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  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, V)
     
    De la fuite en avant.- L’invocation à la vie qui continue fut le lieu commun de plus en plus largement partagé par les faibles autant que par les forts qui en tiraient prétexte à plus de dureté et plus de violence, de sorte que la loi de la jungle retrouvait elle aussi sa justification...
     
    Du simulacre élargi.- La vie par procuration, de même que la guerre à distance et que l’amour virtuel s’imposèrent en ces années comme de nouveaux modes compulsifs de celles et ceux qui se conformaient à l’exemple de ceux et celles qui les avaient précédés sur cette voie de la déconnexion connectée, de sorte que l’individu sans contact se multipliait et l’effet de meute avec sa prolifération panique...
     
    Des premières interprétations .- Dès les premiers jours de la maladie mondiale certifiée, les uns évoqueraient le souvenir de la peste noire et les autres les dangers de mesures par trop étatiques, les autres la grippe hispanique et les risques d’un libéralisme laxiste, tandis que les soignantes et les soignants soignaient, fort applaudis aux balcons...
     
    De l’odeur de l’hosto.- Il y a pire que mon angiosarcome du cœur, disait-elle pendant sa perfusion : il y a cette odeur de vertu, cette odeur de propre et de confort sanitaire, cette odeur de pansements neufs et de chemises repassées, cette odeur de linceuls et de tisanes, cette odeur sans odeur du poison qui me permettra ce soir de sentir encore un peu du parfum du jasmin...
     
    Des nouveaux experts.- L’important en apparence était d’affirmer l’apparente évidence comme un fait confirmant l’importance de l’expérience, non sans remettre en question les experts de plateaux insuffisamment titrés en matière de pathologie virale, et du coup s’exacerba l’opposition des mieux sachants et des beaux parlants, et ce qui s’avéra dès le début de la pandémie fut confirmé par les experts de la guerre au moment où celle-ci commença de passionner les présentatrices et présentateurs de plateaux soudain en phase avec la géostratégie ambiante...
     
    Des complications.- Ne m’étant jamais droguée ni ne couchant avec des séropos, disait sa voisine de box également perfusée, j’ai coupé à La Maladie, comme on l’appelait dans les années 80, avant de choper la malaria en Malaisie ou j’ai commencé de fumer et voilà le résultat avec une jambe en moins et de mauvaises nouvelles sur l’autre, mais ce serait pire en Tchétchénie alors merci la vie...
     
    Du pire mais pas que. - Quant à la vie elle se demandait, après tant de millénaires sans le moindre progrès en dépit des micro thérapies et des accélérateurs linéaires, ce qu’elle foutait ou était censée fiche au milieu de tant de vivants inconséquents, elle qui croyait avoir tout vu et ne finissait pas d’en découvrir de pires mais aussi de meilleurs ça faut quand même le rappeler pour le moral des enfants...
     
    Du noir complet.- Plus qu’un autre lieu, plus même qu’un plateau de télé l’hôpital est dépendant du flux que menace une panne de datacenter par défaut d’alimentation électrique, fuite d’eau dans le système de climatisation ou bug informatique, et vous savez ce que ça coûterait d’interrompre l’activité du cloud ne serait-ce que le temps de votre opération, donc faisons tous profil bas...
     
    Des petits bleus.- Le fait qu’il y eût encore quelque chose plutôt que rien stimula vos imaginations, et l’éventualité d’un monde soudain éteint, soudain tout silence - cette éventualité réjouit étrangement vos imaginations de poètes en vers réguliers ou de rêveuses adeptes de la pensée ZEN, reconnaissants de cela qu’on pût encore se faire des signes entre balcons et s’écrire des mots doux rédigés au crayon simple...
     
    Des profondes cavités. – Dans le murmure plus ou moins inquiet des salles d’attente, dans les champs que traversaient soudain les voitures affolées fuyant les encombrements autouroutiers visés par les chasseurs ennemis, sous les hautes voûtes des cathédrales également menacés par le Barbare, au double creux de votre oreiller, dans la noire et si légère épaisseur des siècles de notre mémoire partagée, dans toute cette concavité retentissaient à n’en plus finir les voix et les échos de cette parole faite chair qu’à votre tour vous incarniez…
     
    Peinture: Félix Vallotton.

