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  • Le franc-tireur engagé

     

    Rencontre avec Hugo Loetscher

    Lorsqu'on demande à Hugo Loestcher en quel animal il lui plairait de se réincarner, il répond avec malice que la position du Steinbock, dont le mot désigne à la fois, en allemand, son signe zodiacal du Capricorne (il est né à Zurich le 22 décembre 1929) et ce leste et robuste guetteur des cimes que nous appelons bouquetin, lui conviendrait assez. Solitaire et cependant solidaire du troupeau: tel est de fait l'auteur du Déserteur engagé, portrait magistral d'un héros de notre temps qui lutte pour s'immuniser contre toute forme d'asservissement social ou mental. Sans doute son extraction familiale modeste (son père, ouvrier, a connu le chômage dans les années trente) explique-t-elle le sens des réalités concrètes manifesté par le journaliste et l'écrivain, que ses études à l'étranger (notamment à Paris, d'où il tient son admirable maîtrise de notre langue) et ses multiples voyages (surtout en Amérique latine) ont exercé au «décentrage» critique. Contestataire non dogmatique, Hugo Loetscher fut l'un des premiers à s'intéresser au sort du tiers monde sans en faire un fonds de commerce idéologique. Tous azimuts, ses positions se distinguent par leur mélange d'ouverture critique et de clairvoyance constructive. La clarté d'esprit, l'érudition joyeuse et l'humour, qui n'excluent pas la profondeur, imprègnent également l'oeuvre de ce bon génie de la Cité.


    - Hugo Loetscher, après les votations concernant la Lex Friedrich, on a parlé d'une cassure dramatique entre Alémaniques et Romands. Qu'en pensez-vous ?
    - Ce résultat m'a personnellement surpris et beaucoup déçu, qui signale une véritable hostilité, dans notre pays, envers tout ce qui est étranger. Cela étant, ce résultat ne fait pas apparaître à mes yeux, un clivage particulier entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Avec la votation sur l'Europe, on a pu voir, déjà, que la ville et la jeunesse alémanique sont aussi ouverts que les Romands. Pour moi le grand problème n'est pas un clivage entre Suisse alémanique et suisse romande, mais entre une certaine conscience de la vie moderne, qui suppose une ouverture, et la crispation traditionaliste contraire. Je suis convaincu que le résultat de cette votation n'a rien à faire avec le contenu de la loi, mais que le mot étranger a suffit à effrayer. Ce qui est grave, alors, c'est que les cantons primitifs deviennnent représentatifs de la Suisse alémanique. Par ailleurs on a observé, chez certains de nos intellectuels, et par exemple sur la question du dialecte, une tendance à revaloriser nos origines et nos sources, avec d'étranges contradictions parfois. Ainsi un Otto F. Walter qui était contre la célébation du 700e anniversaire de la Confédération, en 1991, sous prétexte que notre démocratie ne valait pas la peine d'être célébrée, a invoqué la même démocratie pour s'opposer l'année suivante à l'Europe. Il y a là un problème lié à la perception de la ville. Ce qui est curieux, c'est que les villes ont toujours joué un rôle important dans le développement de l'histoire suisse, mais que l'idéologie nationale parle toujours des paysans. Cela se vérifie même chez la plupart de nos écrivains. Je n'ai rien contre le yodel, mais je trouve absurde que cette musique devienne le symbole de l'art suisse ! Il faut combattre ces clichés traditionalistes. La Suisse est un pays industrialisé, très moderne, avec les aspects positifs et négatifs que cela comporte.
    - Pensez-vous qu'il y ait une «culture suisse» spécifique?
    - Je ne me fais pas d'illusion sur les grands élans de curisosité réciproque, mais je crois qu'il y a des éléments de conscience culturelle commune, et cela commence par la langue. Chacun de nous dispose d'une langue maternelle, mais très tôt ensuite on prend conscience qu'il y a d'autres langues. Cela instaure aussitôt une relativité par rapport à sa langue. Cette disponibilité aux autres langues est un élément déterminant de notre conscience culturelle, qui a une dimension politique. C'est une chance pour notre pays. Il y a d'ailleurs, dans ce phénomène, une valeur dont l'idéal européen devrait s'inspirer. La culture germanique n'est pas une: il y a celle des deux Allemagnes, de l'Autriche et de la Suisse alémanique. Pareil pour la francophonie. Cette conscience de la relativité de la valeur de chaque culture, et de la diversité des cultures, vaut aussi sur le plan des religions. Je suis d'une famille catholique, né dans une ville protestante devenue, par les chiffres, une communauté catholique majoritaire, etc. Je n'ai pas de grande illusions sur le fait qu'on ait envie de se connaître mutuellement, mais je crois que le respect mutuel est un fait.
    - Vous qui avez-vous beaucoup voyagé, que vous semble l'image de notre pays à l'étranger ?
    - On a passé des clichés du pays paisible et merveilleux à un autre cliché des banques et des fonds juifs. Il y a aussi des clichés à l'intérieur. Nous étions une fois les meilleurs, puis nous sommes devenus les pires. J'appelle cela du Negativjodel. De nouveau nous faisons figure d'exception. A me yeux, la phrase la plus subversive, dans ce pays, consiste à dire que nous autres Suisses sommes assez moyens, avec des vertus et des vices. Quelque fois la critique des intellectuels me paraît ridicule, tant elle est manichéenne et bien pensante. Ce que je défends, pour ma part, c'est l'idée de la démocratisation de la démocratie. Il n'y a pas une démocratie suisse tombée du ciel, mais une évolution vers plus de démocratie. Depuis quand la démocratie existe-t-elle pour les femmes ? Une vingtaine d'années. Rappelez vous que Gottfried Keller, ce démocrate libéral, était encore contre le droit de vote à tous. La reconnaissance des quatre langues est aussi récente. Les lois en matière de sexualité et la neutralité ausi font partie d'un processus historique. Quand on réalise qu'au lieu d'une démocratie fixe, ce qu'on appelle démocratie a toujours dû se redéfinir sans cesse, on ne peut pas être si choqué de la situation actuelle. Le fédéralisme d'aujourd'hui doit évoluer, devenir peut-être plus régional et s'adapter à un autre fédéralisme plus large de niveau européen.

