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Céline au bout de sa nuit

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56 ans après sa mort, le samedi 1er juillet 1961, l’écrivain maudit continue d'attiser les passions. Aux dernières nouvelles, les plus virulentes émanent de ceux qui ne l'ont pas lu...

Louis-Ferdinand Céline, né Louis Destouches à Courbevoie, en 1894, fut l’écrivain français le plus honni du XXe siècle. Lorsqu’il succomba, le samedi 1er juillet 1961, à une rupture d'anévrisme,  dans son dernier « exil » de Meudon, auprès de Lucette Almanzor sa dernière femme, l’auteur du Voyage au bout de la nuit restait un pestiféré. Son enterrement se fit en douce, avec quelques proches et amis écrivains ou éditeurs, tels Marcel Aymé et les Gallimard. Son nom, à sa mort, restait synonyme d’indignité. Pourquoi cela ? Pour trois pamphlets racistes et antisémites d’une virulence extrême : Bagatelles pour un massacre (1937), L’école des cadavres (1938) et Les beaux draps (1941).
Et pourtant, malgré sa dérive et son délire racistes, Céline s’impose, avec Proust, comme l’un des plus grands écrivains français du XXe siècle. Son style le situe dans la lignée des génies créateurs de notre langue, dans le sillage de Villon et Rabelais. Trois romans-chroniques forment le sommet de son œuvre : Voyage au bout de la nuit (1932), Mort à crédit (1936) et D’un château l’autre (1957). Mais l’œuvre entier forme une somme polyphonique incomparable qui fait qu’aujourd’hui, malgré le flop d’une célébration officielle avortée, Céline est devenu un classique français.

Céline multiface
Au premier rang de ses défenseurs : Henri Godard, qui a dirigé l’édition de ses œuvres dans La Pléiade, a publié une somme biographique remarquable par son équilibre, qui analyse le glissement des écrits polémiques vers l’abjection tout en ressaisissant toutes les facettes d’un personnage tissant sa propre légende en fabulateur-comédien épique, grand épistolier de surcroît.
Dans un récit prodigieusement documenté, Henri Godard fait revivre Louis Destouches, fils de littérateur raté et de réparatrice de dentelles. Petit employé rêvant de médecine au dam de ses parents, il est marqué à 20 ans par le choc de 1914, qui le convainc à jamais de l’absolue noirceur humaine. Fort d’une expérience acquise en Afrique et aux Etats-Unis, Destouches devient médecin en 1924 avec une thèse sur l’hygiéniste Semmelweiss qui annonce une « patte » hors norme. Devenu Louis- Ferdinand Céline (prénom de sa grand-mère), l’écrivain fait sensation dès Voyage au bout de la nuit (1934) dont le style inouï, mimant la musique du langage verbal le plus direct, exprime le monde dans sa chair vive: l’horreur de la guerre, le scandale des colonies, l’abrutissement des sociétés massifiées capitalistes ou communistes. Des sentences devenues fameuses ponctuent cette première chronique: «Quand on n’a pas d’imagination, mourir c’est peu de chose, quand on en a, c’est trop ». Ou encore : « L’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches »…
Sous des dehors parfois cyniques se révèle un grand poète sensible à la beauté des choses, à la grâce féminine que la danse symbolise, à l’innocence des animaux qui compense la vacherie humaine. Succès et scandale saluent Voyage que l’Académie Goncourt « loupe » piteusement, au bénéfice du Prix Renaudot. En 1936 suit Mort à crédit, nouveau chef-d’œuvre évoquant une enfance et une jeunesse avec une liberté qui effarouche la critique. Or cet insuccès terrasse l’écrivain, bourreau de travail qui a mis dans ce livre plus que dans Voyage. Et d’autres mécomptes, personnels et professionnels, un voyage en URSS dont il revient atterré, et l’arrivée au pouvoir de Léon Blum et du Front populaire, vont pousser l’hygiéniste-prophète à charger le Juif, mais aussi l’Aryen dégénéré, voire le genre humain de tous les maux.
Comme le montre très bien Henri Godard, ce grand « médium » de la condition humaine s’aigrit et se braque jusqu’à l’inhumanité abjecte. Sans être un vrai « collabo », comme l’écrivain Robert Brasillach (fusillé en 1945), il se montre plus frénétique que celui-ci dans ses propos. En marge de la propagande fasciste, il se démène en son seul nom et de manière souvent contradictoire. Mais le plus énorme est ailleurs, que Godard illustre sans coup férir: c’est que ce « salaud » n’aura cessé de composer une œuvre prodigieuse.
Or comment aborder Céline au bout de sa nuit ? Faut-il distinguer un « bon » d’un « mauvais » Céline, un Céline admissible de l’ « infréquentable » ? À cette alternative, Henri Godard oppose la prise en compte de l’œuvre dans son ensemble, jusque dans les pamphlets, sans se tortiller. De fait, lire Céline sans tricher, c’est constater en somme que le meilleur et le pire peuvent cohabiter dans la littérature, comme dans tout homme.

