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Une curée indigne

Houellebecq et la critique

Lecture de La possibilité d'une île (6)

A La Désirade, ce dimanche 4 septembre. - La méchanceté de la critique établie à l’encontre de La possibilité d’une île est à la fois sidérante et significative, comme s’il s’agissait de se débarrasser vite fait d’un écrivain qu’on craint de lire, les propos méprisants et même haineux trahissant de fait une lecture en surface ou de mauvaise foi. Il y a là une sorte de lynchage qui découle probablement, aussi, du marketing anticipé de ce livre, comme s’il fallait que les vertueux critiques opposent leurs saints principes à ce battage et montrent ainsi leur indépendance. Sous un titre hypocrite (Ni cet excès d’honneur ni cette indignité), car on a soigneusement choisi les termes les plus méprisants de nos confrères européens, Le Temps d'hier passait en revue une dizaine de chroniques où l’on voit bien que le parti pris, le jugement anticipé, la conclusion précédant lecture sont la règle. On parle d’antisémitisme et de misogynie, on taxe le pauvre auteur de « commère » ou de « cynique vulgaire », surtout : on ne dit rien du contenu réel du livre.
Il va de soi qu’on peut discuter les (apparentes) provocations du début du livre, où Daniel 1 l’humoriste « panique » aligne les énormités comme n’oserait le faire un Dieudonné shooté, de même qu’on peut se trouver en désaccord avec maintes observations et autres conclusions du même protagoniste, et notamment avec sa vision déterministe de la vie, mais discuter, ou même disputer, n’est pas vilipender.
C’est d’autant plus choquant qu’il s’agit d’un livre d’immersion lente et d’évolution, dont le personnage, d’abord agité et faraud à l’image de l’époque, devient de plus en plus pénétrant au fur et à mesure qu’il mesure, avec quel désarroi, l’effet du vieillissement sur lui-même.

C’est là le grand thème du livre : le vieillissement du corps et, pourrait-on dire, du corps de l’espèce, le sentiment d’un type vieillissant d’être jeté (qu’exprimait déjà si fort un Buzzati dans sa Chasse aux vieux), la fatigue d’être et la tristesse de n’être plus aimé, car c’est aussi un roman d’une lancinante mélancolie sur le manque d’amour, qui ressort le plus fort dans le chapitre magnifique où Daniel 1 constate que la charmante Esther, type de la jeune fille libérée à l’enseigne de la movida espagnole, incarne une sorte de nouvelle espèce hédoniste qui ne désire que son désir et surtout pas l’attache de l’amour.
Je doute, pour ma part, que l’hédonisme d’Esther (lequel ravirait Michel Onfray, que vomit Daniel 1, et moi donc...) soit le fait d’une génération entière, comme le prétend Daniel 1. Il y a du moraliste puritain chez Houellebecq (puritain à l’envers si l’on veut mais puritain quand même) qui répugne aux nuances et aux détails individuels, même si ses personnages sont bien plus travaillés ici et diversifiés que dans Les particules. Mais là encore : le texte évolue. Il est imbécile de prétendre, comme La Stampa, que ce livre postule « le salut par l’entremise d’une secte adoratrice de la science et des extraterrestres », telle affirmation prouvant du moins que le livre n’a pas été lu. C’est ne pas voir la critique malicieuse des tenants et des aboutissants de la secte en question, avec le passage du premier gourou à son fils messianique, et cette superbe description de la petite entreprise du début devenant firme organisée nickel. Ce qu’on retient dans les gazettes, c’est que Michel le barjo a trempé dans un séminaire des raéliens et qu’il en est revenu fondu en mysticisme. C’est prouver une fois de plus qu’on n’a pas lu son livre...
Mais ma foi tant pis pour eux: ils ont manqué quelque chose. Un chef-d’œuvre ? Peut-être pas. Pas encore Les illusions perdues, mais un beau livre drôle et douloureux, surtout : honnête.
J’ai souvent été exaspéré par le vilain canard Houellebecq, qui m’a imposé l’interview la plus pénible jamais réalisée, dont la bande enregistrée est une suite de grommellements vagues et de propos vaseux. Les particules m’avaient pas mal déçu, de même que  la forme genre feuilleton de Plateforme, alors que le contenu, le ton, l’immersion psychologique, les observations nouvelles de ce livre, sa vision dans le temps aussi, m’ont réconcilié avec ce drôle de bonhomme.

