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Le poids du monde

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Notes sur Peter Handke

Je ne sais pourquoi ce qu’écrit Peter Handke me fait penser, toujours, au travail du ver à soie. A le lire je revois ma mère faufilant avant de coudre. C’est cela même quand il parle de sa mère à lui, dans Le malheur indifférent: Handke faufile. A la fin du livre il note d’ailleurs ceci qui le justifie d’avance: “Plus tard, j’écrirai sur tout cela en étant plus précis”. Or, je me sens à la fois attiré et révulsé par la douceur affectée de cette littérature si fine et si vétilleuse, qui esthétise le malheur autant qu’elle l’affronte, et ne cesse de forcer la note tout en l’atténuant. Ainsi de la naissance de la mère dans une famille de paysans nécessiteux est-elle dramatisée à l’excès: “Naître femme dans ces conditions c’est directement la mort”, pour se trouver banalisée aussitôt après: “On peut dire cependant que c’est tranquillisant: aucune peur de l’avenir en tout cas”.
Et tout ce “travail littéraire” d’osciller entre l’effroi et son acclimatation, le cri et la glose, un récit de vie poignant et sa déconstruction simultanée, comme s’il y avait quelque chose d’inconvenant dans la simple émotion - comme si tout le tragique de la vie ne servait qu’à prendre des notes, et ces notes qu’à se tisser un cocon.

Au bord de la dépression: ces moments où il semble qu’on ait mal à tous les objets qu’on touche.

Ce personnage qui, après avoir touché le fond de la désolation, se met à s’intéresser passionnément au prix des choses. Il y a là comme un humour du désespoir qui me touche en ce moment précis.

En d’autres temps j’aurais peut-être rejeté ce livre aux observations parfois si vétilleuses, qui m’évoquent des sortes de flocons sensibles à consistance de peluche, à la fois doux et glacés, et pourtant je reviens et reviens au Poids du monde de Peter Handke, comme à une méditation murmurée qui relance à tout moment la mienne, et j’ai beau me reprocher de gratter ainsi ma plaie: je vois aussi la poésie qu’il y a là-dedans, et cet exercice d’attention qui aboutit à tout instant à la cristallisation d’images ou d’idées comme sécrétées par les gestes, les postures, les mouvements les plus imperceptibles du corps ou de l’esprit, celui-là comptant autant que celui-ci et débordant sur le corps de la nature et de l’univers. On dirait en effet la conscience de l’écrivain comme à fleur de peau, dont l’écriture paraît émaner comme une buée. Le lecteur est à la fois dedans et dehors, comme passant sous ses propres fenêtres - et cette phrase buzzatienne me touche alors particulièrement: “Passer devant une fenêtre sombre derrière laquelle un ami a habité autrefois”. Ou encore: “Les voitures mortes devant la fenêtre dans la nuit”. Il y a là une douceur mélancolique dont j’aime la projection en images, et cette sensualité triste, à la limite du lâcher prise dans laquelle je suis parfois immergé moi aussi: “Un homme assis, affaissé, essaie sans cesse de se redresser pour montrer du maintien, mais chaque fois il s’affaisse de nouveau, finalement il est content comme ça”.

Commentaires

  • C'est par le biais d'un forum de discution que je suis venue ici! pour peut être arriver à avoir un embryon de réponse, pour cette dépression qui n'est qu'une hydre aux têtes à chaque fois re- poussées !
    “Un homme assis, affaissé, essaie sans cesse de se redresser pour montrer du maintien, mais chaque fois il s’affaisse de nouveau, finalement il est content comme ça”.

    avez vous cité.
    Non je n'en peux plus d'être cette femme qui s'affaisse sous le poid de la dépression je voudrais être enfin libre et surtout heureuse! non pas de joies grandes ,des joies toutes simples comme celle d'être sûre enfin d'avoir une toute petite valeur aux yeux de quelqu'un et surtout de mes proches!
    sortir enfin de ce tunnel où parfois il y a quelques trous de lumière faisant miroiter un eden sur terre!
    Hélas l'ombre se referme et l'obscutité devient maîtresse de lieux de ma vie!
    non je ne suis pas contente quand à nouveau je m'affaisse!
    Merci pour cet article.
    je vais acheter le livre, même si je ne trouve pas de réponse aurai je peut être une début de lumière!
    Pomme!