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, IV)
     
    Du refus d’obtempérer.- À ceux-là qui positivent à mort, comme aux lugubres qui ne voient partout que ruines vous avez opposé votre quatre-mains de pianistes amateurs hors d’âge, sans autre métronome que le double battement de vos cœurs et sans autre souci que celui de la mélodie dont les enfants se souviendraient...
     
    De la nouvelle relation. - L’intuition qui nous vint, sans rapport avec les ordonnances délivrées à foison par les philosophes de plateaux et autres officiants de théomarketing, que nous étions confiés les uns aux autres, se concrétisa dès les premiers temps de la maladie spécifique qui fut officiellement identifiée comme une pandémie par l’Institution reconnue au niveau mondial...
     
    De la conséquence.- L’idée qui était alors la vôtre, fondée sur l’observation fine opposée aux généralités reçues, que l’esprit de conséquence est la plus vive au cœur de l’enfance et se dilue ou se dégrade au fil des dénis de l’âge, trouva la meilleure illustration dans les progrès soudain de l’infantilisation générale, qui est le contraire de l’esprit d’enfance, soumise à l’idéologie sanitaire générale de souche parascientifique et financière...
     
    De la confiance.- La première conséquence découlant de la maladie générale ou supposée telle fut que plus rien ne sembla désormais relever de la certitude alors que les plus forts, les plus puissants, les plus ostensiblement possédants semaient quelque temps le doute, de même que les plus portés à se croire croyants et les plus enclins à se dire savants...
     
    De la vulnérabilité.- D’aucuns alors, découvrant par les médias que les Chinois et le Berbères, les Malais et les Tasmaniens risquaient de tousser et de s’enfièvrer à mort autant que le fermier d’Arizona ou que la veuve distinguée des beaux quartiers viennois , conclurent bientôt au complot...
     
    Des preuves chiffrées.- La récurrence exponentielle de l’exposé assorti de statistiques, fondées en partie ou partiellement trafiquées, alla de pair en cette période avec l’affirmation plus ou moins opportune ou opportuniste des compétences expertes en tout genre, à commencer par l’hygiène théorique et le conseil moral, mais cela bien avant le mal foudroyant qui vous a visés particulièrement sans que quiconque pût non plus en déceler la source ou en expliquer la cause...
     
    Des flirts de seniors.- Vous n’étiez pas de celles et ceux (l’époque excluant depuis peu qu’on parlât de ceux seuls sans leurs homologues féminins) qui attendaient quoi que ce fût des nouveaux ateliers protégés, et le souci soudain voué par les médias à la sexualité des seniors vous inquiéta bientôt autant que la perspective d’une mécanisation des sentiments ou du formatage des affects...
     
    De la retenue tacite .- Vous étiez convenu de ne point aborder de grandes questions avant le café du matin, voire les dix heures ou culmine la tranquillité matinale, de même qu’on y renonçait après le coucher du soleil, mais le reste du temps était souvent dévolu à ce qu’on peut qualifier d’insouciance attentive, et souvent d’autant plus attentive aux bonnes choses de la vie qu’elle se fondait sur la présomption d’innocence...
     
    Du mimétisme médiatique.- La transition du mal général dont parlaient les médias comme d’un fait établi, aux affections particulières qui continuaient de frapper n’importe qui et au hasard, comme celle qui vous était réservée sans que vous vous en doutiez au début des premières hécatombes, ne vous rendit pas fatalistes ni moins encore désabusés ou cyniques, mais plus confiants, mieux confiés les uns aux autres...
     
    Des illusions infécondes.- Un trait idéologique funeste de tes compatriotes t’était apparu en ton adolescence déjà et t’avait révolté vers tes quatorze ans, qui tenait à postuler l’immunité d’ordre divin dont bénéficiait la patrie au nom d’une élection spéciale prouvée par le fait que vous aviez coupé à deux guerres mondiales, et tous les dénis ultérieurs de la nation vertueuse te semblèrent découler de la même misère d’âme...
     
