33 films du Festival de Locarno à se repasser les yeux fermés…
Amarcord, de Federico Fellini. Italie, 1973. Piazza Grande. Dans la foulée du bel hommage de la Cinémathèque suisse au Maestro, programmer ce chef-d’œuvre de poésie et de faconde malicieuse à l’italienne, en préambule à l’édition 2011 du Festival de Locarno, ravit d’autant plus que la projection sur la Piazza était ouverte à tous par entrée gratuite. Rien de gratuit évidemment dans cette merveilleuse chronique des années d’enfance et de jeunesse de Federico Fellini, qui suit et précède à la fois (dans les deux temps de la filmographie et des l’Histoire) le non moins moins mémorable Vitelloni. *****
Super 8, de J.J. Adams. Film d’ouverture. USA, 2011. Piazza Grande.
Déclaré « blockbuster de l’été », ce film de kids pour kids de tous âges a pas mal de charme, surtout dans sa première partie, évoquant les années de l’après-guerre américain avec une foison de détails pittoresques. La mise en abyme du film dans le film est également plaisante, qui voit une bande d’ados « recycler » un événement réel (un accident ferroviaire mahousse) dans le film en Super 8 qu’ils sont en train de tourner, basculant bientôt dans la SF à la Spielberg. **
Beirut Hotel, de Danielle Arbid. France/Liban, 2011. Compétition internationale.
Zoha, chanteuse libanaise (Darine Hamzé), lasse des épaisseurs de son conjoint, rêve du prince charmant « sur un volcan », ce Beyrouth d’après la guerre où débarque un avocat d’affaires français (Charles Berling) plus ou moins soupçonné d’espionnage. La relation, essentiellement charnelle et passagère pour celui-ci, frustre évidemment la belle, mais l’intérêt du film tient surtout au climat de menace et de confusion qui règne toujours sur la ville. Le scénario, un peu lâche dans son développement dramatique, et le dialogue, assez plat, limitent la qualité de la chose. **
Bez sniegu (sans neige), de Magnus von Horn. Court métrage. Pologne, 2011. Compétition Léopards de demain.
En Suède profonde, l’hiver, un groupe d’ados fous de motos et se cherchant sexuellement parlant, trouvent un bouc émissaire en la personne du plus fragile, épileptique et doué en composition, bref sûrement « pédé »... Climat « scènes de chasse » pour cette évocation sensible et puissante à la fois, finissant en tragédie. ***
Respect, de Benoît Forgeard. Court métrage. France, 2011. Compétition Léopards de demain.
Satire assez carabinée, voire grinçante que cette histoire loufoque d’un barbu vivant en couple avec l’ours en peluche géant Flippy, vedette des céréales Flip’s. L’apparition du fils de Matthieu, également accro aux sex toys de remplacement, va pousser le père à l’exécution de Flippy, en somme réjouissante. Question cinéma, ça l’est un peu moins... *
Voisins, de Josh Levinsky. Court métrage. UK, 2011. Léopards de demain.
Un humour singulier marque les relations pugilistiques (en anglais dans le texte) du protagoniste et de son voisin, qui se rencontrent tous les jours comme sur un ring ou un tatami, en aussi dansant et violent. Il y a comme un brin de perversté dans cet affrontement de mâles narcissiques, jusqu’au jour où l’un déménage. Mais les paires sont à transformations, comme les bras cassés se plâtrent. Filmage black and white de comique vintage. **
T’as une histoire ?, de Dario Jurican. Court métrage. Croatie, 2010. Léopards de demain.
Dans le genre érotico-satirique, cet aperçu d’une scène chaude virant du soft porno au hard psycho vaut son pesant d’ironie acide. L’on y voit l’amante raconter, à la demande de l’amant en mal de stiumlation, l’histoire la plus salace de son répertoire, après quoi, les rôles dûment échangés, l’amant provoque une crise de jalousie hystérique de l’amante en brodant sur une anecdote impliquant un ours. Alertée par l'amante, la mère de l'amant menace de rappliquer ! Très bon climat et perfomance appréciable des deux acteurs, sur un canevas narratif bien ressaisi par le filmage. **
Un amour de jeunesse, de Mia Hansen-Love. France/Allemagne, 2010. Compétition internationale.