  • Chère Pomme, je ne sais si ce livre vous aidera vraiment. C'est possible, mais chacun se soigne différemment. Pour ma part, j'ai souvent lutté contre la déprime en lisant les romans les plus noirs, mais je n'ose vous le conseiller...
    J'en ai parlé à ma bonne amie, qui a parfois affaire à des gens fragiles. Elle leur fait lire Folle sagesse, d'un maître spirituel tibétain (Chögyam Trungpa) qui sait rendre courage aux gens, à ce qu'il semble, en leur apprenant à s'écouter plus gentiment et à se crisper moins, à s'accepter moins forts ou moins parfaits qu'ils ne le voudraient, à faire avec ce qu'ils ont de bon et de lumineux en eux et à partager cette richesse avec leurs proches. Donc cela s'intitule Folle sagesse et se trouve dans la collection Point Sagesse, en Poche Seuil.
    Mais peut-être trouverez-vous aussi cette lumière que vous cherchez dans Le poids du monde ? Il y a dans ce livre une quantité de petites pépites d'éternité, et peut-être est-ce bien de cela que vous avez besoin ? En tout cas je vous souhaite des jours plus légers et j'espère que d'autres voix vous soutiendront ici...

  • Pomme,

    Nous serons à l'évidence une foule de lecteurs à lire votre appel, c'est la loi du blog. Beaucoup ne feront que passer, soit trouvant votre commentaire déplacé ici (mais le maître de ces lieux ne nous le laisse pas accroire), soit pressés d'avaler le maximum de pages en un temps record, soit remplis de stupeur par votre détresse. J'espère que ma tentative de réponse ne sera pas trop disproportionnée au regard de votre attente, mais êtes-vous toujours là, ou déjà loin éperdue dans les espaces infinis de la toile ?

    Que l'art soit un précieux auxiliaire pour tenir sa souffrance, ce seul vers de Baudelaire :
    « Sois sage, ô ma douleur et tiens toi plus tranquille ! »
    Parfois j’essaie de me parler à moi-même comme à un enfant inutilement agité. Mais il ne s'agit pas de minimiser ce que vous ressentez, simplement de suggérer que tant qu’on est en vie il y a un petit peu de jeu avec soi-même.

    Sinon me vient à l'esprit LA nouvelle qui exprime l'enfermement du dépressif « L'Homme qui ne voulait plus se lever » de David Lodge (Rivages poche), mais je ne suis pas certain que sa chute soit si bibliothérapeutique que cela.

    Je vous donne ce qui m'apparaît être la meilleure méthode pour rouvrir un espace de dialogue. Prendre au sérieux ses propres mots. S’en faire l’interprète le plus acharné pour en extraire la substantifique moelle comme le disait Rabelais, le sublime médecin. Vous décrivez votre état en recourant au mythe d'Héraclès où figure l’Hydre de Lerne. De grands psychologues du siècle dernier, comme Carl-Gustav Jung ou Paul Diel, ont expérimenté dans leur pratique que les mythes étaient des expressions littéraires parfaites des conflits qui étouffent notre psyché.
    Si vous êtes toujours parmi nous et si vous êtes intéressée, je vous proposerai de vous aider à déplier le texte de l’hydre de Lerne, sans aucune autre ambition que d'herméneutique littéraire il va de soi, mais il faudra bien que nous parvenions à trouver le lien avec Le Poids du monde de Peter Handke, car ce me semble ici la règle du jeu.
    Dans l'attente de vous lire.

  • Moi ce que je vous conseillerais en priorité, Pomme, c'est la cure de phosphate. Toute cette littérature, c'est bien beau, mais c'est de la littérature. Tandis que le phosphate, ça c'est du concret. Croyez-moi, et les Anciens le disaient déjà: le phosphate y a que ça de mieux.

  • Pomme ,
    Je vais vous relater quelque chose qui m'est arrivé aujourd'hui .
    Comme tous les vendredi , je rends visite à une petite mamie , je la retrouve dans sa cuisine avec son mari à préparer des petits plats et du pain , ils se disputent , ils se chamaillent tendrement ,touillent ce qui sent délicieusement bon dans toute la maison seulement voilà aujourd'hui j'ai eu tellement de peine en les retrouvant allongés tous les deux fatigués ,malades et fragiles , j'ai pu dissimuler une larme et me dire au fond de moi même J'AIMERAIS BIEN LEUR DONNER UN PEU DE MA VIE !
    Alors Pomme VIVEZ ,VIVEZ ,avec des hauts , des bas ...MINCE ...Vivez !

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