    De la seconde chance.- La folle inventivité de vos enfants en leur premier éveil, leurs sorties inouïes, leurs dessinages de petits voyants, leurs jeux et leur gestes vous auront fait revivre et partout où il y a de l’enfance et des sensibilités friandes de nouveauté printanière, ainsi de vos soirs redevenus allègres matins...
     
    Peinture: Joseph Czapski.

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, III)
     
    De l’hésitation.- On pourrait en rester là, se dit-elle après avoir appris que l’opération serait palliative et non curative, selon les termes signifiant que le geste chirurgical d’une extrême complication et nécessitant donc d'exceptionnelles compétences ne fera que lui gagner un peu de temps s’il réussit et si elle survivra - donc on en resterait là, mais sait-on seulement où on en est ?
     
    De la résolution.- Ce qu’on a décidé, pense-t-il en élargissant sa réflexion à la cafète de l’hôpital, c’est plutôt l’hôpital qui l’a décidé, j’entends : les théoriciens et les techniciens, les praticiens de l’hôpital qui parient pour l’excellence de l’hôpital en termes non exempts d’un souci de publicité, et par extension tu en conclus que c’est ce qu’on appelle la société qui a décidé pour vous, même s’il vous sera accordé de prétendre le contraire aux colloques mis sur pied par les superpros stipendiés par ladite société...
     
    Des couleurs ravivées.- D’un tout autre point de vue c’est grâce à la chimio, si j’ose dire, que nous avons redécouvert la beauté distincte des couleurs de la vie, la distribution précise des couleurs des voyelles, comme le jeune poète aux joues roses et grandes paluches l’avait entrevue, et la spécificité rythmique des consonnes, mais aussi la musique des murmures, et de fait nous parlions tout doucement dans le box où elle se trouvait perfusée...
     
    De la drôlerie des situations.- Nous aurons vécu d’autres bons moments, avec les garçons fracassés du pavillon de traumatologie de l’hôpital régional, cette année-là, quand chacun oubliait ou faisait semblant d’oublier ses os brisés ou ses plaies pour ne voir que ce qui vivait encore en ces lieux puant le désinfectant et les relents de cuisine avant ou après les heures à pleurer - tout à coup le grand Timour donnait le signal de la salutation générale au dieu soleil et la faute à pas de chance se trouvait défaite à l’avenant...
     
    De ce fil ténu qui nous retient. - À la fin votre père ne tenait presque plus debout, lui l’ancien militaire fierté de votre nation, vous m’avez dit qu’avec tout ce qu’il avait oublié il était presque apaisé, vous avez ajouté ensuite qu’il était presque content de s’en aller, concluant enfin que ces « presque » en disaient beaucoup sur sa vie ...
     
    Des regrets inavoués.- Ce qu’ils ne diront pas, si l’un part avant l’autre, c’est qui donnera son dernier verre à l’autre si l’un est déjà parti, ou qui humectera le front de l’un si l’autre n’est plus là, et qui fermera leurs yeux, et qui prendra soin du chien ?
     
    Des illusions tenaces.- Vous croyez être prêt, no problem affirmez-vous devant votre glace qui ne fait même pas une grimace, vous laissez la peur aux autres ajoutez-vous sans penser même à la sorte d’angoisse que vous évoquez, sur quoi vous découvrez au chevet de qui vous aimez que ce qu’elle vit, ou ce qu’il vit, ce que vous vivez ne l’a jamais été et que personne ne vous dira qu’il n’y a pas à avoir peur...
     
    Des limites de l’organisation . - Les uniformes des soignants sont fonction de leur fonction, vous explique-t-on en vous recommandant de moduler votre façon de leur parler à proportion de leur rang, mais vous vous y refuserez tant que les patients n’auront pas d’uniforme approprié à leur dysfonction...
     
