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  • Au fil des choses

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    À découvrir sur son site perso: les aphorismes de Quentin Mouron, sous le titre Le Fil des choses. Un autre aspect du grand talent, lucide et sensible, de l'auteur d'  Au point d'effusion des égouts.

    Mise en bouche:

    "Les choses autour de soi comme un cilice - et l'éblouissement sombre de la cellule de cloître".

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    "L'intangibilité du monde. Et le souffle des hommes, haletants, inutiles - ceux qui s'épuisent à espérer - ceux qui crèvent de comprendre".

    °°°

    "Le désespoir est caractérisé: quand la lumière du jour vous blesse plus qu'elle ne vous éclaire".

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    "Le rythme - comme un tambour qu'on bat avec une verge".

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    "Le Kirilov des Démons ne se tue pas pour une idée - il se tue pour deux idées, opposées - douloureusement inconciliables".

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    "D'une femme, c'est le souvenir qui est le plus tranchant".

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    "L'idée, souvent, n'est que la pointe du sentiment".

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    "Les ressources humaines". Quel verbe est-il plus propre à donner sens au mot "ressource", que le verbe "exploiter" ?

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    "La publicité, ce directeur d'inconscience".

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    "Le réalisme, c'est entrer chez l'Homme par la porte de derrière - c'est le prendre sur le fait".

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    "La révolte se démode plus vite que l'oppression".

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    "Je porte toujours deux masques: le premier pour les autres, le second pour moi-même"

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    "Après tout, nos vertiges ne sont peut-être que cela: aimer et ne pas être aimé".

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    "Le bonheur de la femme que l'on aime est une brûlure intolérable".

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    "Il est aussi sérieux d'être antifasciste que chasseur de mammouth".

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    "Deux laideurs peuvent être belles lorsqu'elles s'additionnent. Surtout si l'addition prend la forme d'un couple sur un quai de gare".

    Pour suivre: www.quentinmouron.com

     

     

     

  • L'biotope

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    Rhapsodies panoptiques (12)

     

    …Avec l’Taulard et l’Imagier ça a été longtemps notre sujet de conversation Number One, l’biotope. J’veux dire en gros : la sphère et les bulles. On n’aura pas assez d’un délire pour expliquer ça, mais c’est à ça que servent les nuls inutiles de notre genre: à dire ce qui bulle dans le multimonde aux sphères…

    …À présent c’est dimanche donc on trime dur dans l’biotope des proches du gang ancillaire, aux étages d’en bas de la Datcha la domesticité brique parquets et lambris tandis que Lady L. s’active aux préparations culinaires, partout s’activent les servants de la forêt et environs, l’dimanche est une magie même pour ceux qui sautent la messe ou le culte même à la radio ou à la télé, nous Dieu ce matin c’est dans le Grand Nettoyage du biotope qu’on le convoque, Dieu nous ce matin c’est l’Mister Proper du biotope, j’veux dire qu’on s’est tous pris dans les bras tôt l’aube, puis on s’est mis aux affaires, chacun la sienne, on ne se marche pas dessus, l'architecture aux architectes, et les musiciens, les maçons, les lingères et les luthiers - nous c’est de toute façon la Maison du Bon Dieu, y a chez nous que des gens qui s’aiment et tous connectés à pleins de sites d’Amour et tous accros à Facebook, donc ça fait des cercles comme sur l’étang étale de l’Etant, ça fait des ondes aussi dans l’éther éternellement en éveil, Lady L. m’envoie un SMS de l’entresol pour m’annoncer  qu’y a plus de pâte bio pour ma tarte aux pruneaux mais j’y dis que c pas grave : qu’elle la pétrisse elle-même ; à l’instant l’Taulard chantonne Sweet Memory à l’unisson de Tim Buckley et ça nous rappelle encore d’autre cercles et d’autres sphères qui s’emmêlent dans l’biotope de nos affectivités polymorphes d’hier et de demain - et là comme dans un défilé à 24 images secondes j’vois passer toutes les smalas des années en allées, tous les amis perdus et refondus, toutes les liaisons foirées de toutes celles et ceusses qui sont venus et n’ont pas vaincu c’est-à-dire tout le cheptel des Quatre Sens de la Vie  – et v’là le brouillard qui remonte le long du val mais dans une trouée j’aperçois là-bas un coin des tombes de nos mères et pères et v’là que le jeune Quentin m’envoie par mail une image de l’église-container de Trona, cube de tôle, écrit-il à la page 82 d’ Au point d’effusion des égouts, croix dessus : « Aucun vitrail, aucune fenêtre ! Qu’une très grande porte rouillée qui hurle sur ses gonds. Aucun parvis. De la poussière. Le milieu du désert. Au bord d’un lac séché depuis deux siècles. Le sable qui grimpe en haut les murs… Et des grillages autour… L’intimité des fidèles… Avec des barbelés ! Ce n’est pas à rire… Je n’y ai vu personne. Aucune messe. Aucun psaume. Un container rouillé – sans fenêtres, sans fidèles – sans Bon Dieu. Si j’étais Christ sur le retour, j’irais sûrement jamais le faire ici ! », et ça nous fait mal à tous qui croient plus ou moins à tout ça: l’biotope de l’extrême sans vie, le non-lieu sur le mur duquel le prêtre, qui fait ce qu’il peut, a collé une banderole fauchée au supermarché d’à côté et qui l’annonce comme un péché: « ouvert le dimanche »…

    Désirade.JPG… Or l’dimanche, tu t’en doutes Jackie, toi qui trimes à l’hosto toute à la coule de tes fins-de-vie, l’dimanche à la Datcha de La Désirade et à l’Isba c’est notre jour pour ainsi dire expansé vu que ça devient l’biotope de l’intime sans barbelés ni gardiens ni cheffes de projet ni foutre rien – rien que la rêverie des jean-foutres que nous sommes en somme, à l’exception de Lady L. qui veille au grain. Lady L. qu’est trop soucieuse je trouve. Que je lui rappelle depuis deux vies de chiens et deux filles pas moins soucieuses qu’elle l’est. Mais le dimanche des majorettes c’est pour vous aussi que j’leur répète ! En vain ! Tout l’boulot de rêver nous revient, les mecs, et c’est comme ça que l’biotope ancillaire vit son premier dimanche d’hiver enneigé…

    …Ce que j’veux dire, évidemment, c’est l’génie du lieu, tout autant que son contraire que me figure, ce matin, l’église-container de Trona – c’est ce bonheur et cette misère que j’aimerais dire en même temps vu que tout est relié. D’un clic, ce matin, ce fin youngster de Quentin m’a envoyé cette image de l’église-container de Trona, qui m’a pour ainsi dire scié. C’est cela qui nous arrive, ce n’est pas que Gaza ou Guantanamo qui nous arrive : c’est ce container vide dans le désert déserté de notre mémoire dévastée…

    Walser4.JPG… Ce que j’voudrais dire c’est ce qui fait que tu te sentes bien là ou tu es à l’instant et pourquoi. Ce qu’on pourrait dire la recherche d’une maison. Ce qu'on pourrait dire se construire un feu style Jack London. Ce que Charles-Albert appelait l’habitus. Notre façon d’habiter bien. Notre droit primitif au cabanon à tous les sens du terme, entre cabane au Canada et pension d’Etat de Robert Walser chez les timbrés pour ne faire que rêver. T’es là sur ton canapé de cuir vert genre Oblomov préalpin. Lady L. peint des primevères. L’Taulard te raconte ses histoires de taule et t’résume le nouveau Sloterdijk. T’sais les fameuses sphères, les écumes de nature et les écumes humaines, les aphrosphères et l’bazar néomonadologique qu’il a creusé en taule en écoutant Radiohead et consorts. Puis l’Imagier t’annonce qu’il va repartir se faire quelque temps de ville-monde dans son quartier chinetoque de la Porte d’Italie, ça lui fera du bien de retrouver ses bougnoules et ses métèques, comme il dit, Michel le flûtiau et ses filles sénégalaises, toute l’Afrique et famille…

     …Ce que j’dirai encore c’est que le biotope d’avenir serait la tribu du Kid, genre moujiks bohèmes comme nous le sommes à l’accueil des boys de Number One et Two, ou l’dojo des enfants du Gitan ou la nacelle rue de Berne de Blacky et de son chum, ou l’arche centenaire de Tonio et son clan, j’veux dire: la cellule élémentaire qui fasse tomber les murs virtuels de la prison suissaude, j’entends cette espace habitable que tu reconstruis tous les jours contre l’esprit d’bureau et tous les matons qui te matent…

    Popescu70002.JPG…La Suisse friquée et l’Amérique policée je n’aime pas leur façon de te mater, l’Gitan, toi qu’es l’plus libre des chauffeurs de taxis vu que t’es jamais pris même quand t’es givré – et c’est ça que les pharmaciens te reprochent à la fois : d’être libre et ne jamais te faire prendre par les collaboratrices et les collaborateurs de notre aimée Police – et tu sais que je ne blague pas : que j’apprécie notre aimée Police à vrai dire mille fois plus que les flics uniformisés sans uniforme qui se matent les uns les autres et s’impatientent de se dénoncer et de se faire payer mutuellement leur médiocrité…

    DounaNB.jpg…Cette image de l’église-container me fusille et me fascine tandis que le jour décline sur ce dimanche de toutes les bontés. Je n’blague pas camarade Quentin. T’as l’âge de nos filles autant que le Kid ou que Blacky, que Bruno, que Matthieu, qu’Yvan  ou que les deux Sébastien, que Douna que je devine à l’autre bout du lac ou que Basil le descendant des conquérants lusitaniens, mais ce n’est pas absolument par gâtisme ou goût pédophile que je vous mate et vous surveille de mon œil panoptique et pour ainsi dire affectueux – c’est votre faute si j’vous kiffe du moment que je vous flaire du pareil biotope…

    … Tu m’disais un soir, l’Gitan, que j’avais en moi un puits de larmes, et je suis joyeux ce soir de percevoir ce même œil noir chez des enfants perdus de ce siècle qui ne s’en laisseront pas conter plus longtemps dans le biotope désastreux. Genre Guerre humanitaire. Bénédictions au Jerrycan ou au Chihuahua. Tout ce froid de blanchiment des consciences. Tout ce gel mortel…  

    Quentin4.jpg…L’biotope c’est pas compliqué, la Limousine, mon occulte amie que je ne connais que par Facebook et que j’sais quelqu’un de bien, l’biotope tu le sais, c’est bonnement notre lieu de vie. L’biotope c’est l’intime accordé. Dans l’premier livre de ce garçon teigneux et lumineux qui m’a secoué ces derniers temps, prénom Quentin, fils de Mouron l’artiste aux noirs argentés, je suis bluffé, touché, remué de trouver le radical constat de la destruction massive de l’intime et de la dignité, avec cette gravité pesante, insistante, candide et sentencieuse, lucide  et virulente des youngsters intransigeants…

    Image Quentin Mouron: l’église de Trona, Californie.

    Quentin Mouron. Au point d'effusion des égouts. Olivier Morattel, 137p.

  • L'désert

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    Rhapsodies panoptiques (12)

    ...P’tain y a la neige qui s’est pointée c’te nuit sur les monts d’en face, Quentin, c’est le désert retrouvé ce matin, vert et noir à nos premiers plans et le lac là-bas gris sabre, et l'ubac brun roux des monts de Savoie et la neige dessus - et du coup me revient ce que tu m’disais dans ton dernier mail d’hier soir comme quoi c’est dans l’désert de Joshua Tree que t’aura relu Voyage cet été-là - et moi cet été j’ai relu Voyage et je balaie à l’instant les territoires du regard avec le tien ajouté depuis que j’ai lu ton premier livre qui m’a ramené fissa au désert humain des Amériques et à l’autre là-bas à travers sables et glaciers évaporés jusqu’au pied des Titans Capitans, désert vertical que j’ai remonté longtemps dans le temps et les lieux…

    DSCN1529.JPG…L'désert c’était notre rêve de pureté non lyophilisée ou frelatée par les gourous derviches, et c’était donc vertical l’désert, il était rouge dans le granit de nos vingt ans savoyards, il était noir argenté dans les Dolomites, il était blanc et tout en horizons sur la Haute-Route de nos jeunesses shootées à la neige bleutée des cols et des arêtes ou plus tard sur les plaques du Requin ou du Caïman l’année ou Gary Hemming s’est flingué au bord d’un lac, et c’est sous le triangle incliné du Badile que j’ai lu Dans les années profondes cette autre année que t’étais pas né, en Ailefroide que j’ai lu Zorba, à Nefta surplombant le Sahara que j’ai relu Moravagine de Cendrars – et voilà que tu lis Céline dans ton désert à toi de fils teigneux ciselant sa phrase au plus minutieux du rythme…

    AuroreBoréale.jpg...Le désert est une société. Et tu penses bien, Quentin, que j’pense à l’immense Monod qui me disait une fois là-bas, à Saint-Malo, que peut-être nous étions en train de préparer un désert sans autre société que celle des sages insectes sans frontières tant nous nous sommes dénaturés avec nos déserts d’aisance et de complaisance, nos déserts Grande Surface et nos déserts Espaces Conviviaux - toi t’as bien senti ça aussi, youngster: que le désert a deux faces. T’as senti le désert odieux des névrosés pleins aux as de Vegas et environs. T’as senti le désert de la vie de Clara la cinglée qui s’est retranchée de toutes les sources et se fie aux thérapeutes et aux derviches asservis au dieu Dollar, et la pelotant, et la ponctionnant, on voit ça partout, maintenant : l'désert désespérant des femmes frustrées et des mecs consentants ; et puis l’autre, le désert vivant qui s’étend juste derrière la maison de ceux-là qui dépriment, mais à ne pas voir ! À ne pas voir la forêt là derrière ! À ne pas voir le silence de la prairie là-dedans – le silence assassin de soirs où les insectes sans frontières se la jouent serial killers ! Surtout pas voir la mort, Clara, surtout pas voir que ton ex n’est pas le monstre couillu que tu dis mais un homme perdu, surtout pas qu’on te dise que ton Amérique friquée et pommadée est foutue comme l’est l’Europe frelatée et la Russie putanisée par les anciens apparatchiks et compagnie, et j’te parle du désert d’Arabie habitée par des zombies, enfin tout l’désert encombré de tout ce qui n’est pas le désert habitable d’un bon livre ou d’une être ouvert à tous les sables…

    Joshua1.jpg… Moi l’désert de sable je t’avoue, Quentin, que je ne connais pas et n’y aspire pas autrement comme on dit. Moi toutes ces dunes j’veux bien qu’elles vivent, comme le répètent le père Monod huguenot, j’veux bien que ça pullule tout ce sable, mais tu me vois me la jouer safari ? Et toi tu te vois refaire la route du Harrar en groupe genre tous Rimbaud pour 500 euros ? J’aime bien, youngster, quand tu écris que Los Angeles existe par ses rues secondaires. Là je m’y retrouve au désert vrai de la possible géographie humaine. Un soir tu reviens dans sa Jaguar avec ta cousine Clara que votre virée à L.A. a presque rendue plus humaine, mais ça ne va pas durer cette sortie du désert névrosé et nécrosé, et tu l’écris ce constat pas gentil : « Le lendemain nous avons reparlé de rien. Tout était rentré dans l’ordre – c’est-à-dire que les choses étaient pires – encombrées de non-dits, ponctuées de silences. L’oxygène commençait à me manquer ». Et ça c’est communiqué, c’est senti, j’ai vécu ça en Autriche policée et au Japon policier, la névrose meublée design et sous contrôle de Cellules Psy répand partout son sourire désertique, v’la le désert cauchemar climatisé plus désaxé tu meurs…

