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  • Du petit et du grand Goût

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    Variations cingriesques (6)

    La définition du goût est délicate, et particulièrement dans une société très mélangée et culturellement très métissée. Dire là ce qu'on estime simplement le "bon goût", ou le goût esthétique qui doit primer, est d'autant moins aisé qu'à tout moment le moindre jugement qualitatif, par exemple en matière de beauté, se trouve en butte au soupçon d'élitisme ou d'ethnocentrisme.

    "Pas mal de gens sont nés petit goût et meurent petit goût", remarque Charles-Albert sur un feuillet retrouvé dans ses cartons posthumes, intitulé Larvaire. Et de préciser: "Est-ce le contraire du grand goût (celui-là assez mesquin de Voltaire, par exemple) ? Pas nécessairement. Il y a entre-deux le goût, qui est complètement oublié. Or cette note approximative commençait en ces termes: "Il existe actuellement dans les classes moyennes -peuple aisé, bourgeois à de minimes frais raffinés, aristocrates proustiens dégénérés et pour cause - une sorte d'excitation bibelotière (petites chaises à pourtour d'argent etc. équivalant à Douanier Rousseau - style Epinal,décalcomanies minuscules, boîtes d'insectes (mot illisible) etc. Films anciens, premiers Charlot etc. En littérature, c'est le caractère faisandé dans le style etc. à quoi rien ne peut se décerner mieux que l'étiquette de PETIT GOÛT".

     

    Je ne sais plus qui disait que ce qui caractérise, en somme, le goût bourgeois ou petit-bourgeois, tient à dire joli ce qui est beau et beau ce qui est joli. Un bon exercice consistera alors, dans le goût actuel, à distinguer le peut-être beau du seulement joli dans ce qu'il reste des arts plastiques et en littérature.

    Cingria, pour sa part, consacre un texte plus abouti et substantiel au Grand Goût, paru en 1951 dans la 17e livraison de la revue parisienne 84. Plus récemment, Philippe Sollers a inauguré, avec La Guerre du goût, une monumentale série d'essais qu'on pourrait dire marqués par l'esprit du XVIIIe siècle français alors que le mesure du Grand Goût, selon Charles-Albert, serait plutôt le style roman inscrit, au Moyen Âge, dans la continuité du classicisme gréco-latin.

     

    Comme bien l'on pense, nul n'est obligé de partager tous les goûts de Sollers, ni ceux de Cingria non plus. Mais les 642 pages de la Guerre du goût de Sollers, à quoi s'ajoutent les 1096 pages d'Eloge de l'infini, les 912 pages de Discours parfait et les 1114 pages de Fugues, proposentbel et bien un exceptionnel repérage esthétique en matière de littérature et de pensée, d'art et de musique, à partir desquels chaque lecteur est mieux à même d'affiner son propre goût, comme à la lecture des Propos de Cingria dans un registre plus essentiellement poétique.

     

    Cingria19.jpgCharles-Albert explique: "Ce qui me passionne dans la vie - qui est poème, rien que poème, mais n'allez pas me demander une définition de la poésie que vous ne comprendriez pas - est d'un ordre tellement précis et impérieux que je m'étonne que l'on puisse accorder un seule minutes à cette insupportable station dans le piétinement et le gloussement que le bavardage esthétique commande".

    Ailleurs il invoquera "ce sens d'illumination continuelle qui est ma façon de procéder dans la mise au point de n'importe quel problème".

     Il y a souvent une belle lumière dans les jardins à la française de Philippe Sollers, mais les illuminations de Charles-Albert sont d'une tout autre nature, d'une autre fulgurance et d'un autre ressort mental et moral - d'une autre amplitude sensorielle et spirituelle.

    D'aucuns, binaires d'esprit comme souvent en France cartésienne, ne peuvent parler de Voltaire sans lui opposer Rousseau, ni citer Montaigne contre Pascal ou inversement. Or la bedaine byzantino-rabelaisienne de Charles-Albert accueille les uns et les autres sans en niveler pour autant les féroces différences. Dans Le Grand Goût, il raille un peu Voltaire qui s'extasie devant le Louvre jugé comme le symbole du Grand Goût français étiré à l'universel, avec la même morgue d'un Philippe Sollers quand il soumet toute langue et toute littérature à la supériorité prime et mondiale du français évidemment épuré de ses métèques francophones.  

    Charles-Albert, lui, rend justice au génie de Voltaire autant qu'à celui de Rousseau, quitte à fulminer contre l'un ou l'autre sur tel ou tel objet de désaccord.  Cette équanimité de jugement ne revient pas à tout concilier (contrairement au "calamiteux éclectisme d'aujourd'hui qui fait pousser des cris d'extase devant tout"),mais rend à chacun sa juste place en fonction d'un goût poreux. Et c'est avec une égale plasticité que Philippe Sollers, de son côté, peut faire l'éloge de Saint-Simon et de Nabokov, de Genet et de Stendhal, de Simone Weil et de Sade.