    Des occasions manquées.- Ils parlent de votre vie comme s’ils vous plaignaient de ne pas présenter les dernières nouvelles à la télé, ils semblent regretter pour vous ce que vous n’avez jamais désiré, pour un peu ils vous souhaiteraient un enterrement tel qu’ils vous croient incapable de l’imaginer...
     
    Des questions peut-être vaines .- Regretterons-nous de ne pas nous être tout dit, se demande-t-elle sans penser vraiment qu’il lui ait jamais caché quelque chose d’autre que ce qu’il sait qu’elle eût souffert d’apprendre, et de son côté son bon naturel lui suggère que ne pas tout dire n’est peut-être qu’une autre façon de se parler...
     
    Du plaisir obligatoire.- Tu n’accordais à ce qu’ils appellent le bonheur qu’une attention prudente, à ta façon de descendante des paysannes des hauts, tu savais ce qui est de la jeunesse et ce qui est de dignités ultérieures et non moins jouissives à leur façon domestique ou peut-être artiste, tu ne te payais pas de mots et l’indulgence de l’âge adoucissait encore ton savoir d’expérience...
     
    Du refus d’obtempérer.- À ceux-là qui positivent à mort, comme aux lugubres qui ne voient partout que ruines vous avez opposé votre quatre-mains de pianistes amateurs hors d’âge, sans autre métronome que le double battement de vos cœurs et sans autre souci que celui de la mélodie dont les enfants se souviendraient...
     

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, II)
     
    De quelques dissonances. - Sans discontinuer l’on vous avait enjoint toutes ces années de profiter, sans faire de vous des profiteurs - ça c’était le bonus de conscience -, mais la santé qui rutile, l’emploi garanti aux utiles, le travail qui libère et les congés payés aux Maldives qui régénèrent, le décor d’une nature faite pour l’œil et tout un système assurancier palliant la moindre défaillance de la machine faisaient concert et profiter ne sera jamais un crime sauf en cas de guerre - mais voici que celle-ci se rapprochait, et la mortelle maladie...
     
    De l’hospice occidental.- Enfants d’après la guerre il vous arriva de douter de la légitimité de vos privilèges, mais pouvait-on vous reprocher d’être nés de ce côté de la chance, se demandaient certains d’entre vous tandis que d’autres se disaient prêts à endosser la faute, mais n’était-ce pas se moquer des damnés de la terre que de se ranger de leur côté à si bon marché argueraient ceux-là qui ne voyaient de choix que la sainteté - nous en étions à peu près là de nos discours d’enfants gâtés quand nos propres enfants commencèrent de s’interroger...
     
    Des mentalités variées. - Votre vingtaine fut d’un idéalisme apparenté, puis vous vous frottèrent au monde dont les langues et les usages familiaux ou les tensions sociales vous firent évoluer en finesse ou en habileté, mais ce soir vous revivez ces moments sans acidité, tous deux foudroyés par la nouvelle de ce matin de la mort annoncée entre vous deux...
     
    Des projets ajournés.- Tu aurais aimé retourner ce printemps sur la Côte, sans préciser le lieu particulier vu que la Côte est partout la même au printemps, avant l’afflux des hordes, mais la série des chimios vous a obligés de différer ce départ, et bien d’autres dans la foulée, juste une année avant l’invasion russe en Ukraine qui a obligé la famille de vos amis Leskov à se bouger...
     
    Des femmes tondues.- Ainsi le côté sale brute de la vie vous est-elle apparue sur le tard, non comparable aux chagrins ordinaires de nos deuils proches ou plus lointains: tout à coup c’est votre mère qui a perdu ses cheveux, désireuse d’apparaître ainsi aux petits en tant que grand-mère, par souci de vérité, et la honte des femmes tondues de la guerre passée est devenue fierté...
     
