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Sollers à Sienne


Du mystérieux Mozart et du char de Beethoven


Sienne, Accademia Chigi, ce jeudi 26 janvier, 10 heures du matin. – Il y a des siècles que je reviens à Sienne, où Simone Martini a brossé mon portrait en 1320 et des bricoles, juste après ma conquête de Montemassi, de profil et couvert d’une splendide robe d’or poinçonnée à losanges, qui recouvre presque entièrement aussi mon blanc destrier, sous le nom de Guidoriccio da Fogliano.

Je ne sais où Simone m’a déniché ce joli chapeau, mais bon. Ensuite, le dernier des érudits le sait, je réapparais au Cinquecento sous la figure du voyou à bandeau qui se trouve à la droite du Chevalier Blanc de la fameuse bataille peinte à fresque en 1466 par ce snob de Piero della Francesca. J’y ai l’air un peu patraque, pas à cause de la bataille mais à cause de ce que je viens de faire dans une alcôve proche avant la reprise de la pose avec toute l’équipe de forbans.

Ces deux avatars de mon passé toscan, entre cent autres, sont fixés par la peinture de ces époques : nul doute à ce propos. En revanche, je ne sais d’où me vient le goût du cappuccio le matin, comme celui que j’ai pris deux fois tout à l’heure sur le Campo, ni d’où le goût de Beethoven et de Schubert, de Purcell et d’Arvo Pärt, de Soutine et de Bonnard…
A l’instant cependant il n’y en a que pour Mozart, Sollers oblige, qui ruisselle bonnement des murs de l’Accademia jusque dans la cour où, comme tant de fois lorsque j’attendais la diva Johanna Silber, dans les années 20 du 20e siècle (une autre de mes vies antérieures) j’ai pris place sur le banc de pierre, l’oreille proche des conduits auditifs (géniale invention) qui relient chaque salle de répétition au cortile…
Mozart ou la délectation : c’est tout Sollers, c’est l’apollinien par excellence bien plus que le dionysiaque, cela ravit Moi l’autre l’aérien tandis que Moi l’un renaude, qui n’en finit pas d’espérer le roulement de char de Beethoven le long des Bianchi di Sopra.
« Sollers est très, très amusant lorsqu’il compare Wagner à un capitaine d’industrie usinant sa musique comme de la métallurgie lourde ou du matériel d'armement!», pérore Moi l’autre en se gorgeant de chocolat Mozart. Et Moi l’autre de grommeler : « Pas ça d’émotion, ton phraseur n’est jamais descendu à la cave, parle des migraines de Nietzsche mais ne sait pas ce que c’est, parlote et jabote mais ne me touche pas pour autant, chiacccherone maledetto ! », et Moi l’autre de pouffer.
Et Mozart de ruisseler dans la matinée radieuse, au milieu des collines enneigées…

Philippe Sollers. Mystérieux Mozart. Plon, 2001.

Commentaires

  • Mon passé toscan revient. Tu as bien fait de raviver les souvenirs. Du temps où la catherine fuyait sur la grand- place où se déroule le palio, refusant mes avances!
    Beau texte jubilatoire, en musique!

  • Catarina cattivissima, dove sei sparita carina ? Macché Bona, mi rammenti quelli anni dolci sul Campo caro, prima del arrivo dei Turisti Tedeschi ! E cosa fare addesso di codesti ? Tutti al mare ? Tutti nel forno del Stromboli ? Ci pensiamo...

  • C'est vrai Guido, nos amis allemands ont envahi le Campo. Mais il reste des endroits sympa où ils ne vont pas. Sur la route de San giminiano, quitte les chemins balisés et descends jusqu' à Montepulciano ou plus loin à Borgo: un pont sur le chemin intrigue les passants. On apprend que le pont de Borgo a mano aurait été offert par le diable contre la première âme qui le franchirait, les villageois firent traverser un chien!!!
    Arrivederci!

  • I am going to write something about Guidoriccio and his secrets on my Palio blog...

  • Le feuilleton dont Sollers sert de fil nous colle ici l'oreille à la source du chant pur, MOZ-ART, qui ruisselle et nous délivre de nos tristes enveloppes corpo-temporelles. À cette heure-là, l'heure argentine, je est combien d'autres ?

