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  • Ceux qui ne regrettent rien

     

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    Celui qui se lance dans la vie sans regarder derrière lui / Celle qui a mal quitté Junior et se dit crânement : et alors ? / Ceux qui ont été largués et s’en remettent et remettent ça / Celui que ses bleus au cœur ont rendu moins bleu / Celle qui n’a jamais rendu aucun coup / Ceux qui se croyaient précieux et le seront toujours malgré eux / Celui qui est tenté de revenir auprès de celles et ceux qu’ils a mal quittés et de s’en expliquer mais ça craint / Celle qui demande pardon à un tas de cendres en se rappelant ses yeux verts / Ceux qui ont exorcisé la nostalgie de leurs regrets / Celui qui dit et répète qu’il campe au bord du ciel / Celle qui se rappelle la première fois mais n’en parlera jamais / Ceux qui se rappellent plusieurs premières fois à choix / Celui que réjouit cette première phrase de Dimanche m’attend (Gallimard, 1965, j’avais juste dix-huit ans) de Jacques Audiberti (1899-1965) qui dit ceci : « En l’honneur de la vie aux funèbres trompettes, j’entreprends d’écouter, dans mon corps, jour par jour, l’écho de ce futur qui ne cesse, dès qu’on le touche, de devenir du passé » / Celle qui a cessé d’hésiter / Ceux qui foncent dans la foulée d’Alphonse, allez ! /  Celui qui aggrave son cas en s’excusant / Celle qui t’accable de ses scrupules juste bons à la conforter / Ceux qui t’en veulent des aveux qu’ils t’ont faits / Celui qui a calculé qu’il avait avantage à ne plus voir la milliardaire  de son vivant pour éviter d’avoir à le regretter eh eh / Celle qui ne regrette pas le mal qu’elle t’a fait en te préférant Théo Sarapo ah le chameau / Ceux qui piaffent de regret / Celui qui dit de cet aspirateur : l’adopter c’est le regretter / Celle qui n’aspire qu’à ne rien regretter donc elle ne s’engage jamais sauf promesse écrite signée par le curé / Ceux qui se la jouent Symphonie des Regrets puis oublient de fermer le gaz et ça c’est grave tu peux le noter / Celui qui n’a pas eu le temps de regretter puisqu’il s’est noyé le lendemain de ses noces / Celle qui n’a pas regretté d’épouser le grand Paul puisque le petit Pierre est né juste après / Ceux qui n’ont jamais trouvé à redire aux décisions de la Providence avec un grand P de sorte qu’ils ne trouvent qu’à se féliciter de la vie qui les a menés au Trou avec un grand T, etc.

    Image : Philip Seelen.      

  • Ceux qui ont de la peine

    PanopticonB108.jpgCelui qui s’ennuie à la réception de L’Entreprise dont il a la garde la nuit sans même un chien d’attaque / Celle qui lève des haltères pour rester dans le trend / Ceux qui voient l’ambulance s’éloigner avec un serrement de cœur / Celui qui se détache de lui-même et prétend que c’est sans regret mais son air dit le contraire / Celle qui du Minitel a passé à Meetic et Twitter pour en revenir au Muscadet / Ceux qui hantent les ports embrumés de leurs verres de Brandy / Celui qui n’a jamais supporté les angles de la réalité / Celle qui fuit dans les parenthèses de neige / Ceux qui n’ont pas profité des indépendances pour se faire des empires / Celui qui ne peut plus régater faute d’alizés / Celle qu’on oublie dans la zone tampon / Ceux qui estiment que tout est à repenser en termes générationnels sinon comment comprendre ces Y qui se demandent why ? / Celui qui se dit philosophe sociologue et qui fait pas mal non plus les œufs au plat / Celle qui s’est occupé du linge de corps de plusieurs membres connus de l’Ecole de Francfort / Ceux qui voient Norbert péter un plomb à la salle de musculation et ne s’en étonnent point vu son manque de perfos en affaires / Celui qui affirme donner tout Montaigne pour une page de La Boétie et se fait ainsi remarquer des dames du premier rang qui se demandent si cette Boétie avait du bien / Celui qui explique à ses lycéens que Montaigne et Pascal ne boxaient pas dans la même catégorie / Celle qui s’enquiert de ta santé avec la sollicitude de  qui cherche à monter en grade / Ceux qui se reconnaissant dans le bain de vapeur s’ignorent aussitôt / Celui qui n’en peut plus de se contenter de si peu même en comptant ses Bonus /  Celle qui dispose des petits numéros à côté de chacun des morceaux du suicidé au plastic / Ceux qui s’étonnent de ne plus s’étonner / Celui qui commence à se demander comment en finir / Celle qui s’allonge sur le piano pour que Chopin la pénètre mieux / Ceux qui sourient d’un air entendu quand la vieille Angélique Python leur propose à la disco de leur faire feuille de rose / Celui qui tombe du septième étage du building et se relève en souplesse ce qui révèle un client fit du Club Silhouette / Celle qui se prend pour sa jumelle et ne se voit donc plus les pieds / Ceux qui ont le cœur en pleurs comme l’oignon  pelé de trop près, etc.        