     

    Il n'y a pas d'Autorité incontestable et reconnaissable par tous en matière de goût. Le goût, qu'on se ridiculiserait aussi de dire petit ou grand, est traversant.

    "Ce qu'il y a des résolument inattaquable", écrit Cingria, c'est le style roman". Mais le style de Charles-Albert ne va pas sans baroquisme sur sa base latine et ses critères classiques l'apparient autant à l'impériale fixité chinoise qu'aux relances modernes du lyrisme de Whitman ou de Cendrars, au byzantinisme éclatant de son frère Alexandre, aux propositions poétiques contrastées  de Ramuz et de Max Jacob, de Modigliani en peinture ou de Stravinsky en musique.

    Le vin est-il enfin, nom de Dieu, petit ou grand goût ?     

    La réponse est d'un poète: "Le vin, c'est quelque chose d'arabe et d'immatériel d'abord"...

    Cingria07.jpgCharles-Albert Cingria. Oeuvres complètes, tome V (Propos 1). L'Âge d'Homme, 1095p. 2013.

     

    Dessins de Géa Augsbourg.

  • À Propos des Propos

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     Variations cingriesques (5)

     

    À ceux qu'impatienterait le ton parfois péremptoire des chroniques de Charles-Albert réunies sous le titre éditorial de Propos, l'on rappellera qu'en effet il s'agit là de propos et par conséquent d'écrits transitoires, sans être jamais pour autant des propos en l'air...

    À l'ère du plus insignifiant papotage, mondialement répercuté par les médias en surnombre, et sans sacrifier pour autant au jargon savantasse des spécialistes, les Propos de Cingria sont fondés sur autant de positions qu'ils lancent de propositions.

     

    Dans le première section intitulée Esthétique, le propos général est de préciser une position relative au Temps et au Goût, à ce qu'on dit actuel - à raison ou à tort - en distinguant nettement le moderne indéniable et le "voulu moderne" par rapport à une idéologie de la nouveauté dont nous voyons mieux, aujourd'hui, les impasses, les simulacres ou les contrefaçons.

    Charles-Albert n'a pas connu les multiples sursauts, des années 60 à nos jours, d'une avant-garde incessamment répétitive, qui nous aura valu la réitération saisonnière des gadgets modernes et postmodernes - des emblématiques boîtes de caca conceptuelles aux installations de tout acabit -,  via les Galeries Pilotes lausannois, la Documenta de Kassel, la Biennale de Venise et autres lieux de culte du marché de l'Art branché.

     

    L'on n'exclut pas, cela va sans dire, que quelques artistes survivants soient à découvrir dans ce magma du "voulu moderne", mais celui-ci n'en a pas moins explosé dans un monde où tout un chacun d'ailleurs est supposé s'exploser.

     

    Est-ce dire qu'on doive suivre aujourd'hui, par exemple en matière d'arts plastique, les jugements formulés par Cingria ? Nullement. D'ailleurs un Paul Budry, à son époque, se montra bien plus attentif et curieux, et pertinent aussi, que le fut Charles-Albert. Cela étant, ses positions et propositions restent des pierres d'achoppement et des incitations à réagir librement à ce qu'on dirait, aujourd'hui, le "grand n'importe quoi".

    Ces Propos peuvent être considérés, aussi, comme la suite d'une conversation à n'en plus finir, aux multiples corrections et précisions ajoutées et surajoutées. La présente édition, rassemblant textes publiés et morceaux inédits sur le même thème, produit à cet égard un nouvel éclairage. On pourrait trouver à celui-ci quelque chose d'artificiel du fait d'un rapprochement diachronique, et puis non: le lecteur n'a qu'à s'y faire... On voit ainsi que les questions sur le Temps et le Goût, qui préoccupent le Charles-Albert de trente ans, lui inspirent des réflexions analogues trente ans plus tard, avec des variantes. Maurrassien à vingt-cinq ans, il ne l'est plus du tout par la suite. Mais pour l'essentiel, qui ressortit à son ontologie poétique, il conservera toujours le même Moyeu dont les rayons touchent tous à la même Circonférence, et retour.

    On sait quel éblouissant causeur était Charles-Albert, dont un nouvel écho nous parvient ici dans les notes préparatoires d'une conférence qu'il donna à Sion en août 1953 à la requête du peintre Albert Chavaz.

