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  • Ceux qui délirent

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    Celui qui demande trois fois au Monsieur Raisonnable de lui répéter sa proposition raisonnable selon laquelle il serait raisonnable de se comporter raisonnablement dans le monde raisonnable qui est le nôtre / Celle qui a entendu parler d'un Dieu assez méchant pour créer l'homme à son image après quoi elle est retounée à ses découpages de petits chevaux dans un papier toujours bleu / Ceux qui continuent de tourner en rond dans la cour de l'asile comme au temps où ils dirigeaient tel ou tel établissement bancaire /Celui qui appelle délire tout ce qui résiste à la démence planifiée des médias et environs /  Celle qui s'est construit une maison de papier dans sa tour d'ivoire /Ceux qui finissent le job de Kant en s'adonnant au free jazz / Celui qui conjugue l'impératif catégorique au plus-que-parfait / Celle qui dit ce qu'elle pense au psy qui en perd son lapin / Ceux qui sont absolument d'accord avec Alain Badiou l'éminent prof de philo qui conclut avec Jean Genet que du balcon on peut voir que la Poésie reste maillot jaune devant  la Philosophie éternelle Poulidor de la Connaissance fine / Celui qui se défend tout naturellement des profs de philo se titrant philosophes et vont même se prétendant poètes du savoir auprès des ministères dits abusivement compétents / Celui qui voit de la poésie dans les écrits de Luc Ferry dont le père tenait une pharamacie également appréciée /Celle qui se concentre sur son projet de Poésie Totale dont elle a déjà touché la moitié de la subvention / Ceux qui estiment que la logomachie érudite d'un Michel Onfray en vaut bien d'autres à Bricoville / Celui qui regarde de plus en plus attentivement la télé et surtout au-dessous de la ceinture même si ça reste assez soft / Celle qui se prend toujours pour Lolo Ferrari après l'ablation de sa glotte / Ceux qui ne voient pas bien dans L'Enculé de Nabe ce qui distingue l'auteur de son protagoniste /Celui qui affirme qu'il suffit de bien regarder un tournesol pour comprendre le drame de Van Gogh et ce qui s'ensuit / Celle qui pense que c'est au bordel que son oncle Vincent a chopé la manie de peindre des chaises / Ceux qui se hasardent à prétendre que c'est pour échapper  à une femme que Nicolas de Staël s'est jeté dans le vide / Celui qui rappelle à la cantonade que le Méchant Dieu de la Thora est non seulement misogyne mais hostile à tout métissage / Celle qui voit en Noé le rescapé du premier génocide divin et dans la colombe un signe d'espoir genre poke sur Facebook / Ceux qui croient savoir que le peuple palestinien est maudit depuis Cham qui n'a pas baissé les yeux devant la nudité de son père Noé zoophile et bourré les jours de pluie / Celui qui rappelle assez doctement (c'est son péché véniel) au Colloque de Pasadena que la langue hébraïque n'est pas autre chose qu'un dialecte chananéen au même titre que l'ougaritique et le sidonien voire le carthaginois / Celle qui rappelle chastement (elle a refusé de se faire mettre par Nemrod) que l'épisode de la Tour de Babel ressortit à un délire typique du Méchant Dieu que l'invention de l'espéranto n'a pas encore fait oublier /Ceux que l'obsession de la pureté a rendu méchants dès Abraham le Bédouin roublard qui a fait si bon marché de sa femme (et demi-soeur) Sara pour sauver sa peau de zébi / Celui qui craint de se faire mal voir en taxant la Genèse (chapitres 11 à 36) de racisme qualifié et se la coince donc avant de prendre  un billet Low Cost pour la Grèce antique ou la Chine confucéenne s'il y a option / Celle qui a souffert de l'Ancien Testament sous la coupe de sa grand-tante avant de se réaliser plus souplement par la méthode Pilates / Ceux qui vont écouter le Sermon sur la Montagne en visant la Buvette des Chamois / Celui qui a bien connu le peintre sur porcelaine Robert Walser qui se débrouillait pas mal à l'ocarina / Celle qui évoque volontiers les orgasmes géants de sa période minimaliste /Ceux qui ont toujours porté des bretelles fantaisie, etc.    

    Image: Philip Seelen.

  • ШТО ПИШУТ ?

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    …Я ние пoнимаю хорошо … И ты ? Ja toje nie rozumiem oni jednego slowa !!!

    Image : Philip Seelen

  • Saintes pestes

     

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    À propos de Simone Weil et de Flannery O'Connor...

