Rhapsodies panoptiques (5)
…Ce qu’on se demande, à présent, c’est si ces fils de pub des agences zurichoises vont pas lancer l’mouvement Santo Subito pour Rodgère, non mais t’as vu ces placards, t’as vu cet ange blanc qui sort de la brume immaculée du ciel de la Réussite, t’as vu ce marketing omniprésent que ça en d’vient aussi insistant que les effigies de Ben Ali dans la Tunisie de naguère ou que celles d’Enver Hodja au pays des aigles - le sexe à piles Wonderboy en plus, j’te le fais pas dire, eh mais t’as vu ce délire, et tu veux que je vote pour cette Suisse-là, non mais des fois…
…J’étais en train de me réjouir, au TJ, de la nomination à la présidence de la nouvelle Tunisie de Moncef Marzouki, l’vieux lutteur dont le vieil Haldas m’avait fait découvrir les récits de prison il y a des années de ça et dont le retour au pays, l’accueil qu’on lui a fait, le positions prises que l’ami Rafik Ben Salah trouvait trop favorables aux islamistes alors qu’elles me semblaient proches du pays réel sans trop fleurer l’opportunisme, enfin j’sais pas trop, tu sais que j’suis vraiment pas ferré dans ces matières-là, mais bon ça me touchait quelque part que le combat du vieux lutteur contre la dictature fût finalement justifiée, comme il en a été avant lui de Vaclav Havel ou de Lech Walesa, de Nelson Mandela ou du Brésilien Lula – ça m’a touché presque aux larmes de le voir là même si personne ne sait trop ce que tout ça va donner, et dans la foulée v’là l’archange de la raquette onduler dans les nuées impalpables de son empyrée de studio, non mais j’te jure, déjà que je l’avais repéré ce matin sur les placards de la ville, au format Univers, pour les Assurances Longue Vie, et v’là qu’on nous l’relance au Prime Time avec son bon sourire content de son Absolue Compétence, laquelle ne fait que refléter la Totale Excellence de la Suisse qui gagne, mais là ça ne suffira pas, j’te dis, va falloir canoniser l’Federer, on s’découvre dans les travées, on s’incline, on s’agenouille à s’aplaventrir en salamalecs, on va faire mieux que les mahométans de la rue de Marseille qui ont tant fait fulminer Rafik lors de notre dernière virée là-bas, de Tunis à Moknine – Allah est top grand mais c’est Roger Federer qui ce soir nous fait pisser le dinar…
… Avec le Taulard je ne pouvais pas ignorer le fin du fin du génie de Rodgère, c’est pourtant vrai, depuis les années qu’il le scotche et le bluffe et depuis que lui et l’Imagier me racontent ses exploits, vu que moi j’arrive pas à me visser à ces échanges de plop-plop ou aux râles de Nadal, et ça nous a toujours fait plutôt marrer de le voir comparer aux plus grands artistes et aux cerveaux les plus Maxis de tous les temps, comme quoi Federer était le Leonardo des courts avec son sourire de Giocondo Maschio, l’Mozart du lob ou l’Einstein du tir ondulatoire à revers corpusculaires - j’te fais pas un dessin sur le génie proportionné de nos chroniqueurs en matière d’invention recyclée par les publicitaires, enfin nous autres sauvageons ce qu’on aimait c’était bien quelque part l’artiste chez Rodgère, ce qui échappait miraculeusement à la Méga Machine à gagner, mais là maintenant, depuis quelque temps, bien au-dessus des vices et vicissitudes des mortels olympiques qu’ont l’plus de niaque de chez niaque, là ça devient l’délire comme c’est avec les dieux de tous les cieux que se compare l’Ange de la Grande Chelemitude, et là j’sens qu’on va encore s’amuser, Kiddy qui viens de sauter dans le TransEuropExpress new look destination Budapest où tu vas vérifier ce qu’il y a de nouveau à L’Est, là j’me réjouis de parler avec Tonio qui ne manque pas lui non plus un match de Rodgère même quand il glisse sur le lac à bord de son skif, là je l’attends quand il aura lu les pages de Pierre Lamalattie sur « l’extravagante importance du sport à notre époque », là j’me réjouis de retrouver Blacky dimanche soir au Buffet de la Gare, sous le Cervin mandarine, pour lui dire un peu de ce que je pense de son nouveau manuscrit, enfin j’me réjouis évidemment de ne rien manquer du prochain match de Federer que me racontera l’Taulard tard le soir…
