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  • Ceux qui sont Top Glamour

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    Celui qui tient un garage à Glasgow et se rend au Club Paradise avec un futal de simili-cuir noir à derrière ajouré en rond-de-lune / Celle qui est juchée sur des talons aiguilles bonnes à tricoter les moquettes / Ceux qui accèdent enfin à la mousse-party dont ils rêvaient dans le Borinage / Celui qui se sape en Marine U.S. selon le Dress Code Military et sa femme Hildegarde en majorette / Celle qui a pas mal économisé pour se payer sa tunique à paillettes genre Salomé le Retour  / Ceux qu’on refoule à l’entrée au motif qu’ils ont l’air de salafistes / Celui qui remonte la contre-allée du Jardin d’Eden en tenue de prêcheur nu / Celle qui dit qu’elle se sent plus vivante avec trois mecs qu’avec deux / Ceux qui se disent libertins tendance Onfray / Celui qui observe son prochain et ses prochaines avec la même affectueuse attention que le rabbi Iéshoua voue aux brebis bien garées ou parfois égarées / Celle qui voit dans les méduses échouées le long du rivages des restes d’âmes perdues / Celui qui pose pour un Poséidon en marshmallow / Celle qui en pince pour le marchande de glaces comme sa bisaïeule en 1923 à La Baule / Ceux qui ont cru reconnaître DSK au Club Paradise mais ce devaient être des libertins sarkozystes / Celui que n’a jamais attiré l’orgie petite-bourgeoise franco-batave ni le karaoké à la bavaroise / Celle qui serait prête à sortir des euros pour se faire un Grec / Ceux qui se marrent en dénombrant les interdits frappant l’entrée au Club Paradise genre pantalon pas accepté pour Madame et Dress Code élégant pour lui / Celui qui rougit de plaisir dans la Zone marquée Red / Celle qui recourt à la géolocalisation pour trouver les libertins les plus proches dans la garrigue où rôde aussi l’émigré à ne pas confondre / Ceux qui ont le diable au corps et le cul bordé de nouilles / Celui qui trouve ses plus grandes jouissances dans l’aquarelle et la marche en forêt avec une âme sœur / Celle qui prend volontiers son pied mais en quoi ça vous regarde ? / Ceux qui sont trop sensibles au chant du monde pour en gâcher la mélodie en cette fin de journée belle, etc.

    Image : Terry Rodgers                

     

  • Raccourcis de la fiction

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    Sur une nouvelle noire en chantier. De la difficulté de dire le crime en littérature. D’un roman américain terrifiant de Donald Ray Pollock. Des effets de réel via le nuage numérique et Facebook.

    Au Cap d’Agde, Studio Glamour, ce mercredi 23 mai. – Mon ami le Gitan  m’ayant réclamé hier la nouvelle que je lui ai promise il y a quelque temps pour un recueil collectif intitulé Léman noir, je me suis attelé ce matin à cette histoire que je mijote depuis des mois et où il sera question de jalousie, d’âge et de criminalité littéraire. En bref, c’est la story d’un critique littéraire vieillissant ferré en matière de roman noir, qui fait par hasard la connaissance d’un jeune Black écrivain impatient de se faire un nom dans le genre et qui, après diverses rencontres, lui soumet son premier manuscrit, captivant à maints égards mais manquant de crédibilité dans l’évocation d’un meurtre par jalousie et dans le récit des années de taule du protagoniste. J’avais amorcé la réflexion sur le sujet du meurtre en littérature lors d’un voyage en train, entre Salzbourg et  Vienne où, lisant La force de tuer de Lars Noren dans le wagon-bar, la conversation s’était engagée avec un jeune type qui, assis en face de moi et intrigué par le titre du livre, s’était risqué à interrompre ma lecture en dépit de mon air revêche… Ensuite le dialogue avait été assez carabiné car j’avais poussé mon interlocuteur sur un terrain qui ne lui était pas familier en lui suggérant, sans cesser de lui poser des questions de plus en plus personnelles, de se représenter toutes les situations qui pourraient le faire sortir de sa vie ordinaire de fonctionnaire et le pousser à l’acte criminel.

    Ce qui m’intéresse plus particulièrement, en l’occurrence, c’est la grande différence d’âge entre le vieux briscard lecteur et l’auteur dans la vingtaine, le fait que le premier soit très cultivé à l’ancienne et de race blanche, tandis que l’autre est un jeune Africain  ambitieux, à la fois intelligent et très instinctif, incarnant la vie même aux yeux du vieux hibou. Ce sont donc deux sphères mimétiques  qui se superposent dans la même brève histoire noire, qui finit par le meurtre (fictif) du jeune Noir étranglé par le narrateur de manière littérairement crédible.  

