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Prends garde à la douceur

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(Pensées du soir, VII)
 
De la fraîcheur.- L’Oeuvre garde assurément des traces d’ancien, mais sa beauté est toute affirmation de jamais vu dont la meilleure preuve est le changement d’humeur immédiat de qui l’approche et la reconnaît comme une évidence matinale ou l’idée de s’immerger évoque le rite deux fois millénaire du baptême...
 
De l’humble attente.- Qui n’a jamais connu de sérénité ou de soleil durable bénéficie de cette tranquille disponibilité des innocents qui en ont vu de toutes les couleurs sans en concevoir la moindre rancune - et voici tout à coup qu’une main se tend vers eux ou que deux bras leur prouvent qu’eux aussi ont eu une mère jadis où naguère dans un autre pays...
 
Des objets et des muses.- Tard venu à la poésie, l’ancien employé de bureau que Baudelaire a soudain visité telle nuit lunaire n’ose pas parler de muses quand il sent en lui des mots s’associer comme s’il n’y était pour rien, juste bon à les accueillir et les aligner sur le papier à l’encre d’écolier qu’il a gardée sans se douter de l’usage qu’il en ferait à l’âge où l’on cesse de rien faire...
 
De la vanité.- Ils se disent poètes et se prétendent au-dessus des objets, ils attendent que la caméra tourne pour évoquer leur ascèse de création et l’angoisse vertigineuse de la page blanche et le peu de rentabilité dans la société que vous savez - et de cela aussi ils feraient de la poésie si leur image y gagnait...
 
De la bonté des objets.- Il ne suffit pas de célébrer la beauté des produits fabriqués en l’usine de l’Art mondial et de la Poésie universelle: leur bienveillance foncière est également à inscrire au patrimoine de l’humaine engeance, et l’apaisement de la sempiternelle douleur - laquelle n’est pas étrangère pour autant à la beauté et à la bonté diffusée par les mêmes objets...
 
De la profondeur du soir. - C’est un cliché pour Instagram et bien plus depuis toujours et partout : ce rouge aux joues du ciel virant au noir, et ce qu’on dit les feux du couchant ou les vestiges du jour sont à la fois la fin de quelque chose qui nous remplit de mélancolie dès notre enfance soudain affolée à ces heures, et l’entrée dans l’autre royaume dont les heures ont perdu leurs ombres...
 
Des retombées.- L’ivresse du bateau à saisi la mer tout entière, et le vent et les étoiles renvoyant à travers le temps leurs imaginaires palpitations...
 
De l’appartenance.- On emporte avec soi tout ce qu’on possède, y compris l’amour dont on est arraché comme un corps semble arraché à l’amour universel, mais à quel amour et à quel univers ces mots appartiennent-ils, pourriez-vous demander faute de les traduire en larmes...
 
Des échanges secrets.- Il est inexact de prétendre qu’un amour heureux repose sur la fusion des intérieurs, même sans faire chambre séparée nous avons gardé entre nous cette distance qui subsiste entre Animus et Anima, chacun à sa fenêtre donnant tantôt sur cour ou jardin au théâtre des journées, la nuit venue restant propice à d’autres passages et confidences - mais la encore c’est mentir que d’exagérer à la façon des feuilletons...
 
Des élans factices.- Dès lors que nous avons résolu de couper court à toute exaltation imitée du cinéma, les choses entre nous sont devenues plus belles d’être réelles, jusque dans les difficultés nous ouvrant des voies nouvelles par lesquelles nous nous sommes approchés l’un de l’autre, et ce faisant nous nous sommes éloignés de ce que chacun de nous avait été pour nous rapprocher des autres…
Des rituels relancés. – Sans savoir si la statistique indiquant l’augmentation ou la diminution des individus qui prient dans nos régions, et compte non tenu des manifestations de superstition liées à toute forme de performance ou de profit prochain, nous croyons savoir que la considération et même le respect, voire l’amour du sacré se traduisent toujours, à proportion de l’humilité naturelle des gens, par des gestes, visibles ou non, assortis de formules audibles ou non, qui expriment tantôt l’imploration et tantôt l’adoration à la fois sincère et discrète et ces temps d’insincérité présumée et d’indiscrétion avérée…
 
Peinture: Joseph Czapski.

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