C'est typiquement les années 70 dans cet appart bohème de rêve du Square du Roule où la mère de Nora a planqué des Juifs. Il y a dans toutes les chambres des danseurs du Ballet du XXe siècle qui parlent Karma et se foutent de la vaisselle sale. Ils ont adopté celui que j'ai voituré à Paris, qu'on appelle Giton et qui adore se montrer à poil. Incontestablement un corps sublime, le profil du favori de l'empereur Hadrien, assez d'instinct pour ne pas trop déconner quand on parle politique ou philo, mais Béjart lui a déjà fait comprendre qu'il lui faudrait trimer dur pour devenir ce qui s'appelle un danseur.
Giton est en principe la chose de Nora, qui me fait comprendre à la cuisine qu'elle ne voit pas ça durer longtemps. Devant l'évier croûté de tartre on parle aussi de Gurdjieff et des groupes de Chandolin, puis du dernier festival d'Avignon où Germinal et Jorge ont fait merveille - entre autres trips.
Dans le métro le lendemain Giton me la joue bardache, mais son narcissisme me tue à la fin. Le dernier soir nous allons fumer du H dans une baignoire de l'Opéra (Die Walkyrie) et nous rentrons si claqués que je m'endors au volant à la hauteur d'Auxerre. Mon ange gardien reptilien me fait juste éviter le crash, et quelque temps après Giton se met à boire, se laisse pousser la barbe et se lance dans le commerce.
(Extrait de La Fée Valse)