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Lumière de La petite moureuse

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Il n'est pas vrai, ce que prétendent certains chagrins, que la Qualité n'est plus ce qu'elle était, pas vrai du tout que les gens de qualité soient en voie d'extinction. La preuve est là sous mes yeux bien imprimée sur papier Daunendruck, bien réalisée par le maître-artisanNicolas Chabloz à la Tour-de-Peilz - donc juste à l'aplomb de nos fenêtre, au bord du lac, un funiculaire plus bas -, bien éditée par la maison Samizdat dont le nom rappelle que l'interdiction de publier ou d'écrire ou de penser ou de respirer peut être - doit être enfreinte afin que se manifeste, précisément, la Qualité.

 

Je parle de La petite moureuse, dont j'ai repris hier tard la lecture au retour d'une soirée de qualité avec mon filleul Léo, fils de mon ami de jeunesse Reynald qui s'est tué au Mont Dolent le 15 août 1985, quand le garçon avait huit ans, Vanessa sa jeune épouse et leur premier enfant Nata d'un mois, Hélène la veuve de Reynald et marraine de notre Sophie aînée, ces jours à Osaka, tandis que Julie affronte les émotions d'un camp de réfugiés à la frontière birmane, plus ma bonne amie qui a tout partagé, plus tous nos souvenirs communs reflués, de Mai 68 au récit par Léo de son ascension du Piz Badile ou de l'accouchement de Vanessa qu'elle compare à un marathon...  

Or La petite moureuse est tissée de ces mêmes fils tout simples et bons, même quand ça fait mal, vu que la vie fait mal de naissance, comme c'est écrit là: "Je suis près d'adopter, j'adopte - de jour en jour - de plus en plus - la profondeur des champs et des chemins". C'est une vieille histoire que celle des champs et des chemins. Et la petite moureuse se demande alors, comme dans un haïku: ""Qu'ont de différent les champs et ceux de mon enfance - sinon que là-bas peut-être ils n'existent plus".

 

Le titre complet de ce livre est La petite moureuse qui nous meurt lentement. Et c'est vrai que lentement et sûrement elle nous meurt non sans distiller de vives graines de vie essentielle dont nous faisons aussi notre bien. Par exemple elle écrit: "Le silence du matin n'est pas le silence du soir tiède", ou "Le silence en pleins champs n'est pas le silence dans le village", inscrivant ensuite ce sentiment du silence dans son temps propre: " Minutes de silence / Heures de minutes de silence".

Pour Yves Berger et Alexandre Loye, qui signent l'introduction, ayant connu la prof de dessins aux Beaux-Arts de Genève, elle était Madame Grosclaude, Thérèse Houyoux de son nom d'artiste, né en Belgique en 1940. Or la petite moureuse a fini son job de vivre en juillet 2011, ses cahiers se trouvant déjà, fort heureusement, dans les mains accueillantes de Denise Mützenberg à laquelle elle avait écrit après leur rencontre et en début d'amitié: "Oserais-je le dire ? ma pudeur trouverait sa satisfaction dans une édition posthume !"

 

Therese01.jpgComme on se l'imagine, la vie d'une petite moureuse  n'est pas tous les jours dimanche ou Byzance, mais elle fait crânement avec, et ses mots, s'ils laissent parfois filtrer le cri ou l'y en a marre ("Et je vois que je n'ai pas su jusqu'à ce jour ce que c'est que la fatigue du corps"), n'en subliment pas moins le côté dégueu de la maladie, tout en notant son côté fade et crade et l'effroi de l'hôpital quand tout soudain le silence se déchire sous les pales de l'hélico: "Sa charge de malheur, son fardeau de chair meurtrie et d'os broyés" puis, l'hosto après le départ: "Quelques chose de surdimensionné, de glacial. Automatisme - drame humain, sans aucun signe de présence humaine. Digne de Hopper".

La petite moureuse écrit vers la fin: "Couchée, j'étais étreinte d'un tel poids de fatigue que j'ai cru la mort étendue sur moi, de tout son corps". Mais on est là très loin des gémissements de ressentiment d'un Fritz Zorn, tant la vie reste ici présente à tout instant, champs et chemins, gens et bouquins distillant non tant le gai mourir que le savoir vivre jusqu'à pouvoir dire: "Je n'ai plus de vie à perdre"...

 

Ainsi est-ce finalement un récit des derniers jours, faisant pendant pointilliste à celui de Christiane Singer  (Derniers fragments d'un long voyage), que La petite moureuse qui nous meurt lentement rassemblant les notes de Thérèse Houyoux d'octobre 2007 à octobre 2009, suivie de Sommeil de la petite moureuse, d'octobre 2009 à 2011.

En fin de volume, Denise Mützenberg raconte comment elle a reçu une première enveloppe, comment l'immédiat projet d'édition a été repoussé pour cause de programme en cours, comment Thérèse s'est impatientée avant de comprendre que le livre se ferait vraiment mais après sa mort, comme elle le souhaitait.  

 

Therese03.jpgLa Qualité est partout dans ce livre, orné de quelques-uns - trop peu à mon goût -, des milliers de dessins de l'artiste: mains, fleurs, têtes évoquant les êtres limbaires de Zoran Music. "Tu ne mourras pas !" lui écrit son amie Geneviève, "tu ne mourras jamais, tu es déjà éternelle à l'intérieur de moi". Et c'est aussi, sans avoir connu dame Grosclaude, ce qu'on se dit en lisant ce livre dans les blancs duquel on peut écrire ce qu'on ressent au même moment.

La petite moureuse écrit donc: "Et maintenant que faire de tout ce temps... si court !"  Alors je note: "Aujourd'hui faucher l'herbe de la prairie d'en bas et reporter les corrections de Patrick sur le fichier de Mémoire des anges". Ou la petite moureuse encore: "Je suis dès aujourd'hui attachée, comme une chèvre à son pieu, à un goutte-à-goutte". Et je note encore: trouver enfin une place à la chèvre gravée de Pietro Sarto. La petite moureuse encore: "Je désirais mourir et m'émerveillais de la douceur de ce désir". Et son amie Denise Mützenberg dans son final Récit d'une offrande: " Le journal d'une femme qui marche à travers la campagne, dessine et "berce la mort sur ses genoux". Une voix retenue, contenue. J'ai envie de dire: "lumineuse". Et d'emblée en moi le désir de dire oui"...  

 (À La Désirade, ce 27 juillet 2013)

 Thérèse Houyoux. La petite moureuse. Samizdat, 159p.

Commentaires

  • Je pense à ce poème de Charlotte Delbo (1913-1985), écrivaine, secrétaire de Louis Jouvet, Résistante, déportée à Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 31660 du 24 janvier 1943.

    Elle avait été arrêtée avec son mari, Georges Dudach, le 2 mars 1942. Son mari sera fusillé au Mont-Valérien, le 23 mai 1942, à l'âge de 28 ans.


    "Je vous en supplie

    faites quelques chose

    apprenez un pas

    une danse

    quelque chose qui vous justifie

    qui vous donne le droit

    d’être habillés de votre peau et de votre poil

    apprenez à marcher et à rire

    parce que ce serait trop bête

    à la fin

    que tant soient morts

    et que vous viviez

    sans rien faire de votre vie "



    Une connaissance inutile,

    ed. de Minuit

  • - faites quelque chose -

    il ne faut pas le s bien sûr, désolée de n'avoir pas vu la faute

Les commentaires sont fermés.