    … On a bien aimé Le Clézio pour ça, le tout fin prosateur, le bien beau gendre rêvé, son côté nouveau roman à l’échappée, reparti avant d’être arrivé que j’aime bien cette façon de n’y être jamais pour les critiques avérés ou pas, sitôt disparu du Quartier qu’entrevu, salut j’tai vu, et repiquant en Afrique, au Mexique après t'avoir montré la guerre du Grand Magase, à savoir le micmac avant l’heure, et là je vous retrouve tous tant que vous êtes, Tonio et le Gitan, le Kid et Lady L. et tous nos amis de Facebook et du multimonde : tout ça qu’on pourrait dire, Quentin, noué par la gerbe gerbant de tout ça…

    … Là j’suis en train d’écouter, Quentin, en pianotant cette rhapsodie, ce Quintet dément de Chostakovitch qui sillonne à lui seul tous les déserts des sons et des sentiments, où l’piano de Martha Argerich est comme une fée et comme un fou, j’sais pas, je ne sais pas parler de musique et je m’en fous. Mais là, ce que je veux dire, c’est que les territoires se multiplient et que c’est par là que peut-être on s’en sortira, je ne sais pas. Martha je l’ai bien regardée à Tokyo, puis à Los Angeles, à Santa Barbara et à San Francisco, je ne te la fais pas à l’influence pipole mais je te dis ce que j’ai vu comme tu me racontes Clara et Laura et je te dis que ça : que la folie est belle, parfois. Pas celle de Clara ta paumée. Pas celle de Laura la trop froide. Mais c’est par elles, genre Martha l’illuminée dont le génie est à bout de doigts, que quelque chose peut être retourné – et c’est ce truc qu’on appelle l’art, tu sais, qu’échappe aux collèges d’esthétique et aux académies politiques du Bon Bord, c'est ce truc-là qui nous ouvre le vrai désert que tu sais…

    Vitelloni.jpg…Aussi j’fais table rase, table nette, j’me prends pour Dieu qui récure ses écuries augiaques et voici qu’il neige, j’vais faire les vitres, tiens, toutes au détergent autorisé methylchloroisothiazolinone, ça sent l’alcool d'hôpital, à l’étage d’en dessous Lady L. se délecte de l’énième projections d’un Columbo de derrière les paddocks - j’sais bien aussi que Jackie adore Columbo, c’est un ange de Wim Wenders que ce cabot à cigare et McFarlane mal fagoté, mais bon, mais va : les Chinois rappliquent et le désert se fait séduisant tout sourire, vraiment t’as l’impression que tout le monde s’en fout – c’est exactement ce que décrivaient les mecs lucides entre deux guerres humanicides, genre Witkiewicz avant l’suicide, c’est tout bien-être et compagnie et toi t’arrives là, malappris, malséant, plongé vorace dans Voyage au bout de la nuit en plein jour à Joshua Tree, pour ainsi dire perdu pour la société l'Quentin...

    PanopticonB125.jpg... J’le vois d'ici le jeune endiablé lascar dans son désert stellaire à fleur de mots, se laissant imprégner, s’oubliant dans le tagadam, se perdant loin du macadam mielleux de smog de la Cité des Anges, dans le sillage du maudit Ferdine, tout seul isolé dans la cabane de ce discours à jamais inouï où déferleront la guerre et les colonies toxiques, les chiottes de Chicago et la maladie à jamais mortelle de vivre et seul - c’est ça le désert, l’désert ça te prend à la gorge, l’désert c’est plein de femmes seules et de vieillards édentés pleins aux as que leurs proches claquemurent en attendant de les voir clamser, le plus tôt sera le mieux et quel chien c’était n’est-ce pas qu’on n’a pas de regret de le voir se noyer, ce queutard, cet obsédé n’est-ce pas – tout ça que ton jeune routard, Quentin, a noté sans rien arranger, et ça ne s’arrangera pas le désert en se peuplant, revenir de Voyage indemne ne se peut pas quand on a l’âge poreux et la sensibilité vertigineuse, j’te dis moi que le désert de Céline est un entonnoir et que tu n’y échapperas pas en faisant semblant ou comme si comme à peu près tous, le désert n’est pas un gadget pour chamanes genre Vegas ou Coelho, v’là les oiseaux de Ferdine en rupture de volière et toi tu t’es mis à écrire comme un dératé qui se gobe - de quoi repeupler le désert de Gobi …

  • L'dojo

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    Rhapsodies panoptiques (11)

    …J’le dis et j’le répète au Gitan qui a cette faiblesse de vouloir casser la figure du moindre fâcheux grave : que ce n’est pas la meilleure affaire à faire, alors qu’il y a le plus souple judo qui te fait jouer avec celui qui te percute et que tu fais tomber de sa propre chute et de tout son poids – voilà, raplapla sur l’dojo. Le côté Don Quichotte du Gitan, son côté Mandrin justicier ou Robin des bars, et ses façons directes de régler tout différent aux poings ou aux talons ferrés lui ont valu quelques avanies et pas mal d’interdictions de se pointer dans certains lieux publics, surtout du temps de Bouzouk son lévrier afghan aux crocs de métal ébréché, mais les années passant, mes conseils de briscard tolérant lui en imposant à la longue, les influences émollientes d’une société fadasse dont il se tient de plus en plus à l’écart, tout ça, sa nouvelle amie la Cheffe de projet – tout ça fait que je n’ai même plus besoin de lui recommander l’judo, à nos conciliabules du soir, au Gitan pas vraiment réformé mais tout comme…

    Judo.gif…D’ailleurs t’imagines l’Gitan sur un dojo, Kiddy : tu vois le tableau du Gitan en kimono ! Je t’le dis à toi vu que tu as l’art, pour ta part, de te la jouer judoka sans t’en douter probablement. Sûrement les sept frangins que vous avez été ! Sûrement la nécessité de survivre sans se lacérer à journée faite. Ta diplomatie quand le Gitan et moi nous nous prenons de bec ! Tes bons offices quand la rage nous lance l’un contre l’autre alors que nous avons raison tous les deux à ce que tu dis, sauf que j’estime que j’ai plus raison que cet enfoiré de Gitan qui prétend que c’est lui - et ça finirait karaté ou couteau si tu n’étais pas là toi et les nœuds dénoués de tes gestes coulants…

    NewYork9.jpg…Ce que j’voulais dire, le Kid, c’est que le judo est naturel à certains et pas à d’autres, et que c’est justement ces autres que l’judo devrait concerner un max, j’entends dès le préau et jusqu’à l’âge de polémiquer grave ou de résister d’une façon ou de l’autre au micmac. Toi le judo tu l’as dans ta nature souriante et bénie des fées, tu ne seras pas artiste de l’exagération comme le Gitan ou l’affreux JLK, tu es toi sûrement plus buté que tes frangins mais tu vas tous nous charmer à la coule, t’as le talent naturel, ce n’est pas toi qui va te faire honnir de tes pairs sans les flagorner pour autant, t’es juste comme tu es, petit judoka qui s’ignore et poète genre Abel abélien brillant et vif, mordant, fantaisiste  comme il faut - tes SMS de Budapest ont la même grâce ailée que tes SMS du Montenegro, on l’oublie mais c’est toute une civilisation tout ça, tout rocker que tu sois, non pas tant l’judo que les égards et l’attention d’amitié, la patience et le respect, enfin ce bon naturel gentil qui permet aux compères de ne point trop s’assassiner…

    …Or l’judo moi j’avais de la peine autant que le Gitan, natures naturellement véhémentes et jalouses que nous sommes tous deux, exclusives et vindicatives, de la race sombre des Caïn cahotants, le poing au ciel des laboureurs de mots, teigneux et brenneux, pantelants sur l’dojo et même pas capables de la première révérence rituelle. Pourtant ce qui nous a aidés je crois, le Gitan et moi, c’est l’judo des mots et le dojo des enfants. Tu connais, Kiddy, les Poèmes du Quotidien de notre ami l’enfiévré Gitan, qu’il cisèle aux arrêts de son taxi et fourgue ensuite aux revues et journaux. Pareil pour le dojo des enfants, et là je n’ai pas besoin de te faire un dessin vu que le Gitan et ses petites filles, en ces années-là où elles rampaient sur l’dojo,  c’est comme l’ombrageux JLK et les siennes : toute douceur et compagnie, fallait l’voir pour le croire, t’en as rien vu mais tu le sais, on t’a raconté, tu nous connais…

    …L’dojo ce serait donc ça, Blacky, rapporté à ce qu’on dit aujourd’hui le multimonde. Toi qui ne t‘énerves jamais. Toi qui m’énerve de te déprécier. Toi qui a dû t’imposer tranquillement et lentement, malgré ton impatience. Toi le petit pédé sorti de l’Afrique des mecs et des meurtres, qui vient leur dire comme ça ce que tu es, comme ça, que c’est à prendre ou à laisser. Toi que j’ai tout de suite accueilli comme une espèce de fils. Parce que ton premier livre, que j’avais à présenter à tout un public attentionné, ce jour-là au Salon Sur Les Quais, m’avait paru vrai. Parce que j’imaginais tes difficultés au carré, dont tu ne faisais que sourire apparemment. Parce que tu t’inclinais devant les gens sans cesser de les regarder crânement, comme au bord du dojo les combattants s'inclinent et c’est ainsi, m’as-tu raconté l’autre soir, que les parents de ton conjoint le Grison t’ont adopté malgré ta peau noire et le signe d’infamie que les gens formatés continuent de t’accoler …

     VernetC.JPGAvec Jackie l’dojo est un lit d’hôpital dont les règles du jeu nous échappent. Avec le secret JYD, qui ne se prononce pas Gide mais à l’initiale détaillée, comme ça s’écrit, écrit lui aussi des romans, roman lui-même, et le dojo est pour lui ce carré de lutte ou de grands garçons barraqués se terrassent à la cuissarde, ni karaté ni judo mais à notre manière helvète d’affronter et de négocier, de combiner ruse et force. Il me plaît, ce soir, de penser au dojo comme à une prairie essentielle, clôturée ou non mais reconnue, où le jeu qui va se livrer renouera peut-être avec l’immémorial Tournoi de partout, mais en somme sublimé. Les mots m’arrivent sur cet écran comme des êtres me demandant peut-être de s’incarner, je ne sais pas, frac de pianiste ou kimono m’habilleraient aussi bien, à l’instant je pense à un ami dont je n’écrirai pas ici le nom qui voit le dojo de sa fin peut-être prochaine, nul ne le sait, c’est une plaine blanche aux dimensions peut-être d’une chambre d’hosto et Jackie se tient en réserve dans le couloir, ou j’ouvre la fenêtre sur la nuit de l’hiver venant et comme un souffle glacé m’arrive de l’espace noir – tel est l’échiquier noir et blanc du dojo dont les pièces ne se frappent pas de face mais s’enlacent et s’efforcent de se basculer sous leur propre poids, et voici qu’une nouvelle voix m’arrive de l’autre bout de la nuit qui dit elle aussi à sa façon le vrai de nos vies - bonsoir Quentin, salud amigo…

    …Je ne t’affronterai pas, vieille peau, ou alors viens par là que je t’enlace eJamesEnsor (kuffer v1).jpgt que de mémoire je te resserve quelques clefs de mon savoir d’ado judoka jamais inquiet de ta pensée - allez salope tâte de mon uki goshi et de mon kesa gatame, viens que je t’enroule dans mon fameux wakikomi gaza, mais hélas Ménélas  mon savoir s’est évaporé alors que tu as lu tous les livres, toi qui prétend avoir le dernier mot – ton dernier cut de foutue catin. Tu vois, le Kid, quel agité je reste à la fin ! Et me reviennent alors les derniers mots des carnets de mon ami Théo peu avant que ne le terrasse la chienne d’enfer du cancer : « La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand il sera manifeste que le temps est venu de la faire entrer, je lui offrirai le thé et la recevrai cordialement »...

    Ramallah77.jpg…L’dojo serait alors ce moment en suspens de l’espace-temps, où je ne sais quelle musique pensante prendrait le relais des vocables. Je lis ce soir ces mots de cet  autre kid de vingt ans et des poussières : « Je m’aperçois partout. Chez tous les hommes que je rencontre », et ces mots diffusent comme une aura. Il y a bien plus dans les mots que le sens arrêté. Tout bouge, Kiddy, tout est lié dans la prière polaroïd. Le jeune Quentin écrit « au fond c’est l’habitude du malheur qui nous le rend incontournable», et rien que ces mots nous feront tout faire pour contourner l’habitude. C’est une guerre. C’est un combat contre l’inertie. L’dojo nous attend…

  • L'piano

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    Rhapsodies panoptiques (10)

     …Tu n’peux pas savoir le bien que tu nous fais, Radu, quand tu te remets au piano et que la mélodie nous arrive par la nuit d’entre nos lampes allumées, toi quelque part en Moravie ou au Connemara, au gré de tes tournées, et nous sous les frondaisons de la Désirade, au bord du ciel on pourrait dire, à la fois très loin de toi mais à ta portée par la radio - à t’écouter jouer à l’instant ce Nocturne de Chopin que partout j’ai emporté avec nous depuis le temps et qui revit maintenant,une fois de plus,  sous tes doigts de velours…

    …Pas plus que l’Bona je ne t’ai rencontré jamais, Radu le velouté, mais à t’écouter c’est comme si je te connaissais depuis ces années où j’ai compris que Schubert n’écrivait que pour moi, selon ce que tu m’en disais, j’entends pour Lady L. à présent et pour moi, j’veux dire : pour elle et chacun de nous puisque chacun de nous par Schubert ou Chopin ne formons plus qu’une espèce d’aile ondulant dans  la nuit d’un même rêve éveillé ; et je me revois là-bas dans les années profondes, je nous revois au fil des heures, j’entends ce Nocturne à l’instant dont Chopin t’a confié le soin d’égrener ses notes en perles de lune comme d’un chapelet, et chaque note est comme une seconde de notre vie passée et revenante, le mot hésite sous tes doigts, le mot présence et les mots mélancolie ou souvenance, les mots tout simples et nus ou les mots plus alambiqués comme des fioles de liqueurs éventées, les mots recherchés, les mots précieux, les mots proustiens – je me rappelle t’avoir écouté cent fois dans ma carrée d’étudiant bohème sous les toits, Radu, quelque part entre seize et vingt et plus gravement passé vingt et des poussières d’étoiles quand se concentre tout le sérieux calamiteux des premières amours - et déjà l’on se croit bien vieux dans la tabagie romantique, et la musique est là pour traduire ça - traduire et trahir ça va de soi…

    …J’sais bien, Tonio qui ne jure que par Berio et Schnittke, j’sais bien que ça fait vieille peau d’invoquer Schubert et Chopin et sous la lune encore, sous les nuages ardents des spleens juvéniles et des états d’âme plus ou moins labiles, j’sais bien que ça fait vieux jeune mais je te la joue perso et là l’piano c’est comme ça qu’il fait entrer la musique dans mes heures et mon temps perso, c’est avec Dinu et son Mozart en cascatelles à seize ans au camping du Lavandou, un soir où le vent de la mer nous amène des relents d'un concert de Dalida en plein air, là-bas dans le bourg à vacanciers hagards pour lesquels je n’ai que dédain grave, d’ailleurs moi j’me suis retiré  dans ma canadienne et là je l’entends qui ruisselle, Amadeus, sous les doigts de Dinu Lipatti, et tout ce qu’il y a en moi de joie se met à courir le long d’une prairie en plein ciel où tout ce qu’il y a de beau, garçons sauvages et jeune filles en fleurs, converge et converse et se convertit à la pure mélodie, c’est là aussi que l’piano m’apparaît pour la première fois comme une espèce de machine à écrire au bord du ciel – c’est vrai que c’est très kitsch tout ça mais j’assume, comme ils disent dans les revues de psychologues, et j’aggrave mon cas en précisant que cette Remington musicale est aux mains d’un dieu gracile puisque Dinu n’en aura pas à vivre pour beaucoup plus de temps que Samson François, tu sais ou tu n’sais pas que Dinu est mort à l’âge d’être crucifié, dis trente-trois comme le Palestinien Ieshouah, et qu’il était le cousin du divin Enesco qui disait, lui, qu’en somme Jean-Sébastien Bach nous a prouvé que l’homme est « capable du ciel », mais j’sais que ça fait pompier tout ça, mon Tonio préféré, et c’est ce que je me dis aussi quand Lady L. « prend la lumière », tu vois ça : quand celle ou celui que tu aimes se trouve soudain irradier…

    …Toi l’kid t’es plutôt rock mais ça n’empêche pas, j’crois que ça n’empêche rien, d’ailleurs on écoutait Elvis et Neil Young de la même oreille qu’on se sera saoulé de Thelonius Monk ou de Nat King Cole, mais c’est un autre piano que je voudrais dire ce soir que l’piano jazzy - je ne dirai pas plus haut mais ailleurs, dans une autre clairière et par d’autre allées de nos forêts intérieures vu que l’piano de Radu ou l’piano de Dinu me ramènent à un fil plus solitaire et dolent qui mènera par la vie des violents à l’errance de Richter dans tu sais quelle Sonate posthume de Schubert...

