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Voyage au bout de Céline

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Le Dictionnaire Céline de Philippe Alméras 

Une contorsion a longtemps prévalu dans l'approche et la lecture de Céline, consistant à reconnaître le génie de l'auteur du Voyage au bout de la nuit, qui rata de peu le Goncourt en 1938, et le savoureux chroniqueur d'une enfance de Mort à crédit, pour mieux rejeter le pamphlétaire de Bagatelles pour un massacre, appelant à la haine raciale et à la liquidation des juifs en train de se concrétiser en Allemagne nazie. Cette position dualiste se compliqua nettement à l'égard des livres parus après la guerre, où la malédiction frappant l'ex-collabo revenu de sa fuite et de sa captivité au Danemark, n'empêcha pas l'écrivain de composer des ouvrages aussi importants sinon plus que le Voyage, chroniques d'une déglingue apocalyptique et chefsd'œuvre de prose tels D'un château l'autre, Nord, Féerie pour une autre fois ou Guignol's band.

Alors même que l'écrivain, rescapé d'une exécution probable (un Brasillach n'y coupa pas, qui fut moins violent que lui et bien plus digne humainement parlant), s'ingéniait à réécrire son histoire avec autant de mauvaise foi que de rouerie inventive, les céliniens en nombre croissant se voyaient soupçonnés d'antisémitisme larvé s' ils ne se dédouanaient pas en invoquant le « délire » ou la « folie » de l'intempestif, comme s'y employait sa veuve Lucette Almanzor, accréditant elle-même la thèse de la folie de son cher Louis et bloquant la réédition des pamphlets.

Or, au fil des années, la publication de divers documents plus ou moins révélateurs ou accablants auront contribué à dévoiler le personnage dans sa complexité tordue, dont la créativité est inséparable de la paranoïa, la verve souvent nourrie par l'abjection, la lucidité aiguisée par une angoisse pascalienne ou une plus triviale trouille de couard. Oui, ce merveilleux orfèvre de la langue était à la fois un sale type, un ingrat mordant la main qui le nourrissait, un rapiat obsédé par son or, un délateur et un faux jeton en amitié, notamment. On peut certes, alors, choisir de ne pas le lire en se fondant sur ces jugements moraux, mais le lisant il faut tout lire de lui, n'était-ce que pour saisir d'où il vient et où il va.

C'est du moins le parti de Philippe Alméras qui, travaillant sur Céline depuis quarante ans, comme un Henri Godard (responsable de l'édition en Pléiade) estime que Céline et son œuvre sont indivisibles et doivent être pris pour tels sans souci constant de les excuser ou de s' excuser d'y prendre de l'intérêt. Loin de s' en laisser conter par Céline, Alméras, auteur de la seule biographie de Céline non autorisée (Céline entre haines et passion, Laffont 1994) est d'autant plus crédible qu' il récuse autant la fascination mimétique des uns (très fréquente avec cet auteur, comme avec un Thomas Bernhard) que l'inquisition réductrice des autres.

Le bon usage de ce Dictionnaire Céline, précisons-le d'emblée, suppose une certaine connaissance préalable de l'œuvre et du parcours de l'écrivain, auxquels chaque article se rattache comme la digression d'un immense roman fourmillant de personnages historiques ou imaginés par l'écrivain.

A la lettre A, par exemple, sont traités notamment Abetz (célèbre ambassadeur allemand
à Paris chargé des relations avec les écrivains), Afrique (le périple de 1916 qui le dégoûte du vin et l'accroche à l'écriture), A l'agité du bocal (son règlement de comptes légendaire avec Sartre), Allemagne (« pays maudit funeste »… en 1948), Amour (« c'est l'infini à la portée des caniches », Animaux (qu' il aura préféré à la plupart des humains), Arletty (sa chère amie), Arrestation (un récit héroïque mais démenti par Alméras), Audiard (qui rêvait d'adapter le Voyage avec Belmondo en Bardamu), Avocats (« rigolos au salon, sinistres à l'aube, inutiles à
l'audience »), etc.
Ainsi se déploie une sorte de tapisserie-palimpseste aux multiples fils et ramifications, relevant à la fois de la chronique individuelle et du tableau d'époque.

Au fil d'un prodigieux travail de recoupement, assorti de commentaires toujours vivants, souvent piquants, combinant témoignages et compilations, extraits de lettres ou coupures de presse, éléments de reportages ou extraits d'études, citations innombrables donnant au livre sa palpitation, Philippe Alméras nous propose à la fois une cartographie de l'univers célinien et un jeu de piste sur les traces du Dr Destouches (dont toutes les adresses sont répertoriées !), une analyse éclatée de l'œuvre, un « Who's who » de l'Occupation et de l'E puration, un portrait en mouvement de l'homme en prise avec son époque et ses semblables. Y voisinent en outre un aperçu passionnant de l'accueil critique réservé à un auteur jouant toujours les victimes et dénigrant tout autre que lui ou presque, une exploration du laboratoire de l'écrivain au travail, un aperçu du méli-mélo de ses jugements balancés à tout-va et de ses positions plus ancrées de Celte, d'hygiéniste, de païen conchiant la décadence, de prophète vitupérant la religion, de dynamiteur du langage obsédé par la palpite du verbe réduit à sa seule musique: « Vous me prenez pour une femme ? avec des opinions ? Je n'ai pas d'opinions. L'eau n'a pas d'opinions »…

Philippe Alméras. Dictionnaire Céline. Plon, 879 pp.


