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  • La vibration de lire


    L’Auteur démasqué (6)

    Ce texte est extrait du livre de Louis Calaferte intitulé Les fontaines silencieuses, paru à L'Arpenteur. Personne n'a trouvé la bonne réponse.

    « Cet incomparable émoi que de se baigner dans la lecture. Eau salvatrice – où reprendre force et conscience ; où retrouver ce qui est racine nous appartenant ; d’où surgir à neuf pour d’irrépressibles envolées. – Celui-ci, qui a donné son talent à ma voix secrète ; ses idées confortent les miennes ; sa sensibilité en tout m’identifie et, par surcroît, m’enseigne, me convie en m’aidant à devenir libre davantage, c’est-à-dire plus audacieux, plus fondé sur moi-même, mieux préparé aux essences de la Vie. – Lecture qui me fait Force. – Son souvenir, capable de métamorphoser les plus pénibles instants de misère morale. Tel livre, ce jour-là, accompagna notre détresse ; nous fit la surmonter, nous tirant vers ce réel absolu qu’est l’imaginaire, où réside toute capacité d’épanouissement. – Livre de jadis qui sait encore, a retenu qu’il faisait dehors, dans la rue, chaud ou froid,terreux ou ensoleillé ; de quel vert étaient les feuillages des arbres du jardin public ; quelle saveur troublante et enfantine imprégnait le regard entr’aperçu de la jeune fille aux jambes fines. – Livre de la vibration. Livre de la coloration. Livre de la révélation. Livre de la totalité d’être. Sans cesse je suis à ta recherche, moi, éternelle jeunesse de l’initiation. »

  • Une douce dinguerie


    Gérard Guillaumat dit Bobby Lapointe.

    C’était une belle et bonne idée que de revisiter, plus de trente ans après la disparition ( à 50 ans, en 1972) du plus poétiquement loufoque des auteurs de chansons français, le bric-à-brac délirant de Bobby Lapointe où se bousculent vocables et rimes ou rythmes guillerets, saillies lutines et trouvailles mutines. Or la lecture tout en finesse qu’en a tiré Gérard Guillaumat est belle et bonne aussi, qui doit un peu au compagnonnage de l’ami metteur en scène Jean-Louis Hourdin, et beaucoup à l’accordéoniste Victor Zucchini dont les fastueuses diaprures du jeu et la malice de la présence s’accordent parfaitement. Egalement bienvenue est la participation, plus occulte, de Bernard Dimey pour trois textes magnifiques (L’enfant maquillé, qui donne le premier « la », Si tu me payes un verre et Je vais m’envoler), tonton Georges (Brassens, dont la poésie si limpide fait toujours du bien) et tata Marguerite (Duras, pour un éloge de l’alcool un peu plus empesé), ainsi que Luis Arti pour l’émouvant Je t’aime.
    Si les textes des chansons de Bobby Lapointe « tiennent » pour la plupart à la lecture, et notamment les plus déjantés dans l’invention verbale, tels J’ai fantaisie, Embrouille minet ou Ta Katie t’a quitté, le fait reste que la seule lecture ne donne pas tout de l’art de Lapointe, où la mélodie, le rythme et les ornements hirsutes de la musique comptent aussi beaucoup.
    La traversée des « copains d’abord » n’en est pas moins agréable, qui ravit à l’évidence le public aux tempes argentées…

    Lausanne-Vidy. Sous chapiteau, jusqu’au 14 mai. Tlj à 20h sauf le dimanche (17h) et le lundi (relâche). Location : 021 619 45 45 et www.vidy.ch. Durée : 1h. 20

