A La Désirade, ce jeudi 18 décembre. – La montagne était ce matin sous la neige, la montagne et le lac et ses lointains. Puis un ciel noir s’est levé sur l’immensité blanche, avec une sorte de gravité mystérieuse qui m’a rappelé le sombre et lancinant hiver 1956, à l’arrivée des réfugiés hongrois dans nos classes résonnant de socques et fumant de mitaines alignées sur les radiateurs bouillants.
Or je retrouve ce matin mon cher vieux Thibon, dans L’Echelle de Jacob, comme un compagnon de route avec lequel j’aime être autant en accord qu’en désaccord, mon paléochristianisme se distinguant à bien des égards de son catholicisme pur et doux.
A la question de savoir pourquoi il est chrétien, Gustave Thibon, au répond : « Parce que j’ai soif d’un Dieu qui ne soit ni ténèbre pure ni moi-même – d’un être qui, tout en me ressemblant jusqu’au centre, soit aussi tout ce qui me manque. Parce qu’en ce monde, je veux tout bénir et ne rien diviniser. Parce que je veux garder simultanément le regard clair et le cœur brûlant. Parce que je sens que l’aventure humaine débouche sur autre chose qu’un creux désespoir, une creuse interrogation ou une creuse insouciance. Pour concilier mon immense amour et mon immense dégoût de l’homme. Parce que j’ai besoin de lumière dans le mystère et de mystère dans la lumière. Parce que je veux avoir la force de bâtir et de vivre, et celle, plus grande encore, d’espérer dans l’éboulement et dans la mort.
Parce que je suis, à la fois et indissolublement, réaliste et excessif. Parce que je veux m’abreuver d’excès sans renier l’ordre dans l’excès. Parce que le christianisme seul nous ouvre une région supérieure où tout ce qui, sur la terre, est considéré à juste titre comme scandaleux, insensé et destructeur (l’espérance aveugle, l’amour sans frein, la confiance dans la fécondité du mal unie au refus absolu du mal…) devient sagesse et vérité ; parce qu’il verse en nous un sang nouveau et si pur que sa température peut monter indéfiniment sans qu’il y ait fièvre. »
A tout cela j’adhère, à cela près que mon paléochristianisme est moins exclusif que le catholicisme de tradition du cher Thibon, et de moins en moins. Je reconnais évidemment l’originalité absolue du christianisme, qui me fait ressentir le monde avec cet « amour sans frein » dont parle Thibon, et, plus profonde, cette « confiance dans la fécondité du mal unie au refus absolu du mal », mais pourquoi me fermerais-je pour autant aux autres traditions spirituelles ou aux remises en question les plus radicales ?
Gustave Thibon, proche de Simone Weil, n’y est d’ailleurs pas fermé, qui écrit encore : « Si Dieu existait, de telles horreurs m’existeraient pas, m’a crié cet homme. – Mais si Dieu n’existait pas, si un ordre spirituel n’était pas immanent au monde, si le chaos régnait partout, il régnerait aussi dans ton âme, et tu ne t’indignerais pas. Ton scandale et ton angoisse en face de l’ordre violé rendent témoignage au créateur de cet ordre. Cette indignation qui te fait nier Dieu, elle est la voix même de Dieu en toi, la voix d’un Dieu trouble encore, impuissant et pressé. »
On est loin, alors, du Dieu des certitudes, autant que des certitudes athées: « Différence entre un impie profond et un chrétien « ordinaire » : le premier ignore Dieu personnellement, le second connaît Dieu de nom »…
Commentaires
Merci pour ce texte auquel j'adhère parfaitement bien que mécréante... et qui me redonne le courage d'affronter ce jour nouveau.
Tout sonne juste dans ce texte et cette image.
J'y suis d'autant plus sensible que j'ai parfois eu bien du mal à dire à mes amis, athées convaincus, que ce qui m'ennuyait chez eux, c'était hélas ce qui m'ennuyait chez les déistes : la certitude.
Voyez, comme on ramène tout à soi, finalement.
"Moi qui suis, dieu merci, un mécréant honnête !"
