout ça n’empêche pas, ma foi, le croyant de croire à tout ça...
     
    Peinture: Neil Rands, The falling Man.

  • Prends garde à la douceur

     
     
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    (Pensées du soir, VIII)
     
    Des résonances.- C’est au charme des noms, plus qu’au prestige des lieux, que vous aurez réagi le plus souvent et voyagé ou rêvé quelque temps, juste le temps de réclamer au guichet un aller-retour pour Balbec ou la Grande Garabagne, ou de répéter en murmure les noms de Samarcande ou d’Ecbatane avant de se dire : on oublie à cause de l’excessive chaleur ou du froid de loup, des moustiques-tigres ou des scorpions entre les draps - et tel autre matin vous vous retrouviez au Negresco de Sils-Maria, donc en pleine confusion onirique...
     
    Des suggestions momentanées.- Un brouillard à couper au couteau pourrait se lever tout à l’heure sur l’horizontale enneigée plantée d’une forêt de bouleaux ou sur des falaises de marbre donnant sur une mer couleur d’émeraude, pour éviter la pensée désolante d’une autre forme de néant visible (les images de villes dévastées des journaux du même matin), et voici que de minces rameaux et les herbes hautes du premier plan, des fantômes d’arbres verts en contrebas dans le gris toujours enveloppant font émerger le paysage familier censé vous situer de votre vivant - comme on dit...
     
    Des surprises de la beauté.- Je vous dirai par élection toute personnelle datant des étapes vélocipédiques de ma vingtaine: l’heure orange sur le Campo de Sienne , au déclin du jour, le soleil disparu derrière les frises de marbre des palais et les tuiles comme sorties du four des hautes bâtisses serrées en leurs briques entourant la vaste conque de pavés roses, ou tout à l’opposé, populaire et populeuse, pulpeuse et puant la piétaille: la Piazza Navona vers dix heures du matin quand la Ville éternelle oublie son appellation au bénéfice de ses odeurs corporelles et autres splendeurs fruitières - et Salamanque en son brouillard ou Séville en ses jardins, Samos et Samarcande...
     
    Des lieux oubliés des dieux.-Certains se figurent que ce sont les plus démunis ou les plus dévastés par l’humaine férocité, mais non : ce sont plutôt les plus tristement nantis, les plus sinistrement célébrés par la télé, les plus satisfaits en leur veulerie étalée qui font fuir les fées et les elfes, les bénédictions et les connivences angéliques...
     
    De la nostalgie des mauvais lieux.- Parfois le père et le fils se croisaient dans la même maison bien tenue, ou l’abbé et son cousin bolchéviste, l’apache et le prétendu comte fatigué de sa baronne avérée - enfin tous ceux-là qui ne se retrouvent même plus désormais en prison, sauf exception, et moins encore sur Tiktok...
     
    Des indéniables Hauts Lieux.- Ce serait à chacune et chacun d’élire les siens, comme ils traceraient leur autoportrait sur fond de ciel haut levé les yeux pleins de cette adhésion montée du tréfonds des incantations sacrées ou profanes, étant entendu que la divinité souffle ou inspire quand et qui elle veut en toute beauté et bonté conjuguées au présent signifiant : cadeau...
     
    Des ironies du sort.- Nous en avons d’autres dans notre sac à malices, expliquaient les occurrences en phase avec les circonstances, et ce que vous avez appelé le Destin ou la destinée, avec ou sans majuscules et inversement, n’enlève ni n’ajoute rien à l’aléatoire des épices ou des dissonances, des élans réjouissants ou des accablements émus...
     
    Des oublis vivaces.- Vous ne vous rappelez plus où cela s’est passé ni si ce fut avant ou après votre décision d’arrêter de fumer, mais la couleur précise, la musique et la touche particulière de chaque mot contenu par le message de l’Ange se détachent sur le fond nébuleux de tout ce que vous avez entendu, comme exacerbé par l’oubli...

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, VII)
     
    De la fraîcheur.- L’Oeuvre garde assurément des traces d’ancien, mais sa beauté est toute affirmation de jamais vu dont la meilleure preuve est le changement d’humeur immédiat de qui l’approche et la reconnaît comme une évidence matinale ou l’idée de s’immerger évoque le rite deux fois millénaire du baptême...
     