    Cela s’intitulera Black is Blacky et tel est l’incipit : « Prendre la vie de quelqu’un est une chose énorme, avais-je dit à Blacky, mais il semblait ne pas entendre »…

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    Prendre la vie : c’est un leitmotiv omniprésent dans la fiction noire actuelle, où la figure du serial killer s’est développée de manière exponentielle et significative, que Jean-Patrick Manchette expliquait par la tendance à diluer toute responsabilité personnelle dans la sauce des explications psycho-socio-historiques – de crimes en série en crimes de masse. Or on se retrouve dans une sorte d’atmosphère primitive, à coloration biblique, dans la suite de morts atroces relatées dans Le Diable, tout le temps, roman américain récent (2011 en v.o.) précédé d’une rumeur médiatique et publicitaire assimilant l’auteur, Donald Ray Pollock,  à Flannery O’Connor ou Cormac Mc Carthy. 

    Je n’ai lu jusque-là que les 100 premières pages de ce roman effectivement terrifiant, qui mériterait parfaitement la formule de « fantastique social » inventée pour le Voyage de Céline par Guido Ceronetti, mais j’attends d’avoir lu les 369 pages de ce roman pour confirmer son apparentement avec Flannery O’Connor, qui ne me semble justifié qu’en surface.

    De fait, la folie « mystique » de Willard Rusell, qui revient en 1945 dans son Ohio natal après avoir dû achever un marine crucifié par les Japonais, et qui va entraîner son fils Arvin dans un délire d’incantations et de sacrifices afin de sauver sa femme Charlotte du cancer, s’apparente bel et bien aux conduites des personnages de Flannery O’Connor, sans le fonds théologique et poétique de celle-ci. Pollock, en revanche, est plus explicitement violent, notamment dans la description hallucinante des deux pseudo-prophètes massacrant la femme d’un des deux en vue de la ressusciter. Cela m’a l’air du sérieux et du lourd, mais je réserve ma conclusion...  

    Maxou1.jpgCap d’Agde, au Studio Glamour, ce jeudi 24 mai. – J’ai bouclé ce matin le premier tiers de ma nouvelle noire Black is Blacky. J’en ai averti le dédicataire, Max Lobe, que j’ai en somme pris en otage dans ma fiction. Il me répond par SMS qu’il est un peu déprimé ces jours tant il peine à retrouver un nouveau job, en dépit de ses diplômes universitaires. Cela ne laisse de me révolter. Notre système générateur de chômage est une calamité. Mais je réponds à Maxou de faire la pige au chômecam (toutes les réalités vécus par des Camerounais finissent en cam) et de se consacrer sérieusement à son prochain livre, pour lequel il a la chance d’avoir un contrat ouvert chez Zoé. Je lui répète en outre qu’il pourrait nous composer un délectable Journal d’un Bantou au vu de ce qu’il m’a raconté jusque-là de son pays et du nôtre, sur son ton teinté d’humour acide. Mais comme la plupart des écervelés de son âge, Max pense surtout à courater et  à danser la zumba au lieu de prendre au sérieux la Littérature qui le fera entrer, tout vivant, dans la gloire des baobabs…

    °°°

    Le soleil étant revenu sur le front de mer du  Village naturiste, en régime normalisé par un président tellement  normal qu’il nous semble le croiser un peu partout, nous allons nous balader à poil le long des dunes normalement dévolues à cet exercice en revanche poursuivi, en d’autres lieux (en Syrie les femmes se baignaient naguère en longs manteaux lugubres, et ces jours elles ont d’autres soucis…), mais la vraie liberté est ailleurs et c’est à elle que nous pensons plus que jamais, avec toute la reconnaissance de nos peaux au vent et à la mer …     

     

    Image: Philip Seelen

  • Docteur Ruth



    L’entreprise gère toutes les situations. En principe, les questions et les réponses stockées dans le Grand Fichier sont ventilées tous les matins sur les médias-cibles par les opérateurs de l’Agence.

    Ceux-ci, en parfaite parité sexuelle et raciale, sont triés sur le volet. Il leur est cependant recommandé d’éviter toute affaire perso dans le périmètre professionnel; en outre, il va de soi qu’il est rigoureusement interdit de fumer dans les locaux de l’entreprise, et que les opérateurs ont le devoir de dénoncer ceux de leurs camarades qui manifesteraient encore la moindre tendance.

    Cela ne nous empêche pas de fantasmer grave en gérant nos fichiers.