    Photo: Mario del Curto

  • Le livre objet magique


    Entretien avec Teresa Cremisi

    Après des années passées dans le saint des saints de l’édition littéraire parisienne, au titre de bras droit d’Antoine Gallimard, Teresa Cremisi a crée la surprise, l’an dernier, en reprenant la direction des éditions Flammarion et de la nébuleuse éditoriale attachée à cette enseigne.
    - Comment le livre vous semble-t-il se porter aujourd’hui ?
    - Ecoutez, la fin du livre est annoncée, autant qu’il m’en souvienne, depuis l’apparition de la radio, puis de la télévision, plus récemment avec l’explosion de l’internet, mais finalement il reste ce qu’il est : un produit quasi parfait. Nomade, de coût modéré, assurant à chacun connaissance ou divertissement, il ne peut être remplacé par tel ou tel moyen lié aux nouvelles technologies. Sa diffusion en ligne, redoutée par d’aucuns, lui ouvre une immense bibliothèque, impliquant seulement un contrôle rigoureux des droits, pour la défense des éditeurs autant que des auteurs. On a parlé de son remplacement par l’e-book ou le livre enregistré, mais là encore ce ne sont que des extensions. Le livre a donc encore une longue vie devant lui.
    - Que pensez-vous de la pléthore des publications de la rentrée ? Ne va-t-on pas vers une saturation dommageable pour tous ?
    - Le phénomène est typiquement français, initialement lié à la saison des prix littéraires. Pour le moment, le marché n’accuse pas d’effets négatifs de ce phénomène, mais je crois que les éditeurs, progressivement, par réflexe de défense, vont freiner le mouvement. Il est certain que de cette surabondance découle une certaine déperdition, autant pour les premiers romans que pour des auteurs peu médiatisés. Mais c’est également un gage de diversité.
    - La « starisation » des écrivains vous semble-t-elle une bonne chose ?
    - Ce n’est pas un phénomène nouveau, même s’il est amplifié par la télévision. Mais certains livres s’imposent sans battage, et je n’obligerai jamais un auteur à paraître. S’il préfère rester à l’écart, cela ne m’empêchera pas de le défendre si je crois en son livre.
    - Auriez- vous « géré » le lancement du dernier roman de Michel Houellebecq tel qu’il l’a été, si celui-ci n’avait pas quitté Flammarion pour Fayard ?
    - Certainement pas ! Non, nous nous serions contenté d’annoncer la parution du livre, sans entretenir ce « cirque » finalement contre-productif pour le roman autant que pour l’auteur.
    - Quelle marque personnelle aimeriez-vous imprimer au catalogue de Flammarion ?
    - Il y a d’abord une grande tradition à perpétuer, puisque la maison a été celle des Braudel, Duby et autres Furet, fleurons de la science historique. En littérature, nous allons relancer un travail de prospection plus soutenu. Une nouvelle collection me tient aussi à cœur, intitulée Café Voltaire et dans laquelle nous publierons des essais d’écrivains que nous apprécions.
    - La lectrice passionnée que vous êtes n’est-elle pas phagocytée par la gestionnaire ?
    - L’édition a cela de particulier que vous ne pouvez publier de livres sans vous y intéresser. C’est cela aussi le livre : c’est un bien immatériel qui se transmet sous cette forme toute simple, qu’on ne peut améliorer. Pour tout dire, le livre est un objet magique…
    Cet entretien a paru dans l’édition de 24Heures du 28 avril.
    Photo de Janine Jousson.

  • Bêtisier ramuzien


    Ils l’ont écrit en français...

    Genre philistin mal informé (Ramuz a fait ses lettres à Lausanne)
    « Ramuz passa une licence de lettres à la Sorbonne, retourna à ses montagnes et à ses alpages. Il n’échappe pas au pire tic des écrivains à la campagne, qui consiste à chercher (et à trouver, hélas !) un style approprié à leurs récits ». Jean Dutourd, Le point.

    Genre stylistement stylé
    « Avec Ramuz tout est dit, même le plus difficile, surtout le plus difficile. Mais il y a un hic : le style. Chaque nouveau livre de M. Ramuz est écrit plus barbarement que le précédent ». Edmond Jaloux.

    Genre corps d’armée académique

    « Ramuz saccage sans vergogne la grammaire et la syntaxe. Entre tous les écrivains de notre temps, il est probablement celui qui s’est acquis la plus solide réputation de mal écrire (…) La langue de M. Ramuz est, si l’on veut, une force de la nature ; mais il manque, en face d’elle, une puissance capable de l’assimiler et de lui donner sa valeur comme élément de la civilisation française (…) Faute d’ordre au centre et à la tête, le désordre se développe naturellement aux extrémités du corps français ».
    André Rousseaux, Le Figaro.

    Genre c’est patois c’est que moi
    « De tous les gens qui écrivent en patois, M. Ramuz est certainement celui qui écrit le plus mal (…) Quelle chute dans la noir charabia. Ernest Tisserand