    Or plus on avance dans la lecture de cette édition des Oeuvres complètes, et plus on en vient à apprécier les compléments  de ses notes relatives à toute sorte de circonstances, de gens ou de détails factuels. C'est notamment le cas pour l'appareil de notes complémentaires ajouté au texte intitulé Retour et volte-face, constituant le canevas de la conférence prononcée par Charles-Albert, un an avant sa mort, à la Maison de la Diète de Sion. Ainsi est-on renseigné, à côté du texte lui-même, à la fois polémique (contre les "ismes" de toute espèce) et un brin féerique (avec l'évocation d'une tour d'horloge égrenant les heures dans un décor de "chênes immenses" desquels tombaient des glands sonores, sur la réception publique de la causerie du "plus bohème de nos écrivains romands, le plus vivant", - au dire de la Feuille d'Avis locale -, à laquelle assista "un bouquet de jolies femmes"  et de notables écrivains tels Maurice Zermatten et Maurice Chappaz...  

     

    Cingria16.jpgÀ la fin de cette causerie pour certains mythiques (mais ils sont tous morts à vue de nez), Charles-Albert répond à une question qu'il se pose à lui-même (comme on l'a lui a posée à la Radio), relative à ses travaux "sur le chantier". Alors le cher homme, quoique tarabusté par son foie d'impénitent buveur septuagénaire, d'annoncer force projets avec la plus solennelle réserve:" J'avoue que j'ai un tel respect des chantiers que je n'aime pas que l'on en parle de façon amphigourique. Si j'avais un vrai chantier (d'orgues ou de navires) je m'y cantonnerais et ne voudrais rien savoir d'autre"... 

     

    Charles-Albert Cingria. Oeuvres complètes, tome V (Propos 1). L'Age d'Homme, 1195p. 2013.

     

    Dessins de Géa Augsbourg.

  • Lumière de La petite moureuse

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    Il n'est pas vrai, ce que prétendent certains chagrins, que la Qualité n'est plus ce qu'elle était, pas vrai du tout que les gens de qualité soient en voie d'extinction. La preuve est là sous mes yeux bien imprimée sur papier Daunendruck, bien réalisée par le maître-artisanNicolas Chabloz à la Tour-de-Peilz - donc juste à l'aplomb de nos fenêtre, au bord du lac, un funiculaire plus bas -, bien éditée par la maison Samizdat dont le nom rappelle que l'interdiction de publier ou d'écrire ou de penser ou de respirer peut être - doit être enfreinte afin que se manifeste, précisément, la Qualité.

     

    Je parle de La petite moureuse, dont j'ai repris hier tard la lecture au retour d'une soirée de qualité avec mon filleul Léo, fils de mon ami de jeunesse Reynald qui s'est tué au Mont Dolent le 15 août 1985, quand le garçon avait huit ans, Vanessa sa jeune épouse et leur premier enfant Nata d'un mois, Hélène la veuve de Reynald et marraine de notre Sophie aînée, ces jours à Osaka, tandis que Julie affronte les émotions d'un camp de réfugiés à la frontière birmane, plus ma bonne amie qui a tout partagé, plus tous nos souvenirs communs reflués, de Mai 68 au récit par Léo de son ascension du Piz Badile ou de l'accouchement de Vanessa qu'elle compare à un marathon...  

    Or La petite moureuse est tissée de ces mêmes fils tout simples et bons, même quand ça fait mal, vu que la vie fait mal de naissance, comme c'est écrit là: "Je suis près d'adopter, j'adopte - de jour en jour - de plus en plus - la profondeur des champs et des chemins". C'est une vieille histoire que celle des champs et des chemins. Et la petite moureuse se demande alors, comme dans un haïku: ""Qu'ont de différent les champs et ceux de mon enfance - sinon que là-bas peut-être ils n'existent plus".

     

    Le titre complet de ce livre est La petite moureuse qui nous meurt lentement. Et c'est vrai que lentement et sûrement elle nous meurt non sans distiller de vives graines de vie essentielle dont nous faisons aussi notre bien. Par exemple elle écrit: "Le silence du matin n'est pas le silence du soir tiède", ou "Le silence en pleins champs n'est pas le silence dans le village", inscrivant ensuite ce sentiment du silence dans son temps propre: " Minutes de silence / Heures de minutes de silence".

    Pour Yves Berger et Alexandre Loye, qui signent l'introduction, ayant connu la prof de dessins aux Beaux-Arts de Genève, elle était Madame Grosclaude, Thérèse Houyoux de son nom d'artiste, né en Belgique en 1940. Or la petite moureuse a fini son job de vivre en juillet 2011, ses cahiers se trouvant déjà, fort heureusement, dans les mains accueillantes de Denise Mützenberg à laquelle elle avait écrit après leur rencontre et en début d'amitié: "Oserais-je le dire ? ma pudeur trouverait sa satisfaction dans une édition posthume !"