    Enfin, et par exemple lorsque Docteur Ruth recommande à Susan de Gainesville (Florida) de ne pas culpabiliser parce qu’elle aime que Jerry lui mette les pouces dans les oreille quand il la prend en levrette, nous éprouvons quelque part une certaine fierté d’appartenir à la grande famille de l’Agence.

  • Ceux qui rêvent éveillés

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    Celui qui vit du commerce des songes / Celle qui perçoit « des éclats de lumière venus d’une autre vague de temps » / Ceux qui parlent aux coquillages / Celui qui consulte le médecin du sommeil qui découvre que les animaux dont il rêve sont «à éclipses » / Celle qui ne ressent aucune menace liés à ses visions nocturnes / Ceux qui lisent au fond du lac en complicité phosphorescente avec le poisson-luciole / Celui qui sait que « poisson-chat sait » mais ne le divulguera pas même pour de la thune / Celle qui explore les cellules mnésiques des prisonniers muets / Ceux qui se retrouvent à la rue Traversière sans espoir de croiser ceux de la rue Jardinière à jamais parallèle et à l’infini / Celui qui collectionne « des mots, des vagues de souvenirs, des fleurs sauvages et des eaux-fortes, des présupposés, des phases de lune, des utopies nocturnes, des armes, des graines de beauté, des flacons d’ivresse, des bleuités et des susdits, des objets petits et gros » / Celle qui se sent en sécurité dans le cagibi aux mots-valises / Ceux qui se ménagent des ouvertures sur les mondes intérieurs / Celui qui est ferré en botanique sidérale et en histoire surnaturelle / Celle qui émarge au budget secret de la Police du cerveau / Ceux qui s’inquiètent de la protection du cerveau en cas de régime dur à bruit de bottes / Celui qui milite pour l’effacement des souvenirs inappropriés / Celle qui craint pour sa neurosécurité chaque fois que l’eau monte dans sa cellule d’abbesse crossée / Ceux qui cultivent un ou deux vices pour la forme / Celui qui conserve jalousement la Pièce à triple face / Celle qui prétend mieux entendre le « chant de la ville »  en se tenant au bord du toit / Ceux qui tombent à la renverse devant cette phrase écrite à l’encre bleue sur le registre de la Main-Courante de cette nuit-là : «Depuis sept jours et sept nuits Elle vivait là, penchée sur les phosphores des aubes mauves et douces, toujours nouvelles » / Celui qui passe de la contention du sous-verge à l’éclaircie du sur-continent dégagée par le souffle du poisson-lune / Celui qui chope la phtisie en léchant le timbre infecté / Celle que protège « l’art du rêve » mais pas toujours / Ceux qui ont glané la paille dans les champs de poutres / Celui qui se rappelle le nom de Cortazar en tombant sur une phase du genre : « De la sève du rêve germaient des lambeaux de poésie, des refrains sonores, des euphories, des plaintes, des cris » / Celle qui « le » fait parce que c’est cousu de fil noir sur sa peau blanche / Ceux qui pratiquent l’amour moderne sans déranger les files d’attente au péage / Celui qui a son effigie écorchée à l’Albertinum de Vienne et un reste d’économies à la Banque du Saint-Esprit / Celle qui vocifère in petto dans le Wagon Silence / Ceux qui remarquent que le dormeur Duval porte un galon rouge au côté gauche de son uniforme de soldat inconnu / Celui qui pose pour la postérité au seuil du Temple de l’Instant / Celle qui joue de la harpe éolienne avec des soupirs genre À la recherche du vent perdu / Ceux qui ont développé « des qualités majeures dans l’art de la fugue », etc.

    (Ces notes ont été jetées en marge de l’ouvrage de Jean-Daniel Dupuy intitulé Le Magasin de curiosités, qui vient de paraître aux éditions Aencrages, à Baume-les-Dames)    

  • Gang Bang de lecture

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    Du néo-colonialisme sexuel et de la réalité « latérale ». Un Magasin de curiosités genre brocante poétique. Le dernier thriller d’investigation de Michael Connelly et le cogneur lyrique Jacques Audiard dans Un prophète. De l’exhibition sexuelle à 17.000 euros et des plaisirs majuscules d’Alcofribas Nasier…

    Au Cap d’Agde, ce dimanche 20 mai. – J’ai pensé à ma conception d’une nouvelle phénoménologie ultra-réaliste, dans le roman contemporain, que je trouve chez un Michel Houellebecq ou chez un Bret Easton Ellis, en lisant hier la page du Monde consacrée au dernier film de l’Autrichien Ulrich Seidl, intitulé Paradis : amour et traitant du nouveau colonialisme que représente aujourd’hui le tourisme sexuel. Or, en songeant à mon projet de postface au deuxième roman de Quentin Mouron, Notre-Dame-de-la-Merci, je me dis que notre youngster est également bien parti, et dès son premier livre, pour illustrer cette nouvelle manière de réalisme oscillant entre le trash et la poésie, les effets de réel et une esthétique qu’on puisse dire lyrique ou poétique.