    …J’sais bien : faudrait balayer tous ces noms ! Couper court à toute référence ! Déjouer toute connivence pour n’être plus que cette caisse de résonance qu’est l’piano lui-même, là-bas au fond des bois sous les Nuages gris d’on ne sait quel Franz ou à la fenêtre restée ouverte de cette maison par un soir d’été, quand l’invisible instrument suspend soudain ta marche sur le chemin et te fait imaginer la Belle aux doigts légers ou le vieil homme s’attardant sur ses partitions aimées – et là j’revois cent fenêtres dans la nuit du Temps et ce lien courant de mélodies en phrases parfois en suspens, ah qu’en est-il de cette vie qui t’attend adolescent, qu’en est-il de tes heures à venir ma fratrie, qu’en est-il de ce qui se dit là entre les sons, qu’avez-vous fait de tant de jours offerts quand tout incitait à la Fugue, et maintenant…

    …Maintenant on se retrouverait, Lady L., dans l’extrême douceur de l’Adagio molto semplice e cantabile de la Sonate Number 32 en sol mineur Opus 111 de Ludwig Van, sur scène il y aurait cette espèce de Russe à stature de forestier du nom de Svjatoslav Richter et nous nous tairions, nous serions là hors du lieu et des heures, jamais nous n’avons parlé musique et jamais nous n’en parlerons - la musique n’a pas à être commentée selon nous, sans que nous en fassions une théorie, je te vois sourire mais ce n’est pas à moi, à un moment la phrase si sereine du début s’endiable et je te vois commencer d’onduler comme une liane, c’est l’Beethoven jazzy, puis on poursuit par les chemins écartés aux lointains incertains et là-bas nous attendent les vertiges du dernier Schubert sous la même énorme main légère…

    …L’piano de Radu Lupu nous avait rattrapés ce soir-là, Lady L. et moi, cette nuit d’arrière-automne, après la soudaine descente du jour mais comme irradiée, déchirante de beauté grave ; j’ai repensé au dernier voyage de Pierre Lamallatie et de sa mère condamnée, à se repasser leurs souvenirs partagée de concertos de piano, et je me suis dit alors que jamais Lady L. et moi n’avions assisté ensemble à aucun concert mais que l’piano nous avait suivi partout à travers les années, et quand j’dis l’piano c’est aussi l’saxo ou les voix ou les bois et les cordes à se pendre genre violon du Gitan ou de Giddon Kremer, mais ce soir-là, Radu, c’était toi et personne d’autre qui nous parlait rien qu’à nous à la radio de notre maison au bord des ombes – Radu qui nous parlait en confidence du bout de ses doigts ressuscités par l’piano…

    …L’piano, j’veux dire l’oud, Blacky, j’veux dire l’griot Douradeh sous le tamarinier de mémoire, le laboureur de mots du compère tchadien Nétonon qui nous invite à partager cette parole plus dense qu’une nuit enceinte de six-cent-soixante-six orages, autant dire ce vieux fol de Ludwig Van déménageant là-bas et se gorgeant « un peu au miel de flamboyant, beaucoup à l’eau de source et un rien au venin de vipereau », comme l’écrit Ndjékéry Néton Noël sous le ciel cisaillé des lendemains de guerre civile…

    …L’piano n’est une culture que d’apparence ou de convenance, j’veux dire : tout l’piano. L’piano c’est toute joie toute mélancolie toute angoisse au bord des cieux ou des gouffres, tout aveu de faiblesse, toute force retenue ou contenue; ou l’piano ça tonitrue, l’piano ça tourne à l’orgue entre barbarie gitane et stalinisme sublimé chostakovitchien, l’piano ça goutte-à-goutte sublime genre Gould mais tu t’en doutes, Tonio, que j’serais plutôt genre Svjatoslav titubant le long des abîmes – et flûte d’ailleurs l’piano c’est ton écho, à toi comme à tous, c’est Bill Evans si tu l'kiffes, Kiddy, l'piano barjo de Liberace ou de Clayderman, l'piano pianola genre McDo du pianoforte et  l’piano sur lequel j'improvise  ces rhapsodies  - c’est tout ça le piano, ça et et bien plus… 

  • L'Black

    Bona.JPG 

    Rhapsodies panoptiques (9)

     …Moi, Bona, tu l’sais, que l’Afrique j’en rêve sans la connaître, j’entends la Noire, la tellurique à grands ciels rouges et verts, de cette planète chaude je ne connais rien que par les mots et les images ou par quelques personnages dont tu es, toi que je n’ai jamais rencontré que par te récits et tes images, tes récits du retour au pays qui m’ont ému naguère et ta Fleur de volcan  qui n’en finit pas de flamboyer au mur de mon antre, et l’autre soir je retrouve Blacky sous le Cervin mandarine du Buffet de la Gare et demain c’est avec Nétonon le Tchadien que j’ai rencard – et j’me rappelle à l’instant les gestes de grande élégance de Khadi la Malienne qu’il faudra que je relance elle aussi dans son gourbi de Château rouge, un de ces jours prochains…

    …J’tai raconté l’autre soir sur Facebook, et tu n’en revenais pas mon cher Bona, que Lady L. avait plus qu’une longueur d’avance sur moi en la matière vu qu’elle a fait, en ses années de militance, la Révolutionnaire au Mozambique où l’avait portée je ne sais quelle fièvre héritée peut-être de sa mère batave ou de son frère le mao - bref qu’à l’âge de se caser, comme ils disent, elle s’était cassée à Maputo avec sa coupe afro, et la voilà, sept lustres plus tard, qui se met à danser sur place rien qu’à m’entendre lui raconter que vos gosses de là-bas l’attendent avec ses lots de contes et de pinceaux, la voilà qu’oublie nos vieilles osses et ses deux prothèses, le tam-tam a recommencé de battre dans ses entrailles à ce que je vois, la sauvage en elle recommence de trépigner et moi je souris en douce parce que tout ce qui fait jouvence me sourit, comme disait l’Abbé, cependant que je continue de pester contre les pourris en lisant Destruction massive de Ziegler le Bernois africain nourri de manioc sartrien …  

       Bingo2.jpg  …Mais dimanche soir dernier c’est dans les profondeurs d’une autre Afrique que Blacky m’a fait sonder le temps d’une heure après qu’il m’eut demandé, à l’aplomb du Cervin sanguine, si j’avais jamais été tenté de tuer quelqu’un et comment je m’y serais pris – comment je m’y prendrais aujourd’hui si cela devait se trouver. Du coup je me suis revu un matin dans la cafète d’un train de nuit, à une table sale où je me trouvais en train de lire La Force de tuer de Lars Noren au-dessus de mon café froid, quand le type qui se trouvait en face de moi, fixant la couverture de mon livre au titre combien inquiétant, s’était risqué à interrompre ma lecture en dépit de mes airs revêches pour me demander, l’air plus innocent assurément, voire niais, que mon Camerounais, où l’on pouvait trouver la force de tuer et comment selon moi,  mais comment diable et où trouver la force de tuer  ? Or, d’un coup d’œil, j’avais cadré l’employé de commerce ou le représentant probable d’une Assurance Vie ou Accidents de Surface, t’sais Bona, le genre à ne pas se poser trop de questions sauf à les avoir sous le nez, comme ça, avec ce type mal rasé à l’air vaguement artiste ou encore pire – je lui avais fait croire, snob que je suis, que j’étais acteur de théâtre et que je serais le tueur attitré de cette pièce selon le vœu même de l’auteur, mon vieil ami Lars -, sur quoi je le fis descendre en lui-même, après nous avoir commandé deux Aquavit, en lui détaillant toutes les raisons passionnelles et parfois rationnelles, qui font que telle ou telle situation nous amène peu ou prou à tuer peu ou beaucoup…

    Soutter9.JPG… C’était un garçon visiblement impatient et jaloux, comme mon Blackou: il ne me fallut pas une longue enquête pour l’établir ni le flair d’un inspecteur de l’affreux Dürrenmatt, genre La Promesse, pour déceler en lui une violence que j’eus à vrai dire plus de peine, ce dernier dimanche, à extirper des confidences de Blacky qui se dit à peu près jamais porté à la moindre véhémence. C’est dire que je laissai ce jour-là l’pékin du train troublé à l’excès, m’en voulant presque de l’avoir confronté à des gouffres inattendus en sa personne visiblement peu explorée. Bref, Bona, tu m’sais un peu démoniaque sur les bords, c’est mon Afrique à moi, tu verras quand tu m’saouleras à Kinshasha quel démon reptilien Lady L. a parfois entrevu dans mes délires, et Blacky me regardait drôlement, lui aussi, quand je lui ai décrit les violences que chacun de nous contient et parfois ne contient plus, je lui ai raconte ton Caravage et j’lui ai raconté l'assassin par amour de notre amie la Professorella, dans sa taule de Massa -   j’le regardais en plissant les yeux et finalement la vipère alpine a fait un clin d’œil à l’aspic de Douala tandis que le Kosovar sans imagination nous réservait à boire…

    …L’Afrique en moi, ou le sauvage, la pulsation, l’animisme qui fait les objets parler et la Nature porter tous les masques de Dieu, l’Afrique de Blacky qui toutes les nuits, il me l’a raconté l’autre soir, ventile les images des infos du monde entier à son tableau panoptique de Télé World, là-bas à Geneva Internationale, l’Afrique de Nétonon Noël revenant au bord du fleuve Logone pour écouter bruire le multimonde, comme à la première page de ses Chronique tchadiennes, ton Afrique de puisatier de beauté, là-bas à Sheffield où je vais te retrouver à l’instant via Facebook, les Afriques latinos des Rhapsodies gitanes de Cendrars, les Afriques des îles désertes que notre voisin Damien va chercher à tous les bouts du monde, l’Afrique du Taulard marié au Brésil à Maria la camarade de Lula, les continents africains de l’Imagier traînant avec son Lumix dans tous les ravins de la ville-monde et environs, l’Afrique du Malik de Tonio dans Ramdam et celle de Jackie tenant la main de ses sidéennes  de l’Eglise suppliante des derniers jours, l’Afrique de toutes les couleurs des kaléidoscopes endiablés du terrible Wölfli – toutes ces Afriques me reviennent sans cesse au cœur et par le rêve, par le sang et les humeurs, les mots et les images, et c’est juste ça que j’voulais te balancer se soir, Bona, en t’annonçant par la même occase que j’ai déposé hier ton manuscrit du Dernier jour du plus africain des peintres italiens, alias Le Caravage, chez l’éditeur que tu sais…

    Damned.jpg…Dans Le Violent de Nicholas Ray, Blacky, dans ce film important que j’te filerai à notre prochain G2 sous le Cervin mandarine, quand t’auras révisé ta copie et que le meurtre par jalousie que tu décris tiendra la route – puisque c’était ça le sujet de l’autre soir, dans cette descente aux enfers de soi qu’est ce film du feu de notre sang, Humphrey Bogart incarne mieux que personne la force de tuer, à mes yeux la suprême faiblesse de tout homme empoigné par l’Ange mauvais. Mon ami Bona que je n’ai jamais rencontré que par ses mots et ses images, est ainsi descendu en vrilles vertigineuses dans le cœur ardent du Caravage. Si tu veux écrire, Blacky, et ça vaut pour le Kid et pour nous tous, faut foutre le feu à la case et y rester bien droit sans quitter sa table, à dire ce qui est, comme c’est.  J’te dirai, p’tit gars, pourquoi je n’ai pas tué Lady L. et pourquoi je n’me ne suis pas foutu en l’air comme le pauvre Schlunegger poète sans tréma et tout au trauma de son désespoir à la Pavese…

    Congo3.jpg…L’Afrique serait le meilleur de notre sauvagerie blessée et inguérissable, j’continue, Bona, de lire Destruction massive de notre Ziegler jamais oublieux de son Bois bernois, cette nuit j’me replongerai dans Voyage où l’affreux Céline a dit, Blacky, ton Cameroun blackboulé et vilipendé par les négriers policés de nos grandes familles et compagnie, enfin quand j’dis l’Afrique c’est sûr que j’pense au Limousin de la Limousine et à l’Oberland du compère Oberli dans sa librairie de Thélème, pasque l’Afrique est rabelaisienne, l’Afrique est notre Amérique de partout et notre Chine à jamais Ecuador et Garabagne – allez Blacky, Bona, Tonio, Jackie, Bruno et ta Brunhilde, Julie et son Julot. Sophie et son Sailor, tous mes amis-pour-la vies à faces de boucs et de biches aux abois, là j’ai rencard avec le Taulard et l’Imagier chez notre voisin l’Amateur de curiosités – permission de sortie signée par Lady L. genre Laure et Béatrice dans l’même panier de pianos…       

  • L'Homme qui tombe, story 1.