    Image : Philip Seelen

  • Fin de partie

     

    Torino 3.jpgLe 23 juin dernier, au Teatro Gobetti de Turin, Guido Ceronetti faisait ses adieux à la scène, avec les comédiens de son Teatro dei Sensibili, dans un Finale di teatro brassant ses thèmes de toujours et ceux de son dernier livre, Ti saluto mio secolo crudele - je te salue cruel XXe siècle.
    Philip Seelen et JLK ont participé au Festival des désespérés culminant lors de la Nuit de la Saint-Jean...


    Sur la scène du charmant théâtre aux ornements décatis, devant la salle pleine, le Maestro, entouré de cinq jeunes comédiens, deux filles et trois garçons, a commencé la cérémonie en se lavant les mains dans une sorte de cuvette rituelle évoquant un baptistère, puis il a regagné la table derrière laquelle il a dirigé le spectacle, un peu comme un meneur de jeu, pour ne pas dire un marionnettiste à figures humaines…
    Torino 2.jpgComposé d’une suite de séquences alternant poèmes, fragments monologués ou dialogués tirés du dernier recueil Ti saluto mio secolo crudele, parfois accompagnés de chants ou de guitare, la représentation commence avec un extrait des Ballades du temps jadis de François Villon, qui évoque la mélancolie de celle qui a été aimée et malmenée par son amant, auquel elle garde pourtant tout son amour dolent…

    Comme dans ses balades du temps présent (à commencer par La Patience du brûlé), et comme dans ses collages, le Maestro excelle à l’art du patchwork signifiant, et c’est ainsi que sa variation sur le thème du fameux Helter skelter des Beatles, convoquant Charles Manson et Hitler dans la même évocation du Mal, s’inscrit dans le droit fil de sa poésie qu’on pourrait dire « idéophore », comme c’était la vocation même du Teatro dei Sensibili.
    Torino 8.jpgOn alterne ainsi les séquences dramatiques, satiriques ou tragiques, avec le dialogue impayable de deux tiffosi qui se disputent pendant qu’une femme se fait violer derrière un bosquet, l’évocation des Lettres de Stalingrad et de l’Umschlagplatz, ou la scène du clown sautillant en sa candeur joyeuse, qu’une sorte d’animatrice de télé invite à prendre place sur un trône majestueux qui n’est autre qu’une chaise électrique...
    Bref, tout cela est bel et bien du pur Ceronetti, grinçant et tragique, tendrement lyrique aussi, et c’était touchant de voir autour de lui, complices malicieux ou prévenants, affectueux ou parfois impatients, ses jeunes et très talentueux disciples du Teatro dei Sensibili.

    Torino15.jpgAvant de quitter Turin, cet après-midi, nous avions encore rendez-vous avec un acteur du Teatro dei Sensibili, Filippo Usellini, qui nous a parlé de son travail avec la petite compagnie et, plus généralement, de son expérience du théâtre de presque quadra aux airs très juvéniles.
    Il nous explique ainsi que, dans son état actuel, comptant sept comédiens, le Teatro dei Sensibili rassemble des acteurs de toutes les régions d’Italie, qui se retrouvent de temps à autre pour travailler avec le Maestro, comme pour cette dernière occurrence après laquelle ils restent dans l’incertitude.
    torino22.jpgLa dernière génération des Sensibili (fondée en 1970 par Guido Ceronetti et sa femme) a été recrutée au début des années 2000 à l’occasion d’un stage que Ceronetti donnait à Milan au Piccolo Teatro. Filippo lui-même venait de l’école dirigée par Paolo Grassi. Ce que le jeune comédien a tout de suite apprécié chez le Maestro, c’est le mélange de naïveté et de liberté totale qu’il manifestait à l’égard du théâtre et ses codes, autant que dans sa présence humaine.
    Passionné par l’enseignement du théâtre, Filippo Usellini, en charge du rôle de Nicolas dans les personnages emblématiques du Teatro dei Sensibili, a eu deux autres grands maîtres en les personnes d’Ariane Mnouchkine et de Sotigui Kouyaté, mais on lui sent une tendresse particulière pour le Maestro, dont le despotisme de vieil enfant le fait également sourire…
    « Ce qui est exceptionnel, avec Guido, c’est que c’est un poète au sens antique du mot, et donc pas seulement sur le papier. Il vit la poésie autant qu’il l’a compose. La connaissance qu’il nous transmet est essentiellement vivante, et c’est sur scène que ça se passe, comme cela s’est passé hier soir. Nous travaillons certes sur un canevas, nous s avons à peu près ce que Guido attend de nous, mais à chaque fois il y a une part d’improvisation, et la possibilité de variantes qui dépendent de nos inspirations du moment. Guido m’a énormément apporté du point de vue de la liberté de pensée. Il nous aide à vivre par sa propre vitalité et sa jeunesse d’esprit...»