GB
"J'voudrais avoir la foi, la foi d'mon charbonnier,
Qui est heureux comme un pape et con comme un panier"
Brassens, Le Mécréant, 1960
C'est amusant, Nicolas, que vous citiez Brassens, que j'écoute ces jours dans ma Jazz, avec le sublime Je vous salue Marie qui lui va si bien. Curieusement, plus je vais et plus je constate à quel point Brassens, Brel, Ferré, autant que Sartre (La Nausée et Les Mots) et Camus (Noces à Djemila appris par coeur à l'âge de 16 ans), et Morvan Lebesque au Canard enchaîné, ont marqué ce que je pourrais dire ma pensée affective et, sûrement, toute une vision du monde ou la question de Pascal et des fonctionnaires de Dieu (crois ou crève) paraît incongrue. Evidemment, nous qui sommes protestants de naissance n'avons jamais été confrontés au "saut" du pari...
oui, c'est tout à fait comme cela son amour...
Quand j'étais croyant je trouvais que Brassens était le plus religieux des athées; devenu mécréant catholique, je trouve qu'il est le plus athée des religieux. Tout comme vous il marque toujours ma "pensée affective", car il sait parler justement de l'amour, de la vie et de la mort, de dieu, souvent mieux que les curés. Bonjour chez vous sous la neige, je poste bientôt ma rencontre avec un poète palestinien émerveillé par notre grand lac.
LA NEIGE EN FEU
La soif se traite avec du vin
Rouge blanc ou noir
Peu importe
La danse témoigne de la soif
Permanente sentinelle
Aux longs doigts étendus
La danse rit ou sourit
Et l'incendie qui la ravage
Ne laisse aucune cendre derrière lui
Avant la danse
Le royaume des timides
Et des esquisses de pas
Belles notes sous la neige... Yves Bonnefoy également sur la neige, Jean-Michel Maulpoix, Ossip Mandelstam...
Il me semble qu'il faut beaucoup de manque de modestie pour se dire croyant, mais que, comme tout le monde semble le souligner ici avec brio, ce n'est vraiment plus le problème. Mais peut-être ai-je tiré la couverture à moi, tendance "naturelle" face au froid ? Immémorial désir de la tribu de se rassembler face au froid, à la neige, à l'adversité - même idéologique ?
Ma mère mourante voulait partir vite, avec douceur, sans prolongations douloureuses, et cela sans peur apparente...elle disait vouloir rejoindre enfin le silence et le vent...Un ami me fait part récemment du départ d'un parent proche, après un long et cruel cancer . Il m'écrit qu'une des dernières paroles du mourant parvenu au bout de ses douleurs fut: "J'ai peur".
J'étais, dans ces jours-ci froids, gris sombres, sans reliefs qui se sont abattus sur ma capitale, plongé dans une lecture de "Laissons parler le vent" de Juan Carlos Onetti, et simultanément dans l'oeuvre que Mikhaïl Bakhtine, ce professeur et historien de littérature russe, passionné de Dostoiëvski et Tolstoï, consacre à l'histoire de la culture comique populaire dans l'oeuvre de Rabelais.
"Ne bouge plus, laisse le vent murmurer, c'est le paradis". Onetti est plein d'une tendresse désolée pour tous les êtres qui se ratent, qui s'aiment mal, qui souffrent. L'image que son oeuvre me renvoie est glauque, mais ses héros et héroïnes débordent de sens et me semblent si proches de moi et des personnes vivantes que je peux côtoyer, ici, dans ce Paris pauvre, faible, malade et "rmiste"...
Bakhtine commence par la description de la "peur cosmique", cette peur devant l'immensément grand et l'immensément puissant. Au coeur de la peur cosmique se trouverait le caractère insignifiant de l'être effrayé, pâle et mortel, comparé à l'énormité de l'univers éternel. L'absolue faiblesse, l'incapacité à résister, la vulnérabilité du corps humain fragile et frêle que révêle la vue des "cieux étoilés" ou la "masse matérielle des montagnes".
Mais c'est aussi la prise de conscience qu'il n'est pas possible pour le pouvoir humain de saisir, de comprendre, d'assimiler mentalement cette puissance effrayante qui se manifeste dans le grandiose absolu de l'univers. Cet univers échappe à toute compréhension humaine. La "peur du cosmique" est aussi l'horreur de l'inconnu : la terreur de l'incertitude...
petite précision: un athée (le terme anglais athéist est plus parlant dans sa formulation) est quelqu'un qui CROIT et PRETEND qu'il n'existe aucune déité d'aucune sorte, sans pouvoir aucunement apporter une quelconque preuve de ce qu'il raconte. il s'agit en fait d'un croyant négatif.
moralité: sur terre, que des croyants...