    Telle une danseuse de Butô, l'écriture virevolte sur un instant de lecture; tantôt dionysiaque, elle ne va pas prendre au sérieux l'érudition qui pèse sur le pauvre chameau, prend quattro pour cinque, quoiqu'elle en ait, fait sa bacchante, nous débloque de nos lourdeurs de toujours ; tantôt apollinienne, nous fait goûter notre solitude calme, là où nos écarts de présence sont criants, et nous donne envie de nous réordonner face à tous nos possibles. Sollers devient ce cœur du vide autour duquel pourrait se recréer aujourd'hui la communauté des chercheurs, non académiques s'entend. " La transformation idéale serait de devenir ce qui n'existe pas, et pour devenir rien il faut se transformer en toutes choses" disait le chorégraphe Ko Murobushi. Sollers écrivain, baptisé ainsi par un Barthes alors en pleine papauté dans le monde des Lettres, ce serait peut-être, pour rester dans le Butô, le masque blanc sur lequel se projettent les faux débats dont se rengorge notre vanité(la perte de l'émotion, la débandade de la pensée, la fin du pouvoir fictionnel...)

    Et si JLK, avec une constance qui force l'admiration, était en train de nous confectionner tout bonnement un nouvel espace littéraire, basé sur une véritable phénoménologie de la lecture telle qu'annoncée par Proust : décrire très précisément les phénomènes que la lecture suscite dans nos vies pour mieux en révéler la part d'invisibilité. Alors, au nom de la communauté (au moins je et mes autres), Chapeau le voltigeur-critique-philosophe-danseur-musicien-écrivain-amant, et j'en passe !

  • Gentilissimo à Lei. Vado per bevere, con Guido Ceronetti, una bottiglia del eccelente Brunello di Montalcino, alla Sua salute. Penso di viaggare coll'Egregio Commendatore Sollers fino alle isole Samoa, su per Sorrento-Salerno-Samarkand-Smolensk-Sapporo-Sydney, ecc.

  • La Piazza d'Arezzo, c'est peut-être dans "La vie est belle"

  • Le voyage dans l'autobus S ou SollerS à la recherche de la Sifflante perdue

    SollerS, cela signifie "habile" dans l'idiome de SenuS, ce héros qui fonda Sienne au 1er siècle avant l'ancienne ère. Revenons aux sources pour comprendre tout le sel de ce pseudonyme, par exemple à la fin de l'Art poétique d'Horace, vers 407 :
    " (...) ne forte pudori
    Sit tibi Musa lyrae sollers et cantor Apollo."
    [Il n'y a donc pas à rougir de servir la Muse experte à la lyre et Apollon chanteur.]

    L'habileté que se reconnaît SollerS, elle fait la roue, elle adore les jeux de miroir à l'Infini, elle pavane et sourit.
    Mais à force d'être trop habile Sollers ne finit-il pas par en perdre tout mordant, comme cette Élisa Guerri, surnommée SiSina, piquée par Baudelaire dans son bouquet de fleurs vénéneuses (CXV) :

    "Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,
    Excitant à l'assaut un peuple sans souliers,
    La joue et l'oeil en feu, jouant son personnage,
    Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ?

    Telle la Sisina ! Mais la douce guerrière
    À l'âme charitable autant que meurtrière ;
    Son courage, affolé de poudre et de tambours,

    Devant les suppliants sait mettre bas les armes,
    Et son cœur, ravagé par la flamme, a toujours,
    Pour qui s'en montre digne, un réservoir de larmes."

    Sollers, il voudrait parvenir à être un vrai méchant (il l'a récemment lâché à la télévision française), mais son habileté trop consciente d'elle-même le retient, même les blasphèmes ne sont que susurrés (page 436 : "Le Christ était-il fou ? Après tout, c'est possible. Quelle idée aussi de se dire Dieu, en province occupée, devant le clergé local ?") Tiens, ce "province occupée" clignerait-il du côté du Bordelais de sa jeunesse, cette "France moisie" qu'il avait eu naguère la velléité de débusquer ? Pas la peine de commettre Pierre Péan dans les archives, SollerS est bien trop habile pour ne rien chercher à cacher.

    Tant que l'on garde de l'amour pour sa haine d'opérette et que l'on est sûr de ses effets, il est bien difficile de tenir son personnage de méchant et de bien siffler avec les SerpentS.

  • Formidable commentaire. Pour qui sont ces susucres qu'on suce dans nos salons...

  • félicitations pour votre blog

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