    - Pensez-vous que les crispations actuelles vont se radicaliser, ou êtes-vous plutôt optimistes ?
    - J'ai assez confiance en la tendance majoritaire ouverte de la jeunesse, même s'il y a aussi des jeunes parmi les traditionalistes et les racistes. Si la jeunesse est plus ouverte, ce n'est pas parce qu'elle est intrinsèquement bonne, ou plus humaniste que les aînés, mais parce qu'elle vit les mêmes problèmes qu'à l'étranger. La culture s'est internationalisée, et je crois qu'il y a une force des choses. Je ne crains pas qu'on reste indéfiniment dans son coin, mais qu'on perde maintenant des acquis en ne sortant pas de son coin. Ce qui me semble significatif, c'est que les questions les plus importantes ne sont plus à discuter en fonction de positions de partis. Le grand changement a été la chute du mur. Mais le mur était tombé depuis longtemps dans la tête des gens. Je n'ai pas fait des études littéraires mais des études de philosophie politique.

    - Vous tenez-vous pour un auteur engagé ?

    - La notion d'engagement est évidemment importante pour moi, marquée par l'époque de Sartre. Le premier livre dans lequel j'aie entrevue ma propre éthique est un sermon d'un jésuite du XVIIe, Antonio Vieira, un grand styliste. C'est un sermon de Saint Antoine aux poissons, contre les colonialiste portugais. Et dans ce sermon il dit que c'est un grand scandale que les poissons se mangent entre eux. Et c'est un scandale plus grand encore que les plus grands mangent les plus petits. Le contraire serait moins scandaleux, parce qu'un grand suffirait à nouri beaucoup de petits. J'ai écrit un long essai en introduction à la réédition de ce texte. J'ai relevé d'une part sa moralité, et son style. Dans les années soixante, il suffisait souvent d'avoir une bonne idée, un beau message pour faire de la mauvaise littérature. On m'a beaucoup attaqué parce que j'ai osé dire, à l'époque de la guerre du Vietnam, que les poètes tuaient les Vietcongs une deuxième fois par leur mauvaise littérature. J'étais contre cette guerre, au demeurant. Vieira me semblait donc combiner l'éthique et le grand style. Pour moi, je crois qu'il y a un moment moral dans le style même. C'est pourquoi j'étais très actif dans les associations d'écrivains. 
    - Quelle fut votre position par rapport au marxisme ?
    - Les écrits critiques du jeune Marx ont été très importants pour moi, Mais jamais l'explication de l'histoire comme une détermination à 100%. Et puis la naïveté académique et l'incompétence des pouvoirs marxistes m'a sidéré, notamment à Cuba et au Chili. Je me rappelle Cuba: l'agriculture y était une catatstrophe, du fait des choix de Castro plus que des Américains. Mêmne chose au Chili. Si Marx m'a apporté quelque chose, c'est dans l'attention qu'il a porté aux mécanismes économique et aux situations concrètes.

    - Quelles relations avez-vous entretenu avec Frisch et Dürrenmatt ?
    - J'ai été très ami avec Dürenmatt, et il était évidemment difficile de l'être des deux. Frisch avait des disciples. Quand il est mort, il s'est posé la question de savoir qui allait le remplacer. Qui deviendrait LA conscience ? Moi je n'avais pas le don d'être un disciple. Dürrenmatt était une espèce de roi, chez lequel il y avait du bon roi. Les discussons avec lui portaient le plus souvent sur le métier ou sur des choses concrètes. Dans les discussions, il n'était pas dogmatique mais sensible à la nuance. A un moment donné, il était très chic d'être contre Israël, et très compliqué de soutenir l'exisence d'israël tout en contestant la politique extérieur d'Israël... Nous relevions, Dürrenmatt et moi, ce genre de défis...
    - Pensez-vous qu'un écrivain puisse tout dire ?
    - Si j'écris un texte littéraire et que je parle de notre religion, je n'hésiterai pas à dire tout ce que je pense. J'hésiterai en revanche à l'égard d'autres religione, que je ne connaîtrais pas aussi bien, crainte de juger de trop haut. Il faut prendre position contre les totalitarismes, de quelque couleurs qu'ils soient. Comme je vous l'ai déjà dit, le clivage entre gauche et droite n'est plus significatif, tandis que le clivage s'accentue entre pluralistes et totalitaires. Avec les fondamentalistes qui me répondent par des bombes, je ne peux parler. Ce qui compte est qu'on puisse discuter. C'est cela qui compte. En ce qui concerne un Rushdie, l'incitation au meurtre m'a paru inadmissible. Je puis comprendre, cela étant, qu'on hésite à publier certains textes, même si je suis contre l'index catholique et sa nouvelle forme actuelle de la political correctness, qui attaque Mark Twain pour son prétendu racisme. Mais Sophocle n'a rien dit contre l'esclavage, rendez-vos compte... Tout serait donc  à réexaminer ? Que dirais-je, pour ma part, si ma maison d'édition projetait de publier Mein Kampf ? Et-ce que je l'accepterais ? Je ne crois pas. Pourtant je ne suis pas opposé à la publication de Mein Kampf.  Est-ce que la démocratie n'a pas à être démocratique au point de permettre cette lecture pour sa valeur documentaire ?

