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  • Sédition de la mémoire

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    À découvrir: Le magasin de curiosités, de Jean-Daniel Dupuy
    Les alluvions du Temps, comme ceux des autres grands fleuves que forment les rivières nourries par les torrents et dès les sources parfois où des fées jettent baguettes et escarboucles – les alluvions charrient des trésors que de jeunes mendiants et de vieilles antiquaires se disputent et qui finissent en petits tas le long des rues pauvres, sur les étals des foires ou dans les brocantes, les boutiques plus luxueuses, parfois même les ventes aux enchères internationales où tel angelot baroque du XVIIe se vendra des milliers de dollars après avoir été dégoté dans un bric-à-brac de Séville ou aux puces madrilènes qu’on appelle là-bas El Rastro.

    Le grand écrivain espagnol Ramon Gomez De La Serna a consacré tout un ouvrage au Rastro (paru en 1914 et réédité maintes fois, jusqu’en 2002 aux éditions Galaxia Gutenberg/Circulo de Lectores, avec les photographies de Carlos Saura) , mais c’est dans L’Homme perdu (André Dimanche, 2001) que Jean-Daniel Dupuy a trouvé le déclencheur poétique d’un roman actuellement en chantier, dont un extrait a été publié en juillet 2010 dans Le Passe-Muraille sous le titre de Noctogrammes, et d'où il a tiré un chapitre autonome pour en faire l’objet d’un livre récement paru, Le magasin de curiosités, admirablement typographié et adorné par les éditions AENCRAGES & Co de Baume-les-Dames.

    La mise en vente du Magasin de curiosités du sieur Tristan Lhomme, tenancier de la maison depuis 55 ans, et la présentation, à cette occasion, de huit de ses Lots, du numéro 021 (Matériel de tricheur) au numéro 555 (Bestiaire excentrique), est à la fois l’occasion de déployer les multiples « décors » à transformations d’un Locus Solus féerique, et de développer une suite de récits oniriques marquant le même goût « pour l’étrange et l’inédit » que les objets collectionnés, tels le « matériel de dévampirisation », les jeux de triche sophistiqués (dont la pièce à triple face), les ouvrages rares (Propriétés du vice du fameux Athanor Erdanase), et tout un fatras zoomorphique ou para-industriel (les « mécanique de peur ») qui apparaît au fil des rêves hantés par des personnages récurrents à commencer par Elle, qui s’appelle tantôt Barizza, Annayala ou Sonietcha, selon la couleur du songe ou son parfum.

    Tout cela pourrait parfois sembler gratuit, mais une intense poésie se dégage progressivement de cette rêverie à la topologie recoupant parfois celle d’Invention des autres jours (Attila, 2009), par exemple lorsqu’on franchit la rivière Suave ou qu’on se pointe à l’Hôtel Moderne. En outre un réjouissant esprit de sédition couve et court à travers le livre, contre la Force d’Occupation dont on a compris dès la première page qu’elle fonde « la réalité du monde».

    « Je collectionne de mots, des vagues de souvenirs, des fleurs sauvages et des eaux fortes, des présupposés, des phases de lune, des utopies noctures, des armes, des graines de beauté, des flacons d’ivresse, des bleuités, des susdits, des objets petits et gros », annonce Tristan Lhomme au seuil du Magasin de Curiosités qui a « fonction de contredire la réalité du monde, la soumission, l’oubli et la mort ». Et de préciser : « Archaïque architecture des songes, cette boutique n’aurait jamais dû exister : elle contrariait l’ordre des choses »

    Il y a de l’auberge espagnole dans Le magasin de curiosités, qui demande au lecteur une participation de fantaisie et d’imagination, un brin de folie aussi, de l’attention vive et le sens de l’humour sans brides. Si l’auteur fournit les résilles « dont l’unique fonction est de capturer le visible », encore faut-il un moindre effort pour déceler la part invisible du livre, interroger « la nature de la luminescence observé chez le hareng mort » ou tirer enseignement de la « constante insurrection des poissons-chats qui survivent au fond des lacs. »

    Pourquoi le commerce de l’eau est-il déclaré interdit dans la cité capitale, et que vise le mouvement insurrectionnel déclenché à l’enseigne du refoulement des ténèbres ? C’est la question que pose aussi ce livre au doux délire puissamment évocateur et parfumé (notamment par un distillateur asiate raffiné), dont les trouvailles poétiques et les images, les multiples figures narratives ou musicales et rythmiques, plastiques pour l’exercice de l’œil ou biotoniques pour celui du mental, du parapsychique ou de l’hypermnésique, font florès.