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    Rhapsodies panoptiques (8)

    … « Nuage apparut en trombe tout en haut de la rue tombant en pente comme du ciel à la mer, voyou et sa voyelle sur la Kawa, elle lui serrant le pilon dur sous le cuir, elle aux cheveux du Cap Vert et aux yeux pers et lui le frelon rapide et sa cam en bandoulière qui ferait de lui le sniper des images en mouvement, et tous deux crièrent Sancho ! leur cri de guerre, et le film en projet fut lancé, la Kawa rugit elle aussi, le compte à rebours des producs pourris allait commencer, qui avaient déjà mal préjugé de la belle paire : on était loin avec ces deux-là de Sailor et Lula, loin en avant, à nous la vie et la poésie pétaradant - et j’avais noté, moi le romancier qui-dit-je, j’avais noté sur un bout de papier, dans mon coin, ceci qui lançait pour ainsi dire le roman du Voyou et de sa Voyelle :  « En l’honneur de la vie aux funèbres trompettes, j’entreprends d’écouter, dans mon corps, jour par jour, l’écho de ce futur qui ne cesse de devenir du passé , dès qu’on le touche,»…

    …C’était le 11 septembre dernier, Tonio, je t’avais dit que j’avais commencé d’écrire,  ce jour-là, quelque chose de nouveau  dans la foulée de Nuvem, le  film de Basil Da Cunha, et ce quelque chose avait été ce début de story me glissant soudain sur l’écran d’ordi de haut en bas mais comme en suspension, genre l’homme qui tombe qui, depuis quelques jours, avait recommencé de tomber et retomber de tous les côtés vu que ça commémorait partout à outrance dans les médias, donc je pensais à cette image de l’homme qui tombe et du coup une autre image s’y était superposée, du voyou tombant du ciel avec sa voyelle, et là je m’étais dit que ça pourrait amorcer ce roman panoptique auquel je rêvais depuis quelque temps, tu sais ce roman qui dirait le monde et le plus ou moins immonde du multimonde – donc j’m’étais mis dans la posture du romancier-qui dit-je et je m’étais lancé tête baissée dans ce que j’imaginais une épique évocation de l’époque comme il ne s’en fait plus assez qu’au cinéma – et dans la foulée j’avais écrit que le monde et l’immonde se dévoileraient sur les millions de petits écrans connectés de la ville-monde, j’avais écrit que je passerais  des heures à regarder ça à n’en pas croire mes yeux, j’avais écrit que  tout ce qui jusque-là se cachait se montrerait là, que tout serait arraché au secret, que tout s’étalerait, que l’obscène deviendrait la scène à faire sans interruption même de publicité car tout deviendrait publicité du pareil au même, tout deviendrait égal, tout pourrait s’empiler, tout deviendrait n’importe quoi – et dans la foulée la phrase des Carnets de mon ami Théo m’était remontée à la gorge : d’ailleurs c’est bien simple, écrivait ainsi mon ami Théo : ou bien les hommes sont ouverts, c’est-à-dire infinis, ou ils sont fermés,  finis, et dans ce cas on peut les empiler. Ou en faire n’importe quoi… 

    …Tu connais la chanson aussi bien que moi, Tonio, j’entends : la chanson de la story, la vieille obsession de raconter mais comment désormais - la question de plus en plus ressassée du comment raconter le monde, et toi aussi, et le Kid aussi, et Blacky, et l’affreux Popescu et Bona Mangangu et Douna Loup aussi tous les jours y achoppent, et chacun y va de son essai, Bona se glisse dans la peau du Caravage, Lamalattie dans la sienne à lui, tous ils se trémoussent et ça donne ce que ça donne genre Symphonie chaotique pour un monde dont on ne voit plus bien où il commence et finit ni par quel Haut ou quel Bas commencer de le raconter… 

    …L’homme qui tombe depuis dix ans et le Quichotte à moto se lançant avec sa Dulcinée en quête d’un nouveau film pourraient se filer comme une story de l’époque, m’étais-je dit ce dernier 11 septembre, mais ce que je me suis dit, ensuite, c’est que j’aurais à raconter surtout l’à quoi bon de l’époque ou la vérité plus composite de l’époque, le compliqué de l’époque, le tordu et le tendu de l’époque en crise en  veux-tu et voilà -  tout ce que Basil me raconta, descendu de sa Kawa des hauts  quartiers où il était allé faire valoir son nouveau dossier aux producs, tout ce qu’il m’a raconté ce soir au Café des Abattoirs, à picoler avec son amie du Cap Vert, et tout ce qu’il espérait tirer de tout comme tu m’as dit, Tonio, le tout de ce que tu espérais concentrer dans Ramdam, tout ce qui se passe sous nos yeux pendant que le pauvre homme tombe sans tomber – mais comment raconter tout ça ?

    …Ils en sont tous là les griots et les griottes à la manque de l’époque en manque de soi, et ce n’est pas Bona, ce n’est pas Blacky, ce n’est pas Jackie ou Lady L. qui me diront que j’attige : on va tous à tâtons sur les brisées de Tati et compagnie dans la grande surface mondialisée, on titube comme la toupie de l’enfant au toton, on rejoint Lamalattie dans l’humour de la situation et le sourire radieux de l’avenir plus ou moins foireux tandis que Levy & Musso jouent l’produit…

    PanopticonA34.jpg…L’produit c’est la story rabâchée. L’produit c’est l’serial killer en série recyclée. L’produit c’est le contraire du délire et de la moindre surprise. L’produit c’est l’formaté. La story qui fonctionne c’est  l’scénar de l’astrophysicien visionnaire genre Clooney qui se pacte avec la paléontogue genre Schiffer. Et tout ça, l’produit genre superstory c’est tout Bonus et Conso dans le décervelage à tout-vat, mais tout ça se racontera…

     … Nuage restera le rêveur de là-bas, dans le bidonville lisboète d’un court métrage de  Basil Da Cunha, sauvage selon mon cœur s’il en est. La story de Nuage est l’poème le plus simple et le plus doux dans ce biotope décavé de voyous et de voyelles. Avec Basil j’suis entré dans La Chambre de Vanda de Pedro Costa, genre pas loin des abattoirs, dans la zone industrielle aux hangars pleins de sans-papiers et de filles genre Russes ou Roumaines, pour tout dire très mauvais genre tout ça mais saignant la story. Et Costa j’te dis pas, Tonio, ça se lit plan par plan comme du Cavalier en plus noir et bleu vert grenat : c’est du feu et de la chair de fer et ça ne bouge presque pas mais ça vibre de par dedans et dans l’air – c’est par là que la vraie story passera, j’entends : l’Histoire des Gens et des Lumières…   

    Flannery28.jpg…Sur quoi Douna Loup la ramène par la forêt, la story de son mec sans passé. Douna met dans la cible du premier coup. La story de Douna m’a tousuite rappelé celle de La bouche pleine de terre de Scepanovic, tu sais Tonio, le type qui sait qu’il va clamser et qui choisit de le faire incognito dans la forêt où deux campeurs commencent de le filer, et le v’là qui les fuit et s’enfuit et que toute une foule, bientôt, se met à le poursuivre à travers bois comme un malfrat où un animal sauvage - donc là j’entre en matière question story, ça va de soi, comme avec Le Tunnel de l’affreux Dürrenmatt ou Petite femme de Kafka, Le cheval de Tolstoï ou La mort d’Ivan Illitch ; là parler de story reprend du sens et du poids et ça y va, tu peux reprendre n’importe quel short story de Flannery et là tu tombes de haut comme l’homme qui tombe et retombe au gré de la triste story des médias, Flannery O’Connor c’est du feu de Dieu en matière de story, et allez voir Aline de l’affreux Ramuz, Kiddy et Blacky, allez voir la Douce de Dostoïevski et vous m’en direz des nouvelles en matière de story…

     

    …De lFallingMan1.jpg’homme qui tombe et retombe, personne ne pourra jamais dire ce qu’il a ressenti pendant l’éternité de sa chute, mais ce serait ça l’défi, ce sera toujours ça l’défi des rêvassiers et des plumassiers qui se prennent la tête entre le zéro et l’infini, ce serait ça la success story  possible que  de refaire ce chemin-là de toute ta vie qui se résume avant le fracas, toi, regarde-toi, figure-toi que t’es là, que t’en es là la tête en bas – le monde entier s’est fait à cette image de toi comme ça, marchant dans le ciel à l’envers tout peinard alors que tes secondes te sont comptées, là j’te défie aussi, Bona, t’as pris la voix du Caravage pour nous raconter sa vie en quelques heures à fleur d’agonie, mais là c’est en quelques secondes hébétées que ça se ramasse et faudrait que l’humaine communauté se reconnaisse dans ce que tu dirais, regardez-vous tant que vous êtes, regardez-vous – ça vous regarde…

  • L'buzz

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    Rhapsodie panoptiques (7)

    ...L’Taulard ce qu’y mijote ces derniers temps, moi j’sais pas trop, mais le sûr c’est que ça se passe tout dans la forêt, dans l’trafic avec des gens, peut-être, peut-être même de l’autre côté du mont. Tu sais ça, Tonio, tu sais  le genre Farinet, et l’Bagnoud sait ça aussi, c’est une vieille affaire suisse tout ça : c’est de ça que me parlait le vieux dino dans l’arrière-salle du Hirsch, dit Le Cerf, cette année-là, quand Sean Penn a sorti sa version de La Promesse; on s’était retrouvés là grâce au cher Otto qui s’était installé dans les bonnes grâces de l’affreux Dürrenmatt à cause du diabète - tu peux pas imaginer la fraternité du diabète, Tonio mon frère -, et là pour la première fois je m’étais retrouvé en face du rhino féroce, je ne te dis pas l’impression sur ma timidité même s’il n’y avait rien chez lui que de la grosse nature forestière du sanglier et rien du tout de condescendant, tout à fait comme on l’a vu à Apostrophes genre patapoffe bernois, et voilà qu’il me parle de l’Esprit de bois et de Farinet. Enfin quoi tu te marres, l’Taulard ! Farinet ! …

    Camperduin2.JPG...L’idée était de s’éloigner. L’idée était de s’écarter du Trend, comme ils disaient. L’idée était de se tenir un peu à l’écart. Pas tout à fait hors du coup, mais sur les bords. L’idée était de se garder, non pas une porte de sortie mais un balcon en forêt, et c’est ce que je voyais ces jours du Taulard: qu’il s’éloignait. L’Taulard a coupé les ponts de Facebook, et d’une. Et de deux: L’Taulard s’est éloigné de l’Imagier à ce qu’il semblait, mais ça c’était son histoire. On a commencé à se parler moins avec l’Imagier et avec l’Taulard, c’était notre histoire à nous vu que j’étais pris pour ma part et de plus en plus par l’idée de ma forêt à moi qui s’étendait là-bas dans le multimonde ramifié. L’Taulard se faisait de nouveaux amis concrets, alors que je vivais avec des gens de papier. Et j’me retrouvais une fois de plus, Tonio de mes deux, dans la situation d’la souris papivore que raille Zorba le Grec, tu t’rappelles puisque t’en es là toi aussi, nous en sommes là les plumassiers paperassiers avec nos lubies genre rhapsodies, Zorba construit son téléphérique et nous ne sommes pas bons à l’aider en matière d’ingénierie, comme on dit aujourd’hui, nous sommes les improductifs de l’arrière, les rêvassiers plumassiers juste bons à filer la phrase et encore, ça se discute, c’est très disputé dans les cercles, c’est ton verbe contre le mien dans les cercles, enfin tout ça pour dire que le Taulard et l’Imagier, à s’éloigner, commençaient à mieux m’apparaître en silhouette, ça c’est la loi du genre : plus le Sujet s’éloigne et mieux tu l’vois…           

    LUCY2011 035.jpg …J’ai pensé pas mal à tout ça ces jours pendant que l’automne filait ses ors fins et le tramait brocart avec des orangés et des pourpres que c’était du jamais vu, ou du moins c’est ce qu’on se disait vu que chaque année ça s’aggrave en beauté. J’veux dire : chaque année que tu prends dans les artères l’monde est plus beau, ça tu peux l’noter Blacky, et ce n’est pas la Limousine qui me contredira si tu vas l’interviewer – on en a pianoté toute la soirée d’hier soir, avec la Limousine, pour se nous les raconter, les ors et les violets de nos soirées à mille kils à vol de gerfauts, tu l’notes Chokito : on s’est jamais vus qu’en photos la Limousine et moi et la converse est pourtant familière et pour ainsi dire jardinière, c’est cela même : on est au jardin, c’est ce que disait la veuve de mon cher Marcel, t’sais Tonio, Marcel Aymé que tu kiffes aussi, pour causer comme Kiddy et Blacky, après que Marcel a  clamsé Madame disait donc : Marcel est au jardin, et pour nous c’est du kif avec la Limousine, on ne se connaît depuis bientôt des années que par Facebook, elle est aussi vioque que moi ou peu s’en faut – je n’ai pas vérifié, j’connais le nom par cœur de ses petits chatons Noé et Théophane, fils de son fils et de sa fille, j’connais tout ça par cœur, j’ai vu ses portraits au jardin et face à la mer, elle n’aime pas trop que j’l’appelle la Picarde vu qu’elle préfère son Limousin d’origine AOC pays des troubadours et compagnie, bref ce que j’voulais dire c’est que plus on se prend de lignes sur l’aubier et plus la beauté de tout ça nous crève les yeux à nous faire mal, non mais des fois…

     Dürer.jpg…Des fois j’me dis, et j’le dis à Lady L. sur l’oreiller, que personne n’a jamais peint ça comme ça, j’veux dire : comme c’est, même pas elle, qui ne se prend au demeurant ni pour Dürer à l’aquarelle, genre La Grande Touffe, ni pour Rembrandt non plus : j’veux dire le Rembrandt des arrière-plans. Vers cinq heures du soir ces soirs, vus de La Désirade où nous créchons, ce qui se montre en train de disparaître est comme une prière en couleurs, nom de bleu de nom de spectre. L’buzz du moment dit que la tendance du moment serait l’parfum  Tendance justement, d’la fameuse ligne Tendance à quoi tu ne peux échapper si tu veux rester dans l’Trend. L’buzz dit que l’parfum Tendance est le seul parfum réellement éthique. Si tu te brumises au parfum Tendance tu vas maximiser ton potentiel éthique : c’est marqué sur la pub et le flacon et l’buzz pavlovien se répand dans le multimonde et là tu t’sens déjà plus cool dans l’moule, t’es de l’éthique tribu – bref l’buzz dit tout ça mais nous autres les attardés, les indolents contemplatifs à la mords-moi, nous les bohèmes improductifs nous n’avons que ça : ces couleurs à chialer et cette descente des moires et des nuances et toutes les années nous reviennent au pinceau, mais comment peindre ça nom de Dieu ça c’est un secret que même le buzz ne peut pas percer…

     …L’idée  aurait été de dire tout ça mais ce n’sera pas évident, comme ils disent sur les plateaux intellos, le soir à la veillée télé. Dire la beauté ce ne serait pas se contenter de l’euphorie-minute genre J’aime/J’partage de Facebook, tu sais, Maxou, la maxi confrérie du j’partage qui te classe du coup de la bonne bordure. Dire que la beauté fait mal rien qu’à se montrer sur un visage ou à la face du ciel, j’sais bien Blacky : ça fait pompier, ça te fait marrer, mais voilà que tu t’mets à raconter, toi, comment ton oncle ruiné guette avant l’aube l’apparition du disque orangé et le salue en marmonnant son m’bassa sorcier, ça j’ai noté dans tes nouveaux écrits et c’est donc que c’est de partout la beauté comme ça qui fait mal, on n’en a pas parlé hier soir avec la Limousine mais c’est de ça qu’il était question entre nos textos pianotés à point d’heures sur Facebook, et voilà ce que je vois ce soir à la fenêtre de mon antre de La Désirade et que j’balance aussitôt en image numérique sur Facebook où des flopées de tondues et de pelés vont y aller de leur j’partage, non mais j’rêve, t’as vu ce que je vois, t’as vu ce psaume déjà cerné de noir, t’as vu ce show Grand Pano, plus cliché tu meurs et pourtant ça te fouaille, si ça insiste tu vas dire à nos mères défuntées de se bouger qu’elles rappliquent à la fenêtre mais ça ne se peindra pas, ça ne s’est jamais peint que dans les cœurs tout ça et déjà ça ricane au fond du zinc, ça c’est sûr vu que la beauté c’est tout relatif et baratin, qu’ils disent à genoux devant leurs beautés de papier genre Miss Univers, et tu sais quel buzz se faufile ce  matin, non mais tu vas tonitruer de ton rire jusqu’à Kinshasha, Bona :  l’buzz c’est que Mister Univers serait sur l’point de faire son coming out, si ce n’est déjà colloqué dans l’Guiness 2011…

    Léman5.JPG …Au déclin du jour j’en étais donc toujours là, tout con, sur le chemin de traverse conduisant de la Datcha de La Désirade à l’Isba qu’à tracé le Taulard, à regarder le crépuscule faire son job, et c’est alors que l’Taulard et l’Imagier ont réapparu, pas moins éberlués et silencieux que Lady L. qui nous avait rejoints, et l’buzz même a fait silence, là ça virait mystique tu m’diras mais même pas, c’était juste comme ça à n’y pas croire et c’était là, comme nous étions là, tu peux m’croire…

     …Ce matin que je clapote  tout ça sur mon pianola numérique, je sens que j’pourrais commencer, pas plus tard que demain, ce roman panoptique auquel je songe depuis des années, qui m’permettrait de tout dire – rêve idiot de vieil ado, j’te le fais pas dire mon Tonio. Même que j’y ai repensé le 11 septembre dernier, tandis que ça commémorait tous azimuts genre L’Homme qui tombe - le retour. On s’dit tous les jours, les souris papivores et compagnie : demain j’commence le roman du siècle, pas moins. J’balance un Edelweiss à la Limousine par Facebook et la Limousine y va avec 1888 autres amis-pour-la vie de son : j’partage. Et c’est ça qu’est rigolo : ce partage. Ma Lady, l’clochard que j’suis la partage pas, sauf en peinture. Mais c’est ça justement ça qui nous fait partager pas mal elle et moi, et tous ceux qui se tenaient hier soir au bord du ciel du multimonde à mater l’show de la fin du monde de ce jour qui ne reviendra pas ça c’est sûr : c’est tout ça qui se peindra jamais et que personne, jamais, n’dira…

    Crépuscule mauve, Lucienne K, dite Lady L.. Huile sur toile, 2010.

