UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Sollers à Silvaplana


    De la liberté de ne pas suivre l'Auteur...

    Silvaplana, ce lundi 24 janvier, 16h.33. – Le soleil rougeoie à l’ouest du lac enneigé sur lequel je marche seul en laissant derrière moi la double marque répétée YETI YETI de mes moonboots, qui me rappellent Tchang, le petit chinois de Tintin au Tibet, et notre premier séjour familial en ces lieux, lorsque nos filles étaient toutes petites et qu’entre deux chapitres de La montagne magique je me réjouissais tant de changer, de torcher, de humer au cul, de peloter et de palpoter, de mignoter, de léchoter et de faire rire par mille mignardises idiotes de père attentionné, avant de les oindre d’huile de rosat et de myrtilles, de les emmaillotter de linges imbibés d’eau-de-vie, de les embéguiner et de les déposer dans la bercelonnette.

    Combien j’aimais jouer au papa sans maman (elle se reposait alors dans son coin en se livrant à quelque sublime découpage) et combien j’emmerde Philippe Sollers pour la déconsidération qu’il jette sur la condition de père, mais combien je me réjouis aussi qu’Une vie divine soit de ces livres rares qui nous laissent la double liberté d’apprécier les vues de leur auteur tout en emmerdant celui-ci pour mieux se rester fidèle à soi, n’est-ce pas ?
    Donc il me plaît de reconnaître à Sollers le droit et la liberté de dire son mot, pour autant qu’il me laisse dire le mien, et c’est à cela que nous incitent et nous invitent et son livre et Nietzsche et les cimes que tous les matins je salue en me disant crânement avec Sollers: les montagnes s’en foutent !
    Pourtant le fait que les montagnes s’en foutent ne signifie pas que rien n’ait plus d’importance. Au contraire, et Sollers et Nietzsche ne disent pas autrechose : c’est quand on a reconnu que rien au fond n’a d’importance que tout se met à compter. La clairvoyance est le contraire du nihilisme, et j’aime que Philippe Sollers y ajoute de la gaîté.
    Du moins est-ce ce que je me dis en marchant sur le lac enneigé de cette fin d’après-midi en laissant derrière moi cette signature de YETI…

    Les cygnes de Silvaplana. Découpage de LK.

    Philippe Sollers. Une vie divine.

  • Sollers à Sils-Maria


    Au miroir de Jouve. Propos sur le roman.

    Sils-Maria, Hôtel Waldhaus (grand salon), ce mercredi 25 janvier, 13h.33.- Il y a plus de cent ans qu’a été érigé le Waldaus de Sils-Maria où je rencontrai, pour la première et unique fois, en 197**, un Pierre Jean Jouve doublement effondré du fait que Blanche, son épouse psychoanalyste, venait de faire une mauvaise chute dans le Grand Escalier, et non moins grave : du retard que l’envoi du chèque de Bianca, sa richissime mécène américaine, accusait ce jour-là.

    « Maladie, canicule, catastrophe ! » furent les trois termes de son entrée en matière, après quoi nous allâmes sur la terrasse ensoleillée surplombant les lacs égrener quelques sablés arrosés de whisky-tisane et quelques propos sur le roman.
    « Henry James affirme que tous les personnages du grand romancier ont raison », nous dit alors Jouve, et me signant mon exemplaire de Paulina que je lui soumis en tremblotant d’émotion, il me regarda par en-dessous de son œil terrible et malicieux à la fois : « N’est-ce pas que nous l’avons aimée notre Paulina ?!" Notre Paulina !
    Or resongeant aujourd’hui, sous la neige congelée, tant d’années après la mort de Jouve, de Blanche et de Bianca sans doute, aux personnages de Paulina, de La scène capitale, de Catherine Crachat ou du Monde désert, j’entends toute une rumeur de rêve, dans une sorte de brume proustienne, de laquelle montent des voix dont je reconnais chacune - chacune ayant raison.
    Et c’est Jacques de Todi, le fils de pasteur du Monde désert, neveu de Paulina, que son penchant pour un garçon diablement angélique peloté sur les hauts alpages du val d’Anniviers, non loin de chez Ella Maillart et du chalet des Chappaz, fait se convulser de culpabilité puis se jeter dans le Rhône de Genève au dam de son amie Baladine, dont Jouve a repris le prénom de la mère de Balthus. C’est Paulina et c’est Hélène de Sannis à Soglio (que Jouve appelle Sogno, le rêve), la toute belle Hélène fascinant un autre adolescent, Dans les années profondes, ou c’est Gribouille le fils des Gribiche et vingt, trente autres personnages qui ont tous raison, entre le poète et nous.
    La bande à Sollers, à l’époque de la revue Tel Quel que j’ai commencé à collectionner en 1966, avant de la rejeter virulemment, a fait beaucoup pour accréditer l’idée de la mort du roman et du caractère obsolète de la notion de personnage. Mais où en sommes-nous quarante ans plus tard ? Ya-t-il un seul grand romancier français vivant, comparable à un Philip Roth ou à un J.M. Coetzee, à un William Trevor, à une Doris Lessing, une Edna O’Brien ou une Joyce Carol Oates, un Brian Easton Ellis ou un Antonio Lobo Antunes - quel Bernanos d'aujourd'hui ?