     

    Therese01.jpgComme on se l'imagine, la vie d'une petite moureuse  n'est pas tous les jours dimanche ou Byzance, mais elle fait crânement avec, et ses mots, s'ils laissent parfois filtrer le cri ou l'y en a marre ("Et je vois que je n'ai pas su jusqu'à ce jour ce que c'est que la fatigue du corps"), n'en subliment pas moins le côté dégueu de la maladie, tout en notant son côté fade et crade et l'effroi de l'hôpital quand tout soudain le silence se déchire sous les pales de l'hélico: "Sa charge de malheur, son fardeau de chair meurtrie et d'os broyés" puis, l'hosto après le départ: "Quelques chose de surdimensionné, de glacial. Automatisme - drame humain, sans aucun signe de présence humaine. Digne de Hopper".

    La petite moureuse écrit vers la fin: "Couchée, j'étais étreinte d'un tel poids de fatigue que j'ai cru la mort étendue sur moi, de tout son corps". Mais on est là très loin des gémissements de ressentiment d'un Fritz Zorn, tant la vie reste ici présente à tout instant, champs et chemins, gens et bouquins distillant non tant le gai mourir que le savoir vivre jusqu'à pouvoir dire: "Je n'ai plus de vie à perdre"...

     

    Ainsi est-ce finalement un récit des derniers jours, faisant pendant pointilliste à celui de Christiane Singer  (Derniers fragments d'un long voyage), que La petite moureuse qui nous meurt lentement rassemblant les notes de Thérèse Houyoux d'octobre 2007 à octobre 2009, suivie de Sommeil de la petite moureuse, d'octobre 2009 à 2011.

    En fin de volume, Denise Mützenberg raconte comment elle a reçu une première enveloppe, comment l'immédiat projet d'édition a été repoussé pour cause de programme en cours, comment Thérèse s'est impatientée avant de comprendre que le livre se ferait vraiment mais après sa mort, comme elle le souhaitait.  

     

    Therese03.jpgLa Qualité est partout dans ce livre, orné de quelques-uns - trop peu à mon goût -, des milliers de dessins de l'artiste: mains, fleurs, têtes évoquant les êtres limbaires de Zoran Music. "Tu ne mourras pas !" lui écrit son amie Geneviève, "tu ne mourras jamais, tu es déjà éternelle à l'intérieur de moi". Et c'est aussi, sans avoir connu dame Grosclaude, ce qu'on se dit en lisant ce livre dans les blancs duquel on peut écrire ce qu'on ressent au même moment.

    La petite moureuse écrit donc: "Et maintenant que faire de tout ce temps... si court !"  Alors je note: "Aujourd'hui faucher l'herbe de la prairie d'en bas et reporter les corrections de Patrick sur le fichier de Mémoire des anges". Ou la petite moureuse encore: "Je suis dès aujourd'hui attachée, comme une chèvre à son pieu, à un goutte-à-goutte". Et je note encore: trouver enfin une place à la chèvre gravée de Pietro Sarto. La petite moureuse encore: "Je désirais mourir et m'émerveillais de la douceur de ce désir". Et son amie Denise Mützenberg dans son final Récit d'une offrande: " Le journal d'une femme qui marche à travers la campagne, dessine et "berce la mort sur ses genoux". Une voix retenue, contenue. J'ai envie de dire: "lumineuse". Et d'emblée en moi le désir de dire oui"...  

     (À La Désirade, ce 27 juillet 2013)

     Thérèse Houyoux. La petite moureuse. Samizdat, 159p.

  • Du point de vue de l'ange

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    Pour Declan, Nata, Lucie et les autres...

     

    Je ne sais pas qui tu es, toi qui viens là, ni toi non plus n'es pas censé le savoir.

    Ce que je sais que tu ne sais pas, c'est que tu es porteur de joie. Tu ne sais pas ce que tu donnes, que nous recevons. Après quoi nous te donnerons ce que nous savons, que tu recevras ou non.

     

    Du point de vue de l'ange on pourrait dire que tu sais déjà tout, sans avoir rien appris. C'est une vision très simple que celle de l'ange, toute claire comme le jour où tu es venu, et qui se trouble au fil des jours, mais qu'un premier sourire, puis un rire suffisent à éclaircir.

     

    On ne s'y attendait pas: on avait oublié, ou bien on ne se doutait même pas de ce que c'est qu'un enfant qui éclate de rire pour la première fois; plus banal tu meurs mais ils en pleurent sur le moment, à vrai dire l'enfant qui rit pour la première fois recrée le monde à lui seul: c'est l'initial étonnement et tout revit alors - tout est béni de l'ici-présent.

    Tu vas nous apprendre beaucoup, l'enfant, sans t'en douter. Ta joie a été notre joie dès ton premier sourire, et mourir sera plus facile de te savoir en vie.

     

    Du point de vue de l'ange, on pourrait dire que nous ne savons rien, sauf un peu de chemin. C'est l'ange en nous qui a tracé, un peu partout, ces chemins.   

    Ensuite il t'incombera de choisir entre savoir et ne pas savoir, rester dans le vague ou donner à chaque chose ton souffle et son nom, leur demander ce qu'elles ont à te dire et les colorier, les baguer comme des oiseaux, puis les renvoyer aux nuées.