       

    Celui qui bute sur des murs de froideur / Celle qui s’est fermée comme une huître / Ceux qui ne se touchent plus / Celui que plombe l’indifférence / Celle qui s’éteint dans la chambre sans écho / Ceux qui se figent dans les attitudes de l’habitude, etc. 

     

    Weil2.jpgSAINTES PESTES.- Flannery O’Connor aime les paons et les gens, qu’elle voit sous tous leurs aspects parfaits et imparfaits sans perdre jamais de vue la Règle. C’est et ce n’est pas une intellectuelle : c’est surtout une réaliste catholique, et ce qu’elle écrit de Simone Weil est intéressant, qui recoupe en somme ce qu’en dit Georges Bataille, cité par Sollers. 

    Tous deux trouvent, à la philosophe, quelque chose d’un peu siphonné, mais ce que remarque Flannery est particulièrement surprenant.

    « Je termine la lecture des ouvrages de Simone Weil », écrit-elle en 1955. « Après Lettres à un religieux, j’attaque le second. La vie de cette femme étonnante m’intrigue encore, bien que ce qu’elle écrit me paraisse en grande partie ridicule. Mais sa vie combine, dans des proportions presque parfaites, des éléments comiques et tragiques qui sont peut-être les deux faces opposées d’une même médaille. Si j’en crois mon expérience, tout ce que j’ai écrit de drôle est d’autant plus terrible que comique, ou terrible parce que comique ou vice versa. Ainsi la vie de Simone Weil me frappe-t-elle par son comique exceptionnel autant que par son authenticité tragique. Si, avec l’âge, j’acquiers une pleine maîtrise de mon talent, j’aimerais écrire un roman comique dont l'héroïne serait une femme – et quoi de plus comique qu’une de ces redoutables intellectuelles, si fières, si gonflées de savoir, s’approchant de Dieu, pouce à pouce, en grinçant des dents ? » 

    C’est l’avis d’une femme de bon sens, plus ou moins ferme sur ses jambes d’aluminium mais d’une féroce trempe morale, qui précise qu’elle ne désire en rien diminuer le mérite de Simone Weil tout en lui déniant la qualité de sainte que lui prêtent d’aucuns. 

     

    Or, Bataille n’est pas moins nuancé dans sa franche lucidité : «Elle séduisait par une autorité très douce et très simple, c’était certainement un être admirable, asexué, avec quelque chose de néfaste, un Don Quichotte qui plaisait par sa lucidité, son pessimisme hardi, et par un courage extrême que l’impossible attirait. Elle avait bien peu d’humour, pourtant je suis sûr qu’intérieurement elle était plus fêlée, plus vivante qu’elle ne croyait elle-même. Je le dis sans vouloir la diminuer, il y avait en elle une merveilleuse volonté d’inanité : c’est peut-être le ressort d’une âpreté géniale, qui rend ses livres si prenants ». 

    Et Sollers à son tour, surexact dans son approche (« Simone Weil vit dans l’absolu, elle résiste  à toutes les définitions »), de passer aux exemples chantés de la citation. 

    D’abord pour nuancer le propos de Bataille sur le manque d’humour de Simone Weil : « Quantité de vieilles demoiselles qui n’ont jamais fait l’amour ont dépensé le désir qui était en elles sur des perroquets, des chiens, des neveux ou des parquets cirés ». Ou sur le marxisme : « La grande erreur du marxisme et de tout le dix-neuvième siècle a été de croire qu’en marchant tout droit devant soi on monte dans les étoiles ». Ou sur son pessimisme radical : « Il faut bien que nous ayons accumulé des crimes qui nous ont rendus maudits, pour que nous ayons perdu toute la poésie de l’Univers ». Et sur la société : « L’homme est un animal social. Nous ne pouvons rien à cela, et il nous est interdit d’accepter cela sous peine de perdre notre âme ». Sur sa volonté d’anéantissement : « Quand je suis quelque part, je souille le silence du ciel et de la terre par ma respiration et le battement de mon cœur ». Sur la beauté : « L’essence du beau est contradiction, scandale et nullement convenance, mais scandale qui s’impose et comble de joie »… 

     

    On voit cette joie resplendir sur le visage de vieux prophète de Soljenitsyne, dans la forêt russe où il chemine en compagnie du cinéaste Alexandre Soukourov, quand il s’exclame, lui qui a passé par le goulag et toutes les avanies : « Regardez, regardez le monde, le monde est parfait ! » 

     

    Celui qui a vu l’étoile orange dans le ciel indigo / Celle qui a gravi les échafaudages pour être plus près des anges /  Ceux qui revendent leurs trésors (dont un hippocampe séché) à l’abri du container dont ils ignorent qu’y loge une chanteuse de fado déchue, etc.