  • L'barjo

    Lamalattie14.jpg

    Rhapsodies panoptiques (6)

    …Moi, tu l’sais Jackie, j’supporte pas les poëtes, et ça s’aggrave : plus j’aime la poésie et plus je trouve les poëtes graves, comme disent Kiddy et Blacky dans leur novlangue, plus j’kiffe la poésie et plus les postures des poëtes, j’veux dire des poëtesses et des poëtes, comme on dit les collaboratrices et les collaborateurs de notre aimée Police – plus tout ça me paraît de la pure imposture, genre j’suis la plus ou le plus pur(e), j’suis la pureté dans la multitude impure, j’suis le Verbe et l’Immaculé, j’suis l’Albatros dans l’multimonde atroce, en deux mots et en une image multipack:  j’suis la Rose Bleue…

    …C’est l’affreux Dürrenmatt, j’te le fais pas dire à toi qui supportes un germaniste à la Tonio, c’est l’dino bernois qu’a forgé ce concept, comme on dit aux cafètes des facultés de stylistique, c’est l’rhino des steppes alémaniaques qu’a trouvé cet emblème de la Poëtique Attitude – et là tu vises une bonne fois l’tréma vu que ça fait la différence -, et dès que j’invoque la Rose Bleue s’élève la mélopée qui t’annonce l’défilé solennel des poëtesses et des poëtes, ca va craindre mon petit Kiddy, ça va sangloter dans la procession à lentes palmes azurées, et v’là toute le smala en immobile mobilité, v’là tout ce que t’aimes aussi Jackie sans doute à tes soins palliatifs à journée faite, et c’est tout itou ce qu’aime Lady  L. la fille de Batave socialo plus nature tu meurs, vous deux tellement trop près des choses pour léviter à l’unisson des poëtesses et des poëtes, mais ceusses-là défilent ce matin pour instaurer un jour le Jour de la Poësie afin que la poësie soit vécue par tous jusqu’au dernier jardinier, j’veux dire la dernière caissière de la Coopé ou le dernier plombier polonais, donc chacune et chacun ce matin sur les ondes et partout y va de sa prise de parole, comme ils disent: la Poësie est mon essentiel soupire Marie-Ange Pseudo les yeux au ciel et son frère en écriture Werner Ewald Barjo lui fait écho dans le suressentiel, et les cieux s’entrouvrent comme de grands yeux bleus soulevant leurs paupières innombrables – enfin tout l’bazar, tu vois quoi…  

    Lamalattie13.jpg… Mais là tousuite, ma croquante, Madame Conscience me défère ses doléances par courriel notarié, pour me signifier qu’à tant exagérer on fait le lit de l’insignifiance alors qu’il s’agit de se mettre À l’écoute et qu’en somme c’est moi l’barjo dans tout ça, moi qui ne comprends pas, moi qui déjante et ça la peine ça, dit Madame Conscience qui sait que ça me peine toujours quelque part que ça la peine, donc là j’arrête un peu de me seriner par cœur du Pavese ou du Rilke Rainer Maria, j’oublie un moment mon Cavafy bluesy et mon Audiberti, j’me branche sur À l’écoute de l’autre la fameuse émission de Madame Conscience à la douce voix légèrement voilée par la clope ou plutôt par la frustration du renoncement à la clope - à vous Madame Conscience…

    …Or à peine que le jour s’est levé, quand toi tu rentres à peine de ta dernière veille d’un jeune cancéreux en fin de Doulou  et que Blacky m’annonce par SMS qu’il va s’faire un Parcours Santé, à peine j’ai jeté sur mon écran plasma ces premières amabilités sur la Posture Poëtique, à peine tout ça que Madame Conscience y va de son prône télépathique comme quoi je n’entends rien à la Poësie Poëtique vu que j’ai même pas de diplôme et comme quoi, quoi que j’en dise, la Poësie Poëtique est la seule chance-de-vie et la seule issue pour les Académies et les Banlieues, comme quoi je n’entrave que pouic, ça c’est moi qui signe, enfin comme quoi je d’viens insignifiant à tout exagérer ce qui signifie au fond, comme Madame Conscience aime à rappeler que c’est d’au fond qu’elle parle, que je dois être monstre jaloux des poétesses et des poëtes poëtiques qu’elle reçoit à ses matutinales Lyres Matinales

     …Moi je promets tousuite que j’resterai à l’écoute toute la sacrée journée. Moi l’écoute de l’Autre ça me branche un max mon petit Maxou, ce matin son Buddy félicite Number One pour les vingt-neuf balais qui dansent à sa porte comme dans Walt Disney, j’viens d’envoyer un texto à 29 cookies à la  fille aînée de notre église dont l’prénom dit qu’elle aime la folie quand elle est philosophe - je me récite in petto « Merveille d’être au jour / Merveille des merveilles » du poète mal posturé selon mon cœur, Schlunegger le sauvage qui s’est une matinée comme ça foutu du haut du Pont de Fenil, tout à côté ou quasi, à un coup d’aile d’épervier de l’Isba, allez Madame Conscience allez-y d’vos doléances, là j’ai à faire…

    …Mais là je sens que je vais encore m’énerver, Jackie, vu que j’sens que je ne vais pas pouvoir faire ce que je voudrais pour Lamalattie comme je voudrais, genre Le Bel Article dans le journal où j’suis encore mercenaire pour quelques lunaisons. Toi tu l’sais bien ce que c’est d’être empêché de bien travailler, Jackie, tu te braques d’avance avec ton caractère jurassique, tu donnes de quatre fers dès qu’un Administratif vient t'faire chier sur ton portable alors que tu t’occupes d’une ou d’un Fin-de-vie, comme ça me fait chier de savoir que j’aurai que 3000 signes rachitiques dans 24Heures pour claironner que Lamalattie c’est top santé, déjà j’râles comme un barge de dino en constatant que mon logiciel de connexion s’est planté et que j’vais devoir descendre de mon alpée à la ville urbaine, mais j’me dis aussi que je suis méga verni avec des gens comme toi et Lady L. et Lamalattie et le cher Oberli sur ses hauts à lui et l'Amstutz à Cologny-sur-Flouze - allez les barjos on s’accroche…

    …D’ailleurs moi tu sais, l’appellation contrôlée BARJO AOC, j’hésite de plus en plus, et ça s’aggrave en lisant 121 curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, mon Goncourt perso de cette année : j’veux dire j’vois bien qui est barjo au sens premier d’jobard et qui ne l’est pas, vu que le sens a glissé et qu’avec des lascars genre Lamalattie comme un pardon se glisse dans le décri, si tu vois c’que je veux dire – j’entends que la critique aquatique genre Philémon ou le Kritiker selon le dino bernois, tu sais le terrible dessin du Kritiker en train de se goinfrer de Créatifs, tout ça va vers un certain relatif quand tu ne cesses de bouger dans l’panoptique a passé cinquante, soixante balais – et tout à coup ma Jackie t’as un Administratif qui débarque dans ton service avec une tumeur comac et c’est pour toi ce soir-là…

    Deschiens33.jpg… Donc faudra vraiment que tu lises Lamalattie, Jackpot, vu que ce barjo selon mon cœur est très exactement aussi un sauvage selon mon cœur qui m’fait rire toutes les trois lignes et sourire entre deux : l’autre soir j’me plie avec son portrait de jeune fille un peu rétro, au Ministère de l’Agriculture, section Institut Spécialisé du Vivant (ISV), qui prône une meilleure approche de l’Autre à cornes au titre de leader régional des jeunes bovins, avant de pousser plus loin ses portraits de gens genre Jean-Jacques à Innoboeuf qui conçoit le steak de demain ou genre Hrvé qui a rencontré la mère de ses enfants dans une assoce de promotion de la bourrée, tu verras qu’y fait bien Lamalattie, c’est le viatique du moment ce barjo-là, c’est le nouveau cornac de curiosités bipèdes genre Deschiens, et tu sais combien j’aime, l’Humanité Deschiens, la toute grande classe Yolande Moreau genre Houellebecq sous le volcan raplapla, genre ma Picarde sur Facebook ou ma Sweetie neuchâteloise, enfin t’as le choix toi qui les vois défiler à journée faite dans ton service de candidats macchabées, tiens faudrait à l’Abbé Pierre Lamalattie de se pointer dans l’hosto suisse où tu sévis avant de faire un tour aussi à la HEP de Lady L., y en aura pour tous les barjos que nous sommes, poëtesses et poëtes y compris, j’t e le fais pas dire…    

     

    Lamalattie3.jpg…Ce qu’il y a de beau aussi, chez l’barjo Lamalattie, c’est qu’il parle sur le même ton très attentionné du pire trou de cul genre Legoff, tu sais, Patrick le Goff son nouveau chef des Relations Extérieures à l’Institut Supérieur du Vivant, ce trou de Legoff qui a commencé par faire murer le passage qui faisait communiquer leurs deux bureaux mitoyens et qui se lance dans une croisade contre les pédagogies passéistes sans rien en savoir d’à peu près, et sa mère, donc la mère en train de sourire de Pierre Lamalattie, sa mère qui voyage avec lui de Paris en Corrèze et qui clamse à la fin en douceur sans avoir vraiment reconnu ses dons de peintre de portraits vu qu’elle était plutôt paysages, c’est ça que j’aime chez lui autant que je l’aime chez Lady L. ou dans les livres de ton barjo de Tonio, c’est disons le côté tendre de la vie – mais là j’vais arriver aux 8888 signes de ma sixième rhapsodie en sol pointé donc j’te laisse à la poésie de la vie qui se décline sans tréma…

    Lamalattie2.jpgPeintures: Pierre Lamalettie. À visiter absolument: le site du peintre et écrivain:

    À lire non moins urgemment: 121 curriculum vitae pour un tombeau. L'Editeur, 446p.

    À commander fissa: Portraits, le versant pictural du roman. L'Editeur, 2011.

  • L'délire

    Federer12.jpg

    Rhapsodies panoptiques (5)

     …Ce qu’on se demande, à présent, c’est si ces fils de pub des agences zurichoises vont pas lancer l’mouvement Santo Subito pour Rodgère, non mais t’as vu ces placards, t’as vu cet ange blanc qui sort de la brume immaculée du ciel de la Réussite, t’as vu ce marketing omniprésent que ça en d’vient aussi insistant que les effigies de Ben Ali dans la Tunisie de naguère ou que celles d’Enver Hodja au pays des aigles -  le sexe à piles Wonderboy en plus, j’te le fais pas dire, eh mais t’as vu ce délire, et tu veux que je vote pour cette Suisse-là, non mais des fois…

     

    …J’étais en train de me réjouir, au TJ, de la nomination à la présidence de la nouvelle Tunisie de Moncef Marzouki, l’vieux lutteur dont le vieil Haldas m’avait fait découvrir les récits de prison il y a des années de ça et dont le retour au pays, l’accueil qu’on lui a fait, le positions prises que l’ami Rafik Ben Salah trouvait trop favorables aux islamistes alors qu’elles me semblaient proches du pays réel sans trop fleurer l’opportunisme, enfin j’sais pas trop, tu sais que j’suis vraiment pas ferré dans ces matières-là, mais bon ça me touchait quelque part que le combat du vieux lutteur contre la dictature fût finalement justifiée, comme il en a été avant lui de Vaclav Havel ou de Lech Walesa, de Nelson Mandela ou du Brésilien Lula – ça m’a touché presque aux larmes de le voir là  même si personne ne sait trop ce que tout ça va donner, et dans la foulée v’là l’archange de la raquette onduler dans les nuées impalpables de son empyrée de studio, non mais j’te jure, déjà que je l’avais repéré ce matin sur les placards de la ville,  au format Univers, pour les Assurances Longue Vie, et v’là qu’on nous l’relance au Prime Time avec son bon sourire content de son Absolue Compétence, laquelle   ne fait que refléter la Totale Excellence de la Suisse qui gagne, mais là ça ne suffira pas, j’te dis, va falloir canoniser l’Federer, on s’découvre dans les travées, on s’incline, on s’agenouille à s’aplaventrir en salamalecs, on va faire mieux que les mahométans de la rue de Marseille qui ont tant fait fulminer Rafik lors de notre dernière virée là-bas, de Tunis à Moknine – Allah est top grand mais c’est Roger Federer qui ce soir nous fait pisser le dinar…

     

    … Avec le Taulard je ne pouvais pas ignorer le fin du fin du génie de Rodgère, c’est pourtant vrai, depuis les années qu’il le  scotche et le  bluffe et depuis que lui et l’Imagier  me racontent ses exploits, vu que moi j’arrive pas à me visser à ces échanges de plop-plop ou aux râles de Nadal, et ça nous a toujours fait plutôt marrer de le voir comparer aux plus grands artistes et aux cerveaux les plus Maxis de tous les temps, comme quoi Federer était le Leonardo des courts avec son sourire de Giocondo Maschio, l’Mozart du lob ou l’Einstein du tir ondulatoire à revers corpusculaires - j’te fais pas un dessin sur le génie proportionné de nos chroniqueurs en matière d’invention recyclée par les publicitaires, enfin nous autres sauvageons ce qu’on aimait c’était bien quelque part l’artiste chez Rodgère, ce qui échappait miraculeusement à la Méga Machine à gagner, mais là maintenant, depuis quelque temps, bien au-dessus des vices et vicissitudes des mortels olympiques qu’ont l’plus de niaque de chez niaque, là ça devient l’délire comme c’est avec les dieux de tous les cieux que se compare l’Ange de la Grande Chelemitude, et là j’sens qu’on va encore s’amuser, Kiddy qui viens de sauter dans le TransEuropExpress new look destination Budapest où tu vas vérifier ce qu’il y a de nouveau à L’Est, là j’me réjouis de parler avec Tonio qui ne manque pas lui non plus un match de Rodgère même quand il glisse sur le lac à bord de son skif, là je l’attends quand il aura lu les pages de Pierre Lamalattie sur « l’extravagante importance du sport  à notre époque », là j’me réjouis de retrouver Blacky dimanche soir au Buffet de la Gare, sous le Cervin mandarine, pour lui dire un peu de ce que je pense de son nouveau manuscrit, enfin j’me réjouis évidemment de ne rien manquer du prochain match de Federer que me racontera l’Taulard tard le soir…   

