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Ballade de la mal aimée

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PREMIER ROMAN Au front de la relève française, Aude Walker, 28 ans fait son entrée en littérature avec un livre mordant et déchirant à la fois, d’une très belle écriture.

Lorsque Lisa, serveuse à « cernes de panda » dans un hôtel parisien chic où elle joue les « sbires à limonadier », tombe un jour sur Vera, assise à la table 114 et qui, sans la regarder, lui commande une Grey-Goose-trois-glaçons-et-que-ça-saute, les six ans qu’elle a passés à essayer d’effacer ladite Vera, sa mère, de sa mémoire, lui sautent à la gorge alors que sa génitrice, très classe, lui balance successivement « C’est incroyable de te voir ici, ça fait si longtemps…», puis «Qu’est-ce que tu as changé. J’ai failli ne pas te reconnaître »…
Lisa, vaguement mariée à Antoine, gentil garçon lisse qui ne sait rien du passé compliqué de sa conjointe, ressent un telle détresse et une telle rage en retrouvant par hasard celle qui l’a toujours humiliée en la gavant de cash sans lui donner rien de l’amour qu’elle attendait, lâche illico son emploi bidon et quitte nuitamment son attentionné compagnon pour entamer un retour à l’Origine (c’est aussi le surnom qu’elle donne à sa mère) que représente Black Lion, résidence de la tribu irlandaise friquée des McAllan dont le patriarche a établi la fortune en dessinant les plans des premiers ponts new yorkais. En bordure d’océan, sur la côte Est de l’Etat de New York, la propriété, flanquée d’une grange où le père de Lisa, le journaliste français Matthieu Duval, rangeait ses voitures de collection, est toujours habitée par Vera, qui va fêter son anniversaire, sa mère Trish, sa fille June d’un autre père, et Assan, son fils arabe d’un autre amant de passage, demi-frère de Lisa que celle-ci retrouve dans le grand vent fou de la plage voisine après qu’elle a passé sa première nuit dans le cabanon mythique de leur adolescence. C’est en ces lieux, notamment, qu’elle a vécu ses quinze ans de sauvageonne, entre jeux sexuels d’adolescents amoraux et parfois amoureux, quête d’un improbable Trésor sous-marin, dérives dans la drogue et bascule tragique du récit qui fait arrêt sur image à la mort d’un des « youngsters ». On pense alors à la jeunesse dorée de Moins que zéro de Bret Easton Ellis ou, plus encore, aux adolescente éperdus des films de Larry Clark. Mais Aude Walker a sa propre papatte, son univers et son vocabulaire à elle.
Exorcisme romanesque du désamour maternel, gravure à l’acide d’un milieu pourri-gâté oscillant entre déprime et défonce (« Tox shootés au vide, les nantis vivent une éternelle crise de manque. C’est la croix des nantis »), chronique ravageuse des hypocrisies verrouillées par les conventions sociales et leurs bénédictions cléricales, frise de personnages magnifiquement silhouettés, ce récit très maîtrisé dans sa structure et d’une étonnante énergie dans sa modulation rythmique, révèle en effet un écrivain de race. Sans rien de mimétique du point de vue de l’écriture, la rage d’Aude Walker rappelle les récits d’enfance et d’adolescence d’un Thomas Bernhard (qu’elle cite dans ses remerciements, à côté d’Hubert Selby Jr), mais c’est par son ton personnel, son sens de l’image ou de la formule, sa verve et son humour, sa lucidité de vieille sorcière et sa grâce de jeune fée rockeuse et croqueuse (on sent aussi qu’elle aime Schubert) qu’Aude Walker en impose finalement avec ce premier Opus qui en appelle, souhaitons-le lui autant qu’à nous, bien d’autres…

Aude Walker. Saloon. Denoël, 195p.


Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 23 août 2008.

Commentaires

  • mmmm... voilà qui me tente bien. D'autant que la rentrée littéraire est d'abord l'occasion pour moi de découvrir de nouvelles plumes. :-)

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