Philiip,
je crois qu'il n'y a rien d'immense et d'effrayant , après la mort. Juste, il faudra se baisser pour entrer car la maison est toute petite, habitée par un coeur de pauvre mais comme nous serons tout petits aussi, tout nous paraîtra immense mais doux.
Ce Dieu, il tient dans une mangeoire, sous une étoile de noël...
Tâchez d’être heureux !
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> Allez tranquillement parmi le vacarme et la hâte et souvenez-vous de la paix qui peut exister dans le silence. Sans aliénation, vivez autant que possible en bons termes avec toutes personnes. Dites doucement et clairement ce que vous tenez pour vrai et écoutez les autres, même le simple d’esprit et l’ignorant : ils ont eux aussi quelque chose à dire.
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> Évitez les individus bruyants et agressifs, ils sont une vexation pour l’esprit. Ne vous comparez avec personne, vous risqueriez de devenir vain ou vaniteux. Il y a toujours plus grand ou plus petit que vous.
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> Jouissez de vos projets aussi bien que de vos accomplissements.
> Soyez toujours intéressé à votre carrière, si modeste soit-elle, c’est une véritable richesse dans les prospérités changeantes du temps.
> Soyez prudent dans vos affaires car le monde est plein de fourberies.
> Mais ne soyez pas aveugle en ce qui concerne la vertu qui existe : beaucoup d’hommes recherchent les grands idéaux et partout la vie est remplie d’héroïsme.
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> Soyez vous-même.
> Surtout n’affectez pas l’amitié.
> Ne soyez pas non plus cynique envers l’amour car il est en face de toute stérilité et de tout désenchantement, aussi vivace et éternel que l’herbe.
> Prenez avec bonté le conseil des années, en renonçant avec grâce à votre jeunesse.
> Fortifiez votre puissance d’esprit pour vous protéger en cas de malheur soudain.
> Ne vous chagrinez pas avec vos chimères.
> De nombreuses peurs naissent de la fatigue, et de la solitude.
> Au-delà d’une saine discipline, soyez doux envers vous-même.
>
> Vous êtes un enfant de l’Univers pas moins que les arbres et les étoiles. Vous avez le droit d’être ici. Et qu’il vous soit clair ou non, l’Univers se déroule sans doute comme il le devrait.
>
> Soyez en paix avec Dieu, quelle que soit votre conception de lui.
> Gardez dans le désarroi bruyant de la vie, la paix dans votre âme.
> Avec toutes ses perfidies, ses besognes fastidieuses et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. Prenez attention.
>
> TÂCHEZ D’ÊTRE HEUREUX !
>
Trouvé dans une église de Baltimore en 1692. Auteur inconnu.
@ Rodrigue. J'avais déjà lu quelque part cette définition: un athée est un croyant négatif, mais je n'ai jamais pu me départir de l'idée qu'elle est d'abord un élégant jeu de mots, et ensuite une ultime possibilité pour les athées de garder un pied à bord au cas où l'arche arrivait vraiment sur le mont Salut, et pour les croyants de tenir en laisse les brebis égarées. La question est tout de même ailleurs: y a-t-il un Dieu, unique, créateur, englobant, ou pas? Un croyant dira oui, un athée dira non. Un compte est de parler de l'objet de nos convictions, un autre de la force qu'on y met.
pardon, c'était pour gmc.
battuta,
ce n'est pas une définition, c'est seulement un constat. demandez donc à un athée de vous démontrer l'absence de déité, quelle qu'elle soit.
"au commencement était le verbe..."
si vous êtes capable de trouver autre chose que des élégants jeux de mots en ce monde, n'hésitez pas à faire voir.
la question n'est pas forcément celle que vous citez, elle peut prendre une autre forme, plus facile d'approche: "qui suis-je?" par exemple, question devant laquelle bredouillent environ 7 milliards d'individus.
si vous avez envie de vous amuser, voici un excellent départ pour un jeu de piste: la croyance d'un individu présumé en lui-même repose sur deux affirmations dont aucune n'est démontrée: "je suis ce corps" et "je pense".
allez jusqu'au bout d'une seule des deux, voire des deux, et vous verrez par vous-même.