    - Comment faites-vous la différence entre particularisme et nationalisme ?
    - Dans le cas individuel, autant que dans une communauté, on ne se connaît que par les autre. C'est assez nouveau que la Suisse doive se définir comme Suisse. La Suisse doit se redéfinir par rapport à l'Europe. L'identité ne se définit pas dans une commission parlementaire ou une révue littéraire  Ce que je trouve intéressant, c'est d'envisager le rapport avec tous ceux qui nous entourent et par delà: la France, le Danemark, le protestantisme, etc. J'ai pour ma part, toujours eu un problème avec ce concept de l'identité. Il n'y a que les morts qui aient une identité définie 100%. mais si je prends mon existence, je suis Suisse, Alémanique, pratiquant de la langue allemande, influencé par l'autrichien Robert Musil et le Français d'Algérie Albert Camus. Comme intellectuel, je m'entends peut-être mieux avec un Brésilien qu'avec mon voisin de bistrot. Il y a donc toujours un système de relations et un lieu géométrique. C'est pourquoi je n'aime pas la guerre: parce que la guerre, c'est l'identité totale, fixée par l'uniforme, qui me cache l'être humain. Dans les idéologies c'est pareil, les autres sont réduits à tel ou tel type. Dans mes romans, ce qui m'importe est de raconter une situation: qu'il s'agisse du Brésil ou de la Californie. Ce n'est jamais l'individu comme tel qui m'intéresse, mais l'individu dans ses relations. Dans mon dernier roman, le jeune héros est considéré dans ses relations avec la société vue comme un théâtre.
    - Qu'en est-il alors de vos relations avec la gent animale ?
    - Il y a d'abord le roman consacré à Noé. Les animaux y jouent un certain rôle. Ils sont représenatifs de la Création. Ils puent, ils font du bruit. Et là, Noé dit: je ne sais pas où est la vie. Je vais donc sauver la possibilité de la vie. Dans ces histoires, le point de départ étaint purement littéraire. Je voulais écrire des fables. Et c'était clair que des fables modernes devaient intégrer le repoussoir de la société humaine. On parle des animaux dans des situatons crées par l'homme. Ensuite j'ai voulu une écrire une postface, et cela a donné un livre plus important que La mouche et la soupe. Ainsi Le coq prêcheur a-t-il été publié avant... J'étais fasciné par l'idée de ce bestiaire. Cela revenait à considérer l'unité de la condition humaine. Ces fables m'ont imposé une grande documentation. Si vous écrivez d'une manière méticuleuse, exate, vous arrivez à une sorte de surréalisme.
    - Vous qui dites détester les superlatifs, quels rapports entretenez-vous avec l'Absolu ?
    - Il y a un an, on m'a invité à faire un sermon dans le cadre d'un séminaire. Là, j'ai évoqué l'aspect religieux de quelques livres. Les Egouts c'est le problème du mal qui entre dans le monde. Je suis contre la pureté: je suis pour la canalisation. Hanna Arendt dit qu'elle est très intéressée par le péché dans la politique. Noé, pour moi, c'était l'homme le plus riche, qui comprend qu'un autre pourrait être à sa place. Noé devient juste quand il devient son propre remplaçant. Une phrase magnifique de la Bible dit que celui qui se perd se sauve. Dans les papiers du Déserteur engagé, il y a la définition du Dieu d'Immun. Pour Immun, personne ne peut supporter le monde ou la réalité en tant que telle. Alors il faut avoir une conscience qui est ouverte à tout et qi est prête à supporter cete totalité. Or il est vrai qu'un seul nom convient à cette conscience, qui est Dieu, lequel n'a rien d'un dieu d'église. Il y a là comme une ironie supérieure, dans ce Dieu dont la fonction serait de supporter sa propre création... Cette dimension m'a toujours intéressé. Dans mes études, en outre, j'ai toujours été intrigué par le thème de l'absurdité. Avec Dürrenmatt, j'en ai beaucoup parlé. L'absurdité survient quand il n'y a plus de sens (Sinnlos), mais un sens ouvert (Sinnfrei). La religion est-elle divisible ? Si vraiment Dieu est l'absolu, je ne peux permettre aux autres d'avoir un autre Dieu... Mais il y a un moment inexplicable dans la vie humaine: on peut dire beaucoup de choses d'un individu, pourtant il y a toujours un «reste». Peut-être est-ce notre secret ? La grande contradiction de l'homme, c'est de savoir qu'il est mortel et de vivre comme s'il était immortel...

    L'oeuvre de Hugo Loetscher est publiée aux éditions Diogenes. Plusieurs de ses romans et essais ont été traduits chez Fayard. Cet entretien date de son vivant.

    Le portrait de Loetscher (mal) reproduit ici est l'oeuvre de Varlin.

  • Ceux qui se ressourcent

    recensement



    Celui qui reconnaît que tout est parfait dans l'espace Wellness de l'Hotel Romantik Julen de Zermatt et qui angoisse d'autant plus grave / Celle qui acquiert avec confiance le package Poids (sauge, verveine, citronnelle, chiendent, feuilles de bigaradier) drainant, reminéralisant et détoxiquant / Ceux qui sourient sans discontinuer aux séances d’aquagym / Celui qui rassemble ses forces avecun massage relâchant (sic) et un bain de foin des montagnes de Zermatt / Celle qui consacre quatre heures à The Ultimate comprenant le Body Scrub, le Vitamine Body Wrap, le Tailor Made Massage, l'Organic Facial et la Manicure & Pedicure de l'Espace Wellness du Romantic Julen de Zermatt pour la sommeforfaitaire de 525 francs suisses / Celui qui estime qu’un pot de gelée royale vaut le prix d’un Evangile relié plein cuir / Celle qui découvre enfin la pressothérapie après deux divorces épuisants quoique rémunérateurs / Ceux qui parlent russe dans le jacuzzi / Celui qui a appris à distinguer le bigaradier coupe-faim de l’oranger ordinaire traité aux produits chimiques / Celle qui va se fumer une pipe de tabac hollandais sur la terrasse enneigée après que son amie Rosemonde lui a clairement fait des remarques sur son surpoids et ses humeurs de sanglier / Ceux qui se repassent la vidéo de l’exécution de Saddam en attendant l’heure de leur traitement botulique / Celui qui lit Eschyle dans l’Espace Wellness du *** / Celle qui remarque que ce qui manque à l'Espace Wellness du **** est une enceinte de barbelés et des miradors pour surveiller ceux qui refusent de se relaxer / Ceux qui ne sont pas loin de penser que le watsu est la grande conquête de la nouvelle culture japonaise / Celui qui se fait expliquer l’origine du shiatsu par le Japonais aux long cheveux qui lui a emprunté Le Tapin (c’est ainsi qu’il appelle le journal Le Matin) / Celle qui explique à la petite amie du Japonais aux longs cheveux que la raclette ne se déguste pas avec de la bière / Ceux qui passent des heures dans la salle de repos panoramique à s’efforcer de ne penser à rien sans y parvenir nom de Dieu / Celui qui se demande comment son chien Snoopy réagirait à la cure de relaxation Reiki plusieurs fois millénaire / Celle qui recommande le traitement à la pierre volcanique aux Hollandais qui lui ont révélé les vertus du massage pédimaniluve / Ceux qui estiment que les employés du Focus Julen ne devraient pas faire usage des  nettoyeuses Karcher aux abords des bassins en plein air à cause des gaz polluants et d’une nuisance phonique pas possible / Celui qui se paie une teinture de sourcils pour se donner plus de chances auprès du jeune Chilien Pablo Escudo dont il apprécie les interprétations au pianola / Celle qui pète les plombs dans le hammam / Ceux qui déclarent que la cure de détente totale Nirvana à 75 francs les 30 minutes ne vaut pas la caresse gratos des buses d'eau, etc.

    Image: Leonor Fini

  • Aux Fruits d'or

     

    Barbare.JPGJ’ai bien aimé aussi, en notre bohème de ces années-là, retrouver le libraire Clément Ledoux en sa librairie des Fruits d’or, les fins d’après-midi, quand la lumière déclinait sur le Vieux Quartier dont les jardins se peuplaient alors d’ombres bleues.

    C’est lui qui m’avait appris, d’ailleurs, autour de mes seize ans que le bleu était la couleur d’origine des auréoles, et c’est lui aussi, le mécréant lecteur de Montaigne et de Voltaire, qui me révéla l’étymologie du mot Evangile, message de joie, qui incite à penser que le Maître n’est pas venu décrier la vie, au contraire : qu’on est là pour en savourer les bonnes choses et les partager avec de belles gens -  et Ledoux rallumait une Gitane sans filtre à la braise de la précédente en toussant.