     

    Les mots te savent un peu plus qu'hier, ce premier matin du monde où tu viens, et c'est cela que nous appelons le temps, je crois, ce n'est que cela: ce qu'ils feront de toi aux heures qui viennent, ce que fera de toi  le temps qui t'est imparti sous ton nom - les mots sont derrière la porte de ce premier jour et ils attendent de toi que tu les accueilles et leur apprennes à s'écrire, les mots ont confiance en toi, qui leur apprendras ta douceur.

     

                                                                                                   (À La Désirade, ce 30 juin 2013)

     

     

    (Ce texte constitue la dernière page de Mémoire des anges, à paraître aux Editions L'Age d'Homme. La couverture n'est qu'un projet de l'auteur, sur une image de Jephan de Villiers...)

     

  • Ceux qui font miel de tout

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    Celui qui grappille sur le coteau doré des Grands Monts / Celle qui coiffe la fougère de son peigne à dix doigts de mains / Ceux qui feront fête ce midi aux alouettes tant qu'à la galantine / Celui qui de père en fils refuse de traiter avec les Goths / Celle qui effleure la babouche du vizir de son pied dénudé d'enjôleuse capétienne / Ceux qui redoublent de rodomontades en revenant du Raout des Reguibats / Celui qui en est encore à déplorer que le fantassin celte se soit fait berner par le uhlan dans les houblonnières d'Alsace / Celle qui constate que la bouteille de Côtes de Nuits ne laisse briller sous la cendre du Temps que l'incarnat de son cachet / Ceux qui recommandent à leur fils Prosper (5 ans) de s'atteler à ses Mémoires / Celui qui voit la France jusqu'au Val des Merveilles / Celle qui se garde de prendre au sérieux les écrivains d'idées ou de thèses / Ceux qui disent comme ça que Proust sur Twitter eût fait long feu /Celui qui a juste besoin de nuages comme en Charente ou en Beauce ou dans l'arrière-pays vaudois quand le cumulus cumule / Celle qui fait tort à Dieu en parlant trop de Lui à son dentiste antisémite /Ceux qui disent d'un livre qu'il est épuisé alors qu'il n'est qu'un peu las / Celui qu'on sait vraiment très sot mais dont le style a du chien / Celle qui reste perplexe à l'ouïe du philosophe matinal (elle écoute la radio en repassant) selon lequel le pessimisme de la négativité n'est sans doute qu'une déception du dogmatisme réificateur / Ceux qui pensent (d'accord avec les sages préceptes d'antan) que le mystère (le mystère de la totalité en général, s'entend) ne peut être "rongé par le progrès scalaire de nos connaissances" selon l'expression d'un Vladimir Jankélévitch  /Celui qui estime que l'aura de Mister Pickwick ressortit à la même diffusion de corps glorieux que les figures d'Achille ou de Polichinelle / Celle qui estime qu'il n'est pas absolument nécessaire de vivre mais très recommandé de chercher des trésors / Ceux qui perpétuent la tradition du goûter au pied de l'arc-en-ciel, etc.   

  • Ceux qui débarquent

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    Celui qui s'exclame "attention j'arrive !" au premier rang des monte-en-selle de la relève littéraire locale ou mondiale / Celle qui se rappelle que le nouveau Rastignac de la poésie en prose des cantons du sud-ouest faisait déjà des cacas bien moulés au tournant de sa première année / Ceux qui sont arrivés avant d'être partis mais ça se soigne avec le temps et quelqes baffes en bonus / Celui que raidit une sorte de priapisme intellectel juvénile à consonance religieuse voire religiaque / Celle qui a couvé un petit Nietzsche aux dons de composition à la Wagner révélés sur son pianola / Ceux qui mouchent le picoche / Celui qui dès son premier traité de métaphysique poétique compulsive traite les autres plumitifs de cancrelats scrofuleux et de scolopendres cacographes au nom de la Seule Vérité Vraie dont il est l'oriflamme incontestée loin à sa ronde /Celle qui flatte la croupe (jolie) du jeune poète (malpoli) en récitant (par coeur) son dernier haïku genre Héraclite traduit par Hölderlin en plus nuitescent / Ceux qui ont soigné le syndrome du jeune poète oscillant entre vérole et vanité des vanités à grand refort de lecture des Pieds Nickelés ou de phosphate / Celui qui se positionne en rebelle radical dans les milieux supposés subventionner la légitime révolte des jeunes plumassiers dénonçant justement la bourgeoisie pourrie / Celle qui obtient des bourses contre bons en nature / Ceux qui proposent au nouveau Picasso d'illustrer les poèmes du nouvel Eluard qu'on pourrait mettre en platines avec l'apport du groupe néo-punk Fuck the Buck complètement opposé au Système / Celui qui a posé en string dans la revue branchée fun qui exalte le culte du non-dit de ses nouvelles minimalistes /  Celle qui invoque son autorité tutorale pour conseiller à l'apprenant en littérature socialement concernée le port de la moustache genre Gorki /  Ceux qui vous menacent entre les lignes de rejet définitif si vous n'adhérez pas colle à colle à leur esthétique de l'Immense / Celui qui écrit comme il vente dans sa chambre close au plafond bas / Celle qui garantit l'authenticité vécue des invectives du nouveau Savonarole semi-lettré des cantons du sud-ouest effectivement rossé par un groupe de sionistes chauves et non moins sacqué du bar gay l'Interlope où il s'avisait de prêcher le retour à la normale /Ceux qui estiment qu'il faut laisser les petits gonflés prendre le temps d'apprendre à respirer autrement qu'avec leurs glaires / Celui qui aime bien les jeunes gens parce que ce sont des gens dont il n'a que foutre qu'ils soient jeunes / Celle à qui l'on lance qu'elle débarque  au motif qu'elle n'a aucun gang bang sur son CV pourtant riche d'une thèse de doctorat sur l'aporie érotique chez le Feuerbach des années chaudes / Ceux qui ont débarqué dans le salon rose pour y faire des choses avant de se resaper comme si de rien n'était et de chercher l'issue de secours de cette foutue liste, etc.    