     

    (Extrait d'un livre en chantier) 

     

  • Last Exit Parano

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    La nuit de Frédéric Jaccaud. Le roman fascinant d'un auteur lausannois atypique de 36 ans, conservateur de la Maison d'ailleurs d'Yverdon-les-Bains.

    C'est un grand roman tout à fait hors norme que La nuit de Frédéric Jaccaud, paru récemment dans la Série noire de Gallimard. La qualification noire est cependant à distinguer du genre policier classique ou du thriller sanglant, se rapportant plutôt, en l'occurrence, à la noirceur absolue d'une fresque apocalyptique dont l'entrée pourrait être surmontée de la même injonction que celle de L'Enfer de Dante: "Laissez toute espérance, vous qui entrez..."

    Vous qui demandez à un livre qu'il vous délasse ou vous promène sans vous secouer, passez aussi votre chemin. Car La nuit commence mal, dans une ville de l'extrême-nord européen plombée par le froid et l'obscurité, avec la mort en couches de la femme du protagoniste et de leur enfant. Après quoi tout ira plus mal encore et pis, sur fond de désastre généralisé.
    Or ce noir glacial, qui fera fuir illico les amateurs de romances flatteusement édulcorées proliférant aux têtes de gondoles de l'Optimisme mondialisé qu'on pourrait dire le nouvel opium des peuples, n'est que le décor climatique, la sombre coloration d'une époque inquiète - la tonalité majeure d'une symphonie romanesque aux mouvements tantôt vertigineux de lucidité et tantôt poignants d'empathie intime.

    Sous la forme d'une espèce de chronique kaléidoscopique aux vrilles temporelles hélicoïdales, le roman joue avec les codes des genres les plus variés, de la littérature criminelle nourrie d'observations sociologiques à la Patricia Highsmith ou de la science fiction contre-utopique à la J.G. Ballard, en passant par le gore et l'humour noir, des situations et des personnages évoquant la bande dessinée ou les séries télévisées, que l'auteur brasse avec maestria tout en suivant une ligne de fond constante marquée par une sorte de mélancolie profonde.
    La qualité très rare de La nuit tient en effet à la vibration intime de tous ses personnages, jusqu'aux plus abjects. Frédéric Jaccaud s'est intéressé aux aspects les plus effrayants de l'être humain dès son premier roman (Monstre, paru en 2010 chez Calmann-Lévy), mais ce qui pourrait être repoussant, ou lassant à force de monstruosité, intéresse et captive, ici, à proportion des dérives indéniablement inquiétantes voire monstrueuses du monde contemporain lui-même. Autant dire que le noir du roman n'est que la projection expressionniste de ce qui "fait mal" dans le monde actuel.

    Le personnage principal de La nuit, Karl Strom, est à la fois vétérinaire urgentiste et romancier panique griffonnant son manuscrit-testament à l'insu de tous. Après la mort tragique de la femme de sa vie - cette Selva qui lui reprochait de tout noircir et s'était éloignée de lui alors même qu'elle attendait leur enfant-, il vit plus ou moins avec la jeune Lucie, militante du MLAD (mouvement de libération des animaux domestiques) dont les menées sont en train de tourner à l'action terroriste. La relation, le plus souvent pathologique, de l'homme avec l'animal est d'ailleurs l'un des thèmes principaux du roman. Deux autres personnages saillants, sbires sadiques d'une firme qui a passé du trafic de substances illicites au commerce d'animaux de compagnie, rythment l'action du roman par leur traque implacable, recoupant celle de deux flics de BD. À ceux-là s'ajoutent une jeune femme obèse dont l'affection maladive pour son chat finira par le tuer; un prof de maths complexé par sa laideur qui collectionne des jouets de rebut dans sa cave; une infirmière prodiguant soins et petits lapins aux pensionnaires d'un mouroir classés par étages éliminatoires comme dans la mémorable nouvelle de Buzzati; un ami de la nature diffusant sur Internet le reality show de ses approches d'un ours sauvage; un jeune fan de rock basculant dans la violence pure à l'instar d'un certain Breivik; diverses prostituées sympathiques et autres travelos du quartier chaud attirant les amateurs de sexe et autres artifices paradisiaques; enfin un jeune hacker claquemuré dans le virtuel et semant une zizanie d'enfer au plus haut niveau des réseaux de sécurité sociale et politique, qui jouera un rôle déterminant dans l'affolement général et l'apocalyptique pagaille.