    Guido Ceronetti. Ti saluto mio secolo crudele ; mistero e sipravvivenza del XX secolo. Einaudi, 124p.
    La dernière livraison du Passe-Muraille, No 86, de Juin 2011, a consacré son ouverture à une présentation de Guido Ceronetti.


    Images: Philip Seelen

  • Coup de blues

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    …Ce que j’veux dire c’est qu’alors le corps du chien et l’âme du chien ne faisaient qu’un, qui bougeaient ensemble avec une sorte de grâce si naturelle qu’elle m’évoquait le surnaturel, et puis le corps du chien s’est tassé et son âme a commencé de battre de l’aile, ensuite du corps du chien ont émané des odeurs, mais les gémissements de son âme nous ont fait oublier que le chien comme nous prenait de l’âge, et tu connais la suite, à présent il n’y a plus que l’âme du chien qui nous rappelle son corps par son absence - mais allez viens donc, Clémence, prends sa laisse, sortons, ce silence m’angoisse…

    Image : Philip Seelen

     

  • Ceux qui se disent tout

     

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    Celui qui dit la vérité sans blesser / Celle qui lit entre les signes / Ceux qui se découvrent comme des pays / Celui qui se révèle sans s’exhiber / Celle qui sait que tu sais sans le dire / Ceux dont la vraie pudeur prend la fausse en défaut / Celui qui compose avec le monde sans se décomposer / Celle qui se tient au garde-fous sans s’y retenir / Ceux qui se tiennent les coudes sans se toucher / Celui qui fait pièce à la déréalisation du monde / Celle qui nomme les choses avant qu’elles ne s’évaporent / Ceux que l’échec fait persévérer dans l’erreur ou le contraire / Celui qui persévère en dépit de ses erreurs / Celle qui perd ses verres de contact dans le bain maure / Ceux que la chiennerie revigore / Celui qui ose se dire tout haut ce qu’il vit sans cesser de le vivre tout bas / Celle qui entend tout à demi-mot / Ceux qui se préparent à l’Aveu / Celle que l’indiscrétion généralisée ramène à la pudeur de ses aïeux / Ceux qui ne se livrent que dans leurs livres / Celui qui ne sait pas trop qui il est ni qui elle est ni qui ils sont pour les Malais / Celle qui n’ose dire à la télé que les Malais la terrifient / Ceux qui ont un plan Q avec des Malaises / Celui qui acquiert un gris du Gabon puis s’en lasse et l’oiseau dépérit mais dans l’émission ça finit bien / Celle qui regrette le temps de 30 millions d’amis qui était aussi celui de sa relation avec Victor-André / Ceux qui aiment les films d’éléphants / Celui qui s’apprête à tout dire à sa mère quand elle l’enjoint d’enfin tout lui dire mon chéri je suis ta mère alors il se tait / Celle qui va TOUT DIRE dans son poème codé / Ceux qui ont quelque chose à avouer à Darius Rochebin à cause de sa ressemblance avec le (regretté) pope Marius Cantacuzène  / Celle qui pense que tout te dire va te soulager eh eh / Ceux qui pratiquent la confidence du ventre / Celui qui a horreur de la familiarité sauf entre gays irlandais originaires du même bourg orangiste / Celle qui n’a aucun préjugé ce qui ne la rend pas plus attrayante qu’une rivière d’eau canalisée ou quelque chose du même genre/  Ceux qui se servent de vos confidences pour vous scier, etc.

    Image : Philip Seelen        

  • Le dormeur Duval

    Pano4.jpgCe qu’il faut relever cependant, paupières mi-closes, c’est la puissance régénératrice et parfois créatrice du sommeil, ainsi du jeune poète que vous voyez là, tout ébouriffé sur l’herbe tendre, dans son trou de verdure à la douce rumeur de rivière, sa double rose rouge sur le cœur, lâchant comme un murmure entre ses lèvres encore parfumée d’anis -  Ah Nature berce-le chaudement dans le cresson bleu, pour que son rêve nous illumine…

    Image : Philip Seelen   

  • Limite psy

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    … Je lui raconte mon rêve de l’escalier, le divan soupire et lui aussi, ça doit être la énième fois qu’on lui sort ce standard-là mais je le fais pour lui faire plaisir, moi le rêve de l’escalier j’aime ça et son explication je me la mets là - je ne suis ici que parce que Jean-Patrice est un ex de Julia et que ça me fait de la peine de le voir perdre toute sa clientèle en tant que lacanien resté fidèle - sur quo je lui raconte le rêve de l’eau et là c’est le signal, clin d’œil, il me sourit, se lève, nous sert un double Ricard et c’est parti les amis…
    Image : Philip Seelen