    De l’humble attente.- Qui n’a jamais connu de sérénité ou de soleil durable bénéficie de cette tranquille disponibilité des innocents qui en ont vu de toutes les couleurs sans en concevoir la moindre rancune - et voici tout à coup qu’une main se tend vers eux ou que deux bras leur prouvent qu’eux aussi ont eu une mère jadis où naguère dans un autre pays...
     
    Des objets et des muses.- Tard venu à la poésie, l’ancien employé de bureau que Baudelaire a soudain visité telle nuit lunaire n’ose pas parler de muses quand il sent en lui des mots s’associer comme s’il n’y était pour rien, juste bon à les accueillir et les aligner sur le papier à l’encre d’écolier qu’il a gardée sans se douter de l’usage qu’il en ferait à l’âge où l’on cesse de rien faire...
     
    De la vanité.- Ils se disent poètes et se prétendent au-dessus des objets, ils attendent que la caméra tourne pour évoquer leur ascèse de création et l’angoisse vertigineuse de la page blanche et le peu de rentabilité dans la société que vous savez - et de cela aussi ils feraient de la poésie si leur image y gagnait...
     
    De la bonté des objets.- Il ne suffit pas de célébrer la beauté des produits fabriqués en l’usine de l’Art mondial et de la Poésie universelle: leur bienveillance foncière est également à inscrire au patrimoine de l’humaine engeance, et l’apaisement de la sempiternelle douleur - laquelle n’est pas étrangère pour autant à la beauté et à la bonté diffusée par les mêmes objets...
     
    De la profondeur du soir. - C’est un cliché pour Instagram et bien plus depuis toujours et partout : ce rouge aux joues du ciel virant au noir, et ce qu’on dit les feux du couchant ou les vestiges du jour sont à la fois la fin de quelque chose qui nous remplit de mélancolie dès notre enfance soudain affolée à ces heures, et l’entrée dans l’autre royaume dont les heures ont perdu leurs ombres...
     
    Des retombées.- L’ivresse du bateau à saisi la mer tout entière, et le vent et les étoiles renvoyant à travers le temps leurs imaginaires palpitations...
     
    De l’appartenance.- On emporte avec soi tout ce qu’on possède, y compris l’amour dont on est arraché comme un corps semble arraché à l’amour universel, mais à quel amour et à quel univers ces mots appartiennent-ils, pourriez-vous demander faute de les traduire en larmes...
     
    Des échanges secrets.- Il est inexact de prétendre qu’un amour heureux repose sur la fusion des intérieurs, même sans faire chambre séparée nous avons gardé entre nous cette distance qui subsiste entre Animus et Anima, chacun à sa fenêtre donnant tantôt sur cour ou jardin au théâtre des journées, la nuit venue restant propice à d’autres passages et confidences - mais la encore c’est mentir que d’exagérer à la façon des feuilletons...
     
    Des élans factices.- Dès lors que nous avons résolu de couper court à toute exaltation imitée du cinéma, les choses entre nous sont devenues plus belles d’être réelles, jusque dans les difficultés nous ouvrant des voies nouvelles par lesquelles nous nous sommes approchés l’un de l’autre, et ce faisant nous nous sommes éloignés de ce que chacun de nous avait été pour nous rapprocher des autres…
    Des rituels relancés. – Sans savoir si la statistique indiquant l’augmentation ou la diminution des individus qui prient dans nos régions, et compte non tenu des manifestations de superstition liées à toute forme de performance ou de profit prochain, nous croyons savoir que la considération et même le respect, voire l’amour du sacré se traduisent toujours, à proportion de l’humilité naturelle des gens, par des gestes, visibles ou non, assortis de formules audibles ou non, qui expriment tantôt l’imploration et tantôt l’adoration à la fois sincère et discrète et ces temps d’insincérité présumée et d’indiscrétion avérée…
     
    Peinture: Joseph Czapski.