    Les cafards ont interdit la fumée, que nous maudissons autant que nous avons maudit le crabe de Monsieur Ledoux, ce cher Clément dont le nom et le prénom chantent encore en nous bien après que Les Fruits d’or ont été rachetés par les Chinois du quartier, mais quel bien ça fait d’en rallumer une, ce soir, en louant le Seigneur des mégots.  

     

    Image: Le rêve des escaliers. Dessins de Richard Aeschlimann, 1973.

     

     

  • Ceux qui ne font que passer

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    Celui que les romans noirs revigorent / Celle qu’on a rajeuni pour la vendre / Ceux qui ont un puits de larmes au fond de leur arrière-cour / Celui qui revient au pays sans en revenir / Celle qui (dit-elle) met un caleçon à sa langue / Ceux qui votent sans le savoir / Celui qui en a tant bavé qu’il accueille le nouveau jour comme une grâce / Celle qui n’aime pas les sentiments petits petits / Ceux qui font la nuance entre le ndolo et la doulou /Celle qui a le ndolo du soir / Ceux qui se taisent en silence tant les poigne le mal du (mauvais) pays / Celui qui vacille au bord de son propre abîme / Celle qui a la force des accablés / Ceux qui ont une façon particulière de plisser les yeux en vous regardant / Celui qui dit n’avoir pas une grande estime de soi et que les autres apprécient d’autant plus / Celle qui se méfie de ceux qui agissent façon façon / Ceux qui alimentent les commérages avec alacrité / Celui qui sait que le temps est un censeur plus sévère que la morale / Celle qui a la mélancolie évidente des inconcevables derniers jours / Ceux qui préfèent vivre seuls à deux / Celui qui se reproche de ne plus perdre la tête pour si peu de chose / Celle qui ressort son petit chapeau à fleurs pour faire un tour au tea-room/ Ceux qui sont attentifs aux jugements formulés par les très vieilles personnes avec la liberté cinglante de ces âges / Celui qui est devenu complètement sincère en évitant cependant le choc des natures / Celle que son âge acquitte du délit d’opinion / Ceux qui évitent les bagarres de drogués autant que les sermons de planqués, etc.


    Image : Dans le métro. Huile sur toile de Thierry Vernet.

  • Back zapping 2011

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    33 films du Festival de Locarno à se repasser les yeux fermés…

     

    Amarcord, de Federico Fellini. Italie, 1973. Piazza Grande. Dans la foulée du bel hommage de la Cinémathèque suisse au Maestro, programmer ce chef-d’œuvre de poésie et de faconde malicieuse à l’italienne, en préambule à l’édition 2011 du Festival de Locarno, ravit d’autant plus que la projection sur la Piazza était ouverte à tous par entrée gratuite. Rien de gratuit évidemment dans cette merveilleuse chronique des  années d’enfance et de jeunesse de Federico Fellini, qui suit et précède à la fois (dans les deux temps de la filmographie et des l’Histoire) le non moins moins mémorable Vitelloni. *****

     

    Locarnokit14.jpegSuper 8, de J.J. Adams. Film d’ouverture. USA, 2011. Piazza Grande.

    Déclaré « blockbuster de l’été », ce film de kids pour kids de tous âges  a pas mal de charme, surtout  dans sa première partie, évoquant les années de l’après-guerre américain avec une foison de détails pittoresques. La mise en abyme du film dans le film est également plaisante, qui voit une bande d’ados « recycler » un événement réel (un accident ferroviaire mahousse) dans le film en Super 8 qu’ils sont en train de tourner, basculant bientôt dans la SF à la Spielberg. **     

    LocarnoKit1.jpegBeirut Hotel, de Danielle Arbid. France/Liban, 2011. Compétition internationale.

    Zoha, chanteuse libanaise (Darine Hamzé), lasse des épaisseurs de son conjoint, rêve du prince charmant « sur un volcan », ce Beyrouth d’après la guerre où débarque un avocat d’affaires français (Charles Berling) plus ou moins soupçonné d’espionnage. La relation, essentiellement charnelle et passagère pour celui-ci, frustre évidemment la belle, mais l’intérêt du film tient surtout au climat de menace et de confusion qui règne toujours sur la ville. Le scénario, un peu lâche dans son développement dramatique, et le dialogue, assez plat, limitent la qualité de la chose. **     

     

    Bez sniegu (sans neige), de Magnus von Horn. CouLocarnokit18.jpegrt métrage. Pologne, 2011. Compétition Léopards de demain.

    En Suède profonde, l’hiver, un groupe d’ados fous de motos et se cherchant sexuellement parlant, trouvent un bouc émissaire en la personne du plus fragile, épileptique et doué en composition, bref sûrement « pédé »... Climat « scènes de chasse » pour cette évocation sensible et puissante à la fois, finissant en tragédie. ***

     

    Locarnokit189.jpegRespect, de Benoît Forgeard. Court métrage. France, 2011. Compétition Léopards de demain.

    Satire assez carabinée, voire grinçante que cette histoire loufoque d’un barbu vivant en couple avec l’ours en peluche géant Flippy, vedette des céréales Flip’s. L’apparition du fils de Matthieu, également accro aux sex toys de remplacement, va pousser le père à l’exécution de Flippy, en somme réjouissante. Question cinéma, ça l’est un peu moins... *

    Locarnokit20.jpegVoisins, de Josh Levinsky. Court métrage. UK, 2011. Léopards de demain.

    Un humour singulier marque les relations pugilistiques (en anglais dans le texte) du protagoniste et de son voisin, qui se rencontrent tous les jours comme sur un ring ou un tatami, en aussi dansant et violent. Il y a comme un brin de perversté dans cet affrontement de mâles narcissiques, jusqu’au jour où l’un déménage. Mais les paires sont à transformations, comme les bras cassés se plâtrent. Filmage black and white de comique vintage. **    

      Locarnokit21.jpegT’as une histoire ?, de Dario Jurican. Court métrage. Croatie, 2010. Léopards de demain.

    Dans le genre érotico-satirique, cet aperçu d’une scène chaude virant du soft porno au hard psycho vaut son pesant d’ironie acide. L’on y voit l’amante raconter, à la demande de l’amant en mal de stiumlation, l’histoire la plus salace de son répertoire, après quoi, les rôles dûment échangés, l’amant provoque une crise de jalousie hystérique de l’amante en brodant sur une anecdote impliquant un ours. Alertée par l'amante, la mère de l'amant menace de rappliquer ! Très bon climat et perfomance appréciable des deux acteurs, sur un canevas narratif bien ressaisi par le filmage. **  

    Locarnokit8.jpegUn amour de jeunesse, de Mia Hansen-Love. France/Allemagne, 2010. Compétition internationale.