La réalisatrice capte merveilleusement les composantes de cet amour irradiant la jeunesse fraîche et joyeuse à quoi participent les corps et les visages de Camille (Lola Creton, tout à fait remarquable) et Sullivan (Sebastian Urzendovsky, non moins vibant de présence). Dans la foulée, l’arrachement consécutif au départ de Sullivan impatient de « grandir », et seul, en Amérique du Sud, sa disparition progressive et la détresse croissante de Camille, est également exprimé avec intensité et justesse. Le film perd un peu de sa tension et de sa cohésion dramatique au fil de l’évolution de Camille, jamais vraiment guérie du départ de Sullivan. Reste un bel ouvrage plein de sensibilité, avec de très beaux cadrages et une fluidité narrative qui fait «chanter les plans », si l’on ose dire. Le jury de la compétition internationale a accordé une mention spéciale à ce film ***
Headhunters, de Morten Tyldum.
Norvège/Danemark/Allemagne, 2011. Piazza Grande.
Tiré de Chasseurs de tête, thriller très noir de Jo Nesbo, ce film, qui reste assez proche du roman, rend pas mal le contraste des deux protagonistes masculins : Roger le chasseur de têtes qui se croit à la coule dans le milieu de l'art où sa femme Diana (Synnove Macody Lund) étincèle, et Clas Greve le « tueur » qu'il engage au top sans se rendre compte que cela va se retourner contre lui. Si le livre prend réellement aux tripes, le film relève de la fabrication très efficace, sans plus. **
Hell, de Tim Fehlbaum. Allemagne/Suisse, 2011. Piazza Grande.
Dans le genre très largement représenté aujourd'hui des films d'après le déluge nucléaire, les clichés redondants font souvent florès. Fuite dans les décombres de quelques âmes pures, lutte pour la survie, menace latente de bandes sauvages ou même cannibales : c'était aussi le canevas du magnifique roman de Cormac McCarthy intitulé La Route, adapté au cinéma par John Hillcoat. Or le premier « long » de Tim Fehlbaum réinvestit le thème post-apocalyptique avec la même force poétique et la même quête de rédemption, jusqu'à la scène finale du salut matérialisé par l'eau de source, qui pourrait illustrer la fable de McCarthy. À relever la belle maîtrise de la mise en scène, la solidité du scénario (co-écrit par Thomas Wöbke), l'originalité de l'image de Markus Förderer aux sfumati à la Sokourov, et aussi la qualité de l'intrerprétation, notamment de la jeune Hannah Herzsprung (Marie) et d'Angela Winkler. Un talent prometteur du cinéma suisse. ***
Tahrir, de Stefano Savona. Italie, 2011. Chronique documentaire.
Au fil d'une montée en puissance magnifiquement restituée par l'image et l'effet choral des témoignages privilégiant quelques protagonistes des deux sexes, le réalisateur italien nous fait revivre, comme en immersion, du dedans et avec une proximité quasi intimiste dans le maëlstrom de la foule, les journées et les nuits cruciales qui ont abouti à la chute du Raïs égyptien. L'an dernier déjà, avec Piombo fuso, Stefano Savona avait réussi cet exploit de donner une force dramaturgique, et même une saisissante « beauté », à une chronique également explicite en matière politique. Ici, l'espoir et les menaces planant sur la révolution égyptienne sont éclairés par la dialectique des prises de parole autant que par le travail de cinéma . ****
Vol spécial, de Fernand Melgar. Suisse, 2011. Documentaire. Compétition internationale.
Après La Forteresse, qui évoquait l'épreuve vécue par les requérants d'asile dans un centre d'accueil, à leur entrée en Suisse, Fernand Melgar documente l'autre extrémité du transit des sans-papiers, au centre de détention administrative de Frambois, près de Genève, préludant aux vols spéciaux de retour dans les divers pays d'origine des demandeurs déboutés. Avec autant d'honnêteté que de clarté dans l'exposition des faits - humainement révoltants en ce qui concerne les conditions matérielle dans lesquelles les vols spéciaux se déroulent -, ce film échappe à toute forme de démagogie, autant qu'à la seule anecdote journalistique. Comme un Jean-Stéphane Bron, Fernand Melgar parvient à donner une intensité émotionnelle rare à son observation des destinées individuelles, et l'objet qui en résulte honore aussi, du pointd de vue de la forme, ce qu'on appelle le cinéma du réel. ****
Hashoter (Le policier) de Nadav Lapid. Drame social. Israël, 2011. Compétition internationale.