    « Tenia tan mala memoria, que un dia se olvido de que tenia mala memoria, y empezo a recordarlo todo », écrivait Ramon Gomez de La Serna. Ce que le poisson-chat traduit en ces mots avec l'aide de Sophie Kuffer: «Il avait tellement mauvaise mémoire qu’un jour il oublia qu’il avait mauvaise mémoire, et commenca de se souvenir de tout »…

    Dupuy7.jpgJean-Daniel Dupuy. Le Magasin de curiosités. AEncrages & Co, 54p.

  • Ceux qui se font du cinéma

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    Celui qui court après son ombre diluée par les spots /Celle qui accepte toujours trop d’interviews pour pouvoir en refuser assez / Ceux qui stressent à l’idée de ne pas speeder / Celui qui fait jouer son carnet d’adresses pour entrer gratos / Celle qui se réseaute all-casting /Ceux qui se font des toiles entre les lignes / Celui qui se sent moins obscur dans les salles noires / Celle qui est venue de Saint-Gall pour offrir un pain de poires typique à Ornella Muti / Ceux qui se battent au couteau au bord de la piscine genre Bigger Splash dont les eaux turquoises feront un beau contraste avec le rouge du sang giclé / Celui qui lit les chroniques de feu Serge Daney dans les vasque de la Maggia / Celle qui s’inquiète de ne pas recevoir de SMS de son fiston en camp WWF alors que sur l’écran de la Piazza les Miss se font éviscérer grave / Ceux qui se font leur propre film sans sortir de leur chambre agrandie par les effets du scotch / Celui qui se dit « en festival » comme sa secrétaire le dit « en conférence » / Celle qui reconnaît l’ex de son ami de lycée avec laquelle est parti son ex à elle après une soirée sur la Piazza Grande où se donnait La vie des autres / Ceux qui sont déçus en découvrant des penchants hitlériens au compagnon du patron du restau branché Da Renzo / Celui qui évoque ses amours à la Noémie Lvovksy qu’il aurait d’ailleurs pu rencontrer s’il en avait eu l’âge mais ça se choisit pas / Celle qui va de salle en salle sans cesser de se laver les mains entre deux / Ceux qui trouvent tout super pour ne pas regretter le prix de l’abonnement / Celui qui ne voit que les mauvais aspects des bons films / Celle qui s’affiche avec un candidat aux Léopards de demain en parlant fort pour si jamais / Ceux qui estiment que les festivaliers illustrent l’esprit grégaire typique de la société du spectacle comme l’ont bien vu un Guy Debord puis un Philippe Muray tous deux hélas décédés pour des excès d’alcool et de tabac / Celui qui aime les rituels locarnais genre lemoncino sur la Piazza ou petits dèjes à l’hôtel où l’on se raconte les films de la veille / Celle qui a vécu intensément la dernière journée de Satché dans Aujourd’hui le beau film tendre et mélancolique du Sénégalais Alain Doumis / Ceux qui se levant très tôt rencontrent au bord du lac ceux qui ne se sont pas couchés et parfois cela débouche sur une séquence aussi douce que celle de la toute fin de Festen…

    Image: une scène d'Aujourd'hui, film d'Alain Gomis.