    La réalisatrice capte merveilleusement les composantes de cet amour irradiant la jeunesse fraîche et joyeuse à quoi participent les corps et les visages de Camille (Lola Creton, tout à fait remarquable) et Sullivan (Sebastian Urzendovsky, non moins vibant de présence). Dans la foulée, l’arrachement consécutif au départ de Sullivan impatient de « grandir », et seul, en Amérique du Sud, sa disparition progressive et la détresse croissante de Camille, est également exprimé avec intensité et justesse. Le film perd un peu de sa tension et de sa cohésion dramatique au fil de l’évolution de Camille, jamais vraiment guérie du départ de Sullivan. Reste un bel ouvrage plein de sensibilité, avec de très beaux cadrages et une fluidité narrative qui fait «chanter les plans », si l’on ose dire. Le jury de la compétition internationale a accordé une mention spéciale à ce film ***

    Headhunters, de Morten Tyldum.

    Norvège/Danemark/Allemagne, 2011. Piazza Grande.

    Tiré de Chasseurs de tête, thriller très noir de Jo Nesbo, ce film, qui reste assez proche du roman, rend pas mal le contraste des deux protagonistes masculins : Roger le chasseur de têtes qui se croit à la coule dans le milieu de l'art où sa femme Diana (Synnove Macody Lund) étincèle, et Clas Greve le « tueur »  qu'il engage au top sans se rendre compte que cela va se retourner contre lui. Si le livre prend réellement aux tripes, le film relève  de la fabrication très efficace, sans plus. **

    Locarno1122.jpegHell, de Tim Fehlbaum. Allemagne/Suisse, 2011. Piazza Grande.

    Dans le genre très largement représenté aujourd'hui des films d'après le déluge nucléaire, les clichés redondants font souvent florès. Fuite dans les décombres de quelques âmes pures, lutte pour la survie, menace latente de bandes sauvages ou même cannibales : c'était aussi le canevas du magnifique roman de Cormac McCarthy intitulé La Route, adapté au cinéma par John Hillcoat.  Or le premier « long » de Tim Fehlbaum réinvestit le thème post-apocalyptique avec la même force poétique et la même quête de rédemption, jusqu'à la scène finale du salut matérialisé par l'eau de source, qui pourrait illustrer la fable de McCarthy. À relever la belle maîtrise de la mise en scène, la solidité du scénario (co-écrit par Thomas Wöbke), l'originalité de l'image de Markus Förderer aux sfumati à la Sokourov, et aussi la qualité de l'intrerprétation, notamment de la jeune Hannah Herzsprung (Marie) et d'Angela Winkler. Un talent prometteur du cinéma suisse. ***

     

    Locarnokit22.jpegTahrir, de Stefano Savona. Italie, 2011. Chronique documentaire.

    Au fil d'une montée en puissance magnifiquement restituée par l'image et l'effet choral des témoignages privilégiant quelques protagonistes des deux sexes, le réalisateur italien nous fait revivre, comme en immersion, du dedans et avec une proximité quasi intimiste dans le maëlstrom de la foule, les journées et les nuits cruciales qui ont abouti à la chute du Raïs égyptien. L'an dernier déjà, avec Piombo fuso, Stefano Savona avait réussi cet exploit de donner une force dramaturgique, et même une saisissante « beauté », à une chronique également explicite en matière politique. Ici, l'espoir et les menaces planant sur la  révolution égyptienne sont éclairés par la dialectique des prises de parole autant que par le  travail de cinéma . ****

     

    Melgar55.jpegVol spécial, de Fernand Melgar. Suisse, 2011. Documentaire.  Compétition internationale.

    Après La Forteresse, qui évoquait l'épreuve vécue par les requérants d'asile dans un centre d'accueil, à leur entrée en Suisse, Fernand Melgar documente l'autre extrémité du transit des sans-papiers, au centre de détention administrative de Frambois, près de Genève, préludant aux vols spéciaux de retour dans les divers pays d'origine des demandeurs déboutés. Avec autant d'honnêteté que de clarté dans l'exposition des faits -  humainement révoltants en ce qui concerne les conditions matérielle dans lesquelles les vols spéciaux se déroulent -, ce film échappe à toute forme de démagogie, autant qu'à la seule anecdote journalistique. Comme un Jean-Stéphane Bron, Fernand Melgar parvient à donner une intensité émotionnelle rare à son observation des destinées individuelles, et l'objet qui en résulte honore aussi, du pointd de vue de la forme, ce qu'on appelle le cinéma du réel. ****

    Hashoter (Le policier) de Nadav Lapid. Drame social. Israël, 2011. Compétition internationale.

    Locarnokit3.jpegLa première partie de ce film du jeune réalisateur israélien est excellente, qui brosse le portrait de groupe d'un unité d'élite de la police spécialisée dans la répression du terrorisme arabe. Au premier rang : un flic fringant sur le point de devenir père et qu'inquiète la tumeur d'un de ses collègues. Avec une pointe d'ironie, cette entrée en matière touche par la justesse nuancée du trait. Sur quoi le film bifurque sur la présentation de quelques jeunes révoltés qu'on dirait sortis du Grand soir de Reusser, aussi naïfs qu'exaltés, qui se lancent dans une prise d'otages de haute volée, mais à vrai dire peu crédible dans sa modulation dramatique, le scénario et les dialogues péchant tout de même.  Le film est cependant intéressant par sa thématique, touchant à une faille de la société israélienne contemporaine: la pauvreté que dénoncent les jeunes militants, et par le fait que des policiers israéliens soient contraints de retourner leurs armes contre de jeunes compatriotes. À cet égard, la dernière séquence durant laquelle le regard du jeune flic s'attarde sur la révolutionnaire abattue, en dit très long. Le prix spécial du jury a récompensé ce premier long métrage de Nadav Lapid.   ***

    Locarnokit11.jpegCow-boy s & Aliens, de Jon Favreau. Western SF. USA, 2011. Piazza Grande.

    Comme il en va de Super 8, cette espèce de grande BD combinant les stéréotypes du western classique et des films de science fiction dégage un certain charme dans sa mise en place, avec son bled typique à saloon et ses magnifiques paysages; et la greffe avec le monde des aliens peut amuser aussi. Cela ne compense pas pour autant la vacuité des personnages, si l'on excepte le plus puant d'entre eux, incarné par Harrison Ford, dont la psychologie de vieux briscard désabusé atteint un semblant de relief.  Quant à l'idéologie consistant à identifier l'Alien au Mal venu d'ailleurs, elle s'inscrit dans le droit fil d'une «pensée» américaine qui justifie d'autant plus la violence que l'étranger, en l'occurrence, est venu pomper l'or des pionniers... **

    Brigadoon, de Vincente Minelli. Comédie musicale. Etats-Unis, 1954. Rétrospective Minelli.