La première partie de ce film du jeune réalisateur israélien est excellente, qui brosse le portrait de groupe d'un unité d'élite de la police spécialisée dans la répression du terrorisme arabe. Au premier rang : un flic fringant sur le point de devenir père et qu'inquiète la tumeur d'un de ses collègues. Avec une pointe d'ironie, cette entrée en matière touche par la justesse nuancée du trait. Sur quoi le film bifurque sur la présentation de quelques jeunes révoltés qu'on dirait sortis du Grand soir de Reusser, aussi naïfs qu'exaltés, qui se lancent dans une prise d'otages de haute volée, mais à vrai dire peu crédible dans sa modulation dramatique, le scénario et les dialogues péchant tout de même. Le film est cependant intéressant par sa thématique, touchant à une faille de la société israélienne contemporaine: la pauvreté que dénoncent les jeunes militants, et par le fait que des policiers israéliens soient contraints de retourner leurs armes contre de jeunes compatriotes. À cet égard, la dernière séquence durant laquelle le regard du jeune flic s'attarde sur la révolutionnaire abattue, en dit très long. Le prix spécial du jury a récompensé ce premier long métrage de Nadav Lapid. ***
Cow-boy s & Aliens, de Jon Favreau. Western SF. USA, 2011. Piazza Grande.
Comme il en va de Super 8, cette espèce de grande BD combinant les stéréotypes du western classique et des films de science fiction dégage un certain charme dans sa mise en place, avec son bled typique à saloon et ses magnifiques paysages; et la greffe avec le monde des aliens peut amuser aussi. Cela ne compense pas pour autant la vacuité des personnages, si l'on excepte le plus puant d'entre eux, incarné par Harrison Ford, dont la psychologie de vieux briscard désabusé atteint un semblant de relief. Quant à l'idéologie consistant à identifier l'Alien au Mal venu d'ailleurs, elle s'inscrit dans le droit fil d'une «pensée» américaine qui justifie d'autant plus la violence que l'étranger, en l'occurrence, est venu pomper l'or des pionniers... **
Brigadoon, de Vincente Minelli. Comédie musicale. Etats-Unis, 1954. Rétrospective Minelli.
Brigadoon, merveilleux village d'une Ecosse de conte, est le lieu du bonheur par excellence, où l'on n'arrive jamais que par l'imagination et que l'on ne quitte pas si l'on y est né, au risque de voir l'illusion se dissiper. Surgi du décor peint le plus délcieusement kitsch qui se puisse concevoir, Brigadoon est aussi le lieu par excellence de la fiction et de l'art, du faux qui devient vrai par la magie de l'art, du mensonge poétique qui tisse une autre réalité, comme chez Flaubert ou Proust, maîtres avérés de Minelli. Voir ou revoir Brigadoon sur grand écran, où le Cinémascope fait rutiler ses couleurs, est un vrai bonheur que la reprise prochaine de la rétrospective de Locarno, à la Cinémathèque suisse, à Lausanne, permettra de revivre encore. *****
Nuvem - le poisson-lune, de Basil Da Cunha. Court métrage. Appellations suisses, 2011.
Nuvem, Nuage, jeune homme errant dans un bidonville de Lisbonne, est l'incarnation du rêveur solitaire que tous rejettent, qu'il s'agisse de la serveuse de café pour laquelle il en pince, des joueurs de cartes du même café, de sa mère qui lui reproche sa paresse ou des habitants du bidonville qu'il défie à sa façon. Naïf et candide, il croit ceux qui lui jurent que seul un poisson-lune lui vaudra les faveurs de sa belle, mais sa quête a aussi valeur de parcours initiatique. Tenant de la fable et du poème, ce nouveau court métrage dense et très maîtrisé de Basil Da Cunha, après le déjà très remarquable À Côté, inscrit ce jeune cinéaste suisse (26 ans) d'origine portugaise au premier rang des nouveaux réalisateurs à suivre. ***
Toulouse, de Lionel Baier. Road-movie. Suisse, 2010. Appellations suisses.