    Je pose la question en revivant mentalement, ici au Waldhaus, tous les épisodes de La montagne magique dont chaque personnage me reste avec son prénom et ses raisons.
    Philippe Sollers a–t-il laissé la liberté à un seul personnage, à part le sien et ceux des femmes qui lui tournent autour comme autant de courtisanes et autres servantes aux rôles définis ?

    J’attends tranquillement les contradicteurs, tout en reconnaissant de mieux en mieux le mérite particulier de l’auteur d’Une vie divine…

    Philippe Sollers. Une vie divine. Gallimard, 2005.


     

  • Sollers à Sienne


    Du mystérieux Mozart et du char de Beethoven


    Sienne, Accademia Chigi, ce jeudi 26 janvier, 10 heures du matin. – Il y a des siècles que je reviens à Sienne, où Simone Martini a brossé mon portrait en 1320 et des bricoles, juste après ma conquête de Montemassi, de profil et couvert d’une splendide robe d’or poinçonnée à losanges, qui recouvre presque entièrement aussi mon blanc destrier, sous le nom de Guidoriccio da Fogliano.

    Je ne sais où Simone m’a déniché ce joli chapeau, mais bon. Ensuite, le dernier des érudits le sait, je réapparais au Cinquecento sous la figure du voyou à bandeau qui se trouve à la droite du Chevalier Blanc de la fameuse bataille peinte à fresque en 1466 par ce snob de Piero della Francesca. J’y ai l’air un peu patraque, pas à cause de la bataille mais à cause de ce que je viens de faire dans une alcôve proche avant la reprise de la pose avec toute l’équipe de forbans.

    Ces deux avatars de mon passé toscan, entre cent autres, sont fixés par la peinture de ces époques : nul doute à ce propos. En revanche, je ne sais d’où me vient le goût du cappuccio le matin, comme celui que j’ai pris deux fois tout à l’heure sur le Campo, ni d’où le goût de Beethoven et de Schubert, de Purcell et d’Arvo Pärt, de Soutine et de Bonnard…
    A l’instant cependant il n’y en a que pour Mozart, Sollers oblige, qui ruisselle bonnement des murs de l’Accademia jusque dans la cour où, comme tant de fois lorsque j’attendais la diva Johanna Silber, dans les années 20 du 20e siècle (une autre de mes vies antérieures) j’ai pris place sur le banc de pierre, l’oreille proche des conduits auditifs (géniale invention) qui relient chaque salle de répétition au cortile…
    Mozart ou la délectation : c’est tout Sollers, c’est l’apollinien par excellence bien plus que le dionysiaque, cela ravit Moi l’autre l’aérien tandis que Moi l’un renaude, qui n’en finit pas d’espérer le roulement de char de Beethoven le long des Bianchi di Sopra.
    « Sollers est très, très amusant lorsqu’il compare Wagner à un capitaine d’industrie usinant sa musique comme de la métallurgie lourde ou du matériel d'armement!», pérore Moi l’autre en se gorgeant de chocolat Mozart. Et Moi l’autre de grommeler : « Pas ça d’émotion, ton phraseur n’est jamais descendu à la cave, parle des migraines de Nietzsche mais ne sait pas ce que c’est, parlote et jabote mais ne me touche pas pour autant, chiacccherone maledetto ! », et Moi l’autre de pouffer.
    Et Mozart de ruisseler dans la matinée radieuse, au milieu des collines enneigées…

    Philippe Sollers. Mystérieux Mozart. Plon, 2001.

