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Le Nothomb qu'on attendait

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Amélie souveraine dans Le fait du prince.
Il y a toujours eu, dans les romans d’Amélie Nothomb, une pointe de génie, mêlée à un certain tout-venant de qualité variable, qui fait l’originalité indéniable de cet auteur que son immense succès dessert évidemment. Dès l’Hygiène de l’assassin, ce fait d’un génie propre, d’une folie propre, d’une complexion absolument originale m’avait paru évident, comme il me paraît évident chez un Pierre Gripari, à l’immense insuccès...
Jamais cependant, il me semble, Amélie n’avait été aussi inspirée, et tout en légèreté, que dans Le fait du prince, son nouveau roman à paraître en septembre prochain, qui hante, pourrait-on dire, la profondeur de la surface chère à Oscar Wilde. C’est un roman d’une parfaite fluidité, qui m’évoque à la fois les romancières anglaises, du genre Ivy Compton-Burnett (pour le dialogue et le délire alerte) et Ronald Firbank (qui est une romancière délicieuse sous son masque d’homme distingué) ou le dandysme de certains post-futuristes italiens tels Bruno Corra ou Alberto Savinio, et je pensais aussi à certains écrit magiques de Cesar Aira en lisant Le fait du prince, qui tient à la fois du conte de fée et du polar hilare.
C’est l’histoire, en somme, d’un Français de 39 ans fatigué de s’appeler Baptiste, assez médiocrement adapté à la mécanique des jours, à qui le hasard (ou la Providence, comme on veut) fait cadeau du prénom d’Olaf, riche et Suédois, après que le riche et suédois Olaf eut sonné chez lui pour y tomber mort après quelques instants, lui offrant sa vie en quelque sorte. Or cette vie continuant par le truchement de la jeune veuve d’Olaf, trouvée elle-même sur la rue et comme adoptée par le premier Olaf, la suite de l’histoire, baignant dans les champagnes de marque, réalisera non tant les bas fantasmes mais les hautes rêveries de « notre héros » et de celle qui le reçoit sans se douter qu’elle a déjà changé de mari... Vous suivez au fond de la classe ?
Ce qui m’épate là-dedans est la qualité des phrases, ou plus exactement leur électricité, leur plasticité, le mélange détonant du songe et de la fiction qui font qu’elles font plaisir à l’œil et à l’esprit, même à l’âme qui est l’œil et l’esprit de dedans. Moi qui n’aime pas du tout le champagne, j’en redemande sous cette espèce sublimée de la rêverie narquoise et de la pensée imprévue. C’est cela : tout est imprévu, imprévisible et non convenu dans Le fait du prince. C’est le fait du prince de creuser un tunnel souterrain entre sa villa et la banque voisine quand il a besoin d’un peu de blé, le roman permet ça et pourquoi s’en priver si c’est pour dire autre chose ? On n’a pas assez vu qu’Amélie Nothomb disait le plus souvent autre chose, enfin: la critique établie ne l’a pas vu, que le succès dérange quand il n’est pas celui de Marc Levy qui, lui, ne dit jamais autre chose. Or le grand public, qui n’est pas la masse abrutie qu’on croit, est sensible à la pointe de Nothomb autant qu’à son humour. Celui-ci fait merveille dans Le fait du prince. C’est le fait du talent, il me semble, et peut-être d'autre chose encore…
Amélie Nothomb. Le fait du prince. Albin Michel, 169p.

Commentaires

  • Tant pis, le Nothomb qui m'attend, celui que je m'apprêtais à commencer justement (!!) ce soir, ce n'est "que" Ni d'Eve ni d'Adam, dont la couverture fait l'en-tête de votre note... Je le suppose d'un niveau un peu moindre que celui que vous nous présentez magistralement(ah votre première phrase !) ici mais je ne bouderai pas pour autant mon plaisir! Oui Nothomb a tout d'une grande, elle est brillante, terriblement originale au meilleur sens du terme, mais paradoxablement son grand succès, son grand public( très..hum..grand-public) jouent en sa défaveur aux yeux de l'intelligentsia.
    Merci vraiment pour cet article, j'ai apprécié lire autant de choses belles etbonnes, pertinentes et justes sur l'Amélie que je me suis lassée au fil des années de défendre.

  • Bonjour,

    Je passe ici par hasard, je cherche à lire des interviews d'Amélie Nothomb et oh que vois-je ? une critique !

    Consternation.

    Il faut vraiment que j'apprenne à utiliser google.

    Malgré tout vos mots m'ont emporté, votre critique passionnée m'a beaucoup plu, je tenais à ce que vous le sachiez...

  • Je passai par hasard, cherchant des interviews de Mme Nothomb, et me voilà ici

    Consternation.

    Il faut vraiment que j'apprenne à utiliser Google.


    Malgré tout, vos mots m'emportent, ils me transcendent et celle que j'admire est sublimée. Vous êtes étonnant.

  • Chère Rebacca, merci pour votre visite, et puisque vous cherchez une inteviouve, en voici une. Elle date un peu, mais notre Amélie y dit deux ou trois choses intéressantes il me semble... Je vous souhaite un dimanche princier.

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