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Un Amarcord nordique


Sur Les contes de Murboligen de Frode Grytten

On n’a pas besoin de grades, disait à peu près Ramuz : on a plutôt besoin d’égards. A quoi j’ajouterai : et de regards. On a besoin d’égards et de regards. Et c’est précisément ce qu’on trouve dans le premier livre traduit du Norvégien Frode Grytten, Les contes de Murboligen (dont le titre originel en néo-norvégien est Bikubesong…) qui rappelle aussitôt le portrait d’une petite ville de Sherwood Anderson, dans Winesburg-in-Ohio ou, plus encore, le Rimini de l’inoubliable Amarcord de Fellini, dont on retrouve d’ailleurs certains traits dans le livre du Nordique, à commencer par Betty l’irrésistible caissière de cinéma du coin, tout à fait la dégaine d’une Gradisca des fjords.
Tissée de chapitres plus ou moins communicants (puisqu’on retrouve certains personnages de l’un à l’autre), cette évocation de la ville d’Otta commence par le portrait d’un adorable barjo, fou des Smiths mais pestant de ne pouvoir se coiffer comme Morrissey (la pluie interdit d’avoir les cheveux dressés), absolument inadapté à la vie ordinaire (il s’est fait sacquer de l’administration postale pour refus de port d’uniforme) et se consacrant essentiellement, végétarien et chaste depuis l’âge de 19 ans (il en a vingt de plus) à soulager les derniers jours de sa mère en fin de course. Plein d’humour à la Deschiens, ce premier aperçu de la vie à Otta est suivi d’un tableau non moins réjouissant où apparaît la princesse du Burundi (ainsi surnommée à cause des poissons du même nom connus pour leur inextinguible boulimie), obèse serveuse du Hamburger Heaven dont s’entiche un Bosniaque maigre, lequel entreprend de s’engraisser alors même qu’elle entame le régime minceur Chagrin d’amour.
C’est pourtant dans le troisième de ces vingt-cinq récits que Frode Grytten rejoint réellement la poésie et la cocasserie d’Amarcord, avec le projet d’un groupe d’adolescents de rivaliser avec la NASA en mettant sur pied, à l’été 1969, une expédition sur la Lune qui se prépare dans un abri anti-atomique et s’accomplit, via l’ascenseur intersidéral de la mairie, sur le toit de celle-ci où le simple d’esprit Finn le fou, frère du pro-communiste Gagarine, touche le premier le sol lunaire, puis menace de se jeter de là-haut jusqu’au moment où, comme la nonne naine de Fellini fait descendre l’oncle dingue de son arbre phallique (« Io voglio una donna ! »), Betty vient convaincre le demeuré de se réfugier dans ses bras.
Quel bel et bon livre, fraternel et déjanté, plein de tendresse et de fines observations sur la vie des gens de notre drôle d’époque !
Frode Grytten. Les contes de Murboligen. Denoël et d’ailleurs, 2006, 371p.


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