Quant à La possibilité d’une île, c’est indéniablement le livre le plus accompli de Michel Houellebecq et le plus prometteur aussi, car le lascar n'a pas dit son dernier mot : c’est, passées une fois encore les cinquante premières pages un peu trop « couilles de Reiser », de la littérature sérieuse. Pas cuistre ou pédante du tout, mais sérieuse, captivante, amusante et sérieuse.

Commentaires

  • Le succès de Houellebecq n'est pas normal... Quand je vois des gens dans le métro en "train" de le lire, j'ai l'impression qu'il s'agit pour eux de faire comme tout le monde : Apprécier Houellebecq parce qu'on leur a dit que c'était bien ! Lorsque je pose la question à ceux - Sincères - qui ont "terminé" un de ses 2 derniers bouquins, je ne récolte que des : ... Bof , Ou des : " Tout ça pour ça " !... Je tempérerais mon propos en disant que cet ancien "Informaticien Dépressif" a su trouver "une niche" encore assez peut éculée (à condition d'être malin et intuitif ) : Transcrire sous forme de romans faciles à lire, la synthèse judicieuse des préoccupations et des doutes de ce monde, à un moment "M" !

    Qui dit synthèse, dit synthétique... qui dit synthétique, dit Houellebecq, qui dit Houellebecq, dit piètre synthétiseur des "humeurs" médiatiques et cynique sur fond de fric dans une société schizophrène bourrer de calmants, de viagra et d'anti-dépresseurs... Voilà ce qu'il nous "apprend". Comme si on était trop con pour s'en rendre compte tout seul, il nous l'écrit noir sur blanc et il faudrait qu'on trouve ça génial ! Décidément, on nous prend vraiment pour des CONS !
    Soyons sérieux et n'oubliont pas que "Houellebecq" n'est que le "Dan Brown" des beaufs qui croient qu'ils n'en sont pas ! Bas les masques...

    "Il y a des similitudes entre ces deux là, mais ce qui différencie Bret Easton ELLIS de Michel HOUELLEBECQ c'est qu'il y en a un des deux qui est écrivain..."

  • Personnellement j'avais un peu honte de lire Houellebecq et je l'ai caché sous une autre couverture. Le marketing est énervant mais ce qui l'est plus c'est de voir le nombre de personnes qui donnent leur avis et de toute évidence n'ont pas lu le livre. Ce livre se donne à qui a le courage de persévérer malgré les apparences, et il faut sans doute atteindre un certain âge et un certain degré de désespoir pour l'apprécier.

  • Vous avez raison, La possibilité d'une île ne peut s'apprécier qu'à partir d'un certain aguerrissement personnel, étant entendu que dans le mot il y a à la fois guerre et guérir. Michel Houellebecq est un malade qui se soigne. On ne désespère donc pas de le voir rajeunir. Son compère Maurice G. Dantec est encore plus malade mais rajeunit à la vitesse de la lumière dans son dernier livre. Et vous comment ça va ?

  • Je découvre cet article après avoir lu celui que vous avez consacré au dernier Dantec.
    J'ai lu le vivre de M.H. (j'en ai fait un compte-rendu sur mon blog), et j'apprécie beaucoup l'analyse que vous en faites ici.
    Le problème du marketing et du succès est qu'apparemment beaucoup se détournent de l'oeuvre. J'ai moi aussi attendu un bon moment avant de l'acheter, d'autant que j'avais été bien déçue par Plateforme. Eh bien, c'est en effet un excellent livre. Il faut dire et répéter que succès ou insuccès n'ont rien à voir avec qualité !

  • Cela me touche, Alina, de vous retrouver occultement sur ce blog, et c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu votre commentaire de La possibilité d'une île. Jusque-là, toutes les femmes qui m'en ont parlé m'en ont dit pis que pendre, sauf celle qui partage ma vie...

  • Jean-Louis, nous serions-nous déjà rencontrés ? A Genève, peut-être ? Pardonnez-moi, j'ai si mauvaise mémoire...

  • JLK, ça va bien - merci de votre sollicitude - encore, un peu. J'ai 43 ans aujourd'hui.
    C'est curieux je me disais qu'il fallait être une femme pour apprécier le dernier Houellebecq...

  • Oh, JLK, vous me faites rire à me répondre "mais non voyons"... Après tout, ça n'avait rien d'impossible ! Ça m'est arrivé plus d'une fois de rencontrer des gens que j'ai déjà rencontrés sans m'en souvenir... Alors je me fais rire aussi !

  • Houellebecq, semble-t-il, serait sur le point de quitter son éditeur. Avez-vous un avis sur cette info:

    http://crisedanslesmedias.hautetfort.com/archive/2006/08/07/houellebecq-signer-chez-fayard-et-mourir.html

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