Celui qui n’a pas de réserve naturelle mais a appris à distinguer ce qui est à publier de ce qui ne l’est pas / Celle qui est discrète par respect de soi et d’autrui /Ceux qui sont indiscrets par esprit de revanche / Celui qui répand de faux bruits juste pour voir / Celle qui pratique la médisance comme un art martial / Ceux qui ont perdu un œil dans le trou de la serrure de sécurité / Celui qui mate la matrone de Matmata / Celle qui dit écrire pour ses tiroirs / Ceux qui parlent entre les lignes à haute tension / Celui que la parlote vide remplit d’un croissant effroi / Celle qui ne peut plus se connecter par crainte de la connerie connexe / Ceux qu’accablent les atteintes à la vie privée des prétendus amis du réseau des réseaux / Celui qui pratique la discrétion bien tempérée et le clavecin en plein air / Celle qui ne dit rien de ce qui lui importe vraiment / Ceux qu’on ne publiera qu’après leur mort genre Kafka ou Pessoa mais on s’en balance n’est-ce pas / Celui qui veut tout voir et tout entendre et tout sentir mais qui n’a pas le cœur de tout dire / Celle qui se tait avec éloquence / Ceux qui ne comptent pas leurs mots mais les choisissent avec soin / Celui fait des phrases / Celle qui cisèle de la poésie actuelle où il est question de Traces de fractures et de Bribes de failles / Ceux dont les recueils atones et aphones se vendent cher / Celui qui lit dans la foule du festival comme Gargantua en traversant la Seine à la nage d’une main et tenant son livre de l’autre sans le mouiller / Celle qui mouille sur le talus en lisant Despentes / Ceux qui parlent le soir en picolant de ce qu’ils ont lu le matin chacun dans son coin / Celui qu’on appelle bouche d’or / Celle qui en bouche un coin aux beaux parleurs en se taisant avec véhémence / Ceux qui disent Ave César Ducon ceux qui vont parler te saluent, etc.
Image : Philip Seelen
Commentaires
Celui qui entend des phrases | Celle qui fragmente chaque vers | Ceux dont les recueils sont prévus posthumes | Celui qui lit dans un couloir de métro comme Jules César en traversant le Styx à la nage d’une main et tenant le brouillon de son discours de l’autre sans le mouiller | Celle qui soupire sur le talus en lisant un vieux Bottin Mondain | Ceux qui lisent le soir en picolant | Celui qu’on appelle crabe aux pinces d’or | Celle qui trouve qu'Arthur Rimbaud lui en bouche un coin | Ceux qui disent "Soyons équitables" ... et tous les autres.