    Des morceaux d'anthologie, du point de vue de la réflexion sur le phénomène humain, le raccourcissement du temps, la relation de l'homme avec la machine ou la technique, la sujétion de l'animal au bipède imbu de son pouvoir (la saisissante prise de parole d'un perroquet indigné ), entre autres, ponctuent ce roman dont le plus étonnant, une fois encore, tient à l'aura intime des personnages, à commencer par Karl le visionnaire désespéré. On pense parfois à Philip K. Dick ou à Maurice G. Dantec à la lecture de ce roman aux multiples arrière-plans référentiels (l'auteur citant Thomas d'Aquin ou saint Jérôme comme en passant, entre maintes allusions musicales ou littéraires), alors même que son univers mental et verbal, modulé par une construction rigoureuse et poétique à la fois - foisonnant d'idées narratives et de trouvailles formelles -, s'affirme dans sa pleine originalité.
    Bref, et quoique ne partageant guère la vision radicalement catastrophiste qui s'en dégage, La nuit me semble un roman des plus sérieux et des plus ingénieux, tout déjanté qu'il semble au regard de surface. En ce qui me concerne, je n'ai jamais lu rien d'aussi fort, d'aussi pertinent et pénétrant, et d'aussi singulier dans sa forme, chez aucun auteur francophone trentenaire des temps qui courent, et moins encore en nos régions. Après La vérité sur l'affaire Harry Quebert de Joël Dicker, combien bluffant déjà, et devenu l'incroyable phénomène de librairie qu'on sait, voici donc un OVNI de plus dans le ciel littéraire romand et français...

    Frédéric Jaccaud. La Nuit. Gallimard, Série noire, 450p.

  • Ceux qui sont à l'essai

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    Celui qui se prête au jeu le temps le temps d'une partie  carrée / Celle qu'on remplacera au cas où / Ceux qui ont été engagés pour une question de quota / Celui  qui refuse de faire manger l'enfant à la table des disparus /Celle qu'angoisse la baisse du taux / Ceux qui endurent également les effets de la Dette / Celui qui a cherché sa voie dans le peyotl avant d'hériter du funiculaire clefs en mains / Celle  qui avoue des affects coincés au Monsieur à diplôme et canapé tout cuir / Ceux qui échangeraient névroses vénielles contre bonne place au Ministère / Celui qui se prétend agnostique du freudisme même dérivé / Celle qui se réalise dans la chasteté cybersexuelle faute d'être connectée / Ceux qui concluent en déambulant dans les rues de Vienne que l'ingénieuse théorie freudienne est hélas altérée par la contradiction interne et la la confusion entre le per se et le per accidens à un haut degré d'acuité /Celui qui t'a instruit en matière de sexualité des anges en te rappelant qu'"Intellectus angeli potest esse in potentia ad la quae cognoscit naturali cognitione" / Celle qui voit (et sent:  ça mord!) son tout petit mordiller sa mamelle et n'en conclut pas pour autant que c'est parti pour l'Oedipe alors que ça roule avec Raoul / Ceux qui estiment que la curiositéen en matière sexuelle est très exagérée à l'heure qu'il est alors qu'il reste tant à découvrir dans l'exploration des intermondes marins et stellaires /Celui qui a reçu les Freud dans son château du Nivernais et s'est plaint ensuite de ce qu'ils aient emportés plusieurs Actes manqués de sa collection / Celle que surprend toujours le jaillissement inopiné d'un lapsus de derrière les fougères /Ceux qui ne croient pas que l'acte onirique ne soit subordonné qu'aux seules facultés appétitives / Celui qui a fait toutes ses études chez lui / Celle qui se plaint de ce que personne ne manifeste le désir de humer son Moi ni d'ailleurs son Soi / Ceux qui observent attentivement ce monde    avec lequel par ailleurs ils n'ont aucun contrat signé / Celui qui estime que le dédain surnaturel avec lequel Marie Bashkirteff considère le parterre des pipoles signale une qualité rare au Vatican / Celle qui a toujours refusé d'écrire le nom de tous les jours /Ceux qui croient que croire en Dieu Lui  fait plaisir quelque part /Celui qui trouve trop peu de franche fantaisie dans les ouvrages de Michel Onfray qui abuse par ailleurs du verbe "gérer" / Celle qui sait d'expérience que le fameux chocolatier Oskar Wild a tout juste en affirmant que la mailleurs façon de se délivrer d'une tentation est d'y céder / Ceux qui ont découvert l'énorme "Cahier des plaintes" de leur cousine Ermeline et l'ont brûlé avec toutes ses lettres et (sans s'en rendre compte) sept mille dollars en petites coupures serrées dans une enveloppe marquée À donner aux pauvres, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Maurice Nadeau le grand passeur

