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  • Comme un recours angélique

     
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    (En mémoire de Paul Léautaud
    dont les derniers mots furent :
    « foutez-moi la paix !)
     
    Des mains de vieux lui sont venues :
    des mains qui lâchent prise,
    des mains qui ne concevront plus
    de fresques ni de frises,
    des mains qu’on dirait inutiles
    aux chantiers importants,
    des mains qu’on jugerait futiles,
    en tout cas infertiles -
    des mains égarées dans le vide
    sans autre lendemain –
    des mains qui pourtant se rebiffent
    à recoiffer les friches…
     
    À croire qu’il n’y a plus à faire,
    qu’à parler aux enfants,
    insupportables garnements,
    lui rappelant pourtant
    ces années joliment rebelles
    qui rendent la vie plus belle ;
    plus rien que les yeux de l’aïeul
    plus rien que cet esprit
    constellant ses lazzis :
    le vioque assurément se moque
    du peu de fantaisie
    des nouveaux règlements prescrits…
     
    Chats et chiens seront les témoins
    qu’il y avait un saint
    caché au cœur de l’emmerdeur
    jurant qu’il ne serait jamais pris
    à l’illusion de paradis ;
    et voici qu’un chœur tout là-haut
    retentit dans le ciel
    peint en bleu du vieux théâtre
    et voilà que la Poésie
    contre toute pensée saumâtre
    fait croire à l’infini…

  • Je me souviens...

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    Notes du fils, dans le train du retour de la Casa Hermann Hesse de Montagnola, au Tessin, la nuit du 15 août 2002, après qu’il eut appris que sa mère venait d’être frappée d’une hémorragie cérébrale qui la laisserait sans conscience jusqu’à sa mort, dix jours plus tard…

    Je me souviens d’elle dans la cuisine de la maison natale, auprès de l’ancien petit poêle à bois, tandis que je regardais les photos du Livre des desserts du Dr Oetker.

    Je me souviens d’elle en bottes de caoutchouc, maniant une batte de bois, dans la buée de la chambre à lessive.

    Je me souviens de ses photos de jeune fille en tresses.

    Je me souviens d’avoir été méchant avec elle, une fois, vers ma quinzième année.

    Je me souviens de sa façon de nous appeler à table.

    Je me souviens de son assez insupportable entrain du matin, quand elle ouvrait les volets en les faisant claquer.

    Je me souviens de sa façon de dire pendant la guerre...

    Je me souviens quand elle nous lisait Papelucho, la série des Amadou ou Londubec et Poutillon.

    Je me souviens de l’avoir surprise toute nue, une fois, en entrant par inadvertance dans la chambre à coucher des parents: je me souviens de sa forêt...


    Je me souviens de nos dimanches matin dans leur lit.

    Je me souviens de sa façon de nous seriner l’importance de l’économie.

    Je me souviens du grand baquet de bois, pour les grands, et du petit baquet de fer, pour les petits.

    Je me souviens de la lampe de chevet que lui avait offert, sur ses patientes économies (une pièce de cent sous après l’autre), un ouvrier de la fabrique d’ascenseurs où elle était comptable, qui l’avait à la bonne.

    Je me souviens de son explication confuse, rapport aux pattes qu’elle suspendait à la lessive: que c'était pour les dames...

    Je me souviens de sa discrétion (timidité) et de son indiscrétion (naïveté).

    Je me souviens de sa lettre indignée à Kaspar Villiger, ministre des finances, à propos du sort réservée aux vieilles personnes dans ce pays de nantis.

    Je me souviens de ses bas opaques.

    Je me souviens de ses larmes.

    Je me souviens du cahier jaune qu’elle a rédigé à mon intention après la mort de notre père.

    Je me souviens de sa façon de me recommander de ne pas trop travailler.

    Je me souviens de sa façon de faire les comptes.

    Je me souviens de sa façon de préparer les salaires de nos filles.

    Je me souviens de ses derniers trous de mémoire.

    Je me souviens de sa collection de chèques de voyage.

    Je me souviens de sa querelle, à propos de la facture de l’entretien d’une pierre tombale de sa belle-mère que sa belle-soeur ne voulait pas l’aider à régler.

    Je me souviens des petits repas de nos dernières années, au Populaire, où elle me recommandait toujours de ne pas «faire de folies».

    Je me souviens de leur façon de préparer Noël dans la maison, notre père et elle.

    La mère, de Lucian Freud.