  • Massacre sur la Piazza

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    En première mondiale, le nouveau film de Michael Steiner (Mon nom est Eugen et Grounding) combine glamour sexy et gore grinçant. La  Miss Suisse  Nadine Vinzens fait partie du casting réunissant 16 beautés…

    Le nom de Michael Steiner, réalisateur alémanique de 43 ans, s’est imposé en 2006 au premier rang du nouveau cinéma suisse. D’abord avec les chenapans à la Harry Potter de Mon nom est Eugène, plébiscité par plus de 500.000 spectateurs et gratifié du Prix du cinéma suisse à Soleure. Puis avec Grounding, mémorable docu-fiction consacré à l’effondrement de la Swissair. Six ans plus tard, après Sennentuntschi, film d’horreur combinant légende alpestre et réalité glauque, le quadra et son complice scénariste Michael Sauter poursuivent leur exploration des «genres» avec une comédie rose et noire. Entretien.     

    LocarnoSteiner2.jpeg- Quel est, Michael Steiner, le point de départ de ce nouveau film ? Pourquoi vous être intéressé aux Miss, et qu’en est-il de l’intrigue ?

    - Les concours de beauté ont quelque chose de fascinant, entre rêve et désillusion, et j’ai toujours eu un faible pour les minorités. Or il me semble qu’un réalisateur suisse doit se colleter une fois ou l’autre avec la réalité des minorités. C’est pourquoi j’ai embarqué 16 Miss sur une île, où elles vont être agressées par un tueur. Cela pose conjointement la  grave question de savoir si les Miss peuvent être sauvées de la disparition…

    - Comment avez-vous choisi les interprètes du film ? De vraies Miss figurent-elles dans le casting ?

    - Absolument: Nadine Vinzens a été Miss Suisse. Mais le casting n’a pas joué sur ce seul critère. Nous avons auditionné plus de 200 jeunes dames et notre choix ne s’est fait que sur leur talent. C’est ainsi que nous débarquons avec une brochette d’illustres inconnues, ce qui comporte évidemment un gros risque. Mais je crois à notre casting !

    - Pourquoi avez-vous choisi de tourner Das Missen Massaker en Thaïlande ?

    - Parce que l’histoire se passe sur une île exotique du nom de Gapo Guapo, dans l’atoll de Tanga. Et puis, de tous les pays du Sud-est asiatique, la Thaïlande dispose de la meilleure infrastructure pour tourner des films.

    - Comment l’équipe du film a t-elle vécu le tournage?

    - Nous avons tourné dans trois lieux différents, à l’écart des hordes de touristes, en plein milieu de la Thaïlande. Le tournage a été très éprouvant en raison du climat, mais l’entente de cette bande de Suisses parachutés au bout de nulle part a été parfaite. Ce qui est sûr, c’est que tous les participants ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour faire un bon film.

    - Cela vous a-t-il amusé, comme dans My Name is Eugen,  de jouer avec des stéréotypes et autres « clichés » ?

    - Bien entendu. Comme toutes les minorités, en Suisse, les Miss ont leurs stigmates. Et cela me plaît de jouer avec ça…

    - Y a-t-il un lien entre Sennentuntschi, votre film précédent, et celui-ci Et qu’en est-il de votre hommage à Dario Argento ? 

    - Non, il n’y a pas de lien direct entre Sennentunstchi et ce nouveau film. Das Missen Massaker est un croisement des genres de la comédie et du film d’horreur. On y trouve des citations de classiques américains et pas mal d’emprunts, aussi, au cinéma policier italien. C’est d’ailleurs à ce titre qu’une scène rend un hommage explicite à Dario Argento.

    - Est-il important pour vous d’être accueilli sur la Piazza Grande?

    - Oui, et d’autant plus que ce film, par son décor et sa thématique, représente un nouveau défi.  Je trouve excitant d’avoir un public aussi mélangé pour la première mondiale, et je suis très curieux de voir les réactions…

    Das Missen Massaker. Piazza Grande, vendredi 10 août, à 21h30. Suivi de Bonjour tristesse d’Otto Preminger.

  • Le passage du divo

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    Gael Garcia Bernal honoré sur la Piazza Grande. Où a été projeté mercredi soir le film politique No, du Chilien Paul Larrain, illustrant admirablement les équivoques de nos sociétés. Le léopard d’or se cherche encore à Locarno.  À deux jours de la conclusion, les pronostics sont incertains. Mais la compétition internationale affiche un bon niveau.

