Pour le danseur de Midi
Celui qui sait que la couleur est dans le nom / Celle qui porte l’eau douce au front / Ceux qui recensent les vagues / Celui qui pratique l’apnée lunaire / Celle qui savoure l’immanence à mi-pente / Ceux qui descendent dans le rêve par paliers / Celui dont l’épaule tiède accueille les chastes songeuses / Celle qui le fait avec les plongeurs glabres / Ceux qui parfument les rivages / Celui qui a la garde des flacons subtils / Celle qui se croit en odeur de sainteté nonobstant le décret du Vatican / Ceux qui fréquentent l’Hôtel Moderne avec des gestes anciens / Celui qui observe le serveur gracile à la cafète de la Maison de Repos / Celle qui le fait avec des Brésiliens illettrés mais moralement élégants / Ceux qui militent contre la réticence / Celui qui est non seulement contre mais tout contre / Celle qui dort un long temps au pied du morbier / Celui qui revisite la métairie de l’Oiseau / Celle que contrarient les appariteurs zoomorphes / Ceux qui stressent entre les dédaigneux / Celui qui sait pourquoi le poisson ne pense point mais réfléchit mieux la lumière que la moule maussade / Celle qui hume l’odeur de sodium des berges irradiées / Ceux qui ne pensent pas mais sentent fort / Celui que dirige la luminescence de la centenaire engloutie / Celle qui canne les chaises percées / Ceux qui en reviennent au siège curule genre Poséidon / Celui qui hante le bar sous la mer tenu par ce cher Stefano / Celle qui se conforme aux préceptes de la vie au fond des mares / Ceux qui se la jouent vingt mille lieues sous les moires / Celui qui n’a jamais confondu la généalogie du rabbi Iéshoua et celle de Gargantua / Celle qui récuse son ascendance darwinienne côté sangsues / Ceux qui ont survécu en s’entre-dévorant / Celui qui marque une pause dans le déroulé temporel de la Sélection / Celle qui se nourrit de regrets au point que son teint s’en ressent / Ceux qui assument leur profil siluriforme / Celui qui vit sa destinée d’enfant sirénomèle même pas sûr d’être sauvé par le Dieu méchant / Celle dont personne ne sait ce qu’elle pense de son enfant à branchies de requin / Ceux qui dissertent sur l’identité sexuelle de l’androgyne velu à trois fentes / Celui que sa vocation de pianiste de concert a conduit des favellas aux suites royales qu’il supporte à renfort de Prozac / Celle qui s’exhibe dans les débats philosophiques où l’on conclut toujours sur une note d’espoir / Ceux qui lèvent leur pouce sur Facebook quand on leur balance une photo de jonquille ou un cookie sympa, etc.
(Cette liste a été jetée ce Midi sur une table du Café Saint-Pierre à Lausanne en reprenant la lecture du Magasin de curiosités de Jean-Daniel Dupuy, paru récemment aux éditions AEncrages).