    De ce qui apparaît.- Vous essayez de trouver les mots, qui vous viendraient sans difficulté si le mal était en vous - vous le savez pour l’avoir vécu -, mais trouver les mots qui ne soient pas que de compassion ou pire: de pitié affligée, trouver les mots ce soir pour lui dire que tu la trouves jolie quand même alors qu’elle se voit en cadavre ambulant, retrouver de ces mots qui vous ont aidé à vivre aux plus durs moments vous sera venu sans y penser dans le seul souci de partager ces instants...
     
    De l’émouvance. - Leur façon de se blottir les uns contre les autres pour assister au film projeté sur les murs tremblants du métro de Kiev - le tremblement n’est autre que celui de chaque nouvelle bombe tombée là-haut -, te rappelle tous les gestes de protection auxquels tu as assisté à travers les années, résumant à tes yeux l’histoire de la bonté en ce monde qui n’eût pas survécu sans elle ...
     
    De l’inexplicable.- Tu ne trouves rien a reprocher au jeune chirurgien plein de son avenir et qui voit en ton cas une rareté intéressante mais dont tu ne sais ce qui le motive finalement, pas plus que tu n’en veux au Créateur présumé d’autoriser la venue au monde d’enfants dits nains à tête d’oiseau ou sirenomèles, tu ne t’expliques pas la propension à la médisance de certaine soignante ni la belle humeur récurrente de tel soignant aux pires moments, savoir ce que veut ton corps t’échappe mais tu lui parles aimablement lorsque vous êtes seuls et même l’amour, ou ce qu’on désigne de ce mot délicat, même le nom de Dieu qui ne t’a jamais convenu, tu les prends comme ça sans savoir pourquoi...
     
    De l’attachement aux choses. – De la même façon que tu lui es restée fidèle, même quand il était trop souvent ivre ou perdu dans ses livres, tu as manifesté aux choses, plus qu’à beaucoup de gens, une sorte d’amitié qui te les faisait considérer avec le même respect que tu manifestais aux animaux familiers, quand les bêtes sauvages t’en imposaient de façon plus mystérieuse, la Nature te semblant en effet le plus grand mystère…
    Aquarelle JLK: Transportés ou déportés ?

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées du soir, I)
     
    "Je n'aime pas dormir quand ta figure habite,
    La nuit contre mon cou;
    Car je pense à la mort laquelle vient trop vite
    Nous endormir beaucoup".
    (Jean Cocteau, Plain-chant)
     
    De l’allègement.- On ne marche pas sur les œufs : on y danse, les yeux fermés, le cœur à la romance et fredonnant des airs légers comme les jeux appris dans cette ancienne vie que restera toujours l’enfance...
     
    De la spontanéité.- On ne marchera pas au pas : on dansera plutôt en bandes déliées au gré de flûtes enchantées, le long des avenues ou par les hauts où des oiseaux voltigent en nuée ou relancent les envolées de nos élans adolescents...
     
    De l’apaisement.- On passe le temps à jouer: on parle quand on dort, on rappelle à souper nos morts là-bas, les yeux ouverts sur les quais des ports éphémères où le temps les a déposés sans effort apparent, ni mesurer jamais ses heures à jouer dans les vents aux douces odeurs éventées des roses du présent...
     
    De ta présence au soir.- Ta vie dans la mienne a tracé cette ligne claire, comme un fil de lumière suivant la rondeur des collines et le détour des rivières, comme un chemin d’issue malgré les apparences, comme une évidence en réponse aux questions difficiles, et la caresse de ta présence endormait les enfants...
     
    De la clairière de l’être.- Un être exquis m’attend maintenant là-bas par delà les eaux sombres, par delà la rivière de la rue encombrée, par delà ton trépas: ta façon de sourire sans pareille, ton béret sur l’oreille, ton regard de très douce amie, ta présence éveillée au sommeil...
     
    De l’ignorance au-delà.- Toutes ces vies au regard perdu, cette autre façon d’être advenue, cette autre façon de paraître, enfin que sais-tu de ce que j’ignore, demande le vivant à l’absent qui sourit dans la patience de la nuit...
     