     

    Des jeunotes en folie ont accueilli mercredi soir le « divo » mexicain Gael Garcia Bernal sur la Piazza Grande archicomble, avant la projection de No, film politique mais grand public du Chilien Paul Larrain. Magnifique mise en scène, formidable interprétation de Bernal,  thème en phase parfaite avec notre époque ambiguë au possible : comment le dictateur Pinochet se fait virer par le truchement d’une campagne publicitaire. 

     

    LocarnoBrizé.jpg« Vous êtes le jury ! », scandent les affiches géantes du Prix du public, qui pourrait bien revenir à ce film. À moins que la Piazza plébiscite plutôt Quelques heures de printemps du Français Stéphane Brizé, grand moment d’émotion pure et dure, filtrée par une Hélène Vincent bouleversante et un Vincent Lindon saisissant lui aussi de vérité.

    LocarnoMobile2.jpgEt la compétition internationale dans tout ça ? Sans préjuger des décisions d’un jury de « pros » présidé par le très estimé réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, elle a réservé de belles découvertes. À commencer par Starlet du quadra américain Sean Baker, belle confrontation entre deux femmes, la vieille dame à chihuahua et Jane la jeune défoncée. Autre paire émouvante dans un film de haute sensibilité : les deux protagonmistes de Der Glanz des Tages des Autrichiens Tizza Covi et Rainer Frimmel. Ou dans un registre plus frais : les deux glandeurs, genre Vitelloni, de Mobile Home du Belge François Pirot. Du couple on passe au trio, toujours en finesse, dans Une Estonienne à Paris d’Illmaar Raag, avec Jeanne Moreau.

    LocarnoMettler.jpgCôté Suisses, le désolant pseudo-docu Image Problem de Simon Baumann et Andreas Pfiffner semble d’avance hors-course, alors que la grande fresque poético-philosophique de Peter Mettler, The End of Time, aux images splendides mais flatteuses  à la Yann Arthus Bertrand, paraît déplacée dans cette sélection…

    À l'enseigne de  Cinéastes du présent, deuxième concours international, les décisions du jury présidé par le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun seront probablement plus épineuses, dont ondoute qu’elles offrent la moindre chance au Tessinois Niccolò Castelli pour Tutti Giù. Enfin, ce qui paraît sûr est que les Léopards de demain, couronnant des courts métrages de réalisateurs prometteurs, brilleront en section internationale alors que la sélection suisse s’est fait remarquer par sa platitude.

    Au demeurant, le palmarès de Locarno, festival éminemment public brassant les âges et les langues (où les accents romands sont très présents !), ne se borne pas aux prix attribués. De Maire en Père, avec la bénédiction du Président Marco Solari, ce festival éminemment convivial reste jeune au tournant de sa 65e édition… 

  • Jeunes et lisses à la glisse

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    Le jeune cinéma suisse à Locarno, entre (trop) belle image et vacuité... 

    Tutti giù de Niccolò Castelli reflète le malaise latent d’une jeunesse lisse et qui glisse, parfois, vers l’abîme. Où la rejoignent les courts métrages indigents présentés à Locarno… 

    Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils vivent dans une société privilégiée, et pourtant il y a du malaise dans l’air. Chiara la championne de ski au joli minois (Lara Gut) n’en peut plus de voir sa mère la « gérer » comme une affaire d’avenir. Jullo (Yanick Cohades) est aussi à l’aise sur son rollerskate que dans les bras des filles, mais les médecins lui découvrent un cœur menacé d’explosion nécessitant une greffe. Quant à Edo (Nicola Perot), l’artiste farouche à capuche, il exprime sa révolte en couvrant les murs de tags avant de se faire massacrer en pleine rue pour rien, juste parce qu’il se trouvait là – et l’on pense au malheureux Capverdien tué à Lausanne dans les mêmes affreuse circonstances, la veille de la projection de Tutti giù à Locarno...