    …Ce que j’veux dire, en somme, c’est que le délire n’est pas ça : j’entends le vrai délire. Ce que j’veux dire c’est que la bonne exagération n’est pas là, dans ce formatage à outrance sans trace de vraie transe. Dans le bar du Roumain j’écoutais l’autre soir Blacky me raconter l’art du commérage de son Afrique à Douala, et ça me faisait rêver, ça, ça me ramenait au vrai délire immémorial de l’initial griot qui nous serine sa Genèse, le vrai délire c’est ce que j’entends battre en sourdine, tagadam, dans le Tam-tam d’Eden du compère Tonio, le vrai délire relance la danse de Zorba, mon premier mentor imaginaire, quand je marchais seul dans les hauteurs des Ecrins - véritable joyau de solitude adolescente et de chant et de délire ardent que j’étais à seize ans pendant que mes congénères se livraient au plop-plop dans le camping d’en bas, moi j’suis de ces nuls que le Match Réussite n’a jamais fait rêver; ce qu’on lui a reproché à ce désinvolte est d’avoir toujours trop rêvé mais pas à ça, pas rêvé du tout à la niaque de chez niaque, jamais amorcé la machine à gagner ce branleur solitaire à la Walser, jamais vraiment joué le jeu, non merci, ce fieffé Bartleby des retraits préalpins, jamais relevé ce défis-là, jamais de la classe qui fait rêver la Suisse ce gars-là…      

     …L’défi je me réjouis de raconter ce que c’est à mes yeux avec tous ceux que je croise et entrecroise tous les jours que Dieu fait – enfin ce qu’on appelle Dieu et pas que le soir dans les bars -, j’veux dire le vrai défi du vrai délire qui consiste à se raconter depuis la Nuit des Temps, et même avant, comment c’était et comment on ne sait pas que ça sera jamais, donc au plus-que-présent de l’indicative félicité cernée de noir, le délire de penser que Number One, notre première infante avec Lady L, vient au monde demain avec son  destin dans la main, un 23 novembre par temps limpide, et que c’est avec l’Imagier qu’on est allés l’accueillir en fanfare ce matin-là et qu’on lui fera livrer demain vingt-neuf balais – le vrai délire découle de la sainte banalité de nos jours, ça c’est l’sermon du jour mes chers  Blacky & Kiddy qui avez l’âge d’amorcer le délire que je dis là, et Number Two nous sourit là-bas dans la nuit avec son Buddy, Tonio, Jackie et tout le Gang Big Bang des nullités de notre acabit, Bona  de l’autre côté de la nuit et les adorables greluches et greluchons de Facebook - chacun dans sa nacelle et valsez voltiges…

     Bona.JPG…L’vieux fol vient d’aligner ces 6000 signes d’une seule coulée mais le quota du jour sera de 8888 signes pas un d’moins, c’est le défi qu’il a relevé pour Yari qui lui a commandé au début du bois un inédit pour Le Courrier et le site Culturactif, Yari qu’il n’a jamais rencontré de visu et qui a l’âge de Number One -  Yari et sa sœur Anne de mèche, sa collègue avisée du Courrier  où a paru hier la première de ces rhapsodies que l’défi sera de multiplier par 88, 8 étant le chiffre de l’infini debout, vous allez droit sur les brisées de Bolano m’a dit Yari en riant entre les lignes de son courriel et j’ai souri en pensant aux Détectives sauvages de mon ami Roberto tant de fois rencontré en rêve, v’là le vrai délire, Roberto Bolano, j’vous dis que ça les commères de Douala, l’vrai délire c’est là-bas au bout de la piste de glace, à l’extrémité de l’esplanade, là où vous voyez l’matos des deltaplanes et où s’est installé l’orchestre de sardane, l’délire ce sera la musique des ailes soufflées par les cuivres et l’tambour d’Eden dans le sang tandis que la baballe de Rodgère fait plop-plop dans la bulle de l’Univers managérisé – c’est tout ça l’délire et ce n’est qu’un début pas vrai le Kid qui te réveillas tout à l’heure à Budapest, et v’là que mon délire accumule les PHRASES LONGUES, là j’ai de nouveau seize balais et j’vais retourner au camping d’Ailefroide où mes vieux dorment déjà, j’me glisse sous ma canadienne verte à une place où je retrouve mon Zorba dans le rond magique de ma loupiote, enfin je r’trouve ce soir la Grèce en plein délire, et l’Egypte j’te raconte pas, mais faut que j’envoie un p’tit texto à mon compère de blog Jalel El Gharbi, faut aussi que j’fasse un signe à Bona vu que j’ai vu ce matin  les gens de L’Age d’Homme auxquels j’ai proposé son manuscrit du Dernier jour de Caravage, là ça serait du délire que ça passe- du vrai délire, ça…      

  • L'Bonus

    Dürrenmatt15.JPG

    Rhapsodies panoptiques (4).

    …Là-dessus j’envoie un MMS à Tonio pour lui remonter le battant, lui qui se prend pour l’maudit de la classe et le recalé des intermittents, je lui envoie l’image, plus précisément, des battants pendus hauts et courts à trois lustres ou en train de se flinguer autour d’une table de festin,  on connaît le tableau du vieux dino, on n’dira pas que c’est du Goya ni moins encore du Velasquez même si ça fait un peu fin de corrida verticale, ça pourrait s’intituler Bienvenue au conseil d’administration ou quelque chose comme ça, avec une vingtaine de banquier pendus ou flingués, j’sais pas de quand date cette croûte sublime actuellement suspendue sur une paroi du Centre Dürrenmatt de Neuchâtel, mais bon : j’en envoie la repro à Tonio avec lequel je communique volontiers, depuis quelque temps, sur la Crise et tout le toutim des Bonus et des parachutes dorés, en lui recommandant par la même occase de lire absolument 121 Curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, ma découverte de ce matin, juste avant que je ne découvre, à la DER du quotidien Le Courrier, typé gauche genevoise, le texte de ma première rhapsodie intitulée Pour une Suisse sauvage en pays policé qui a pas mal botté Tonio quand je le lui ai fait lire l’autre jour via Facebook – et voilà que ça paraît pour de bon et que j’me réjouis comme un fripon de  vingt ans et des poussières inaugurant son Press Book …

    Lamalattie2.jpg… Lamalattie m’a tout de suite fait penser à Tonio avec sa dégaine d’intermittent des arts vivants, comme il se présente sur son premier livre, genre vieux beau flagada aux cheveux argentés et forcément mal rasé, blouse vague et vague écharpe genre viscose, pas vraiment soigné comme un nouveau philosophe genre bourgeois bohème qui aurait une chemise noire et une écharpe fuchsia, lui Lamalattie plutôt genre vieux chien pas tout à fait commode mais on ne sait trop, les yeux aux aguets et la bouche mâle sensuel qui en a baisé d’autres, les mains aux poches du vague imper ouvert sur sa vague casaque, et là j’revois mon Tonio un jour dans la lumière de la Rue de Verneuil, quand nous avions croisé Jane Birkin, ou un autre jour dans le grand parc de Nancy où nous nous étions retrouvés pour un bout de festival, je revois mon Tonio avant Jackie, toujours sapé genre artiste, plus précisément genre jeune comédien, d’ailleurs il venait de finir Strasbourg, j’revois mon intermittent de l’amitié et de tous les plans cul ou culture, j’le revois avec la p’tite délurée des planches dont je ne me rappelle pas le nom, dans sa carrée de Belleville puant le pisse comme le médecin référent de Lamalattie, un certain Konstantinopoulos, sent « un peu la pisse » et ne consulte plus que pour voir des gens défiler – bref j’avais pas lu cinq pages de Lamalattie que j’me suis dit : ça c’est Bonus pour Tonio…

    Lamalattie1.jpg … Dès que j’ai commencé de lire 121 Curriculum vitae pour un tombeau, j’me suis dit ça y est, Bonus, j’suis chez moi, je l’sentais déjà à ce que j’en avais lu dire dans l’Nouvel Obs et L’Express, ça s’est corroboré fissa  en visitant le blog du type dont la peinture genre Freud en plus crade et plus doux m’a tout de suite scotché quelque part, comme on dit dans les bars branchés, ensuite à l’ancien Café des philosophes où j’me suis lancé dans la lecture, après l’avoir trouvé chez Payot où la libraire a dû l’aller pêcher dans le fonds de stock, tout de suite j’me suis retrouvé dans la robe de chambre d’Oblomov, sur mon fauteuil de cuir vert de l’isba, tousuite j’me suis dit faut que j’alerte Tonio et l’Gitan et le Kid et Blacky et  Lady L. à qui ça plaira forcément, je lisais ça et tousuite j’ai marché : « Je m’intéresse beaucoup aux humains. Ca ne veut pas dire que je les aime. Mais je ne peux pas m’empêcher de les observer. J’ai l’impression que je vais découvrir quelque chose d’important. Je crois, aussi, que cela va m’aider à mieux imaginer ma propre existence. C’est un choix de vie un peu difficile, car il n’existe pas de clubs ou de bars branchés où trouver facilement des gens avec qui partager cette passion. Mais en ce qui me concerne, il y a la peinture »…  

    Rembrandt1628.jpg … Or la peinture, ça oui, j’partage avec Tonio et Jackie, mais d’abord et avant tout avec Lady L. avec laquelle nous n’avons pas besoin d’écumer tous les musées pour tout aimer en même temps sans nous concerter ni faire genre connaisseurs. Je dirais bien, pour être vraiment objectif, qu’elle est plutôt Nolde, c’est-à-dire mers et jardins sous le ciel du nord, et moi plutôt Munch, c’est-à-dire chair tragique et couleurs pas loin de l’hystérie, mais l’autre dimanche on finit à la cafète du Kunsthaus de Berne après  les deux expos des Suisses Biéler et Amiet, et forcément c’est sur Amiet que nous tombons d’accord, avec sa profusion de coloriste et son multimonde à l’essai de Gauguin à Matisse entre pas mal d’autres tâtons impressionnistes ou symbolistes, ou bien nous sommes au Mauritshuis de Rotterdam et là, banco, c’est tout Bonus, Lady L. et moi à genoux devant les Flamands et les Hollandais volants  – et voilà qu’elle se met à peindre après moi, non mais des fois…

    …Quant aux Bonus des banquiers, c’est pas que ça nous obsède, mais il faut dire ce qui est en démocrates des bois que nous sommes Tonio et moi, et Lady L. évidemment, et sûrement Blacky quelque part, – Blacky qui parle de démocratures pour les régimes africains – et le Kid et le Gitan et tutti quanti : ça nous fait gerber, et de voir ces vautours pendus aux lustres et flingués par mon cher diabétique nous console en somme même si ça reste là d’la peinture de dimanche soir après la biture, les pinceaux genre gang expressionniste shooté à la Grande Guerre ou aux lendemains d’hier d’Hiroshima, ça nous fait marrer aussi comme de voir Sarko se la jouer foudre d’ATTAC, bien sûr qu’il exagère l’vieux dino, même que c’est un artiste de l’exagération l’vieux dino, qui me rappelle le narrateur d’Extinction de Thomas Bernhard se présentant comme un artiste de l’exagération, et tousuite j’ai pensé, comme avec Houellebecq ou avec Nabe, mais avec plus d’humour fondant que l’Nabe et l’Houellebecq, que ce Lamalettie était un nouvel avatar des artistes de l’exagération dont Céline reste, au siècle des horreurs exagérées, l’insupérable champion…  

     … Lamalattie raconte qu’au lycée il avait la manie de dessiner des visages de chevaliers errants, et que ce qu’il a trouvé de plus proche comme métier était celui d’artiste, que sa mère lui a déconseillé au profit d’une bonne prépa Agro. Or nous en sommes tous là, enfin les sauvages qu’il y encore en nous en sont là : à défier toujours et encore Maman qui nous conseille de boire moins de thé  et, pour notre chaudière, de prendre un contrat d’entretien, comme le raconte Lamalattie. L’heureux Tonio a certes sa Jackie, aussi folle que lui, et moi ma Lady L. fait avec comme on dit, préférant ma folie à l’entretien de la chaudière, et c’est comme ça qu’on vit et que c’est tout Bonus…

     

    Camperduin3.JPG… Ce que j’veux dire encore ce soir c’est que l’andante du concerto n°22 de Mozart est vraiment d’une beauté déchirante, ce que j’veux dire aussi c’est que les cordes produisent des accents majestueusement mélancoliques, progressivement relayés par les amères harmonies des bois, que  le récitatif du piano est cristallin, plein d’une ferme et noble contenance, qu’il  exprime cette nostalgie retenue, typique de Mozart, dans laquelle   la joie et la déception se mêlent, et j’veux dire enfin qu’on a l’impression que Mozart a distillé son existence pour en tirer un concentré particulièrement juste, enfin que cet andante est un condensé de vie immédiatement injectable pour être vécu à nouveau, encore et encore, Bonus contre Malus – oui c’est ce que j’aimerais te dire se soir, ma Lady L. restée en ville, et à vous Jackie et Tonio, et à toi l’Gitan, à vous Kiddy et Blacky et à mes 1836 amis-pour-la-vie de Facebook, voilà ce que je recopie mot à mot à la page 41 de 121 curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, drôle de premier roman d’un drôle de peintre que je vais continuer de lire sans cesser de pianoter ces drôles de rhapsodies…

  • L'micmac

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    Rhapsodies panoptiques (3)

       … Le plus souvent, avec le Gitan, on s’retrouve au Café des Abattoirs, et ce soir ça commencera par un G 2 carabiné, dont je tiens le PV. Je noterai tout : j’ai tout noté pour toi, Blacky, comme ça te concerne un peu l’Afrique. Mais avant l’Afrique j’ai noté les gens, les costauds des entrepôts qui reviennent le soir se faire un tribolo, la blonde laminée qui nous répète à l’envi qu’elle préfère sa Toyota Cressida aux mecs qui se succèdent dans sa vie et la lui font chaque éveil un peu plus floche pour pas dire moche, les beautés platinées des trottoirs d’à côté qui viennent se reposer en se balançant des vannes russes ou roumaines, l’Portugais aux commandes toujours aussi stylé avec son profil de lévrier découpé dans du papier froissé, et ses aides-soignantes Doura et Pandoura, la douce et l’insondable mais toutes deux à nous couper les oignons fins  - Doura qui te pelotera comme tu en raffoles, Blacky, et Pandoura qui te chahutera vu qu’elle vient du Cap-Vert et que toi t’es qu’un tourlourou de Bantou, voilà ce que je note d’abord quand l’Gitan s’annonce à la cantonade et m’roule un patin à la soviétique des années de fer comme ça se fait pas dans nos contrées, or personne n’aurait l’idée ici de nous classer pédés vus les antécédents du Gitan aux Abattoirs – mais tu sais tout ça Blacky, toi dont personne ici n’aurait l’idée de ricaner de ton coming out vu que le Gitan super-hétéro te défendra à la moindre tentative d’attentat à la dignité de notre p’tit Camerounais sauvage et plus si affinités…

     

