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Quand je suis nuageux,je flotte dans l'agréable espacesans angles aigus rapacesni autres obtus calculs d'essieux.Mon sentiment porteurassocie les deux infinis,récusant tout défides simulacres de chercheurs.L'aventure n'est ni sphèreni cadastre de l'inconnu:on la veut ingénuepassante, à démarche légère...Peinture: Vassily Kandinsky.
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Nager sans le savoir
La chose est dure à dire:le poète ne dira vraique s'il est rude à cuireet s'il se tient au frais.Traverser le fleuve chinoissans s'accrocher aux jonques,à l'écoute des conques,relève du seul exploit.Or tel est le poèmeque nulle page ordinairerésolvant le problèmen'a jamais su refaire.Le poème ne se refait pas !Allez le répéter,mais ne le faites pas:nulle cigale n'a de clef.(Ce que Mandelstam dit de Dante,Proust l’a dit et redit.)(Ce jeudi 31 août 2017, sous une pluie battante)(Peinture: Alex Katz) -
Que tout est là
Le poème est en question:telle est la question du poème.L'enfant perdu dans le métro,fugace apparition,ne sait pas qu'il est là chez lui;mais l'exploration,les rames et leur tonnerre,la divine terreur,le lointain tagadam d'un cœur au fond des bois,loin de leurs croix sous le ciel noirlui feront déclarer,sans une ombre de peur,que le poème est retrouvé.Ah oui, cela encore:que le poème sait par cœurtout ce qu'il a chanté.Peinture: Stéphane Zaech. -
Réminiscence
Je me souviens d’avant la vie:ce grand lac indolent;comme tout était tranquille alorsparmi les ombres bleues:on n’entendait que des rumeursde ce qui n’était pasou peut-être à venir -c’était en somme égal.Mais à venir c’est la prunellequi verse alors soudainson poison lucide en nous tous;on n’est plus seul hélas,on n’est plus à se prélasserdans le doux incertainde la songeuse éternité... -
Rivage du soir
Quand Homère n’y verra plus rien,compagnon de ma nuitqui m’a conduit sur les cheminset le bitume exquisde la grande cité d’été;sachant mieux que moi où allersans jamais hésiter...Quand nous n’aurons plus d’yeux pour voirmon ombre dans le noir,nous resterons là sans parler.Mais ni le soleil ni la guerrene s’oublieront jamais:Homère me fera croirequ’il continue de lire en moiet moi je me tairaidans les murmures du tendre soir.(L'effroi de la nuit. Gouache JLK, ce 2 IX 2018) -
Déraison
Rien ne t’oblige à rien du tout:tu as le choix des armes,mais si tu en crois les frelons,les larmes coulerontde ce rien qui te rendra fou.Ta vocation est au trépas,te murmurent les loups:tous y sont disposés,mais si tu en crois les canons,nul ne revient du frontde ce néant qui les rend fous.Rien non plus ne t’oblige à tout:tu a le choix des larmes,et si tu en crois les melons,les armes se tairontquand parlera le dieu tatou...Image JLK: l'oiseau de Capitola. -
Avant l'aube
Avant l'aube
Avant l’aube point la vision
de cet œil noir scrutant
dans l’entonnoir de tendre chair,
au tréfonds de l’instant...
Tu y vois comme en un miroir
les reflets des années
s’effacer dans le jour sans ombre
des allées cavalières...
La mémoire serait
un ciboire plus qu’une coupe amère,
mais avant l’aube tu ne sais
voir clair que dans le noir...
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Facétie
Pour L.Je ne suis rien qu’un cancre las,fatigué de la vie,mais j’aime assez le chocolatet tes douces lubies.Le bleu me sied dans l’hélicodont les pâles remuenttout là-haut sous ton chapiteaud’acrobate menue.Le temps de passer par ici,devenu ta saison;et ta grâce sans vains chichis,ta peau douce au visonm’ont donné le goût d’être là...Peinture: Gilles Ghez. -
Chambres d'écho
En mémoire de Constantin Cavafy.
Sous les arbres, déjà,
du quai de la nuit de mai,
les corps à l'odeur de poisson,
les mains cherchant les noms
des visages absents ;
les corps à l'abandon
déjà faisaient entendre
ces murmures dont les chambres
se souviennent longtemps après.Le lift est une antiquité,
mais en bois précieux,
et ses poulies sont huilées
comme les corps très souples
des guerriers de l'amour.Les chambres ont tout enregistré ;
la salle d'eau sur le palier
les accueillait dans sa buée,
toute bleue et ses tuyaux
crachaient une eau rouillée.Mais ces corps de guerriers
ignoraient le remords :
le soleil de la chair
seul irradiait les chambres;
le soleil et la mort.
(Thessalonique, Hôtel Tourist, 1993) -
Fantaisie du bel été
Pour Sergio Belluz
Mon manège est un galopant,
mais il aime aussi la lenteur,
les antilopes et les cravates,
et la couleur de l'héliotrope.
Avant de lire je chevauchais
les tigres de l'épidiascope,
et le rire inquiet des muets
m'a fait danser le menuet.
A dix ans l'âge de raison
m'a vu philosopher tout bas,
avant d'emboucher le tuba
des marines explorations.
Ah que le monde est bas !
Ah que le monde est haut !
Ah comme il était beau,
le son du pianola !