    Du ciel de mémoire.- L’inquiétude en sa chambre noire se rappelle, le soir, les heures d’ombre et de lumière de tant d’années et de poussière de nuits étoilées...
     
    De votre connivence.- Vous vous entendiez de concert, sans parler souvent que des yeux dans le précieux silence du temps qui se souvient des promesses réalisées sans autre délivrance...
     
    De la précaire assurance.- Rien n’est sûr que cette inquiétude qui vous tenait éveillés, et rien ne dit que cet interlude entre le tout et les riens de votre vie à la fin ne les résumerait, amoureux et serein...
     
    De l’immanence. – Les choses en sont donc là, et nous voici les contempler comme au premier matin, alors ce qui se dirait serait la question de ces nouveaux jours sans toi, et le dire et comment à t’entendre de là-bas: le vert serait sensation pure au dévalé des monts qu’ensemble nous parcourions, et le rouge pointerait, en vive affirmation, aux couleurs de la passion ravivée par quelle douceur irradiante - les choses en seraient là, et l’absence lancinante mentirait : tu serais là tout ardente et souriante en ta gratuité…
     
    Du doux parler. - Tu es telle mon hirondelle, dans le torrent des airs, en joyeux tourbillons, que les vers en ribambelles à leur tour jailliront : au fond du ciel est un mobile secret et radieux, dont la grâce efface la trace…
     
    Peinture JLK: Le chemin sur la mer.

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées en chemin, XXXVIII)
     
    De la bonne entente.- Ni l’un ni l’autre ne souffrant la déambulation ou le périple en groupe ou en troupe, la joyeuse marche de bonne humeur jouée ou l’exploration enjouée des ruines classées par ancienneté, tous deux se retrouvèrent seuls à voyager toujours en leur seule compagnie, et comme ils se faisaient écho à tous égards ils se réjouissaient de se retrouver à l’aube après s’être éloignés l’un de l’autre dans un sommeil tout proche où parfois ils se croisaient en rêve, prétendaient-ils en souriant drôlement...
     
    De la cocasserie.- Nous étions pareillement sensibles à ce que subissaient ici et là les infortunés, même protégés de la pauvreté et de la guerre celles-ci nous attristaient, cela va pour ainsi dire de soi chez les gens vivants, mais nous n’étions pas moins friands de cocasserie, elle encore plus que moi, dont les récits qu’elle faisait à nos retours, avec nos familiers, surabondaient de détails loufoques, la poule de soie dans l’auditorium japonais ou le défilé des philatélistes malgaches en uniformes de grande cérémonie, les renards volants du Tibet ou le soufi muet nous parlant de son seul regard sous l’Arbre de l’Intuition...
     
    De l’image parfaite.- Un jour que dans un paysage italien de notre préférence, ou peut-être en Algarve ou en Andalousie, en tout cas dans la douceur visuelle des lumières méridionales, et plutôt en automne quand tout est irréel de beauté comme assourdie, je lui avais proposé de la peindre comme elle était mais dans le paysage, insérée, bonnement inscrite dans une robe simple aux couleurs de terre et d’herbe, et sans poser, comme elle seule savait, tout au naturel, comme survenue au monde dans cette sorte d’intimité partagée et restant notre secret...
     
    De la belle paire.- Tout jeunes et rilaxes ou ridés mais légèrement dorés comme des passants juste esquissés par un émule de Rembrandt, ils vont de pair et seraient remarqués même dans une assemblée ou cette foule immobile qu’on voit parfois autour des églises ou des gares, ils sont là juste de passage et présents seulement l’un pour l’autre, tout à leur histoire peut-être liée au souvenir de telle église ou de telle gare - ces lieux où l’on implore ou déplore tandis que ce deux-là s’éloignent là-bas enlacés, ou pas...
     
    De l’âme vive.- Ce n’est pas une question - la question de l’existence ou non de l’âme - qui les préoccupe même en vue (ils campent en Grèce orientale ) des Météores dont les monastères n’accueillent que des éléments masculins avérés, non: la question ne se pose pas tant que leur âme double et conjointe, Animus et sa compagne Anima, vivent et vibrent à l’unisson des sphères joyeuses ou l’obsolète présumé se ressource à large lampées...
     