Abécédaire célinien

CITATIONS Extraits de textes et de lettres grappillés par Philippe Alméras.

AU-DELÀ « Je ne voudrais pas te désobliger mais je t' avoue ne point donner de pensées aux problèmes d'au-delà. L'humanité que j'ai soufferte et que je souffre me dégoûte trop, je l'ai trop en haine pour lui désirer autre chose que des asticots et éternellement. » (Au Dr Camus, 7 juin 1948)

ARYEN « Quel est l'animal, je vous demande, de nos jours, plus sot ? plus épais qu'un Aryen ?»

CHINOIS « Quand les Chinois vont venir, ils vont être bien étonnés de voir ces êtres partout à la fois en meme temps, à l'hôpital, au bordel, sur les Alpes, au fond de la mer et sur les nuages. » (A Roger Nimier)

ÉCRIRE « Je trouve d'abord la posture grotesque — ce type accroupi comme un chiot. Quelle stupidité ! Ignoble. Je ne m'en excepte pas. Loin de se presser le ciboulot, d'en faire sortir ses « chères pensées »! Quelle vanité !»

JUIFS « Les juifs, racialement, sont des monstres, des hybrides loupés, tiraillés, qui doivent disparaître. »
(L'Ecole des cadavres)

MEIN KAMPF« Aucune gêne à vous avouer que je n'ai jamais lu Mein Kampf ! Tout ce que pensent ou racontent ou écrivent les Allemands m'assomme. » (A Milton Hindus, en 1947) Mais Philippe Alméras précise: « S'agissant de celui qui avait tenté d'établir le Reich millénaire et avec lequel il avait tant de points communs et quelques convictions, Céline a parcouru toute la gamme des positions possibles. Il est passé de la révérence au suprême mépris. »

RACE « La race, ce que t' appelles comme ça, c'est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C'est ça la France et puis c'est ça les Français. » (Voyage au bout de la nuit)

RAMUZ « Que lira-t-on en l'an 2000 ? Plus guère que Barbusse, Paul Morand, Ramuz et moi-même il me semble. » (Lettre au Magot solitaire, 1949)

SEXE « L'intromission d'un bout de barbaque dans un pertuis de barbaque, j'ai jamais vu là que du grotesque — et cette gymnastique d'amour, cette minuscule épilepsie. Quels flaflas !» (A Albert Paraz, 1951)

VIEILLIR « Il faut vieillir tôt ou mourir jeune. »

Commentaires

  • Excusez-moi, mais ce n'est pas Céline qui araté le Goncourt, c'est le Goncourt qui a raté Céline. Ce n'est pas de la rhétorique, mais de la logique: ce sont les jurés, cons ou pas, qui choisissent.
    Bien à vous, et merci.

  • Bon, Céline n'a pas raté le concours, c'est vrai, mais il ne se considérait pas moins au départ, évidemment à juste titre, comme Proust et comme Léautaud, donc c'est une façon de parler et la logique n'est pas non plus pour grand chose dans le fait que Léautaud estime que les concours sont des sortes de comices agricoles alors que tous les écrivains, lui compris, meuglent d'impatience dans la cour aux prix. Non ce n'est pas de la rhétorique, ni de la logique, et les jurés, Daudet compris, ne sont pas focément des cons, ni le contraire, et voici le temps des prix s'annoncer, quelle insupérable nouvelle n'est-il pas ? Dommage que Céline n'en soit pas...

  • Toute ces histoires autour de Céline nous renseignent sur un époque heureusement révolue mais qui si nous n'y prenons garde serait capable de revenir prendre la peau des nouveaux immigrés pas intégrés. La population croissante de juifs immigrés de toutes origines et de toutes provenances avaient la fâcheuse tendance d'avoir mis hors de lui le bon peuple Français...bien heureux alors de pouvoir laisser l'occupant s'occuper de nettoyer le territoire!
    Les écrits de Céline témoignent non pas uniquement de l'Antisémitisme qui est une rage catholique, viscérale, et héréditaire mais aussi et surtout à mon sens de la capacité d'une certaine partie de la population française à "prendre en grippe" tout ce qui ne porte pas l'estampille bon teint de la peau héritée, blanche de préférence!
    J'ai beaucoup appris en lisant Céline et tout ce qui l'entoure (la petite histoire) et je reconnais dans cet article comme dans beaucoup d'autres provenant de ce site une façon d'alimenter la réflexion en éclairant beaucoup d'interrogations.
    Mon avis sur la question compte peu malgré le fait que j'ai décidé il y a longtemps de ne plus faire aucun cadeau aux salauds et certainement pas celui de les lire!
    Mais merci encore une fois à l'auteur de fournir une mine de lectures aussi intéressantes!

  • Ce n'est pas faire cadeau aux salauds de les lire, comme vous dites, Strand, mais c'est augmenter sa connaissance de ceux que vous appelez salauds, qui constitue encore la meilleure façon de les juger sur pièces, et là ça se complique tout de même terriblement avec Céline. Par ailleurs, j'ai lu très attentivement Mein Kampf et peux donc dire en connaissance de cause pourquoi je n'adhère en rien à l'hitlérisme passé ou futur, et je trouve sot d'en interdire la lecture à ceux qui pourraient faire la même expérience. Merci de ne pas me comprendre de travers au temps du nivellement généralisé par ceux qui jugent avant que de savoir...

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