         Pano93.jpg       …Je revenais ce soir-là du théâtre, comme tu sais aussi, pendant que t’étais à ton humectoir gay de la Pink Attitude. J’avais revu pour la énième fois le fameux Bonhomme et les incendiaires de cette vieille Frosch de Frisch, et j’étais un peu dépité, mon Dipita, par le coup de vieux que la pièce a pris depuis l’effondrement du Mur et du Rideau de fer – tout ça bien avant ta venue au monde à Douala et l’effondrement des Touines Taouères. J’étais vaguement abattu, mon frère, parce qu’à ton âge j’avais encore cru à cette fable du p’tit patron chiard, directeur d’une p’tite fabrique de lotion capillaire et ne rêvant que de pendre les séditieux boutefeux  rôdant dans les années 50 comme autant de bolchévistes impatients de nous incendier nos villas Chez Nous ; bien sûr je pensais à Blocher et à ses blochéristes mais l’Histoire ne repassait pas les plats ; bref je ne me sentais plus convaincu par cette vieille rhétorique de profs de gauche des années 60, ou disons que le côté concerné de tout ça ne me concernait plus, cette ironie à effets brechtiens me paraissait surannée ou plus exactement me rappelait nos fins de soirées énervées de l’Organisation avant que je ne m’en tire alors que le Taulard y entrait par une autre porte – bref tout ça, comme en ce temps-là, me paraissait faussé, pas vraiment vrai, pas réel comme est réelle la réalité réelle que j’retrouve en revanche à chaque fois que j’revois La visite de la vieille dame de l’affreux Dürrenmatt ni-de-gauche-ni-de-droite, qu’on disait alors cynique vu son manque d’empressement de voter comme il faut ou de signer tous les manifestes, et nous revoilà à la case départ où la vraie révolte ne saurait avoir le moindre plomb dans l’aile alors qu’on nous serine que tout va mieux que jamais n’est-ce pas…

     

    …Tandis que l’Afrique aujourd’hui ! Tandis que la faim et la rapine généralisée ! Tandis que tout ça prospère, mais je ne t’apprends rien, Blacky, et cPanopticonF11.jpge n’est pas avec toi que je vais me la jouer néo-concerné, ni devant Kiddy ni moins encore avec Lady L. qui tâta bel et bien, elle, des Groupes Afrique de ces années-là –donc je t’ai noté ça et le Gitan a débarqué aux Abattoirs pour notre G2 de début de fin de soirée, il m’a raconté à se désopiler la suite du Quichotte qu’il lit ces jours aux stations de son taxi et je lui ai fait rapport grave de Destruction massive, le dernier pamphlet de ce fou de Ziegler, mon cher Jean des sylves bernoises où survit l’Esprit des Bois, nous avons sifflé force fioles, à un moment donné j’ai qualifié la marche du monde de micmac et le mot a tant botté l’Gitan qu’il s’est levé et s’est exclamé à la cantonade cantonale et multimondiale : « L’micmac on lui casse la gueule !» et c’est alors que je lui ai évoqué la saga de Saga…

     

    … Tu sais bien, mon p’tit Black, que je m’efforce de ne plus trop faire dans l’émotionnel moite. Comme toi je me méfie des pitiés affichées. Comme vous tous je me défie de la commisération de commande nous servant d’oreiller moral et de suspensoir ostentatoire des nos Bons Sentiments tandis que l’Or Vert continue d’être pillé après l’Or Noir et l’Or des pionniers. Mais ne crois pas pour autant que je vire cynique ou désabusé. J’écoute le bruit du siècle et j’essaie de dire ce que ça me dit, avec rien que ma peau sur les mots mais tu sais combien ça compte, la peau, dans la perception du micmac – j’ai lu tout ce que tu as toi-même écrit jusque-là et c’est par la peau de tes mots que je te sens sensible au micmac et vivant en dépit du micmac…

     

    Popescu70002.JPG… L’micmac c’est la mort planifiée quelle qu’elle soit, que je dis au Gitan et le Gitan opine et répète comme ça qu’il va lui casser la gueule au micmac. L’autre jour l’Gitan m’a lu les premières pages des Couleurs de l’hirondelle de l’affreux Popescu, son double romanesque pourrait-on dire, et là j’ai pour ainsi dire chialé, comme en lisant J’ai saigné de Cendrars, quand cet enfoiré de Marius Daniel raconte sa dernière visite à sa pauvre mère roumaine allongée dans sa morgue d’hôpital roumain, nue sur le sol avec une pauvre brique sous la tête, et ça disserte dans les médias sur l’opportunité d’accueillir la minable Roumanie dans la noble Europe, mais c’est ça encore l’micmac : c’est l’Popescu qui allonge des euros pour couvrir la nudité de sa mère et payer l’aide des fonctionnaires présents, et plus tard ce sera d’en allonger d’autres, d’euros, pour acheter des fleurs à la morte que de minables Roumains voleront le lendemain de l’enterrement sur la tombe maternelle – voilà le micmac et la version proche de la saga de Saga dont tout le monde se fout plus ou moins, pas vrai Blacky ? Mais je te sens qui t’impatiente d’entendre, à ton tour, la saga de Saga…

     

    …Alors que tu la connais par cœur et, peut-être, voudrais l’oublier ? Je ne sais pas ? Jamais nous n’en avons parlé jusque-là, Blacky, dans nos textos nocturnes de Facebook. Jamais nous n’avons évoqué cette Afrique de Saga, qui est la pire de la saga des misères actuelles, et qui se réduit pour ainsi dire à un texto de SMS. À savoir qu’à Saga, tous les matins, une douzaine d’enfants crevant la faim sont admis dans le dispensaire des saintes sœurs de Teresa, au dam de cent autres dont les mères reviendront le lendemain pour ne pas céder au désespoir…

     

    …Et déjà tu les entends ricaner, Blacky, ceux qui gèrent le micmac. Comme quoi les Lois du Marché pallieront, à la fin, la saga de Saga. Ou comme quoi la Sélection Naturelle. Comme quoi l’Election Surnaturelle et tout ça, tu l’sais bien toi qui a flairé l’micmac évangélique à la néo-coloniale américaine: les derniers seront les premiers et tutti quanti dans le jacuzzi de l’humanitaire, suffit de signer là et de verser tant ou plus selon tes moyens - les plus affamés en rang pour la photo et les autres prenez la file…

     

    … Tu les entends ricaner, Blacky, tous ceux qui savent et qui gèrent ? Tu les entends les ricanants du multimonde ? Tu les entends dans le brouhaha des corbeilles ? Tu les entends comme moi qui ne sais pas que faire, vraiment, de la saga de Saga, quand cet enfoiré de Jean Ziegler, délégué cravaté de l’humanitaire multimondial en matière de tortore, vient nous balancer comme ça qu’un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes, tiens, je compte jusqu’à cinq et toi, l’Camerounais pédé à jolies nattes, tu vas t’sentir complice du micmac ou m’reprocher de l’être, moi l’Milou filou de Tintin au Congo qui suis né trop au Nord pour supporter le regard des damnés de la terre…    

     

    Panopticon775.jpg… Donc on a tenu notre G2 jusqu’au lever des chaises sur le pourtour des tables, aux Abattoirs, avec le Gitan et ses deux pour mille jamais détectés par les collaboratrices et collaborateurs de notre zélée Police dans le ballet des gyrophares – c’est un Mystère de la Nature que l’impunité légendaire du Gitan conduisant son taxi dans tous les états de l’ébriété tsigane sans faillir jamais ni ne se faire gauler -, puis le G2 a viré G3 quand tu nous a rejoints au bar du Roumain plein de Russes accortes toutes ligotées par une autre orga du micmac, ensuite le Kid nous a rejoints, il me semble, on a donc tenu un G4 mais là ça faisait Big Bang dans ma tête, je rejoignais pour ainsi dire la soupe originelle au pied du mur de Planck et j’ai cessé de noter et me suis cassé je ne sais comment au bout de la nuit en me rappelant pourtant, en silhouette décatie à vieux peignoir sexy, la Bella Ciao de nos lendemains qui chantent… 

    Images: Philip Seelen

  • L'matos

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    Rhapsodies panoptiques (2)

    Définition: le panoptique est une modulation d'architecture carcérale inventée par le philosophe anglais Jeremy Bentham, en 1798, qui permet à un seul gardien d'observer simultanément tous les prisonniers.


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    ...T’étais pas né, l’Kid, quand la première intuition panoptique m’est venue en matant, le soir, les milliers de petites alvéoles lumineuses des barres d’habitation qui ont surgi, dans les années 60, au-dessus du quartier de nos enfances, sur les hauts de Lausanne, mais ce n’est que tout récemment, avec le rush des ordis et de la Toile, puis avec la multiplication des connexions et des blogs, des réseaux sociaux et autres flux de mots et d’images du multimonde que l’idée du Panopticon nous est venue, avec Philip Seelen, suite de quoi l’idée du roman panoptique m’est venue où j’ai introduit illico les personnages de l’Imagier et du Taulard, développant cette espèce de contrepoint en trio d’enfer, l’image suscitant des constellations de vocables et ceux-ci relançant d’autres images – mais note aussi que c’est un point de vue en constant mouvement et que le roman qui en découlerait, le film ou ce que tu voudras ne seraient jamais que des modulations d’une observation qui se déconstruirait et se projetterait à nouveau dans l’Espace et le Temps…

    …L’Taulard et l’Imagier tu les connais, Kidddy, on ne sait pas trop ce qu’ils maPanopticon1445.jpgnigancent quand ils ne sont pas à l’Isba ; faut que je t’explique et là c’est déjà le roman qui pourrait commencer, ou plutôt qui reprendrait puisqu’il a commencé avant la taule et les images, disons dans les années 60 au Barbare, dans le Vieux Quartier de Lausanne, et là j’te fais remarquer subito que le matos se réduisait alors à presque rien, disons le juke-box du Barbare et ma première Remington à marche arrière et sonnette genre Hemingway au Val Vert d’où j’técris précisément à l’instant – c’est là qu’on dit qu’il a fini L’Adieu aux armes, Hem qui s’est flingué en 1961, même année que l’trépas de Céline -, plus une machine à multicopier les cours des facs voisines et les tracts de l’Organisation, le premier Leica de l’Imagier à venir qui ne s’est pas encore dédoublé en Taulard mais se donne déjà à fond à l’orga, enfin tout ça ne fait pas l’ombre d’un début d’ordi qui ne se matérialisera, pour moi que vingt ans plus tard sous la marque Atari - mais tout va déjà vers la Story, comme ils disent, ça j’te jure, j’ai dix-huit ans et bientôt j’aurai ma trappe dans le quartier genre Montparno lémanique, je sais Voyage par cœur et tous on soupire à l’écoute de Quartier latin de Ferré ou de Ballad of a thin man de Dylan, plus bohème tu meurs dans la tabagie fleurant le café fort et ça se prend la tête pour prouver que l’existence précède l’essence, mais il m’arrive le soir de remonter sur la colline des hauts et là je mate, Kiddy, là j’passe des heure à mater la vie aux fenestrons des trois barres à loyers modérés - là j’suis déjà devant mon ordi à panoptiquer grave, pour parler ton sabir de slameur – mais j’te parlais du Taulard et de l’Imagier et j’y reviendrai aux lascars…

    CarnetsJLK5.JPG… En attendant j’dirai que le multimonde nous est arrivé par là : par les barres des cités et par l’autre fenestron domestique de la télé, ça va sans dire. Avant l’matos. Bien avant l’matos, mais on a senti la chose se faire un pas sur l’autre. Avant l’matos on avait le stylet de pierre taillée, et le stylo bleu sur le papier bleu de Sollers n’a pas grande avance sur celui-là, ma foi l’scribe à calame est multimillénaire avant l’matos, et déjà, Kiddy, déjà nous en sommes au-delà du matos, mais on est au-delà depuis toujours, la perception et la réfraction panoptique sont en deça et au-delà, cette question du matos n’est pas neuve non plus qu’obsolète vu que l’matos est en deça et au-delà de la Chose, l’matos c’est nous, c’est ça qu’il faut se dire, ça c’est sûr - l’matos c’est nous…

    Panopticon138.jpg…C’est notre attention fulminée entre les aires d’autoroutes, c’est notre présence dès l’éveil et jusqu’à point d’heure, c’est notre fiel dans les assemblées et notre miel dans les ruelles, c’est partout notre disponibilité libertaire - et je n’te dis pas libertaire au hasard : rien à voir avec les libertaires historiques ou peu s’en faut, moins encore et loin s’en faut avec les libertariens économiques - tout est à resituer, tout est à renommer et requalifier, j’te dis libertaire en pensant à Cendrars une fois encore, et tu sais que je ne suis pas un fou de la prose de Blaise, tu sais que je ne le prends qu’à fines doses, je t’ai parlé de J’ai saigné et dans son vrac il y a encore dix mille choses qu’on oublie, mais c’est sa fuite, c’est sa fugue, c’est son échappée que j’appellerai libertaire qui est anarchie dépassée comme on le dit d’un coma dépassé, ça va vers autre chose, ça le dépasse lui-même, je ne suis pas sûr qu’il le sait lui-même ni son clebs Wagon-Lit, il n’est pas sûr qu’il le sache et qu’il l’ait su jamais, on ne sait pas, même Charles-Albert ne le sait pas je crois, le Kid, on ne sait pas, on ne sait pas vraiment comment l’matos s’est acquis entre l’inné et Byzance, moi j’te dis que nous avons Byzance en nous mais c’est à la fois de l’inné et de l’acquis, faut dépasser les vieilles chapelles, on est juste ici au seuil du roman possible et déjà les possibles prolifèrent…

    Panopticon188.jpg… L’Imagier et le Taulard passent la plupart du temps à se royaumer quand ils ne font pas des images ou des chemins, tu sais que cette paire n’a qu’une tête et deux pieds au pseudo de Philip Seelen et je précise que le problème n’est pas genre schizo, mais je les distingue de cette façon, dans le roman panoptique, pour les faire mieux dialoguer, comme tu sais que j’aime faire dialoguer moi l’un et moi l’autre entre cent avatars, et tu sais autant que moi que nous sommes tous comme ça : cent en un au moins, avec nos prothèses en plus, étant entendu que l’matos est la somme de nos implants de toute sorte comme dans le roman de Nathanaël West dont le personnage principal, revenu de toutes les guerres serait cul-de-jatte et double manchot, et bigle et sourdingue si l’Administration Militaire et les Assurances ne lui avaient pas greffés des postiches de tous ses membres laissés au front, et c’est comme ça aussi que le Lumix de l’Imagier prolonge son corps et que le T aulard a pour ainsi dire quatre roues et un arbre à came intégré avec sa Jeep tout-terrain de défricheur roulant à l’Hybrid et connectée à la Toile – et ça aussi c’est l’sauvage selon mon cœur, peu importe l’outillage, j’suis pas sûr que Jean-Marc Lovay le prosateur dingo soit connecté et ça n’y change rien, en revanche j’suis sûr que le furieux Wölffli n’a jamais été connecté dans l’asile où on l’a claquemuré des années durant, mais il y a chez lui de l’Ordinateur Central : les tours de ses papiers enluminés où se démantibule son écriture, dans sa cellule de serial painter, les Twin Towers de son Journal Mille-Feuilles devant lesquelles il s’exerce à la trompette faite de journaux enroulées sur eux-mêmes, le Pentagone poétique de son imaginaire tonitruant, tout ça fait arsenal où tout l’matos cantonal et multimondial est stocké, et chaque matin que Dieu fait ça y reva d’un « Ch’muss’schaffe ! » proféré par le titan en camisole - faut que j’me remette au Travail…