  • Relire Joyce


    La solitude et la mort
    par Claire Julier


    James Joyce a quitté l’Irlande en 1904. Exilé par choix, il marche à reculons, les yeux fixés sur son passé. L’Irlande est le lieu de mémoire, celui de l’écriture. Le monde de Gens de Dublin est inséparable du monde du Portrait de l’artiste et d’Ulysse. Après avoir écrit des poèmes, des pièces de théâtre et des critiques, Joyce se met à la nouvelle. Gens de Dublin, écrit de 1903 à 1906, n’a pu paraître à Londres qu’en 1914, deux nouvelles étant jugées licencieuses et l’ensemble pouvant heurter les Dublinois tant les portraits sont frappants de ressemblance.
    Dans une préface écrite en 1921, Valéry Larbaud présente ainsi le recueil : […]« Par la hardiesse de sa construction, par la disproportion qu’il y a entre la préparation et le dénouement, Joyce prélude à ses futures innovations, lorsqu’il abandonnera à peu près complètement la narration et lui substituera des formes inusitées et quelquefois inconnues des romanciers qui l’ont précédé : le dialogue, la notation minutieuse et sans lien logique des faits, des couleurs, des odeurs et des sons, le monologue intérieur des personnages, et jusqu’à une forme empruntée au catéchisme : question, réponse ; question, réponse. »
    Amours non avouées, passions contenues, humiliations tues, l’histoire de l’Irlande en toile de fond, Dublin au premier plan : employés aux écritures, employées de maison, tenancières de pension de famille, boutiquiers qui « montent la garde auprès de barils de têtes de porcs », étudiants désargentés, écoliers qui font l’école buissonnière, curés de la paroisse, jésuites chargés de cours, chanteurs de rues qui égrènent d’anciennes ballades sur les troubles du pays, discoureurs politiques, buveurs de stout, inadaptés sociaux – une faune qui rit, s’amuse, prie, gaspille, s’enivre ou attend la rencontre qui changera le cours de la vie. Petits évènements – virées au bar du samedi soir, réceptions rituelles, promenades dominicales, jeunes gens en goguette, soirées musicales impromptues, jeux adolescents de Peaux Rouges – peinture naturaliste d’une cité fourmillante, haute en couleur, animée, que Joyce croque avec une clarté absolue et une ironie mordante.
    Plus on avance dans le récit, plus chaque mot fait sens. Les niveaux de lecture deviennent multiples. Les personnages semblent sûrs d’eux sous le regard des autres mais ils sont pris de tremblements lorsque – à un silence, un son, un mot – ils pressentent leur vrai moi. La réalité les envahit comme une révélation. Leur nature secrète leur apparaît alors pitoyable.
    La solitude est omniprésente dans ces reproductions de vies étriquées, aigries, soupçonneuses, sans envergure, sans espoir. Oui, la solitude se décline à chaque page : celle du jeune garçon qui ne peut pas aller à la kermesse parce que son oncle arrive trop tard pour lui donner de l’argent ; celle du poète incompris qui ne parvient pas à calmer les pleurs de son nourrisson; celle de l’employé humilié par tous au bureau, puis par ses amis au pub et qui, lorsqu’il rentre chez lui, se venge en frappant son jeune fils ; celle des deux galants qui séduisent une servante ou celle de deux jeunes garçons qui sont à la fois attirés et terrifiés par les propos d’un pervers ou encore de la mère qui cherche à tous prix – quitte à y perdre sa dignité – à ce que sa fille soit payée pour sa « prestation » musicale.
    Elle atteint son apogée dans la dernière nouvelle - Les morts (The Dead) - où lors d’une fête annuelle, une femme révèle à son mari qu’elle a vécu l’intensité de l’amour avec un jeune homme aujourd’hui disparu. Mort pour elle. John Huston poussé par le désir d’entendre une dernière fois un texte aimé l’a magnifiquement mis en scène dans son ultime film. (Gens de Dublin, 1987)
    « Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale en toute l’Irlande. Elle tombait sur la plaine centrale et sombre, sur les collines sans arbres, tombait mollement sur la tourbière d’Allen et plus loin, à l’occident, mollement tombait sur les vagues rebelles et sombres du Shannon. Elle tombait aussi dans tous les coins du cimetière isolé, sur la colline où Michel Furey gisait enseveli. Elle s’était amassée sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les fers de lance de la petite grille, sur les broussailles dépouillées. Son âme s’évanouissait peu à peu comme il entendait la neige s’épandre faiblement sur tout l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts. »

    James Joyce, Gens de Dublin, traduit de l’anglais par Jacques Aubert, 250 pages, Editions Folio.

    Cet article a paru dans le numéro 70 du Passe-Muraille, venant de paraître en cet avril 2006.

  • La noisette du sentiment

    L'Auteur démasqué (5)

    Ce texte est extrait de Talent de Jacques Audiberti, étourdissante suite de proses parue à la LUF en 1947. Nul n'a identifié l'Auteur, ce qui me fait insister virulemment sur la nécessité de relire ce merveilleux écrivain, auteur notamment de Monorail, Marie Dubois ou du bouleversant Dimanche m'attend, tous publiés chez Gallimard, sans parler de son théâtre et de sa poésie. 