Céline antisémite et raciste
Comment Céline en est-il arrivé à écrire, à côté de romans d’une profonde humanité, des pamphlets suant la haine raciale tels que Bagatelles pour un massacre. L’école des cadavres et Les Beaux draps ? C’est une des questions auxquelles répond Henri Godard avec une honnêteté et un équilibre de jugement sans faille.
À l’origine, Louis Destouches accuse un léger antisémitisme familial, très présent dans la France de son époque. Cela ne l’empêche pas d’avoir de bonnes relations avec de nombreux Juifs, notamment à la S.D.N. Dès sa jeunesse, il voit cependant en le Juif un être différent, voire inférieur, en tout cas dangereux pour la civilisation occidentale. Mais dans les pamphlets, ce danger s’étend à tout ce qui n’est pas au goût de Céline : Picasso, Cézanne, Racine même deviennent ainsi aussi nocifs que les Juifs !
En 1957, dans une interview radiophonique du journaliste suisse Louis-Albert Zbinden restée mythique, l’imprécateur justifiait son antisémitisme au nom de son pacifisme de héros blessé de 14-18, convaincu que les Juifs poussaient à la guerre et que l’Allemagne serait le gendarme de l’Europe face au communisme. Comme le montre Henri Godard, cette justification reste insuffisante au regard du déchaînement haineux des pamphlets faisant du grand écrivain un propagandiste de la plus basse espèce, quoique toujours ambigu dans ses rapports avec les collaborateurs et les Allemands, qui se méfieront également de lui…


Pour lire Céline et ses commentateurs


De Céline.

Les œuvres principales de Louis-Ferdinand Céline sont accessibles en livre de poche et dans les 4 tomes des Romans, à la Bibliothèque de La Pléiade. L’extraordinaire correspondance fait l’objet d’un volume séparé, à La Pléiade.

Semmelweiss. À découvrir absolument : la thèse médicale de Céline, essai scientifique et littéraire saisissant, significatif quant aux présupposés de l’hygiéniste. Gallimard, collection L’Imaginaire, 2011, 121p.

Céline en verve. Réunies par David Alliot, des citations de mots, propos et aphorismes réunis par thèmes. Horay, 2011, 111p.


Sur Céline


Céline. Dernière parue des biographies, par Henri Godard. Une somme qui décape la vie et l’œuvre de leurs mythes, très nourrie par l’apport essentiel de la correspondance. Gallimard 2011, 593p.

D’un Céline l’autre. Sous la direction de David Alliot avec une préface de François Gibault : un recueil de témoignages, journaux intimes, mémoires, entretiens, qui contrinue aussi de manière décisive à la meilleure connaissance de Céline. Laffont, coll. Bouquins, 2011, 1172p.

Céline l’infréquentable ? Réunies par Joseph Vebret, cette série de « causeries littéraires » avec Emile Brami, Bruno de Cessole, Philippe Sollers, notamment, est également à recommander pour ses apports contrastés, avec une préface significativement « gênée » de l’académicien Jean-Marie Rouart. Editions Picollec, 2011, 205p.

 Céline même pas mort ! Comédien, réalisateur et metteur en scène, Christophe Malavoy est aussi un célinien féru, comme le prouve ce dialogue imaginaire en forme de plaidoyer. À voir de plus près... Balland, 2011, 308p.


Céline's band. Un jeune loulou de 17 ans, en 1981, trois mois avant son bac, se fait virer de son lycée et quitte ses vieux pour gagner Paris où, par son parrain, il découvre la bande montmartroise de Céline. Marcel Aymé, Gen Paul et compagnie. Il en résulte un récit très bien documenté et très vivant, dont l'un des thèmes est la relation particulière, et nullement peinarde, de Marcel Aymé et de Ferdine. Très allant et très savoureux, sans trop donner dans le mimétisme. Alexis Salatko est non seulement célinien mais romancier et ça ne gâte rien ! Laffont, 2011, 201p. 

 

(À compléter...)

Commentaires

  • Le Céline de Muray voyons !

  • Bien entendu. Et plein d'autres. Mais là j'ai noté les derniers parus. Je vais compléter tantôt.

  • Il y a l'intéressant "Contre Céline" de Jean-Pierre Martin...

  • Merci, nauer, pour cette piste. je vais y aller voir. C'est souvent par le contre qu'on affûte le pour...

  • Vous avez oublié le h de Nauher, ce h qui coupe les voyelles... Pas grave pour mon ego mais c'est toujours étonnant... Cordialement.

  • Décidément il aggrave son cas. Pardon, Nauher, je ne le referais pas, nulle part, nowhere...

  • Pourquoi aggravez-vous votre cas ? Nul différend, je crois, qui nécessitât que nous finissions au petit matin en duel à l'arme blanche. Et ce n'est pas parce que j'indiquai un "contre Céline" que je m'opposais...
    Sur "nowhere", quite right...

Les commentaires sont fermés.