    Brigadoon, merveilleux village d'une Ecosse de conte, est le lieu du bonheur par excellence, où l'on n'arrive jamais que par l'imagination et que l'on ne quitte pas si l'on y est né, au risque de voir l'illusion se dissiper. Surgi du décor peint le plus délcieusement kitsch qui se puisse concevoir, Brigadoon est aussi le lieu par excellence de la fiction et de l'art, du faux qui devient vrai par la magie de l'art, du mensonge poétique qui tisse une autre réalité, comme chez Flaubert ou Proust, maîtres avérés de Minelli. Voir ou revoir Brigadoon sur grand écran, où le Cinémascope fait rutiler ses couleurs, est un vrai bonheur que la reprise prochaine de la rétrospective de Locarno, à la Cinémathèque suisse, à Lausanne, permettra de revivre encore. *****

    Locarno1164.jpegNuvem - le poisson-lune, de Basil Da Cunha. Court métrage. Appellations suisses, 2011.

    Nuvem, Nuage, jeune homme errant dans un bidonville de Lisbonne, est l'incarnation du rêveur solitaire que tous rejettent, qu'il s'agisse de la serveuse de café pour laquelle il en pince, des joueurs de cartes du même café, de sa mère qui lui reproche sa paresse ou des habitants du bidonville qu'il défie à sa façon. Naïf et candide, il croit ceux qui lui jurent que seul un poisson-lune lui vaudra les faveurs de sa belle, mais sa quête a aussi valeur de parcours initiatique. Tenant de la fable et du poème, ce nouveau court métrage dense et très maîtrisé de Basil Da Cunha, après le déjà très remarquable À Côté, inscrit ce jeune cinéaste suisse (26 ans)  d'origine portugaise au premier rang des nouveaux réalisateurs à suivre. ***

    Locarno1175.jpgToulouse, de Lionel Baier. Road-movie. Suisse, 2010. Appellations suisses.

    Né d'un projet d'atelier de création collective avec la troupe d'amateurs de La Dentcreuze, à Aubonne, ce film s'inscrit assez naturellement, par réappropriation personnelle à forte densité poétique, dans la suite des courts et longs métrages du plus « artiste » des réalisateurs romands, dans la filiation d'un Michel Soutter. L'argument narratif du film, tenant à l'échappée d'une jeune femme (prénom Cécile, et interprétée par Julie Parazzini) désireuse de protéger sa fille Marion (Alexandra Angiolini) de la  passion dangereuse de son ami, est fragile, mais une histoire cohérente se construit bel et bien au fil de de la fugue, prétexte à de nombreuses digressions, rencontres, retours de mémoire, à travers des paysages magnifiés par le regard de l'auteur et de son cameraman, Bastien Bösiger. Après Low Cost, découvert l'an dernier à Locarno, Toulouse séduit non sans nous impatienter à l'idée d'un film de plus d'ambition où le grand talent de Baier se déployerait plus largement. ***

    Locarnokit10.jpegBachir Lazhar, de Philippe Falardeau. Comédie. Québec, 2011. Piazza Grande.

    À la suite du suicide d'une jeune enseignante, qui s'est pendue dans sa classe d'une école privée de Montréal, Bachir Lazhar, requérant d'asile algérien, se pointe à ladite école pour proposer ses services. Ceux-ci donnent satisfaction en dépit de méthodes surannées de ce drôle de prof, dont la femme écrivain engagée a été victime d'un incendie criminel, lequel a poussé Bachir à se réfugier au Canada. Sur la base d'un monologue de théâtre, Philippe Falardeau a complètement reconstruit ce drame à deux faces, dans lequel les enfants jouent un rôle aussi important que le protagoniste. Le mensonge de Bachir (qui n'a jamais été enseignant en réalité) et le jeu subtil et complexe qui se joue entre lui, les enfants, les parents de ceux-ci et les autres enseignants, donne à ce film d'émotion une résonance très singulière, non convenue en dépit des apparences et pas seulement parce qu'il bat en brèche le politiquement correct. Dès sa projection, très applaudie, la probabilité d'un Prix du public semblait s'imposer, confirmée au palmarès. ****

    Locarnokit45.jpegAbrir puertas y ventanas, de Milagros Mumenthaler. Comédie. Argentine/Suisse, 2011. Compétition internationale.

    Premier long métrage de Milagros Mumenthaler, née en Argentine mais ayant accompli ses premières écoles en Suisse avant de retourner à Buenas Aires étudier le cinéma, ce film évoque, avec beaucoup de sensibilité et de finessem les relations douces acides entre trois soeurs orphelines qui se retrouvent dans la maison familiale après la mort de la grand-mère qui les a élevées. À touches légères et très précises à la fois, jouant sur les contrastes vifs entre Marina l'étudiante responsable, Sofia toute portée sur son look et le bien-être matériel, et Violeta l'artiste et la passionnée du trio, la réalisatrice maintient une tension constante alors que tout se déroule dans une sorte de parenthèse existentielle. Quant aux traits psychologiques, on retrouve la justesse de regard d'Andrea Staka, dans La jeune fille, dans un ton plus intimiste. Le léopard d'or est revenu à ce beau film, fragile mais  assurément prometteur. ***

    Locarnokit15.jpegRomance, de Georges Schwizgebel. Film d'animation. Suisse, 2011. Piazza Grande.

    Virtuose autant qu'à l'ordinaire, Schwizgebel nous revient avec une variation picturale sur une sonate de Rachmaninov unterprétée par sa propre fille. À relever d'abord le crayonné du début du film, qui aiguise la sensation de spontanéité très rapide de l'action, évoquant le rêve d'un personnage endormi dans un avion, dont la belle voisine va le suivre et le rejoindre au dédale des désirs. Cela dure 7 minutes, 7 minutes de grâce - un peu volatile au demeurant. **

     

    Locarnokit26.jpegThe Funeral, d'Abel Ferrara. Comédie noire. USA, 1996. Hommage à Ferrara.