    Les hommes mangent les poissons et les anges mangent les hommes.
    Certains affirment les Anges venir des poissons et les Chérubins des oiseaux. Les Trônes viendraient des membres, les Dominations de la réflexion. Et les Archanges, les splendides archanges aux grandes ailes pareilles à des toitures tavillonnées de couteaux vermeils, les archanges qui mangent à mort le galet des plages solaires et le blé des lunes assyriennes, les archanges ne sont pas issus des anges, mais des astres.
    Les divers ordres de nature dévient les uns des autres par le don et l’effort de la volonté. Mais ils se dévorent les uns les autres pour que soit assumée sans fin la palpitation vivante du grand Seigneur reclus à former ce monde.
    Les Principautés viennent de la chaleur et de l’espérance. Les Puissances viennent de la faiblesse et de la pitié. La nageoire, soudain, pousse sur l’os aride et l’œil, comme un fruit, germe sur le bambou. Les sucs se hâtent dans les conduits. La mer, toute surprise, un jour, voit s’ouvrir un caillou qu’elle croyait compact et d’où sort, qui sourit à la matinée bleue, un alérion replié qui ne se hâte à se déplier. Des sauces épaisses ruissellent des commissures. Les fourchettes à trois dents s’enfoncent, circonspectes, dans la chair des substances, bouillonnantes, soudain, à l’endroit de la piqûre. Des santés sont portées. Cana débouche la bordelaise. Un rayon contourne et galonne une cruche. Violent la noisette et fracturent la pomme les plus belles mains qui jamais sauvèrent et bénirent l’air. La noisette du sentiment, la pomme d’Adam.    

  • L’Auteur démasqué (4)


    Ce texte est tiré de Plume d'Henri Michaux. Il n'a été identifié qu'avec l'aide d'un moteur de recherche, au déni des règles élémentaires quoique non écrites du jeu papou. Nul ne recevra donc de récompense.

    Un fromage lent, jaune, à pas de chevaux de catafalque, un fromage lent, jaune, à pas de chevaux de catafalque, circulait en lui-même comme un pied du monde. C’était plutôt une énorme mamelle, une vieille meule de chair et, accroupie se tenait sur une région immense qui devait être terriblement moite.
    Sur la gauche descendait la cavalerie. Il fallait voir les chevaux freiner sur leurs sabots de derrière. Ces cavaliers si fiers ne remonteraient donc jamais ? Non, jamais.
    Et le chef faisait force gestes de protestations, mais sa voix était devenue si petite qu’on se demandait qui aurait accepté de tenir compte de ce qu’il disait, comme si un grain de riz s’était mis à parler.
    Enfin ils parurent s’embourber et on ne les revit plus. Puis, tout à coup, comme un déclic, comme un débrayage se fit dans l’énorme chose molle et des débris rejetés de tous côtés se forma après un certain temps un ruban si long que toute la cavalerie aurait pu passer à grande allure.

  • L’Auteur démasqué (3)

    La cuisson du riz


    Ce texte est signé Marguerite Duras. Il est extrait de l'intéressant album, très richement illustré, que Jean Vallier a publié sous le titre de Marguerite Duras, La vie comme un roman, chez Textuel. 


    Ecoutez, le riz, voilà comment il faut le faire, une fois pour toutes retenez ce qu’on vous dit. D’abord pour tous ces plats il faut du riz dit « parfumé » en sac de plastique, sans marque, qu’on achète dans les boutique d’alimentation vietnamiennes. Même ce riz il faut le laver. Raison de plus de laver l’autre riz, celui qui a une marque, qui est bien empaqueté et vanté à la Télé ! Il faut le laver à plusieurs eaux, le frotter dans les mains sous l’eau pour enlever le reste de son qui l’enrobe et la poussière et l’odeur du sac de jute – l’odeur dite de « cargo » - qui est celle de pétrole. Oui, sentez le riz pas lavé et sentez le riz lavé, vous verrez la différence. Laver le riz entre quatre et sept fois pour être sûr. Pour le cuire, voici : mettez le riz lavé dans l’eau froide. Et dans les proportions – sacrées – suivantes : 2 hauteurs d’eau pour une hauteur de riz. Pour 4 cm de riz mettez 8 cm d’eau froide : Tout est là. Faites bouillir le riz et puis mettez-le sur un diffuseur au feu le plus doux qui soit. Couvrez la casserole bien hermétiquement. Au bout de quelques minutes regardez le riz. Mettez un tout petit peu d’eau froide, remuez le riz, aplanissez et remettez le à cuire. C’est très rapide – En tout 5 minutes ou peut-être moins. En Indochine on le fait dans des pots de terre cuite. On n’y touche pas pendant la cuisson. Contre le fond du pot il se forme une sorte de galette de riz brûlé que les enfants mangent avec de la mélasse. Encore un conseil. N’achetez jamais de riz glacé…