    LocarnoTutti.jpgLocarnoTutti1.jpgEn compétition internationale, ce premier long métrage de Niccolò Castelli (né en 1982 à Lugano) relève de la chronique actuelle focalisée sur de très jeunes gens, rappelant donc Ken Park de Larry Clark, en plus lisse ou, plus près de nous, Garçon stupide de Lionel Baier, en moins aigu et personnel, et la série de Romans d’ados. Alignant avec lyrisme des images qui exaltent la jeunesse dancingo-sportive (entre compète de ski, folles courses de rollers et matches de hockey) sur un rythme scandé par le rock et le rap, genre vidéo-clip, Castelli rend bien le labyrinthe urbain de Lugano cerné de paysage sublimes mais n’échappant pas à une menace latente.  Or, l’évocation parallèle de trois expériences lancinantes de la solitude, dans un milieu apparemment « tout feu tout fun », est rendue avec une sensibilité qui passe plus par les images et la musique que par les mots, avec une belle sensualité.  Comme souvent dans le jeune cinéma, la maîtrise technique en impose, jusqu’au trop léché. L’image de Pietro Zuercher est somptueuse, notamment dans sa façonde de rendre la nuit luganaise ou de cadrer visages et postures. La musique des rockers tessinois de Kovlo ajoute un tonus rythmique et parfois dramatique au film, et  la direction des acteurs compense le caractère stéréotypé des personnages.

    À cet égard, la surmédiatisée Lara Gut apparaît ici en toute simplicité, belle et juste dans toutes ses attitudes, même si son personnage de Chiara Merz frise l’esquisse. Même chose pour le personnage du tagueur Edo, sauvé par le charme ombrageux de Nicola Perot, alors que l’agression qu’il subit est pour ainsi dire évacuée du scénario. Quant au jeune Nyonnais Yanick Cohades, il fait figure de révélation dans le rôle plus élaboré de Jullo, dont la formidable vitalité est soudain brisée par la menace terrible (et symbolique) de son cœur en expansion. De la même façon, une réelle émotion se dégage, dans le groupe de ses potes, au moment où il révèle la nature de son mal. Film choral fondé sur la culture « djeune », Tutti giù reste assez superficiel et convenu dans ses observations, mais son énergie expressive et sa vibration émotive sauvent la mise. Rien en tout cas de la vision mortifère, prétentieuse ou vide de certains aspirants cinéastes de la relève…

    Une cuvée déplorable

    Les écoles de cinéma suisse ont-elles un problème ? C’est ce qu’on pourrait se demander en découvrant la sélection nationale 2012 des Léopards de demain, dont certains des courts métrages frisent le degré zéro. Encore L’Amour bègue de Jan Czarlewski, produite par l’ECAL, séduit-il par un filmage élégant et une interprétation sensible modulant en finesse le thème du handicap verbal. De la même façon, Homo Sapiens cyborg du Tessinois Stefano Mosimann en «jette» plastiquement dans ses fusions visuelles à la David Lynch. Mais le reste de la sélection nous a paru bien faible, atteignant le fond de la vacuité déprimée avec Il vulcano d’Alice Riva, évoquant l’errance hagarde d’un jeune probablement en quête du sens de «tout ça», et pire: dans lamina de Christian Schanz, atteignant un sommet d’indigence pseudo-symboliste avec son yéti de peluche marron dans le désert et sa femme gobant des abeilles crues…

     

    Locarno13.jpgEmotions sur la Piazza Grande

    La Piazza Grande n’est pas tout le festival, mais la magie nocturne en est incomparable sous les étoiles. Au fil de cette 65e édition, quelques moments forts y ont été vécus en prélude aux films de la soirée, dont le choix voulu « grand public » laisse parfois songeur. Ainsi, lundi soir, de l’accrocheuse comédie américaine de Leslye Headland intitulée Bachelorette, dont l’hystérie vulgaire contrastait pour le moins avec le véritable événement du jour: l’apparition, sur la grande scène, devant 8000 spectateurs, du grand chanteur et comédien Harry Belafonte, seigneur de 82 ans au lumineux sourire, dont un clip de présentation évoquait la carrière parralléle de militants des droits civiques.