Né d'un projet d'atelier de création collective avec la troupe d'amateurs de La Dentcreuze, à Aubonne, ce film s'inscrit assez naturellement, par réappropriation personnelle à forte densité poétique, dans la suite des courts et longs métrages du plus « artiste » des réalisateurs romands, dans la filiation d'un Michel Soutter. L'argument narratif du film, tenant à l'échappée d'une jeune femme (prénom Cécile, et interprétée par Julie Parazzini) désireuse de protéger sa fille Marion (Alexandra Angiolini) de la passion dangereuse de son ami, est fragile, mais une histoire cohérente se construit bel et bien au fil de de la fugue, prétexte à de nombreuses digressions, rencontres, retours de mémoire, à travers des paysages magnifiés par le regard de l'auteur et de son cameraman, Bastien Bösiger. Après Low Cost, découvert l'an dernier à Locarno, Toulouse séduit non sans nous impatienter à l'idée d'un film de plus d'ambition où le grand talent de Baier se déployerait plus largement. ***
Bachir Lazhar, de Philippe Falardeau. Comédie. Québec, 2011. Piazza Grande.
À la suite du suicide d'une jeune enseignante, qui s'est pendue dans sa classe d'une école privée de Montréal, Bachir Lazhar, requérant d'asile algérien, se pointe à ladite école pour proposer ses services. Ceux-ci donnent satisfaction en dépit de méthodes surannées de ce drôle de prof, dont la femme écrivain engagée a été victime d'un incendie criminel, lequel a poussé Bachir à se réfugier au Canada. Sur la base d'un monologue de théâtre, Philippe Falardeau a complètement reconstruit ce drame à deux faces, dans lequel les enfants jouent un rôle aussi important que le protagoniste. Le mensonge de Bachir (qui n'a jamais été enseignant en réalité) et le jeu subtil et complexe qui se joue entre lui, les enfants, les parents de ceux-ci et les autres enseignants, donne à ce film d'émotion une résonance très singulière, non convenue en dépit des apparences et pas seulement parce qu'il bat en brèche le politiquement correct. Dès sa projection, très applaudie, la probabilité d'un Prix du public semblait s'imposer, confirmée au palmarès. ****
Abrir puertas y ventanas, de Milagros Mumenthaler. Comédie. Argentine/Suisse, 2011. Compétition internationale.
Premier long métrage de Milagros Mumenthaler, née en Argentine mais ayant accompli ses premières écoles en Suisse avant de retourner à Buenas Aires étudier le cinéma, ce film évoque, avec beaucoup de sensibilité et de finessem les relations douces acides entre trois soeurs orphelines qui se retrouvent dans la maison familiale après la mort de la grand-mère qui les a élevées. À touches légères et très précises à la fois, jouant sur les contrastes vifs entre Marina l'étudiante responsable, Sofia toute portée sur son look et le bien-être matériel, et Violeta l'artiste et la passionnée du trio, la réalisatrice maintient une tension constante alors que tout se déroule dans une sorte de parenthèse existentielle. Quant aux traits psychologiques, on retrouve la justesse de regard d'Andrea Staka, dans La jeune fille, dans un ton plus intimiste. Le léopard d'or est revenu à ce beau film, fragile mais assurément prometteur. ***
Romance, de Georges Schwizgebel. Film d'animation. Suisse, 2011. Piazza Grande.
Virtuose autant qu'à l'ordinaire, Schwizgebel nous revient avec une variation picturale sur une sonate de Rachmaninov unterprétée par sa propre fille. À relever d'abord le crayonné du début du film, qui aiguise la sensation de spontanéité très rapide de l'action, évoquant le rêve d'un personnage endormi dans un avion, dont la belle voisine va le suivre et le rejoindre au dédale des désirs. Cela dure 7 minutes, 7 minutes de grâce - un peu volatile au demeurant. **
The Funeral, d'Abel Ferrara. Comédie noire. USA, 1996. Hommage à Ferrara.
Après avoir exécuté ses frangins, et plutôt deux fois qu'une, Cesarino se tire une balle dans la bouche non sans s'être exclamé, à l'adresse des femmes éplorées de la famille réunies alentour, qu'il ne pouvait tout de même pas vivre plus longtemps sans ses frères chéris. Pensées d'une logique évangélique, dans un esprit non moins logiquement dérangé, pour une dernière scène macabre et drolatique, aussi violente et grinçante que tout ce film consacré au cycle du Mal entretenu par tradition et nécessité dans une famille bien catholique de la Maffia new yorkaise. Les questions de la folie mentale et de la grâce, autant que du mal et de la vengeance s'entrelacent dans ce film pur et dur. ****
Mangrove, de Frédéric Choffat et Julie Gilbert. Comédie. Suisse/France, 2011. Compétition internationale.