    Des sentences sentencieuses.- Les doctes et les impérieux, les éminences du savoir sûr m’ont fait rire longtemps en solo, puis elle a ri avec moi des pédants, mais nous restons attentifs et prêts à d’autres éveils au gré de nos rêveries, n’empêche : celui qui de sa chaire nous assène comme ça que nous restons toujours en enfer de ce ton qui ne dit en somme que l’importance de celui qui le profère - celui-là nous indiffère absolument...
     
    De nos préférences .- Elle avait besoin chaque année de la mer, et j’aimais écrire aux balcons, elle aurait flâné des heures pendant que je rédigeais un feuilleton, mais c’était ensemble toujours que nous partagions le filet de daurade ou les fruits cueillis à l’arbre de corail en souriant aux vacanciers débonnaires - tant il est vrai que la mer nous rapprochait de nos frères humains, et de leurs sœurs...
     
    Des conditionnements.- Toutes les têtes à l’unisson, devant le monument, se tournaient à l’ordre du guide attitré, parfois une Japonaise ou quelque jeune Prussienne à tenue allégée, et l’on entendait sans entendre vraiment, au sens de l’entendement, tant ce qui distingue le dorique de l’incrustation byzantine échappe à l’enregistrement immédiat alors que le chauffeur Jack impatient fait signe au groupe de passer au monument suivant...
     
    De la tendre soirée.- Les jours voyageurs n’étaient jamais aussi appréciés qu’en fin de journée après le soleil et les vacations vacancières, passée la parenthèse du farniente, quand les dîneurs dînaient sur les terrasses et qu’avant ou après les avoir rejoints nous laissions nos regards errer ensemble des balcons aux lointains...
     
    De la perspective cavalière.- C’est le point de vue que vous direz, plus que de l’âge mûr: de l’âge sûr, même si c’est précisément en ces années atteintes que vos certitudes se fissurent, mais le fait est que se retourner prend désormais son sens et non sans indulgence augmentée - tant de temps à cheminer ensemble, et c’est une nouvelle carte du tendre que vous découvrez en revivant du regard le chemin parcouru de fondrières en clairières, les allées semées d’embûches et les années où vous aurez trébuché pour vous relever vous ne savez plus comment, avec elle ou parfois sans, chacun en ses difficultés, jamais séparés mais jamais non plus en trop étroite fusion, la vie exigeant ces ondulations…
     
    Du bout du chemin. - C’était alors l’expression la plus innocente, allons, faisons donc un bout de chemin ensemble, et c’était en enfance pour nous rendre à la petite école, ou plus tard en revenant de la plage, parfois troublés par nos pensers ou nos sentiments, nos sensations ou nos pulsions d’adolescents, plus tard encore à nous revoir l’un ou l’autre d’année en année, et d’autres encore à se déprendre ou se retrouver, mais sans imaginer alors que le chemin finirait...
     
    De la modestie.- Que notre cœur soit intelligence et que notre esprit soit bonté, étions-nous convenus sans même nous concerter, comme si la vie que nous menions nous l’avait dicté et sans même que nous eussions à l’inscrire, par delà l’aveuglement d’un certain attachement de possession et plus loin aussi dans la douceur consentie que ne le dictait la lucidité calculée - non point accroupis dans la résignation soumise mais souriant aux choses accordées...
     
    De l’allant joyeux.- Nous ne reviendrons pas amont sauf en pensée, car c’est naturellement vers l’aval conscient et concerté que nous allons, en veine de nouvelles enfances qui, par nos descendances, ne cessent de raviver nos ravissements purs, cependant, d’excessives ou nigaudes exaltations, autant dire que nous ne nous laissons point aveuglément mener mais l’avancée ne saurait être non plus trop contrôlée, aussi allons-nous de l’avant tout à la joie sereine et reconnaissante de la vie allante...
     
    Sculpture: Mario del Sarto.