  • A la recherche de l'homme perdu

    medium_simenon17.JPG
    Bien plus que le « père de Maigret », Simenon est un grand romancier qui applique à la lettre sa devise: « Comprendre et ne pas juger ».


    Un double lieu commun, fondé sur une lecture superficielle, réduit tantôt Simenon à un auteur de romans policiers, et tantôt à un Balzac contemporain. Il est vrai que Simenon créa le commissaire Maigret, d'ailleurs l'un des plus beaux personnages de la littérature policière, auquel il a donné quelques traits particulièrement attachants de son propre père, qu'il respectait profondément et dont il disait qu'il « aimait tout ».

    Or, Maigret n'est qu'un des innombrables personnages de Simenon, et « les Maigret » ne constituent qu'une part de l'œuvre, où le génie du romancier se trouve un peu contraint par le canevas et les conventions du genre. La première série des Maigret, composée entre 1928 et 1931, marquait certes une progression de l'écrivain vers la littérature « pure », après une abondante production alimentaire de romans populaires de toutes les sortes, relevant de la fabrication, mais qui permirent au romancier d'acquérir son métier.
    Simenon lui-même considérait « les Maigret » comme des romans semi-littéraires. Au tournant de la trentaine, il se sentit assez maître de son instrument pour laisser de côté son « meneur de jeu » et ses intrigues, abordant alors ce qu'il appelle le « roman dur » ou le « roman de l'homme », avec Les fiançailles de Monsieur Hire. Par la suite, Simenon revint certes à Maigret de loin en loin, mais plutôt par jeu, tandis que se déployait une fresque romanesque prodigieusement vivante et variée, que sa dimension et la richesse de ses observations ont fait comparer à Balzac, auquel Simenon consacra d'ailleurs un très intéressant Portrait-souvenir.


    medium_Simenon2.2.jpgEntre Balzac et les Russes
    Dans les grandes largeurs, il est vrai que les deux écrivains sont comparables pour leur inépuisable empathie humaine et leur incroyable fécondité. Deux forçats de l'écriture. Deux grands vivants aussi. Deux nostalgiques de l'infini. Mais l'artisan Simenon est un tout autre « animal » littéraire que Balzac l'homme de lettres. Si Balzac est une sorte de Maître après Dieu convoquant comme le Roi-Soleil toute la société à son chevet, Simenon se contente d'endosser la peau de l'homme nu. Balzac peignait l'ancienne société française en train de se déglinguer. Simenon se met à l'écoute de pauvres destinées de partout. Balzac retrace des trajectoires sociales exemplaires, à Paris et en province. Simenon retrouve le même homme soudain visité par le Destin. Balzac est merveilleusement informé et intelligent, philosophe et poète, sociologue et pamphlétaire, moraliste et métaphysicien, idéologue réactionnaire aux étonnantes analyses prémarxistes. Simenon est tout instinct, toute sensibilité sensuelle, mais il se fiche des systèmes et des idées non incarnées. Ses intuitions n'en sont pas moins fulgurantes et pénétrante sa compréhension des hommes. Certains de ses romans sont certes balzaciens de tournure, comme Le bourgmestre de Furnes, tableau magistral d'une petite ville conquise par un parvenu de haut vol. Mais le noyau dur du roman, lié au drame personnel du maître de la ville (qui cache une fille débile qu'il chérit) est tout autre, nous rappelant plutôt les grands Russes, Dostoïevski et Tchekhov.
    Il y a chez Simenon, comme chez Dostoïevski, une connaissance du mal qui passe par la fascination. Dans Feux rouges par exemple, roman « américain », c'est le jeune Stève, qui s'ennuie un peu dans son couple, et que fascine le personnage de Sid Halligan, échappé de la prison de Sing-Sing et qui violera sa femme durant la même nuit. Comme Tchekhov, il y a du médecin humaniste chez Simenon, capable de comprendre la maladie autant que le malade. Dans la formidable Lettre à mon juge, il donne ainsi la parole à un médecin de famille, précisément, qui a étranglé la fille charmeuse qu'il aimait pour échapper à la routine que lui impose sa femme parfaite et sa mère doucement tyrannique. Parce qu'il a passé « de l'autre côté », ce médecin criminel est devenu d'une lucidité totale sur lui-même, mais aussi sur la justice des hommes et les mécanismes de la société. Or, le même personnage nous introduit à une dimension beaucoup plus profonde de l'univers de Simenon.