…Ce que j’veux dire, en somme, c’est que le délire n’est pas ça : j’entends le vrai délire. Ce que j’veux dire c’est que la bonne exagération n’est pas là, dans ce formatage à outrance sans trace de vraie transe. Dans le bar du Roumain j’écoutais l’autre soir Blacky me raconter l’art du commérage de son Afrique à Douala, et ça me faisait rêver, ça, ça me ramenait au vrai délire immémorial de l’initial griot qui nous serine sa Genèse, le vrai délire c’est ce que j’entends battre en sourdine, tagadam, dans le Tam-tam d’Eden du compère Tonio, le vrai délire relance la danse de Zorba, mon premier mentor imaginaire, quand je marchais seul dans les hauteurs des Ecrins - véritable joyau de solitude adolescente et de chant et de délire ardent que j’étais à seize ans pendant que mes congénères se livraient au plop-plop dans le camping d’en bas, moi j’suis de ces nuls que le Match Réussite n’a jamais fait rêver; ce qu’on lui a reproché à ce désinvolte est d’avoir toujours trop rêvé mais pas à ça, pas rêvé du tout à la niaque de chez niaque, jamais amorcé la machine à gagner ce branleur solitaire à la Walser, jamais vraiment joué le jeu, non merci, ce fieffé Bartleby des retraits préalpins, jamais relevé ce défis-là, jamais de la classe qui fait rêver la Suisse ce gars-là…
…L’défi je me réjouis de raconter ce que c’est à mes yeux avec tous ceux que je croise et entrecroise tous les jours que Dieu fait – enfin ce qu’on appelle Dieu et pas que le soir dans les bars -, j’veux dire le vrai défi du vrai délire qui consiste à se raconter depuis la Nuit des Temps, et même avant, comment c’était et comment on ne sait pas que ça sera jamais, donc au plus-que-présent de l’indicative félicité cernée de noir, le délire de penser que Number One, notre première infante avec Lady L, vient au monde demain avec son destin dans la main, un 23 novembre par temps limpide, et que c’est avec l’Imagier qu’on est allés l’accueillir en fanfare ce matin-là et qu’on lui fera livrer demain vingt-neuf balais – le vrai délire découle de la sainte banalité de nos jours, ça c’est l’sermon du jour mes chers Blacky & Kiddy qui avez l’âge d’amorcer le délire que je dis là, et Number Two nous sourit là-bas dans la nuit avec son Buddy, Tonio, Jackie et tout le Gang Big Bang des nullités de notre acabit, Bona de l’autre côté de la nuit et les adorables greluches et greluchons de Facebook - chacun dans sa nacelle et valsez voltiges…
…L’vieux fol vient d’aligner ces 6000 signes d’une seule coulée mais le quota du jour sera de 8888 signes pas un d’moins, c’est le défi qu’il a relevé pour Yari qui lui a commandé au début du bois un inédit pour Le Courrier et le site Culturactif, Yari qu’il n’a jamais rencontré de visu et qui a l’âge de Number One - Yari et sa sœur Anne de mèche, sa collègue avisée du Courrier où a paru hier la première de ces rhapsodies que l’défi sera de multiplier par 88, 8 étant le chiffre de l’infini debout, vous allez droit sur les brisées de Bolano m’a dit Yari en riant entre les lignes de son courriel et j’ai souri en pensant aux Détectives sauvages de mon ami Roberto tant de fois rencontré en rêve, v’là le vrai délire, Roberto Bolano, j’vous dis que ça les commères de Douala, l’vrai délire c’est là-bas au bout de la piste de glace, à l’extrémité de l’esplanade, là où vous voyez l’matos des deltaplanes et où s’est installé l’orchestre de sardane, l’délire ce sera la musique des ailes soufflées par les cuivres et l’tambour d’Eden dans le sang tandis que la baballe de Rodgère fait plop-plop dans la bulle de l’Univers managérisé – c’est tout ça l’délire et ce n’est qu’un début pas vrai le Kid qui te réveillas tout à l’heure à Budapest, et v’là que mon délire accumule les PHRASES LONGUES, là j’ai de nouveau seize balais et j’vais retourner au camping d’Ailefroide où mes vieux dorment déjà, j’me glisse sous ma canadienne verte à une place où je retrouve mon Zorba dans le rond magique de ma loupiote, enfin je r’trouve ce soir la Grèce en plein délire, et l’Egypte j’te raconte pas, mais faut que j’envoie un p’tit texto à mon compère de blog Jalel El Gharbi, faut aussi que j’fasse un signe à Bona vu que j’ai vu ce matin les gens de L’Age d’Homme auxquels j’ai proposé son manuscrit du Dernier jour de Caravage, là ça serait du délire que ça passe- du vrai délire, ça…