     

    Image: Maurizio Cattelan 

  • Cingria en traversée

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    Le génie de Cingria illustré avec une épatante et compétente allégresse par Anne-Marie Jaton.
    « Personne ne sait que c’est notre plus grand écrivain », déclarait Jean Paulhan au lendemain du fiasco du premier volume des Oeuvres complètes de Charles-Albert Cingria qu’il publia en 1948 sous le titre Bois sec bois vert. Or même si le superlatif exclusif se discute, le fait est que, plus de cinquante ans après la mort de Cingria à Genève (le 1er août 1954), son œuvre continue de susciter de ferventes passions dont témoigne notamment le considérable Dossier H paru à L’Age d’Homme en 2004 et réunissant hommages et témoignages de hautes volée, entre autres études et inédits. Jusque-là, cependant, à part la première monographie consistante de Jacques Chessex parue en 1967 dans les Poètes d’aujourd’hui de Seghers (réédité à L’Age d’Home l'an dernier), aucune approche globale ne permettait au lecteur non initié de se faire une idée claire et complète de cette œuvre absolument originale (et parfois déroutante pour qui y entre au hasard) qui se déploie (index compris) en 18 forts volumes dans la première édition de L’Age d’Homme que devrait suivre une nouvelle version critique.
    Or c’est le mérite éclatant d’Anne-Marie Jaton, professeur de littérature française à l’Université de Pise, de produire cette introduction qui échappe absolument à toute forme de pédantisme académique ou de réduction pseudo-scientifique, dans son ouvrage de 137 pages intitulé Charles-Albert Cingria ; verbe de cristal dans les étoiles où l’essentiel des tenants et des aboutissants de l’œuvre, de sa substance et de ses modulations dans les genres et les formes, de ses sources spirituelles et intellectuelles, de son déploiement symphonique et des tournures inouïes de son style est à la fois détaillé et très pertinemment illustré. « Citer Cingria est toujours dangereux parce qu’il a l’art (décidément pervers pour le commentateur )de se contredire à tout moment », écrit Anne-Marie Jaton à propos de l’érudit, mais c’est pour mieux illustrer la propension polyphonique et polysémique d’une écriture qui ne vise pas à dire tout et son contraire mais à éclairer les multiples facettes d’un monde incessamment divers et mouvant.
    « Je sais bien que je dirai le contraire tout à l’heure, mais tout à l’heure est tout à l’heure et ce n’est pas maintenant », écrivait aussi bien Cingria, qui parlerait de maintenant avec autant de sagacité fusillante que de tout à l’heure. Et c’est en suivant le mouvement, en se coulant dans la vague des phrases et de leurs moires, en mimant la démarche de l’écrivain et en l’éclairant avec autant de bienveillante malice que de pertinence, en éclairant tous les aspects d’une œuvre kaléidoscopique et, surtout, en montrant la cohérence organique et l’unité d’inspiration du poète, qu’Anne-Marie Jaton réussit à dire qui fut plus exactement le légendaire vélocipédiste aux mille anecdotes plus ou moins cocasses, tenu pour un infréquentable par les uns (Gide l’avait en grippe et Drieu rêvait d’en débarrasser la NRF) et pour un fumiste ou un raté pique-assiette par les autres, avant que l’entier de son œuvre apparaisse dans son formidable persistant éclat.
    Anne-Marie Jaton, s’appuyant sur la précieuse chronologie biographique établie par Jean-Christophe Curtet (qu’on trouve dans le dossier H (pp. 467-490), ne s’attarde point trop sur le parcours de Cingria né en 1883 à Genève dans un milieu cosmopolite artiste (sa mère et son frère Alexandre sont peintres) qui l’encouragera dans son mode de vie bohème, tout entier consacré à l’écriture ou à l’étude de la musicologie et de l’histoire médiévale. Dès son jeune âge, Charles-Albert sera nomade, avec quelques points de chute à Constantinople (dans sa prime jeunesse) puis en Italie, à Paris (rue Bonaparte), à Fribourg, à Lausanne, selon les périodes. Le meilleur de son œuvre se débite d’abord dans ses lettres mythiques, puis dans les centaines de petits textes qu’il donne à quantité de revues françaises (de Bifur à La Parisienne, avant la NRF de Paulhan) ou suisses, entre autres journaux de toute sorte, et parallèlement dans les plaquettes poétiques éblouissantes (Le canal exutoire, Enveloppes, Musiques de Fribourg) et autres ouvrages savants (La civilisation de Saint-Gall, Pétrarque) qui ponctuent son itinéraire de présumé parasite social.