    Nostalgie de l'infini


    Les romans de Simenon sont pleins de personnages qui, d'un jour à l'autre, rompent avec le train-train de la vie normale. Pas par révolte déclarée, existentielle, politique ou spirituelle: presque inconsciemment. Et c'est La fuite de Monsieur Monde, c'est l'échappée de L'homme qui regardait passer les trains, c'est le rêve africain du Coup de lune ou du Blanc à lunettes.
    Dans Lettre à mon juge — roman clé pour comprendre le romancier, comme Lettre à ma mère et Le livre de Marie-Jo sont des confessions décisives pour comprendre l'homme —, nous touchons au cœur de cette nostalgie d'une pureté qui pousse les individus au bout d'eux-mêmes.

    Evoquant le suicide de son père, viveur et buveur invétéré, trompant à n'en plus finir une femme admirable et qu'il aime réellement, le fils criminel essaie de comprendre le désespéré et déclare sur un ton digne de Bernanos: « Je ne vous dirai pas que ce sont les meilleurs qui boivent, mais que ce sont ceux, à tout le moins, qui ont entrevu quelque chose, quelque chose qu'ils ne pouvaient pas atteindre, quelque chose dont le désir leur faisait mal jusqu'au ventre, quelque chose, peut-être, que nous fixions, mon père et moi, ce soir où nous étions assis tous les deux au pied de la meule, les prunelles reflétant le ciel sans couleur. »
    A un moment donné, n'importe quel quidam peut ressentir le vide de sa vie et en souffrir. Les plus « purs » quittent alors le monde pour le « désert » du contemplatif, du mystique ou du saint. Dans l'univers foncièrement « neutre » de Simenon, qu'Henri-Charles Tauxe a justement caractérisé dans un essai éclairant, ce sentiment du vide social stérile renvoie soudain à une autre sorte de « vide » dont parlent les mystiques de toutes les traditions, qu'il soit « néant capable de Dieu » de Pascal ou vide-plein du bouddhisme zen. Cette nostalgie de l'infini « luit comme un brin de paille » dans les ténèbres tendrement pluvieuses, suavement abjectes, absurdement tragiques et infiniment humaines du monde de Simenon.


    medium_Simenon10.gifmedium_simenon14.JPG

  • La Russie au coeur

    000_arp1244245.jpg

    Rencontre de Marina Vlady

    Marina Vlady n’a pas froid aux yeux. C’est entendu: elle les a si beaux qu’on pourrait imaginer qu’elle nous la joue au charme ou, forte de sa triple carrière brillantissime de star de l’écran, de comédienne et d’auteur à succès, qu’elle se croit tout permis, jusqu’à «détourner» les personnages d’un classique russe.

    Et pourtant non: le risque qu’elle a pris en donnant une suite, avec Ma Cerisaie, à la fameuse pièce de Tchekhov, n’a rien d’abusif. C’est une belle idée romanesque, et pleinement justifiée dans le cas d’une artiste pétrie de culture russe, dont les aïeux ressemblaient beaucoup aux figures de la pièce.