Ce film eût fait un court métrage parfait. Avec ses 70 minutes, sur un scénario par trop elliptique et avec un dialogue réellement insuffisant, on sent hélas le temps peser. L'argument et son développement sont à peu près crédibles, qui mettent en scène le retour, sur une plage du pacifique mexicain, d'une femme qui a vécu là un drame de sang, et son fils. Hélas, on se demande ce que fait là ce fils à peu près muet et réduit à un rôle de figuration (à l'exception de la charmante danse d'un petit crabe), et les allées et venues de la protagoniste m'auraient achevé si le film ne jouait pas, essentiellement, sur la magie nocturne d'un climat qui est celui-là même de la mangrove. Un plan enfin, le dernier, joue un sale tour à cet ouvrage qui est loin d'être sans qualités au demeurant, avec un couteau planté dans un requin mort que le spectateur peut prendre pour sa propre estocade. Aïe, mais vraiment, ce symbolisme à deux balles fait trop mal ! **
Le Havre, d'Aki Kaurismäki. Drame poético-social. Finlande/France/ Allemagne, 2011. Piazza Grande.
Retour au grand cinéma d'auteur, dans le port du havre qu'on dirait repeint aux couleurs de ce peintre qu'est aussi Kaurismäki, avec des rouges à la Soutine, des verts à la Van Dongen ou à la Hopper, des bleus tendres qui s'allient naturellement avec des verts languides et des jaunes de tisanes de petites convalescences. Et ces cadrages et ces enchaînements de plans, et cette humanité des personnes incarnée sur fond d'inhumanité sociale avérée. Ah mais, Kaurismäki accorde autant d'attention fraternelle au commissaire Darroussin qu'à l'écrivain cireur de pompes Marcel Marx (André Vilms) et au petit négro immigré (Blondin Miguel), donc ça doit être un film facho pour Paulo Branco ?! Passons...
Comme une conte d'enfance où il y a les gentils contre le méchant monde, cette fable adorable aligne les beautés (Kati Outinen, épouse de Marx frappée de maladie peut-être mortelle, en est une de haute lignée) et les bontés avec une sorte de candeur angélique qui retourne bonnement le poids du monde en chant du monde. Si j'étais critique de cinéma, je détaillerais tout ça avec les termes appropriés. Mais le public non plus n'est pas critique, et ce soir sur la Piazza on l'a senti à genoux à l'unisson, transi d'émotion. *****
Ringo, de Yaara Sumeruk. Court métrage. USA, 2011. Léopards de demain.
Ringo fait commerce de ses charmes auprès de ces dames, mais ce qu'il lui arrive ce jour-là le déstabilise grave. A-t-il affaire à une dingue ? En tout cas, quand cette femme qui pourrait être sa mère, au lieu de lui laisser faire son job, lui ordonne de mimer sa venue au monde, puis le traite en fils avant de le sommer de juger son père, entre autres composantes d'un jeu de rôle en crescendo, le lascar va pour se défiler, jusqu'au moment où, la femme l'ayant payé pour le simulacre, il prend tout à son compte et craque on imagine pourquoi. Genre short cut tendre acide, c'est plutôt réussi. **
Séptimo, de Valentina Chamorro. Court métrage. Suède, 2011. Léopards de demain.
L'évocation de cette rencontre entre deux beaux garçons, le blond et le brun, pourrait s'en tenir à une idylle délicate du rayon gay, mais d'emblée on sent qu'il y a quelque part quelquechose qui cloche du côté de Vincent, qui n'en finit pas de se raser le poil, qu'il a très dru et peut-être aussi abondant que celui du bouc ou du lion noir ? On n'en dira pas plus sur ce conte virant au fantastique à fines touches, illustrant une sorte de «différence» au carré et très maîtrisé dans sa forme. **
Liberdade, de Gabriel Abrantes et Benjamin Crotty. Court métrage. Portugal, 2011. Léopards de demain.
Les extérieurs saisissants de Luanda, avec ses taudis à vingt étages ouverts à tous vents, ses bords de mer aux immenses épaves de navires et son dédale de rues où court la violence la plus sauvage, constituent pour ainsi dire le premier « personnage » de cette histoire d'amour entre le jeune Angolais Liberdade et la jolie Chinoise Betty, dont on sait d'entrée de jeu que leur liaison est condamnée. Faute de scénario plus explicite, et faute aussi d'un dialogue permettant d'identifier les deux protagonistes, le film ne va pas vraiment au bout de ses intentions sûrement légitimes dans la ressaisie du métissage et ses modulations sociales et affectives. **
Tokyo Koen, de Shinji Aoyama. Fiction psychologique. Japon, 2011. Compétition internationale.