    « Charles-Albert Cingria a l’âme d’un poète et l’écriture d’un poète », écrit Anne-Marie Jaton en précisant que nul vers n’est jamais venu à ce grand lyrique de la prose, dont le psaume qu’il élève à la réalité est à égale distance du réalisme et du surréalisme, écrivant au jardin public voisin : "c’est violet violent un pigeon, c’estr rose tendre cendré, c’est arsenical et adipeux ». La poétique de Cingria est « de l’écart », précise l’auteur, autant que « de la joie ». S’il est né dans la ville de Calvin et d’Amiel, rien chez lui de l’introspective rumination ni de la culpabilité morose, mais une constante louange au monde révélé qui, comme chacun ne s’en doute pas forcément, «est une grande hostie de neige craquante »…
    Un singulier génie de la formule et de l’épithète, de l’image et de la définition, caractérise l’écriture de Charles-Albert (on le désigne par son prénom comme Jean-Jacques, ce Rousseau qu’il continue comme il continue Rimbaud…), dont Philippe Jaccottet écrit qu’ »il ne pouvait rien dire qui ne fût comme repeint de frais, drôlele , tonique, exquis. » Et les exemples suivent. Voici le narrateur qui tousse « comme une girafe à l’agonie », que l’herbe est « aussi douce et aussi fraîche qu’un ventre frissonnant de perroquet », qu’un escalier « sonne sec comme des noix », que telle lune est « fine comme un cil de vieillard » ou que le ruban de sa machine à écrire est devenu « comme une violette exténuée qu’étreint une fourmi albinos ».
    Anne-Marie Jaton montre bien l’attention extrême portée aux premiers plans de la réalité (un chaton, un cruchon, un gamin aux joues de gamine, une couleuvre fuyant entre deux eaux) et aux moindres objets, ce qui ne signifie en rien sacrifier à la platitude du « quotidien ». Sans s’attarder beaucoup à la pensée de ce thomiste « évhémériste » (pratiquant donc l’absorption de l’Antiquité païenne) proche de Chesterton et de Claudel (qui l’estime fort), dont l’ontologie poétique cristallise dans certains textes d’une prodigieuse densité (tel Le canal exutoire), l’auteure (l’auteuse, l’autrice ?) n’illustre pas moins ce qui fonde en unité cette œuvre byzantine et chatoyante à laquelle on ne cesse de revenir pour s’y tonifier.
    On pourrait craindre certains rapprochements inattendus entre Cingria et Barthes, Blanchot ou Céline, proposés ici par Madame la professeure (professoresse ?), mais pas du tout : la façon de resituer le prosateur dans la modernité littéraire n’a rien ici de factice, et les observations portées sur l’usage très particulier du soliloque, du dialogue, de l’auto-interview ou de l’oralité sont aussi intéressantes que les investigations nouvelles sur le Moyen Age chrétien selon Cingria ou ce qu’il cherche dans la filiation musicale ou verbale du plus haut lyrisme excluant toute psychologie…
    A propos de psychologie, ce livre ne s’attarde pas non plus à la « blessure profonde » que constitua sans doute le penchant pédérastique de Cingria, qui lui valut un procès en son jeune âge (pour avoir peloté des chenapans sur une plage romaine) et une réputation tenace dont l’essentiel est sans doute surfait. Cingria « homosexuel » ou « pédophile » refoulé ? Les termes vont mal à ce solitaire farouche dont les écrits ne trahissent pas la moindre « histoire » affective ou sexuelle, alors que perle souvent, en revanche, un goût vif autant que sublimé pour de fugaces adolescents lui rappelant peut-être les amitiés particulières du collège de Saint-Maurice. Bref, l’amour de Charles-Albert ne sera jamais individualisé ni sentimental mais étendu à la création entière et diffusé parfois jusqu’à une parodie d’extase, non sans outrance érotico-mystique frottée d’humour.
    S’il n’y a pas trace de « roman » chez Cingria, son œuvre n’en déborde pas moins de sensualité polymorphe constante, dont Anne-Marie Jaton détaille également les modulations olfactives ou auditives particulières, en illustrant par ailleurs le tour physique de cette prose tour à tour rythmée et musclée, traversée d’airs et prompte à déambulation élastique et à la nage autant que l’était le triton génial de Saint-Saphorin, ami des chats et aimé de certaines femmes, telles Méraude Guevara, épouse d’un consul chilien que ses propos étourdissaient, Gisèle Peyron, épouse d’un maréchal de l’Armée du salut qui recueillit pieusement ses écrits pour en nourrir les Œuvres complètes, ou Anne-Marie Jaton elle-même, dont l’époux vient de se briser accidentellement une épaule et mérite donc notre occulte compassion.
    Tout cela pour recommander plus chaleureusement la lecture de Charles-Albert Cingria ; verbe de cristal dans les étoiles, qui ne manquera de gagner de nouveaux lecteur au bienfaisant poète qui écrivait à propos de Pétrarque : « quand Rossignol tombe, un ver le perce et mange son cœur. Mais tout ce qu’il a chanté s’est duréfié en verbe de cristal dans les étoiles ; et c’est cela qui, quand un cri de la terre est trop déchirant, choit, en fine poussière, sur le visage épanoui de ceux qui aiment ».
    Anne-Marie Jaton. Charles-Albert Cingria ; Verbe de cristal dans les étoiles. Presses polytechniques et universitaires romandes. Collection Le savoir suisse, 137p.