" Tant que l'univers aura un commencement, nous pouvons supposer qu'il a eu un créateur. Mais si réellement l'univers se contient tout entier, n'ayant ni frontières ni bord, il ne devrait avoir ni commencement ni fin : il devrait simplement être. Quelle place reste-t-il alors pour un créateur ?"
Stephen Hawking - Une brève histoire du temps.
Flammarion - Champs sciences
"Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre"
"Le Ciel et la Terre physiques, bien sûr, mais ces termes ont une signification ontologique dont la portée va bien au-delà de la dimension physique. l'Etre est construit sur deux modalités appelées le Ciel et la Terre. Le Ciel est "en haut", c'est en lui que prend sa source le projet divin ; la Terre est "en bas", elle recueille ce qui vient du Ciel pour nourrir la Création , lui donner vie. Le masculin et le féminin sont dans ce sens des manifestations à un certain niveau de l'Etre du ciel et de la Terre. C'est dans ce rapport que le projet divin se réalise..."
David Saada - le point intérieur - Méditations sur les lectures hebdomadaires de la Torah- Albin Michel
Et pour finir cette méditation sur un regard, essayez de trouver sur internet une reproduction du "Fils prodigue " de Rembrandt et regardez attentivement les mains du Père (Dieu ?) , vous verrez qu'il a une main de femme et une main d'homme...
"Saisir un corps humain du dedans, en la lumière de la présence qu'il respire. Comment cette intériorité, qui le soustrait à la domination du cosmos, pourrait-elle être désagrégée par la mort physique ?"
Maurice Zundel - L'homme existe-t-il ? 2D. Sarment / Jubilé - diffusé par Hachette
Le mal ?
" Compassion à l'égard de Dieu, peut-être le dernier mot qui puisse être prononcé quand on a tenté de scruter à tous niveaux le problème du mal, et dont il n'est pas interdit de percevoir l'écho dans l'adjuration déjà citée de Nietzsche : " Que votre amour soit de la pitié pour des dieux souffrants et voilés " .
Zundel - Croyez-vous en l'homme ? - éd. Cerf
Bonne soirée à tous
Au temps où Battuta n'était pas encore athée, lui et moi avons vécu dans un pays où quand l'Angelus sonnait les paysans posaient leurs outills et faisaient une prière. S'il y avait eu un athée parmi eux (à cette époque et dans ces campagnes il n'y en avait pas), il se serait précipité sur le sandwich. Maintenant Battuta habite dans un pays où cinq fois par jour les "charbonniers" se tournent vers la Mecque et font une prière. Je ne sais pas ce qu'ils pensent ni ce qu'il disent. Ils ont rendez-vous avec le sacré, tout simplement. Pour ce genre de rendez-vous, je te pose une question Battuta, à quoi servent les athées?
" J'aime , le soir de Noël, méditer cette belle sentence d'un sage musulman :
" Fends le coeur de l'homme, tu y trouveras un soleil."
Soeur Emmanuelle
et j'ajouterais :
" Si tu coupes un atome, tu y trouveras un soleil et des planètes tournant alentour."
Djalâl-ud-Dîn Rûmî - XIIIe siècle
Merci de ce texte qui touche au coeur de l'être et de ses interrogations. Et des réactions qui en jaillissent. Pourtant, j'ai mes "convictions". Mais c'est expérimental. La certitude qu'il y a des vitres à nettoyer, et après... après, quel bonheur... mais les graffitis, les chef-d'oeuvres et les infinis essais d'écriture, sur ces vitres, quelle merveille...
(...) Dieu était arrivé à bout de ses peines quand il pensa à celles qu’il réservait à l’homme récemment créé et il fut assez satisfait de les résumer en affirmant : « Né de la poussière, tu seras destiné à redevenir poussière. » Et pour peaufiner le sadisme de sa trouvaille, il donna à l’homme la conscience de n’être que poussière et l’intelligence d’inventer un jour l’aspirateur.
Non, il a inventé les rayons de soleil pour qu'on les voit danser comme de minuscules lucioles... C'est bien de redevenir poussière, un souffle de vent peut nous emporter n'importe où !
Cher Jacques, content de te retrouver aussi vif après t'être fait aspirer à ton tour, nul n'est parfait, ce méchant jour de 2006. Et comment cela va-t-il donc dans tes poussières d'étoiles ? Tiens, je vais en ouvrir une à ta mémoire...
Presque tout va plutôt pas mal mon vieux, j'ai rêvé de toi tout à l'heure ! Je t'embrasse.