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    D’un réalisme panique. - Je lis ces jours de tas de livres à la fois, dont Le réel et son double de Clément Rosset, qui parle de ce phénomène très actuel qu’on pourrait dire le déni du réel, correspondant à une évidente peur du réel. Or il me semble que c’est en défiant celle-ci de façon panique, au dam de celui-là, qu’un Houellebecq, après le cinéma belge, a repris le flambeau d’un certain réalisme exacerbé au verbe électrique illustré par le Voyage de Céline ou par L’Apprenti de Raymond Guérin, pour ne citer que des romans en langue française. Loin de moi l’idée d’en faire une théorie trop codifiée, mais il me semble qu’ Au point d’effusion des égouts amorce une observation et des constats qui se développent plus amplement dans Notre-Dame-de-la-Merci. Je vais creuser le sujet à la lumière, entre autres, de ma lecture de Flannery O’Connor, qui participe elle aussi, avec beaucoup plus de finesse géniale que l’amer Michel, de ce réalisme poétique et panique auquel je pense.

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    Ramon3.jpgUne réalité « autre ». – Dans son introduction à L’Homme perdu, qui a un peu valeur de manifeste poétique, Ramon Gomez de la Serna évoque la nécessité, pour le romancier, d’inventorier « une sorte de réalité latérale », et c’est exactement à quoi s’emploie Jean-Daniel Dupuy dans Le Magasin de curiosités, que j’ai commencé de lire ce soir. « Je suis de plus en plus indigné par la glose naturaliste et monotone de la vie, privée de son imprévu, de son chiendent », écrit encore Ramon, qui affirme en outre qu’ »offrir un roman sans le véritable fatras de la vie » lui paraît futile, citant en outre Macedonio Fernandez qui évoquait le « plus grand réaliste du Monde qui le décrit tel qu’il n’est pas », et cela aussi nous ramène au Magasin de curiosités qui prolonge, d’une autre façon, le « roman de choses » que Ramon entendait substituer au « roman de personnages », bien avant les expériences du Nouveau Roman puisque L’Homme perdu date de 1946…

    DUPUY83B.jpgOr lisant le nouveau livre de Jean-Daniel Dupuy, édité dans une belle typographie « à l’ancienne » par les artisans d’Aencrages, je retrouve le parfum et la magie des explorations verbales ou topologiques de la littéraure latino-américaine (l’auteur m’a confié que Silvina Ocampo était sa boussole de préférence) ou l’esprit des oulipiens mais en plus sensuel (linguistiquement sensuel) et fantastique (thématiquement fantastique), avec une poésie d’une érudition baroque et fantaisiste que je m’efforcerai de mieux dégager après lecture. Il y a en tout cas là-dedans une suite au catalogue de l’impossible esquissé dans Invention des autres jours, qui fait écho à cet autre commentaire de Ramon : « Le roman n’est pas seulement, comme on l’a dit, « l’anthologie du possible », parce que c’est aussi « l’anthologie de l’impossible »…

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    Connelly5.jpgFormat polar. – En contraste absolu, la lecture du dernier thriller « judiciaire » de Michael Connelly, intitulé Volte-face et se déroulant essentiellement dans un prétoire de Los Angeles, ne ménage que des surprises… attendues, si l’on peut dire, et toujours « possibles » malgré l’astuce de l’intrigue qui consiste à faire passer le fameux avocat Michael Haller, défenseur des indéfendables, dans le camp de l’accusation où il devient procureur au procès rejugé d’une sombre affaire de petite fille assassinée.