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, VI)
     
    Des yeux fermés.- Loin d’être de ceux qui ne veulent pas voir ou qui se voilent la face, il exerçait ce qu’on peut dire la double attention, et ses visions, voire parfois ses prévisions, gagnaient en intensité juste avant son éveil au point qu’il s’efforçait de différer celui-ci pour les inscrire en sa mémoire d’élucidation bientôt réactivée...
     
    Des messages subliminaux.- Savoir lire entre les signes est parfois inné mais certains en viennent à acquérir et cultiver cette disposition par instinct de survie ou pour compléter leur pratique des langages non verbaux à dominante sensitive gestuelle, où les ajouts oniriques se trouvent également appréciés...
     
    De l’attention flottante.- Les doctes et les néo-jansénistes les plus stricts décrient la rêverie comme si la subdivision de celle-ci ne faisait pas la part du vague et celle de l’hyperprécision révélatrice, de la paresse vaseuse et de l’investigation intime ou panoptique la plus conséquente, le poète se situant à l’opposé diamétral du rêvassier...
     
    De la contamination.- Elle parlait de beauté et la plupart n’entendait que le mot bien-être, la plupart craignait de se doper à l’admiration, la plupart préférait consommer du solide et, tel l’opiomane impatient de voir la plupart se livrer à l’opiomanie, limiter son bien-être à ce qui la faisait ressembler à elle-même...
     
    De la compensation.- Le malheur est un mal, mais la douleur peut être un bien, comme le rappellent parfois l’œuvre d’art ou la poésie qui nous ouvrent un nouveau temps et de plus larges espaces, la statue dans un nouveau ciel et le poème dans un autre silence, le fini par delà l’indéfini...
     
    Du somnambulisme sympathique.- Je vous ai rencontré dans un rêve, ou plus exactement : dans une suite de rêves où nous nous reconnaissions avec le même élan joyeux, je n’ai aucun souvenir du contenu précis de nos échanges d’un tour pourtant élevé dans leurs aperçus existentiels et leur qualité affective, et nos allées et venues nocturnes entre la chambre du sommeil et les bars voisins et les forêts des hauts de villes ne cessaient de nous rapprocher en amis puis en frères au point que nous en rappeler au grand jour et tous deux à nos affaires nous est une douleur que seule la nuit à venir pourrait apaiser si tout cela n’était pas qu’un rêve éveillé...
     
    De la saveur.- Ne vous gênez pas de goûter au poème, et non point seulement du bout des lèvres, mais pleinement et narines accordées au papilles et à l’écoute car ceci est un corps doublement actionné par ses divers organes et ce qu’on appelle le cœur par incertaine analogie avec le moteur palpitant de la vie et ce qu’on nomme l’âme sans la situer dans le concert de la chair - tout cela s’incarnant cependant dans ce qu’on qualifie de poème...
     
    Des hasards heureux.- Tout n’étant en apparence que façon de parler, je vous laisse ajouter bémols et guillemets, mais considérez attentivement la part imprévisible, qu’on pourrait dire géniale sans emphase mondaine ou prétention puérile, du poème, et vous saluerez une fois de plus le coup de dé de Lazare au sourire d’ironie...
     
    Des consolations fragiles.- Celui-là, chancelant, vous jure qu’il se réjouit de se fondre au néant, enfin délivré de ce monde immonde, et vous le félicitez pour sa bonne mine, tandis que cet autre, amputé des deux jambes et se réjouissant des jours que sa chimio lui laisse l’espoir de vivre, vous demande de lui remonter son oreiller et d’ouvrir la fenêtre au printemps...
     
    De la vie humiliée.- Que la vie semblât injuste relevait d’un constat qui n’aurait pas dû entacher sa bonté potentielle ni moins encore sa rayonnante beauté occasionnelle, et comment lui reprocher de s’en prendre d’abord aux plus faibles alors qu’elle-même était aussi fragile et fatiguée qu’une vieille servante...
     
    Des derniers retournements. – Ils décriaient les bonnes choses au nom des cantiques à venir, sans y croire à vrai dire, et de moins en moins à mesure que les bonnes choses leur étaient retirées voire interdites, aussi se mirent-ils bientôt à chanter les bonnes choses en espérant que les cantiques à venir ne les leur feraient pas oublier…
     
    Peinture: Robert Indermaur.