    Belafonte.jpg Rappelant le mérite d’Otto Preminger (dont la rétrospective fait le plein des salles) qui a tourné avec lui Carmen Jones en 1954, où tous les rôles de l’opéra de Bizet sont chantés par des Noirs, Harry Belafonte s’est livré à une belle profession de foi à la gloire de l’art rapprochant les hommes. Or la veille, le même message, assorti d’une minute de silence en hommage aux civils Maliens massacrés ces jours, avait été adressé au public de la Piazza par le grand cinéaste africain  Souleymane Cissé, auteur du mythique Yeleen. Ce soir enfin, le fameux acteur mexicain Gael Garcia Bernal, interprète principal du film chilien No, de Pablo Larrain, évoquant la fin de la dictature de Pinochet, devrait marquer la Piazza de sa présence à la réception de son Excellence Award…  

  • Michel Polac côté jardin

    littérature,journal intimeLe polémiste Michel Polac est mort à l'âge de 82 ans. A la fois journaliste, écrivain, cinéaste et trublion du petit écran, il avait créé en 1955 l'émission de radio Le Masque et la Plume sur France Inter, qu'il avait animée jusqu'en 1970. En 1981, il avait créé Droit de réponse, un talk-show provocateur et enfumé sur TF1. Présentateur de plusieurs émissions littéraires à la télévision, il avait également produit et réalisé des documentaires, notamment sur Céline. Il avait ensuite fait son grand retour sur France 2 en 2006-2007, formant avec Eric Zemmour un duo de polémistes redoutés dans. Il avait également longtemps fait une chronique littéraire dans Charlie Hebdo ».

    Michel Polac avait publié son premier roman La Vie incertaine, chez Gallimard, en 1956. Dans sa préface, l'auteur confesse : « On peut dire que j'écrivais pour ne pas me suicider. » Le propos n'étonnera pas les détracteurs du râleur. Les autres se diront que cet éternel pessimiste a mené sa barque, jusqu'à ses réunions de papys flingueurs avec ses vieux potes de Charlie Hebdo...

    littérature,journal intimeUne visite, en janvier 2000, à propos du Journal.

    L’antre de l’ours est le moins tape-à-l’œil qui se puisse imaginer. A l’étage d’une maison blanche, c’est tout intime et modeste, dans le genre bon vieux goût personnel de campagnol humaniste. L’homme est naturel au possible, un peu réservé d’abord, puis les yeux pétillants de malice. A ses côtés m’attendait Pierre-Emmanuel Dauzat, plantureux quadra au visage et aux yeux de bon bougre, autre genre de phénomène puisque ce familier des Pères de l’Eglise, qui a publié 250 traductions en vingt ans, pratique au moins dix-huit langues européennes et a « traité » quelque 800 pages par jour du monumental Journal, en trois semaines.
    Michel Polac se traite volontiers lui-même de fainéant, pourtant cet Oblomov à savates en peau de chèvre a rédigé, de 1980 à 1998, l’équivalent de 20.000 pages dactylographiées dans ce seul Journal. Quand je lui demande ce que ça fait de voir son texte retaillé par un tiers, il me répond que ça lui a permis d’y revenir comme s’il s’agissait de l’ouvrage d’un autre, en s’étonnant lui-même de son impudeur ou en souffrant de s’y voir souffrir.
    « J’ai commencé par lire la dernière année », m’explique Pierre-Emmanuel Dauzat, «où il m’est apparu que tous les grands thèmes étaient là: l’idée du suicide, le rêve de l’œuvre à faire, les lectures, les maîtresses, la parano, la maladie, la mort de la mère ; et c’est ce faisceau de thèmes qui, ensuite, a induit mon travail de réduction ».
    Celui-ci fait la part belle, aussi, aux préoccupations métaphysiques de Michel Polac, auteur d’un essai inédit intitulé Le Dieu impossible.
    « La question du sens de la vie m’a toujours hanté », poursuit alors l’affreux-jojo septuagénaire qui n’a jamais reçu la moindre éducation religieuse. « Vous y croirez ou non, mais la lecture de Teilhard de Chardin m’a fait un choc. Pourtant cette conception mystique de Dieu m’a toujours paru trop optimiste. Si je parle d’un «Dieu impossible», c’est que je perçois cette réalité comme insaisissable ».