  • La révérence de Cocteau

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    Variations cingriesques (4)

     

     En date du 4 août 1954, à Saint-Jean Cap Ferrat, Jean Cocteau écrivait ceci dans son Journal: "Ce matin j'avais un terrible malaise inexplicable. Une lettre de Jean Denoël m'annonce la mort de Charles-Albert Cingria". Et le même jour Cocteau écrivait à Jean Paulhan, ami et premier défenseur de Cingria à la N.R.F.: "J'étais en train d'écrire et je reçois sur la tête la mort de Colette et de Charles-Albert. Je ne peux continuer et je vous embrasse".

     

    L'émotion perceptible de Cocteau pourrait étonner qui se rappelle la férocité de Cingria à son égard, une trentaine d'années plus tôt, mais le temps avait passé, les deux écrivains avaient également évolué, s'étaient rencontrés et appréciés, notamment par le truchement de Max Jacob et Florence Gould, et Charles-Albert avait acquis chez Gallimard, en tout cas dans la baronnie de Jean Paulhan, un statut de grand écrivain dont témoigne l'éclatante Couronne de Charles-Albert Cingria publiée par la Nouvelle Revue Française en mars 1955, rassemblant les signatures prestigieuses de Claudel, Jouhandeau, Mandiargues, Stravinsky, etc.

    Cocteau04.jpgEt voici ce qu'y écrivait Jean Cocteau sous le titre d'  Un feu Saint-Elme: "Charles-Albert Cingria était un feu Saint-Elme, une phosphorescence qui court. Son admirable langue ne me représentait pas un style, mais une démarche. Je n'imagine rien de plus libre dans les promenades mystérieuses de l'esprit. Et le coeur ! Il l'avait grave et ne le prodiguait pas. S'il le donnait, il le donnait et ce don ne protégeait pas de sa malice qui était extrême et dont il visait sa victime en fermant un oeil.

    Max Jacob m'écrivait un jour: Charles-Albert joue de l'harmonium dans la chapelle et il pédale aux pentes. Je le voyais pédaler, se promener "en harmonium" à travers la musique, touriste infatigable des routes inconnues".

     

    À propos de Jean Cocteau, on peut découvrir ces jours un livre merveilleusement pertinent et pénétrant dans son approche de la littérature, des écrivains et des êtres, intitulé Proust contre Cocteau, signé Claude Arnaud et paru chez Grasset.

    À Claude Arnaud on devait déjà la bio référentielle de Jean Cocteau (Gallimard, 2003), et c'est donc en connaisseur parfait qu'il détaille, après deux portraits admirables, les relations entretenues à travers les années par les deux chers amis-rivaux: deux génies littéraires d'inégale ampleur certes, mais comparables à de multiples égards (les mères, le mimétisme social, le révélateur de la souffrance, notamment) et rejouant à leur façon la fable du lièvre et de la tortue, avec un Proust qui cannibalise littérairement son cadet après avoir piétiné dans son ombre étincelante, et un Cocteau longtemps victime de son brillant et de sa générosité, dont l'oeuvre a fini par rejoindre celle de Proust à la Pléiade...