    Marina-Vlady.jpg
    Dans son appartement des abords du Champ de Mars, entre bons gros chiens et sémillants canaris, tableaux partout et photos de scène (le trio Poliakoff jouant Les Trois soeurs, fait unique dans les annales théâtrales...), Marina Vlady évoque la genèse de son livre avec autant de simplicité que de naturel.
    «Il y a une dizaine d’années, déjà, que je désirais raconter les tribulations incroyables qu’ont vécues ma grand-mère et ma mère, dont les destinées personnelles recoupaient les grands bouleversements de l’Histoire. Je ne savais pourtant comment m’y prendre, jusqu’au jour où, interprétant à Paris le rôle de Lioubov dans La Cerisaie mise en scène par Georges Wilson, je me suis soudain interrogée sur ce qui aurait pu arriver aux personnages de la pièce après la fin de celle-ci, en 1896, dans le tumulte révolutionaire. La Cerisaie se passe dans le même milieu que celui de mes grands-parents, de la petite noblesse terrienne cultivée et démocrate, dont les rejetons se révoltèrent souvent au nom du peuple opprimé. C’est ainsi que j’ai nourri le personnage d’Ania, fille de Lioubov, de ce que je savais du caractère et de la vie de ma grand-mère maternelle. Le mari de celle-ci, le général Evgueni Envald, militaire de carrière très ouvert aux idées nouvelles et fou de théâtre, apparaît dans le roman sous son vrai nom puisque c’est une figure de l’histoire russe. De la même façon, l’éducation de ma mère, Militza, s’est effectivement faite, dès sa huitième année, à l’Institut Smolny de Saint-Pétersbourg, réservé aux familles nobles et vidé de ses élèves en 1917 pour cause de révolution...»

    837929493.jpg
    Le défi d’un tel roman était, évidemment, de fondre en unité les destinées réelles et imaginaires, dans une fresque crédible. Sans encombrer son ouvrage, très documenté, de trop de données historiques, Marina Vlady a su mettre en rapport le détail et l’ensemble, portant l’accent sur certains événements moins connus (la traumatisante guerre russo-japonaise) et laissant les protagonistes historiques (Lénine, notament) dans l’arrière-plan, au profit des héros du roman, à commencer par les femmes. Telle Ania, «fille» à la fois de Tchekhov et de la romancière, qui «s’est détachée du mouvement le plus radical dès qu’elle a eu compris que le terrorisme ôtait la vie aux innocents plus souvent qu’aux tyrans»... Une phrase qui prend aujourd’hui un relief particulier, puisque l’attentat du World Trade Center devait survenir une heure après notre recontre avec Marina Vlady.
    «Les femmes jouent un rôle de premier plan dans ce roman, parce que je tenais à rendre hommage à ces femmes si libres et courageuses qu’ont été ma mère et ma grand-mère. L’amour de la liberté et de la justice, autant que de l’art, a beaucoup compté pour elles et a marqué ma propre éducation. Quant à mon père, Vladimir Poliakoff, chanteur d’opéra, ingénieur en aéronautique et sculpteur chez Bourdelle, c’était un véritable personnage de roman. Pour ce qui touche aux personnages de Tchekhov, tels Lopakhine, auquel je crois avoir rendu justice alors qu’on le noircit trop souvent, ou Trofimov, je me suis efforcée de leur donner une destinée conforme à tout ce qui en est dit dans La cerisaie

    images-5.jpeg
    Roman traversé par le souffle de la passion, Ma cerisaie doit beaucoup, aussi, au dire de Marina Vlady, aux douze années d’années et de tourment qu’elle a passées en Russie, de 1968 à 1980, auprès du grand poète, comédien et chanteur Vladimir Vissotski, devenu son mari et qui lui inspira, post mortem, son premier livre, Vladimir ou le vol arrêté. C’est à ses côtés que cette femme très engagée à gauche, qui militait il y a quelques temps encore pour les sans-papiers, a senti le souffle froid de la révolution trahie.

    «Ils l’ont tué», constate Marina Vlady en évoquant l’homme de sa vie, tombé amoureux d’elle avant qu’il ne la rencontre et qui lui annonça crânement qu’elle serait sa femme dès leur première rencontre.
    Bien loin de sa Russie de coeur, Marina Vlady parle avec beaucoup de tristesse de ce qu’est devenu le pays de ses aïeux. «La chaleur humaine que j’y ai trouvée dans les circonstances les plus dures n’existe plus. Il n’y en a plus que pour la chasse au fric...»

    Mais la Russie revit, le lecteur l’aura compris, dans Ma cerisaie.

    Marina Vlady, Ma Cerisaie. Fayard, 346pp.