    La force et le talent de Connelly restent impressionnants dans la mise en drame d’un travail d’investigation, formidablement documenté et jusqu’aux plus subtils détails, sur le fonctionnement de la justice criminelle californienne. Ceux qui sont scotchés aux séries télévisées du genre, cousus de dialogues assommants (à mes yeux en tout cas) et multipliant les situations possibles et imaginables, hausseront peut-être les épaules, mais j’avoue avoir marché, sur ce plan-là, tout en m’ennuyant un peu  à l’évocation des menées personnelles ou familiales (une fille qu’il a maintenant sur les bras) de l’inspecteur Bosch, dont les faits et gestes deviennent aussi prévisibles que ceux du Bob Morane de notre adolescence, avec la même touche indéniablement sympathique pour sauver la mise…

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    Murakami7.jpgLectures panoptiques. – J’avais plus ou moins prévu de ne descendre dans le Midi qu’avec deux trois livres, mais alors du super consistant, à savoir Voyage de Céline pour finir d’en annoter ma énième traversée, Les Frères Karamazov dans la traduction de Markowicz, et l’édition Biblos des nouvelles de Flannery O’Connor que je lis et relis également parce que j’aime inépuisablement l’humanité et la poésie fulgurante de cette chère peste. Et puis non, il en a été tout autrement : j’ai laissé Céline et Dostoïevski a casa pour les remplacer par une douzaine de livres plutôt récents, à commencer par le passionnant recueil de chroniques littéraires de Michel Cournot, De livre en livre, tandis que Lady L. emportait le premier volume de la trilogie japonaise « culte » d’Haruki Murakami, 1Q84. Ensuite, il nous a suffi d’une première escale à la Nouvelle librairie sétoise pour doubler le volume de nos réserves, et d’une visite chez Sauramps, à Montpellier, qui nous fait nous retrouver avec les classiques 33 livres «à lire absolument », sans compter cette pub affriolante qui nous recommande de lire, toutes affaires cessantes, Le Diable tout le temps de Donald Ray Pollock, taxé par les uns de « foudroyant » et de « sauvage », de « dévastateur » et d’ « effarant », quelque part entre Flannery O’Connor (mais si !) et Shakespeare, bref demain nous allons refaire nos plaquettes de frein à Béziers et sûr que je me le paie…

    Ce qu’attendant je lis alternativement De l’aurore de Maria Zambrano, où je retrouve maintes perceptions que j’ai notées dans mes Pensées de l’aube, je m’énerve à la lecture des doctrinaires réunis par Paul Ariès dans le volume collectif qui en appelle à une « décroissance de gauche » sous le titre englobant de Décroissance ou récession, je souris patiemment en relisant Le réel et son double de Clément Rosset, qui me semble tellement plus gourmé et pesant que l’Espagnole dansant pour ainsi dire sa pensée, j’avale Volte-face de Michael Connelly en quelques heures et sans le lâcher, puis je regarde Un prophète de Jacques Audiard à la télé – très fort dans le genre du docu-thriller sur la vie en prison et la transition des caïds corses aux imams, avec du vrai cinéma qui cogne et qui chante en prime, plus Niels Arestrup magistral et un jeune comédien non moins étonnant dont le nom m’échappe -, et je reprends ma lecture du Magasin de curiosités de Jean-Daniel Dupuy dont m’épatent les cristallisations d’idées et d’images autant que les trouvailles d’érudition « latérale », j’attaque Spinoza avait raison de Damasio pour avoir l’air moins inculte en matière de neurosciences aux côtés de ma bonne amie, enfin je poursuis ma progression dans le labyrinthe vocal/verbal super proustien de La nébuleuse de l’insomnie, dernier opus traduit d’Antonio Lobo Antunes qui me semble de sa meilleure fontaine...  

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    De l’attention transversale. - On me dira que cette façon panoptique de lire 33 livres en même temps ne peut que nuire à l’attention requise par un livre à la fois, mais telle n’est pas du tout mon opinion: je prétends au contraire que la plus vive attention concentrée sur un texte (par exemple le début du roman Et ce sont les violents qui l’emportent de Flannery O’Connor) peut accentuer le relief particulier de tel autre texte (par exemple le début du premier tome de 1Q84 de Murakami, dans lequel je me suis lancé avant-hier), ou que tel aperçu d’une page de Maria Zambrano gagne aussi à « dialoguer » avec telle autre page d’Annie Dillard, ainsi de suite.

    Cap17D.JPGAujourd’hui le temps maussade, voire brouillasseux, était favorable à la lecture-lecture, mais lire les visages des gens cheminant sur la grève, contempler le spectacle des grandes vagues se brisant sur les rochers de la jetée au petit sémaphore, relever les derniers texti (un texto, des texti) de nos enfants, déchiffrer les inscriptions visant à la préservation morale du biotope (toute exhibition sexuelle est passible d’une amende de 17.000 euros ou d’emprisonnement) ou au contraire à l’incitation à la débauche entre adultes consentants (ce soir Gang Bang au Jardin d’Eve), bref grappiller de l’Hypertexte à tout-vat ne saurait que nous « éjouir un max » pour parler comme le cher Alcofribas Nasier quand il oubliait son nom de plume…