    En l’écoutant parler, j’oublie le personnage public à dégaine de provocateur, retrouvant l’homme blessé de son Journal dont le parcours n’a rien de clinquant. Je le vois, tel qu’il se décrit, dans son jardin languedocien de La Borie, qui observe la rencontre d’un criquet unijambiste et d’une sauterelle, ou je me le rappelle qui raconte la longue, lente, insupportable fin de sa mère à laquelle il voue un tenace mélange de haine-amour. Du petit Juif humilié sous l’Occupation, marqué par la déportation de son père et la froideur de sa mère, à l’adolescent solitaire et tourmenté avide d’absolu, ou au routard de 20 ans et au traîne-patins de la bohème parisienne passé maître dans l’art de défaire ce qui a été fait, j’entends une voix mal assurée, angoissée, émouvante, sous les propos qu’il balance crânement à la cantonade : « J’emmerde les artistes, je n’ai pas de fonction, pas de don. Je suis un chercheur de vérité (j’étais) qui ne s’est jamais identifié avec les rôles qu’il a joués ou qu’on lui a proposés ».

  • Un Lausannois à Locarno

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    Jean-Luc Borgeat participe à un film dur et poignant de Stéphane Brizé: Quelques heures de printemps, avec Hélène Vincent, Vincent Lindon, Emmanuelle Seigner et Olivier Perrier, notamment.

    L’émotion était au rendez-vous dimanche soir sur la Piazza Grande, ou pour beaucoup dans la salle de la FEVI  où la projection était doublée pour cause de pluie. À l’affiche, après un bref hommage au cinéma africain subsaharien présent à l’enseigne de la section Open Doors : le nouveau film de Stéphane Brizé, Quelques heures de printemps, avec Hélène Vincent et Vincent Lindon. Deux heures de cinéma à la fois très dur et hypersenible, d’une densité humaine exceptionnelle et d’une rigueur égale dans la réalisation. Argument du film : la confrontation d’Alain (Vincent Lindon), grand con de routier sorti de prison après une condamnation pour trafic illicite, et de sa vieille mère (Hélène Vincent) aussi butée que lui mais fragilisée par une tumeur au cerveau. Entre eux : le tas informe d’un chien baveux qui les rapprochera contre toute attente ; un voisin compatissant, un pote de bowling, une belle joueuse de boules (Emmanuelle Seigner). Et deux acteurs romands, Véronique Montel et Jean-Luc Borgeat, pour incarner les assistants d’une association d’auto-délivrance genre Exit. Le film s’achève en effet en Suisse sur la décision de la vieille dame d’échapper à l’agonie annoncée.

    Choisi par casting pour le réalisateur en quête d’acteurs à l’accent suisse ( ?!), Jean-Luc Borgeat, quinqua d’origine valaisanne mais établi à  Lausanne depuis des lustres - l’un de nos meilleurs comédiens, notamment attaché au jeune théâtre – a été choisi et dit avoir vécu, avec l’équipe de Stéphane Brizé, une expérience humaine hors du commun.

    « Stéphane dit que ce qui lui importe essentiellement est de filmer la vie. Après une première prise, il nous a tous dégommés. Puis quelque chose s’est passé entre nous. Et après la troisième prise, visionnée par Vincent Lindon, celui-ci s’est exclamé que c’était énorme ! Que Brizé était le seul réalisateur français à oser faire un tel plan-séquence, avant de me dire que ce que j’avais fait était incroyable… »

    Egalement criante de vérité dans l’avant-dernière séquence, Véronique Montel semble coulée dans le moule de suavité propre-en-ordre des assistants du bon Dr Sobel. Rien pour autant de la charge caricaturale dans l’image donnée par le film de l’association documentée par Fernand Melgar. Et la dernière séquence, poignante à pleurer, marque un dernier contrepoint avec les affrontements parfois insoutenable du fils à « tête de lard » et de sa mère.

    «Ce que je souhaite », conclut Jean-Luc Borgeat, c’est qu’Hélène Vincent décroche un César pour son interprétation »… 

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