On pense un peu au Blow-Up d'Antonioni en suivant les chasses photographiques de Koji, apprenti photographe , dans les jardins publics de Tokyo où il a été chargé, notamment, de filer la petite amie d'un client comme le ferait un détective. Très élaboré, le scénario superpose les divers plans de la réalité réelle ou fantasmée, et fait se rencontrer le visible et l'invisible aux franges du fantastique, avec un contraste très nippon entre les apparences glacées et leur substrat compliqué, voire gore. Le film a impressionné le jury qui lui a accordé un léopard d'or « spécial », mais pour ma part je n'ai guère été touché. Ce doit être un manque de culture cinéphilique. Tant mieux ou tant pis ? ***
Saudade, de Katsuya Tomita. Fresque sociale. Japon, 2011. Compétition internationale.
Pourquoi si long ? Voilà ce qu'on se demande après les tois heures de projection de ce film pourtant intéressant à beaucoup d'égards, et d'abord par sa façon de documenter une réalité peu connue, sur les chantiers de construction et dans la ville provinciale de Kofu où se côtoient Japonais et Brésiliens, entre autres Thaïlandais et immigrés d'autres pays. Un peu comme dans West Side Story, mais de manière beaucoup plus flottante, le récit met en scène deux communautés, japonaise d'une part et brésilienne de l'autre, qui s'expriment par le rap. Celui des Japonais est violent, politiquement agressif et même nationaliste, tandis que les Brésiliens sont plus lyriques et nostalgiques dans leur expression. Quelques personnages assez bien silhouettés, comme dans Short cuts de Rober Altman, cristallisent les thèmes du déracinement et de la dégradation des conditions de travail, de l'acculturation et des difficultés d'intégration, dans une société mondialisée aux repères flottants sur fond de consommation abrutie et de drogue. Bref, on est ici dans le docu-fiction, avec des réussites de cinéma mais décidément trop de longueurs. ***
Sport de filles, de Patricia Lazuy. Comédie équestre. France /Allemagne, 2011. Piazza Grande.
L'idée de montrer l'envers du milieu clinquant des courses de chevaux, avec ses tractations financières peu romantiques évidemment, était intéressante, et l'on pourrait dire que la chose est réussie dans les petites largeurs d'un téléfilm divertissant. Dans les grandes largeurs en revanche, un adjectif m'est revenu, plutôt récurrent dans la production actuelle, et précisément parce que la forme du téléfilm semble une référence, consciente ou inconsciente, quasi omniprésente - l'adjectif : paresseux. Scénar paresseux, dialogue paresseux. Les trois personnages, de la propriétaire de chevaux vacharde (Josiane Balasko), de la fille de paysan passionnée pure et dure de chevaux (Marina Hands) et de l'entraîneur de haut vol désabusé (Bruno Ganz), existent certes grâce au jeu des comédiens (un Bruno Ganz qui crève l'écran de sa présence, tout en débitant un dialogue français plutôt débile, et Marina Hands en attachante furie de très belle prestance) , mais tout ça reste carré et convenu, par trop stéréotypé, et la Piazza n'a pas vibré. **
Otto e mezzo, de Federico Fellini. Film en abyme. Italie, 1963. Programmes spéciaux - hommage à Claudia Cardinale.
Le noir et blanc est une couleur, et tout est cadeau en cet après-midi à la FEVI, avec la présence de Claudia Cardinale, la présentation de quelques « bijoux » de pub signés par le Maestro, et la projection du chef-d'œuvre incontesté de celui-ci. Un réalisateur (Marcello Mastroianni, très nonchalamment génial de bout en bout) en crise de quarantaine aggravée, qui « déconstruit » son nouveau film au moins quinze ans avant la mode de ladite « déconstruction », des tas de femmes autour de lui plus belles les unes que les autres, de sa régulière infiniment patiente (Anouk Aimée) à sa craquante maîtresse (Sandra Milo) ou à sa muse sublime (Claudia Cardinale), et le tournage qui approche, et les souvenirs de tous les âges qui remontent, et tout ça brassé façon cinéma proustien, tout ça formellement et poétiquement maîtrisé pilpoil, tout ça bordélique et minutieusement agencé, bref c'est le bonheur et pas une ridule - et ce finale comme un générique déroulé pour toute l'œuvre de cet immense poète de cinéma qu'escorte la petite musique popu du divin Nino Rota... *****