    Après avoir exécuté ses frangins, et plutôt deux fois qu'une, Cesarino se tire une balle dans la bouche non sans s'être exclamé, à l'adresse des femmes éplorées de la famille réunies alentour, qu'il ne pouvait tout de même pas vivre plus longtemps sans ses frères chéris. Pensées d'une logique évangélique, dans un esprit non moins logiquement dérangé,  pour une dernière scène macabre et drolatique, aussi violente et grinçante que tout ce film consacré au cycle du Mal entretenu par tradition et nécessité dans une famille bien catholique de la Maffia new yorkaise. Les questions de la folie mentale et de la grâce, autant que du mal et de la vengeance s'entrelacent dans ce film pur et dur. ****

     

    Locarnokit5.jpegMangrove, de Frédéric Choffat et Julie Gilbert. Comédie. Suisse/France, 2011. Compétition internationale.

    Ce film eût fait un court métrage parfait. Avec ses 70 minutes, sur un scénario par trop elliptique et avec un dialogue réellement insuffisant, on sent hélas le temps peser. L'argument et son développement sont à peu près crédibles, qui mettent en scène le retour, sur une plage du pacifique mexicain, d'une femme qui a vécu là un drame de sang, et son fils. Hélas, on se demande ce que fait là ce fils à peu près muet et réduit à un rôle de figuration (à l'exception de la charmante danse d'un petit crabe), et les allées et venues de la protagoniste m'auraient achevé si le film ne jouait pas, essentiellement, sur la magie nocturne d'un climat qui est celui-là même de la mangrove. Un plan enfin, le dernier, joue un sale tour à cet ouvrage qui est loin d'être sans qualités au demeurant, avec un couteau planté dans un requin mort que le spectateur peut prendre pour sa propre estocade. Aïe, mais vraiment, ce symbolisme à deux balles fait trop mal ! **

     

    Locarnokit99.jpegLe Havre, d'Aki Kaurismäki. Drame poético-social. Finlande/France/ Allemagne, 2011. Piazza Grande.

    Retour au grand cinéma d'auteur, dans le port du havre qu'on dirait repeint aux couleurs de ce peintre qu'est aussi Kaurismäki, avec des rouges à la Soutine, des verts à la Van Dongen ou à la Hopper, des bleus tendres qui s'allient naturellement avec des verts languides et des jaunes de tisanes de petites convalescences. Et ces cadrages et ces enchaînements de plans, et cette humanité des personnes incarnée sur fond d'inhumanité sociale avérée. Ah mais, Kaurismäki accorde autant d'attention fraternelle au commissaire Darroussin qu'à l'écrivain cireur de pompes Marcel Marx (André Vilms) et au petit négro immigré (Blondin Miguel), donc ça doit être un film facho pour Paulo Branco ?! Passons...

    Comme une conte d'enfance où il y a les gentils contre le méchant monde, cette fable adorable aligne les beautés (Kati Outinen, épouse de Marx frappée de maladie peut-être mortelle, en est une de haute lignée) et les bontés avec une sorte de candeur angélique qui retourne bonnement le poids du monde en chant du monde. Si j'étais critique de cinéma, je détaillerais tout ça avec les termes appropriés. Mais le public non plus n'est pas critique, et ce soir sur la Piazza on l'a senti à genoux à l'unisson, transi d'émotion. *****

    Ringo, de Yaara Sumeruk. Court métrage. USA, 2011. Léopards de demain.

    Ringo fait commerce de ses charmes auprès de ces dames, mais ce qu'il lui arrive ce jour-là le déstabilise grave. A-t-il affaire à une dingue ? En tout cas, quand cette femme qui pourrait être sa mère, au lieu de lui laisser faire son job, lui ordonne de mimer sa venue au monde, puis le traite en fils avant de le sommer de juger son père, entre autres composantes d'un jeu de rôle en crescendo, le lascar va pour se défiler, jusqu'au moment où, la femme l'ayant payé pour le simulacre, il prend tout à son compte et craque on imagine pourquoi. Genre short cut tendre acide, c'est plutôt réussi. **

    Séptimo, de Valentina Chamorro. Court métrage. Suède, 2011. Léopards de demain.

    L'évocation de cette rencontre entre deux beaux garçons, le blond et le brun, pourrait s'en tenir à une idylle délicate du rayon gay, mais d'emblée on sent qu'il y a quelque part quelquechose qui cloche du côté de Vincent, qui n'en finit pas de se raser le poil, qu'il a très dru et peut-être aussi abondant que celui du bouc ou du lion noir ? On n'en dira pas plus sur ce conte virant au fantastique à fines touches, illustrant une sorte de «différence» au carré et très maîtrisé dans sa forme. **

    Liberdade, de Gabriel Abrantes et Benjamin Crotty. Court métrage. Portugal, 2011. Léopards de demain.

    Les extérieurs saisissants de Luanda, avec ses taudis à vingt étages ouverts à tous vents, ses bords de mer aux immenses épaves de navires et son dédale de rues où court la violence la plus sauvage, constituent pour ainsi dire le premier « personnage » de cette histoire d'amour entre le jeune Angolais Liberdade et la jolie Chinoise Betty, dont on sait d'entrée de jeu que leur liaison est condamnée. Faute de scénario plus explicite, et faute aussi d'un dialogue permettant d'identifier les deux protagonistes, le film ne va pas vraiment au bout de ses intentions sûrement légitimes dans la ressaisie du métissage et ses modulations sociales et affectives. **

    Tokyo Koen, de Shinji Aoyama. Fiction psychologique. Japon, 2011. Compétition internationale.

    On pense un peu au Blow-Up d'Antonioni en suivant les chasses  photographiques de Koji, apprenti photographe , dans les jardins publics de Tokyo où il a été chargé, notamment, de filer la petite amie d'un client comme  le ferait un détective. Très élaboré, le scénario superpose les divers plans de la réalité réelle ou fantasmée, et fait se rencontrer le visible et l'invisible aux franges du fantastique, avec un contraste très nippon entre les apparences glacées et leur substrat compliqué, voire gore. Le film a impressionné le jury qui lui a accordé un léopard d'or « spécial », mais pour ma part je n'ai guère été touché. Ce doit être un manque de culture cinéphilique. Tant mieux ou tant pis ?  ***

    Saudade, de Katsuya Tomita. Fresque sociale. Japon, 2011. Compétition internationale.

