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(Le Temps accordé. Lectures du monde VII, 2024)
 
À La Désirade, ce mercredi 4 septembre. – Le brouillard était remonté ce matin jusqu’à la Désirade quand je me suis aperçu, damned, que j’avais oublié hier soir, sur le rebord d'un des bacs de permacuture de la terrasse, mon carnet Leonardo de 222 pages rempli de mes notes à l’encre verte et une cinquantaine d’aquarelles que la pluie aurait pu diluer affreusement mais non : la solide couverture de la collection Paper Blanks a tenu bon, et le dommage se limite à quelques coulures vertes ici et là, entre le 30 octobre 2021 et le 27 avril 2022 - avec toutes les pages que j’ai consacrées aux derniers mois de la vie de ma bonne amie, puis à notre deuil…
Dans la foulée, cela m’a rappelé un autre « deuil » qu’il m’a fallu faire, et cette fois pour de bon, puisque le carnet n’a jamais réapparu dans les bureaux d’objets trouvés de Paris et environs, lorsque, un certain 11 septembre sortant de chez Marina Vlady que je venais d’interviewer, et juste avant d’apprendre ce qui se passait à New York, j’ai oublié, à un guichet de métro, cet autre carnet contenant des mois de notes et de croquis aquarellés…
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Ce jeudi 4 septembre. - Au temps moche et limite glacial qu’il fait ce matin de la Sainte Rosalie (ermite retirée près de Palerme et morte en 1170, dont le corps ne fut découvert qu’en 1624, et ce fut alors que cessa l’épidémie de peste), j’oppose la plus joyeuse humeur en dépit des détails atroces évoqués par Salman Rushdie dans Le Couteau, récit de la tentative d’assassinat qui a failli lui coûter la vie en août 2022, et que j'ai commencé de lire hier; et ce matin j’ai relu le récit déjà saisissant, daté de 1993, que nous avons publié dans Le Passe-Muraille une année après la fondation de celui-ci, et je lis à l’instant, dans mon Almanach de la mémoire des coutumes que «les plus jolies choses ne sont que des ombres » à en croire Dickens, mais on pourrait dire le contraire et là c’est moi qui signe sans donner dans l’optimisme béat, mais la lecture du Couteau en dit autant sur la bonté des gens que sur leur éventuelle abjection.
 
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Ce qui est sûr est que l’affaire Rushdie a été un révélateur au niveau mondial, un sismographe de la haine et plus qu’un symbole : un fait qui nous révèle tous les jours, encore et encore, ce qui se passe aujourd’hui dans le monde partout où il y a des prisons pour ceux qui pensent librement, à savoir presque partout...
J’ai publié hier, avant de me lancer dans la lecture de Surveiller et punir de Michel Foucault, dont les premières pages sur la torture et les supplices ont de quoi nous réjouir (!), le récit de Rushdie consacré aux années d’après la Fatwah, mais ce matin : que deux likes sur Facebook, à croire que tout le monde s’en fiche, ou peut-être ce texte est-il trop long, ou peut-être les gens en ont-ils leur claque de cet emmerdeur comme les Anglais à l’époque qui ne voyaient en lui qu’un dommage collatéral alors qu’on était en pleine crise des otages…
Or les remarques, dans Le couteau sur l’état actuel de la vie privée à l’ère des réseaux sociaux où tout un chacun n’existe qu’en fonction des likes et autres followers, où la privacy est considérée comme un défi à la transparence, où réseaux et médias se liguent pour une inquisition de tous les instants, font que le nom même de Salman Rushdie se confond à mes yeux à la voix secrète et personnelle du sage inconnu, et c’est mon frère humain que j’entends en le lisant ici, au bord du ciel, alors que le brouillard monte et submerge notre val suspendu, etc.

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