Quand Houellebecq et BHL se la jouent ennemis publics.
Ce devait être le « coup » de la rentrée de Teresa Cremisi, patronne des éditions Flammarion qui orchestra déjà, l’an dernier, les effets d’annonce précédant la parution de La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq. Selon la même logique marchande, une rumeur non moins affriolante annonçait cet été le retour de l’amer Michel avec un « inédit ». Des libraires, françaises et francophones ont subi de fortes pressions visant à leur faire passer de grosses commandes avant de pouvoir juger de l’objet. Or en quoi consiste celui-ci ?
Ennemis publics, le titre de l’ouvrage, constitué de 29 lettres échangées entre janvier et juillet 2008, annonce la couleur. Michel Houellebecq en est l’inspirateur, selon lequel lui et BHL, qui n’auraient rien d’autre en commun, seraient tous deux les victimes d’une « meute » les poursuivant de sa haine.
L’entrée en matière est quasi burlesque: Houellebecq, dans une première lettre, fait ainsi le portrait de BHL en « spécialiste des coups foireux et des pantalonnades médiatiques », baignant dès son enfance « dans une richesse obscène », incarnant par excellence la « gauche-caviar ». Et de préciser : « Philosophe sans pensée, mais non sans relations, vous êtes en outre l’auteur du film le plus ridicule de l’histoire du cinéma ». Dans la foulée, Houellebecq se présente lui-même comme « nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogyne honteux », concluant en ces termes non moins accablants : « Fondamentalement, je ne suis qu’un beauf », doublé d’un « auteur plat, sans style »…
On l’aura compris : cette double caricature serait celle que diffusent les ennemis de nos «maudits». Ceux-ci se sont découvert le même sort affreux « au restaurant ». D’où le besoin de répondre à la grave question : « Pourquoi tant de haine ? » Et BHL, milliardaire affligé, d’évoquer, avec le millionnaire Houellebecq, la cohorte des lynchés de génie qui les ont précédés, de Baudelaire (sic) à Ezra Pound…
Pourtant cet échange, soyons juste, ne va pas s’en tenir à ces lamentations évidemment infondées - la meute se réduisant de fait à une poigné de critiques parisiens qui ont le front de ne pas reconnaître l’incommensurable talent des duettistes, tel un Pierre Assouline, qualifié par l’élégant Houellebecq de « ténia ». Autant Houellebecq que BHL ont des choses parfois intéressantes à dire. Qu’ils parlent de leurs pères respectifs (l’alpiniste ronchon de Michel, et l’affairiste froid de BHL), de morale politique (Michel le cynique et BHL le vertueux) de ce qui les passionne réellement ou leur tient lieu de credo « philosophique »: chacun, en écrivain « tripal » pour Houellebecq, ou en intellectuel plus structuré pour BHL, dépasse parfois le papotage convenu ou le plaidoyer pro domo. Mais tout cela fait-il un vrai livre ? Le lecteur appréciera…
Michel Houellebecq, Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics. Flammarion/Grasset, 332p.
La marque du faux
Les correspondances d’écrivains constituent parfois de précieux documents, où les auteurs se « lâchent » et se révèlent en vérité. Il n’est que de citer celles de Flaubert et de Georges Sand, ou du même Flaubert et de Maupassant. Michel Houellebecq se réclame d’ailleurs des virtualités du genre, dans la perspective d’une « littérature de l’aveu », pour engager Bernard-Henry Lévy dans le présent échange. Or celui-ci est d’emblée faussé par le caractère artificiel de la démarche. Si leur susceptibilité de présumé génies insuffisamment reconnus rapproche les deux personnages, on les sent peu complices, surtout affairés à poser pour le lecteur déjà « programmé ».
Les débuts sont comiques de vanité, entre le teigneux Michel et le pompeux BHL, mais leurs divergences profondes (de tempérament autant que de posture intellectuelle) donne plus de relief aux quelques lettres sonnant moins faux. On vérifiera, dans la foulée, le délabrement de la pensée de Michel Houellebecq, et la veulerie que module sa langue même, tout en appréciant ce qui fait la qualité de ses romans : sa perception à la fois « végétative » et suraiguë, et son humour tordu de fils de personne sans descendance. A ses côtés, BHL a tout de même plus de tenue, plus d’intelligence et de cohérence dans ses propos, malgré cette suffisance guindée (il est sûr d’être un bon romancier et un modèle d’intellectuel engagé…) qui nous gâche ses meilleures observations, notamment sur Lucrèce ou La visite la vieille dame de Dürrenmatt.
Egalement nuls dans certains jugements (par exemple sur la Russie), nos deux coqs en pâte ont-ils enfin mérité en quoi que ce soit l’appellation d’« ennemis publics » ? A vrai dire le public s’en fout…
Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 13 octobre 2008.
Commentaires
Vivement le retour de votre "roman en chantier" pour se laver les yeux de tous ces livres inutiles, de tous ces mots usés pour rien. Il y a une érosion du désir de lire provoquée par ces livres aux pluies acides, qui ressemblent à des livres parce qu'ils ont des pages imprimées, une belle couverture glacée, une place sur les tables des libraires et dans les médias. Dans mon panier de lectrice je ne garde que les coquillages propres....à donner du plaisir...
Peut-être se prennent-ils pour Rousseau et Voltaire !
En tout cas du point de vue marketing j'y vois pour ma part une récupération de la tendance à la victimisation en s'autoproclamant "ennemis publics".
Merci de ce compte-rendu car je n'avais pas l'intention ni de lire ni encore moins d'acheter ce livre.
J'espère que le succès en librairie de Le Clezio fera oublier ce coup des éditeurs;
Voilà un écrivain qui n'a pas eu besoin de courir les plateaux de télévision pour se faire reconnaître.
Mais oui, on se ficherait complètement d'eux et même de ces opérations juteuses que concoctent les éditeurs si une partie de l'argent ainsi gagné servait à publier des auteurs que l'on a envie de lire. Seulement, nous savons que c'est de moins en moins le cas.
"A vrai dire le public s’en fout…"
Mais alors complètement!
Quel bonheur de passer pour des culs terreux, des péouses regardant le TGV passer comme des vaches les CFF, des auteurs déprimants, esseulés n'ayant paraît-il aucun combat à livrer - c'est vrai, nous sommes un pays neutre-, des dépressifs métaphysiques, des francophones chroniques - n'oublions pas que nous parlons une langue étrangère-, des gens sans idée, sans couleur, sans intérêt, cloués sur fond de carte postale fribourgeoise, nos femmes ayant le teint rose et le corset abondant (à défaut d'être métrique, comme le veut la mode la capitale), et les hommes fumant la pipe béats devant un tas de fumier ...
Comme le disent les commentaires précédents, les gens ne s'y trompent pas et ne se laissent pas abuser par ces deux crétins (pourtant non dépourvus de matière grise mais peut-être nostalgiques d'une paternité qu'ils n'ont pas su honorer, comme BHL vis-à-vis de Derrida).
Et puis oui, c'est une histoire à pognon, ce pognon qui s'insinue partout.
Alors en ce lundi matin, j'en appelle à une résistance massive pour défendre nos valeurs humaines qui n'ont pas de prix!