    Nadeau02.jpgL'éditeur et patron de La Quinzaine littéraire, mort à 102 ans, incarnait la mémoire frondeuse d'un siècle de littérature. Découvreur non aligné, il  "lança" Henry Miller et Michel Houellebecq...

     

    L'édition française vient de perdre deux vénérable figures de sa grande époque. Après la mort de Robert Gallimard, le 8 juin dernier à l'âge de 87 ans, celle de Maurice Nadeau, décédé ce dimanche, marque la disparition d'un fondateur-découvreur d'exception.

    Si Robert Gallimard, neveu du mythique Gaston, joua un rôle assez discret dans les destinées de la prestigieuse maison - non sans avoir été l'interlocuteur privilégié de Sartre, Camus ou Romain Gary, notamment -, Maurice Nadeau a toujours fait figure à la fois de découvreur de premier rang et de franc-tireur de l'édition.  

     

    Fils d’une servante illettrée qui lui montra un jour son derrière pour lui faire sentir combien elle se moquait des convenances, orphelin de père à cinq ans, pupille de la nation poussé aux hautes études par sa mère, Maurice Nadeau fut d'abord un prof de lettres très engagé. Stalinien, puis exclu du Parti pour ses questions incongrues sur la politique de Staline et l’Allemagne nazie,  il était résistant quand il a rencontra un Jean-Paul Sartre qu'il décrit come "politiquement naïf" dans ses mémoires.  Au lendemain de la guerre, il devint «le» critique du journal Combat d’Albert Camus et Pascal Pia. Puis il s’improvisa éditeur pour diffuser le premier témoignage d’un rescapé des camps nazis, Les jours de notre mort de David Rousset. Avec celui-ci, Nadeau fut l’un des rares communistes à reconnaître l’existence des camps du goulag. Critique étranger aux modes médiatiques ou universitaires, il fonda La Quinzaine littéraire en 1966, restée mythique par son indépendance et son ouverture.

     

    Passeur de littérature, Maurice Nadeau a toujours dit qu'il "aimait admirer". Or ses admirations n'avaient rien de convenu ! Ami du « pornographe » Henry Miller dont il publia la trilogie de Sexus, celui que sa mère appelait "Momo" passa des heures à se taire avec Samuel Beckett, se fit servir de l’eau chaude par Henri Michaux, aida Georges Perec à décrocher le Prix Renaudot avec Les Choses, découvrit et défendit de grands auteurs « étrangers » tels Malcolm Lowry - l’auteur du génial Au-dessous du volcan -, le Polonais Witold Gombrowicz, le Sicilien Leonardo Sciascia et le Russe Varlam Chalamov, enfin le Sud-Africain J.M. Coetzee, futur Nobel de littérature.

    La dernière grande découverte   de Maurice Nadeau fut celle de Michel Houellebecq, en 1984, qui se présenta à lui comme "le nouveau Perec !" Après quelques tergiversations, l'éditeur publia Extension du domaine de la lutte.  Mais comme tant d’autres, Houellebecq le quitta bientôt pour un éditeur plus coté. Chanson connue des découvreurs !

    De son Histoire du surréalisme, datant de 1945, à ses Mémoires littéraires portant le titre significatif de Grâces leur soient rendues, en passant par Serviteur !, Maurice Nadeau aura  fait oeuvre, enfin, de chroniqueur d'une riche époque littéraire, comme en témoignait encore Le Chemin de la vie, belle série d'entretiens (Verdier, 2011) recueillis par Laure Adler. Laquelle disait en chaleureuse complice: "Maurice est un blagueur. Un ironique. Un doux rêveur. Il n'en fait qu'à sa tête et n'en démord pas. C'est son désir qui le guide, éclairé par ses intuitions. Au fond, c'est un solitaire, mais qui peut avoir des tendresses"...