    PanopticonA19.jpg…Le Kid m’envoie, l’autre jour que j’étais en Toscane avec Lady L., un SMS long comme un jour sans vin genre poème de Whitman corrigé par Ginsberg et qu’il a intitulé Prière polaroïd, je le lis et le relis à une table d’un café de Colonata, foyer d’anarchie, le café fait aussi cybercafé et je m’y attarde en me rinçant l’âme aux cascades du jeune rimbaldien à gueule d’éphèbe lutin et mutin, l’autre jour il m’a raconté sa dernière virée au Montenegro, je relis son poème et me dis qu’il y a là-dedans des fulgurances dans un fatras surréalisant d’après les orages de Lautréamont et les rhapsodies à la Cendrars, puis je me dis que l’ère des Futuristes nous a rejoints, j’imagine Marinetti et Maïakovski débarquant à Colonota et découvrant la télé débile du Cavaliere dans la fumée et les lazzis de l’Italie de toujours, à ce moment-là je ne sais pas encore que le bicandier va calancher dans une paire de mois - je lis et relis ces mots du Kid qu’il faudra que je réverbère à mon retour sur mon blog multimondial : «J’ai envie de rester sur mon arbre / derrière mes rochers paresser / j’ai envie de couvrir le détroit / redescendre vers le Sud / où les morcellements d’îles / font des noms de princes doux et / fermentés pluvieux / dans les bouches / et les registres saints… »

    (L'auteur de l'extrait du poème cité, Prière polaroïd, est Daniel Vuataz)

  • L'projet

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    Rhapsodies panoptiques (1)


    …Moi ce que j’te dis c’est que ça pourrait faire une pièce qui secouerait ce pays de loirs moites. Ou peut-être un film. Ou un roman qui arrache. En tout cas je vois déjà ça pour l’attaque : la première scène de la pièce, le plan-séquence qui pourrait lancer le film, le chapitre initial du roman virtuel, ensuite de quoi tu te lâcherais, ça pourrait prendre toutes les formes – on peut rêver, comme ils disent à Pro Helvetia et autres boîtes de pub mercenaires…


    Dürrenmatt3.jpg… Donc ça commencerait par une relance du fameux discours du vieux dino, j’veux dire Friedrich Dürrenmatt à la blanche crinière fellinienne, devant les plus hautes autorités de la Confédération et s’adressant, en 1990, au Président de la République de Tchéquie, à savoir le dramaturge dissident Vaclav Havel qu’on fêtait alors en même temps qu’on fêtait la sortie de son pays du communisme. Tout ça donc solennel et costumé. Ministres et leurs épouses, banquiers et capitaines d’industrie, avocat poudrés et journalistes fardés - tout l’gratin. À trois mois de la mort de Fritz, mais nul ne s’en doute. Et la révolution du Président se joue encore sur du velours. Tout ainsi sous contrôle : le Mur tombé, débris revendus dans les boutiques chic ; derniers barbelés du Rideau de fer recyclés en colliers et bracelets dans les clubs SM. Et voici que le vieux sanglier passe à l’attaque de son ton traînant de Bernois des bois…


    …Tu te rappelles ces quelques mots et leur effet immédiat le long des nuques roides et des reins gainés de soie. Quelques mots qui tiendraient sur un SMS : comme quoi la Suisse serait une prison sans murs. Que ses prisonniers seraient à la fois ses gardiens. Que la paix serait un leurre sur fond de guerre économique. Qu’en somme notre Villa Chez Nous serait une taule comparable à celle dans laquelle le dissident devenu Président fut bouclé des années durant…


    … Tout ça d’abord sidérant, je te le fais pas dire, balancé comme ça à tant de gens librement cravatés, tous librement démocrates et librement adeptes de la pluralité et de la liberté de critiquer. Sidérant donc, mais illico banalisé. Non mais là, c’est sûr, le Vieux déraille ! Le Vieux salit son pays que c’est une honte ! Et dire qu’on va le payer pour ça ! Dire qu’il fait la leçon à un vrai dissident qui a vraiment lutté pour la vraie liberté alors que lui se les roulait en fumant des cigares subventionnés par sa milliardaire de papier ! Tout ça que tu reconstruis ou déconstruis, comme on le dit dans les facs de lettres. Tout ça que tu ramasses dans la scène d’exposition de ta pièce ou de ton film ou de ton roman panoptique. Tout ça dont tu fais signifier l’énormité : un écrivain qui dit quelque chose ! L’horreur jamais vue ! Genre Thomas Bernhard taxant l’Autriche de nazisme ! Mais pire en l’occurrence : le modèle mondial de la démocratie et de la liberté vilipendé par le plumitif le plus nanti de la Société des Autrices et Auteurs suisses ! Le top de l’incongru : tous prisonniers, et là tu les zoomes sur leurs fracs et leurs robes griffées. Tous gardiens d’eux-mêmes et c’est tout le pays vigile qui défile. Du grand théâtre dürrenmattien, mais là faudra trouver les gueules de l’emploi, les Ospel commodores et consorts et leurs maîtresses et leurs mignons. Du cinéma comme on n’en fait plus ou pas encore. Du roman qui serait alors le roman de la prison, j’veux dire le roman qui capterait et réfracterait la vision panoptique du Profond aujourd’hui, comme disait Cendrars avant la Der des Der…


    Cendrars7.jpg…. Ceci dit moi je t’avouerai, malgré tout, que cette histoire de prison n’a cessé de me tarabuster. Bien sûr que je la trouvais exagérée moi aussi. Aussi gonflée que ce qu’écrit le jeune Ramuz, en 1918, quand il affirme que si nos amis Français souffrent là-bas, de l’autre côté de la frontière, nous aussi nous souffrons à la seule pensée de les savoir souffrir. Blaise Cendrars, au même moment, est en train de se vider de son sang sur une civière. On lira plus tard, à chialer, le récit déchirant du jeune troufion en train de crever à ses côtés, qui fait Blaise s’excuser presque de se sentir survivre. Tandis que Ramuz souffre autant que ceux-là, non mais ! Très Suisse tout ça, tu trouves pas ? N’empêche : le vieux Dürrenmatt et le jeune Ramuz disent quelque chose qui déroge à ce qui semble juste un petit réconfort foireux, et c’est ça qui me fait y revenir. Je pense au corps de Dürrenmatt. Je pense au corps des livres de Dürrenmatt. Je pense à La visite de la Vieille Dame. Je pense à la façon dont les Messieurs ont fait d’une jeune amoureuse la vieille catin vengeresse. Je pense à la pureté de cœur du vieux Friedrich. Je me rappelle l’étudiant fonçant dans le tunnel. Le train peinard de Konolfingen à Berne qui passe soudain de l’horizontal à la bascule sauvage en chute verticale direction le profond de la Terre. Je me dis qu’il sait ce soir-là qu’il va mourir comme aux moments des transes lucides du jeune auteur mais que cette fois ça se précise. Je me dis que la réalité réelle perçue par Ramuz n’a pas d’âge mais qu’il lui arrive à lui aussi de toucher au pur sauvage. Je me dis que ces deux-là on pressenti l’horreur de l’actuel Wellness et la camisole de force de notre béate béance. Je les vois tous, les sauvages, j’vois Robert Walser, j’vois Charles-Albert, j’vois la mère Colomb, j’vois Farinet, j’vois Aloyse et Wölffli, j’vois Godard à moitié mort et Daniel Schmid encore vivant, j’vois Louis Soutter l’halluciné génie - j’les vois tutti quanti dans le jacuzzi, tous au barbecue fédéral du fédéral Office de la Culture populaire et de qualité, tous plus libres de se la jouer extrême, de se la jouer rebelle n’est-ce pas, de se la jouer barbare en veux-tu voilà, tous plus libres d’êtres libres et de ne pas dire le contraire, sinon gare aux subsides, non mais des fois…


    …Le Panopticon est une position fluide, la vision panoptique est une proposition malléable comme l’argile des algorythmes, Dürrenmatt dirait « entre le cendrier et l’étoile », Ramuz «laissez venir l’immensité des choses » et Cingria : « ça a beau être immense, comme on dit, on préfère voir un peuple de fourmis pénétrer dans une figue», quant à toi tu l’diras comme tu l’ressens ici et maintenant dans ton corps à toi et ta sauvagerie…


    Basil.jpg…Le panopticon est ce lieu de la prison d’où tous les prisonniers à la promenade sont visibles, mais la position ne se borne pas à la prison suisse, j’te jure que c’est de la prison du multimonde qu’il va s’agir. Le jeune Basil da Cunha balade sa caméra le long d’un chantier nocturne genevois ou dans un bidonville lisboète et me raconte ses projets sous le Cervin mandarine du Buffet de la Gare de Lausanne, moi j’lui raconte mon projet de roman panoptique en évoquant le filmage du Filmeur d’Alain Cavalier auquel j’ai décrit le film que Lionel Baier a tourné avec son téléphone portable sous le titre de Low cost – j’te cite autant de sauvages selon mon cœur, comme l’est resté à sa façon le vieux Chappaz ou comme je l’ai retrouvé dans L’Embrasure de la jeune Douna Loup, enfin tu vois le genre : pas du tout rebelles de salon mais artisans, mais poètes de la Chose, tous résistant à la nouvelle taule sans murs du Bonheur obligatoire capté et réfracté dans l’instant par les webcams du multimonde…


    …Moi j’te dis qu’il y a là une nouvelle donne et que c’est une matière géniale si tu t’sors les pouces, suffit de capter à longueur de journée, ou plutôt suffit pas de capter parce que rien ne suffira pour le vrai sauvage visant le bout de la nuit - relis donc Céline et regarde de tout près la musique des mots, regarde les gens de plus près, regarde ce vieux géant qui te parle de l’Homme des Bois veillant au cœur de la Suisse des vals de l’aube ou des bars du soir - regarde le vieux diabétique défier ces cheffes de projet et ces décideurs auxquels il rappelle qu’ils sont ligotés comme toi et moi, regarde les pharmaciens que vitupérait ce vieux fol de Ludwig Hohl dans son entresol, regarde les peser leurs doses d’indifférence et de déni, de mépris académique ou de flatterie médiatique, entre éther et viagra, enfin regarde mieux le multimonde et fais-en un slam ou ce qui te chante, n’écoute pas les éteignoirs qui te bâillent que tout a été dit et que plus rien ne vaut de l’être - allez j’te balance tout ça par mail ou sur Facebook et t’en fais ce que tu veux…

    (Ce texte résulte d'une commande de Yari Bernasconi, rédacteur en chef de la revue ViceVersa, et d'Anne Pitteloud, rédactrice au journal genevois Le Courrier, où il a été publié le 21 novembre 2011; repris sur le site Le Culturactif. Il a servi de déclencheur à la suite des Rhapsodies panoptiques, qui compteront 88 numéros de 8888 signes.)

  • Ceux qui sévissent

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    Celui qui tient le monde par les bourses / Celle qui inflige les peines de cœur / Ceux qui font progresser les déserts / Celui qui tue de son seul ricanement / Celle qui blesse de son seul regard / Ceux qui anéantissent de leur seule haleine / Celui qui écrit des articles pour se venger de sa bosse morale / Celle qui s’est spécialisée dans le dénigrement en salon de coiffure/ Ceux qui brandissent le glaive de la justice dite divine / Celui qui assomme les pauvres à coups de Bible / Celle qui frappe dans ses mains afin (dit-elle) de liquider le plus possible d’insectes nuisibles / Ceux qui lisent Lénine le matin avant de finir d’installer les barbelés / Celui qui explique au Tribunal que tuer n’a été un problème que la première fois ensuite on prend le pli / Celle qui a fait carrière dans le mesquin / Ceux qui ont l’art de mêler concret et abstrait et donnent donc dans l’art pour lard / Celui qui fait de l’esthétique une éthique et de l’éthique une musique / Celle qui coupe court à toute flatterie sur les moins de trente-trois ans / Ceux qui se défient de la médiation interne au sens hégélien et gardent ainsi un caleçon de pudeur sur leur petit fatras / Celui qui constate dans la VW familiale que les jumeaux Dupond et Dupont se branlent à l’arrière sous leurs chapeaux / Celle qu’obsède la vision des collégiennes aux douches /  Ceux qui dénoncent le Bail pour attentat à la pudeur / Celui qui frappe le piano pour qu’il crache enfin son morceau de Beethoven / Celle qui surveille les selles du Chevalier à la Triste Figure / Ceux qui agissent en descendant directs du Seigneur du Cuissot / Celui qui fourgue la came en tant que Procureur assermenté / Celle qui pratique l’anarchie au niveau du rangement / Ceux qui ont mouché les chandelles de l’envie / Celui qui dit je n’ai plus rien sans préciser qu’il a tout eu dans l’cul / Celle qui la pile en s’accusant d’être trop bonne à une lettre près / Ceux qui coupent court à toute euphorie alors que la Tempête Joachim leur fond dessus, etc.

    Image :Philip Seelen

  • Ceux qui jabotent dans la ciguë

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    Celui qui maximise le rendement du cosmétique vermicide / Celle qui s’identifie à son make up funéraire / Ceux qui fomentent un complot au fond du tea-room / Celui qui dérouille la vieille peau pour son bien / Celle qui demande à la corde ce qu’elle pense du pendu / Ceux qui s’enlacent dans le local de dissection / Celui qui dépose ses yeux dans le verre à dents / Celle qui boit l’eau pleine de regards / Ceux qui ont le regard plein des yeux du crime / Celui qui s’exclame quelle pluie ! quand jouit la postière / Celle qui rampe dans l’égout psychique de son neveu Charles / Ceux qui trouvent de l’anémie à leur fille dont ils  viennent de faire vider (disent-ils) le tiroir / Celui qui parle franchement aux laitues défaitistes / Celle qu’inquiète les cernes mauves de son fils Kevin et son string de même couleur / Ceux qui retardent le moment de la prise de risque / Celui qui croit déceler le secret factologique de l’élaboration de ces listes / Celle qui a arraché un bouton de pourpoint à chacun de ses ex / Celui qui se gratte le haut vu que le bas est engoncé dans la veste matelassée pour cause de blizzard / Celle qui dépose le brevet de chaque idée de son fils en affirmant que sans elle il ne serait pas en mesure d’inventer tout ça / Ceux qui ont connu Arrabal dans un théâtre de poche-revolver / Celui qui reconnaît à Fernande des aptitudes pour l’athlétisme du plaisir / Ceux qui restent pudiques jusque dans les parties carrées à douze ou plus / Celui qui trouble son chef de bureau par ses questions privées dérogeant aux principes de la Science Chrétienne / Celle qui se confie au curé psy qui publie tout à mesure dans sa revue de psycho néo-arianiste / Ceux qui s’abandonnent aux mains du rebouteux qui en étrangle quelques-uns par excès de zèle / Celui qui socratise la militaire au pubis rasé au cordeau / Celle qui communique par SMS spirites avec Alma Mahler / Ceux qui rompent le charme de la soirée chic en assommant la claveciniste / Celui qui suit volontiers un Miguel de Unamuno dans son éloge de la factologie physiognomonique / Celle qui s’effrite au milieu de sa collection de napolitain biscuité / Ceux qui vont tonsurer la virago menottée pour au cas où / Celui qui touche des honoraires pour vous pousser vers la sortie / Celle qui file le pistolet au grabataire / Ceux qui se réjouissent d’apprendre qu’un tartare se dit cannibale en Belgique / Celui qui trouve que le french kiss de Monique a un goût de langue de bœuf aux câpres sans les frites hélas / Celle qui aime qu’on la fourre comme un oreiller suisse / Ceux qui ont le juron certain et la querelle crâne / Celui qui après cette liste va faire du feu sois joyeux / Celle qui patine sur la route noire avec les dandinements d’un paon blanc / Ceux qui ergotent et cogitent en écoutant du Coltrane, etc.

    Image : Philip Seelen