    Pourquoi si long ? Voilà ce qu'on se demande après les tois heures de projection de ce film pourtant intéressant à beaucoup d'égards, et d'abord par sa façon de documenter une réalité peu connue, sur les chantiers de construction et dans la ville provinciale de Kofu où se côtoient Japonais et Brésiliens, entre autres Thaïlandais et immigrés d'autres pays. Un peu comme dans West Side Story, mais de manière beaucoup plus flottante, le récit met en scène deux communautés, japonaise d'une part et brésilienne de l'autre, qui s'expriment par le rap. Celui des Japonais est violent, politiquement agressif et même nationaliste, tandis que les Brésiliens sont plus lyriques et nostalgiques dans leur expression. Quelques personnages assez bien silhouettés, comme dans Short cuts de Rober Altman, cristallisent les thèmes du déracinement et de la dégradation des conditions de travail, de l'acculturation et des difficultés d'intégration, dans une société mondialisée aux repères flottants sur fond de consommation abrutie et de drogue. Bref, on est ici dans le docu-fiction, avec des réussites de cinéma mais décidément trop de longueurs. ***

     

    Locarnokit16.jpegSport de filles, de Patricia Lazuy. Comédie équestre. France /Allemagne, 2011. Piazza Grande.

    L'idée de montrer l'envers du milieu clinquant des courses de chevaux, avec ses tractations financières peu romantiques évidemment, était intéressante, et l'on pourrait dire que la chose est réussie dans les petites largeurs d'un téléfilm divertissant. Dans les grandes largeurs en revanche, un adjectif m'est revenu, plutôt récurrent dans la production actuelle, et précisément parce que la forme du téléfilm semble une référence, consciente ou inconsciente, quasi omniprésente - l'adjectif : paresseux. Scénar paresseux, dialogue paresseux. Les trois personnages, de la propriétaire de chevaux vacharde (Josiane Balasko), de la fille de paysan passionnée pure et dure de chevaux (Marina Hands) et de l'entraîneur de haut vol désabusé (Bruno Ganz), existent certes grâce au jeu des comédiens (un Bruno Ganz qui crève l'écran de sa présence, tout en débitant un dialogue français plutôt débile, et Marina Hands en attachante furie de très belle prestance) , mais tout ça reste carré et convenu, par trop stéréotypé, et la Piazza n'a pas vibré. **

    Locarnokit54.pngOtto e mezzo, de Federico Fellini. Film en abyme. Italie, 1963. Programmes spéciaux - hommage à Claudia Cardinale.

    Le noir et blanc est une couleur, et tout est cadeau en cet après-midi à la FEVI, avec la présence de Claudia Cardinale, la présentation de  quelques « bijoux » de pub signés par le Maestro, et la projection du chef-d'œuvre incontesté de celui-ci. Un réalisateur (Marcello Mastroianni, très nonchalamment génial de bout en bout) en crise de quarantaine aggravée, qui « déconstruit » son nouveau film au moins quinze ans avant la mode de ladite « déconstruction », des tas de femmes autour de lui plus belles les unes que les autres, de sa régulière infiniment patiente (Anouk Aimée) à sa craquante maîtresse (Sandra Milo) ou à sa muse sublime (Claudia Cardinale), et le tournage qui approche, et les souvenirs de tous les âges qui remontent, et tout ça brassé façon cinéma proustien, tout ça formellement et poétiquement maîtrisé pilpoil, tout ça bordélique et minutieusement agencé, bref c'est le bonheur et pas une ridule - et ce finale comme un générique déroulé pour toute l'œuvre de cet immense poète de cinéma qu'escorte la petite musique  popu du divin Nino Rota... *****

     

  • Ceux qui dégustent

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    Celui qui est coincé dans la file d’attente du tunnel du Gothard à bord d’un car rempli d’une trentaine de jodleurs en pleine forme / Celle qui savoure la soupe aux pois de la prison pour femmes de La Tuilière en pensant à ses cousines crevant la dalle à Yaoundé /Ceux qui se font battre au Scrabble par des bachelors sourds et muets /Celui qui essuie un grain sur son Optimist / Celle qui essuie la première goutte de sang tombée du plafond sans se douter que son voisin du dessus a été saigné grave par les dealers des Pâquis  et qu’une deuxième goutte va donc tomber sur sa table en loupe de noyer / Ceux qui endurent la colère de l’oncle puis lui font la peau pour avoir la paix en ce bel après-midi d'un 14 août à Berne la paisible / Celui qui déguste son premier émincé d’autostoppeur / Celle qui encaisse les coups de son conjoint en attendant de se disjoindre de ce con / Ceux qui laissent passer la tempête avant de lâcher un vent / Celui qui goûte les nouveaux crus de la cave de Dracula / Celle qui affirme que ses enfants adoptés lui boivent le sang / Ceux qui ont passé du socialisme réel au consumérisme surréel / Celui qui contracte un mariage blanc avec une noire aux idées rouges / Celle qui taste la vendange tardive dans le caveau qui sera muré selon ses dernières volontés / Ceux qui sont si peu  dégoûtés de goûter à tout qu’ils en chopent la goutte, etc.

     

    Image : Indermaur

  • Ceux qui se font la totale

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    Celui qui a enchaîné l’intégrale des Niebelungen et celle de l’arête de l’Aiguille Noire de Peuterey dans l’orage non moins wagnérien / Celle qui dit avoir goûté à tous les ragazzi de la Casa Matta / Ceux qui se sont tapé la rétrospective complète des films de Bette Davis jusqu’à sangloter avec elle dans All about Eve / Celui qui se repasse Le Mépris pour se faire une idée plus précise de la chose / Celle qui relit toute la série des Angélique pour assurer en amour ou en affaires / Ceux qui se refont tous les épisodes de Columbo à commencer par Le chant du cygne avec Johnny Cash / Celui qui bat le rappel de ses amantes noires pour se saouler de leur parfum / Celle qui mange les insectes qu’elle recueille au pied des baies au motif qu’eux aussi ont une âme nom de Dieu / Ceux qui se font arnaquer sur toute la ligne de coke / Celui qui a battu tous les records y compris du plus long glaviot belge / Celle qui se dit exhaustive à tous les niveaux / Ceux qui pensent à tout sauf au reste / Celui qui se dit intermittent de l'entracte / Celle qui a autant d’amants qu’il y a de jours dans la semaine y compris Dimanche qui est noir et croyant en Nyambè / Ceux qui ayant fait le tour de la Question reviennent à la case départ dont le toit de tôle prend l’eau / Celui qui se dit ouvert à toutes les solutions et finit par solutionner le Problème de la seule façon qui lui semble digne d’un réel solutionnement citoyen / Celle qui se donne tous les moyens de ses fins de mois / Ceux qui se montrent partout où il faut selon les indications de Nadine de Rotschild qu’ils n’ont jamais rencontrée sur place ainsi qu'ilsl'ont signalé à l'Agence / Celui qui fait une turbosieste dans son jet privé dont le crash le réveille avant l'heure / Celle qui remue son arrière-train dans l’arrière-tram / Ceux qui se font totalement épiler avant la crémation dans le Funeral Home top glamour, etc.

    Image: Brazil, de Terry Gilliam.