(Lectures du monde, 2021)
SENTINELLES. – Notre cher Philip ayant laissé, dans sa petite carrée de l’hôtel forestier où il a passé ses dernières années et où son cœur l’a finalement lâché pour de bon, au début de l’année, une quantité de livres témoignant notamment de son dernier intérêt militant pour les questions liées à la dégradation de l’environnement et aux cycles pandémiques, j’ai commencé, après les avoir classés, à lire hier soir l’un d’eux, intitulé Les sentinelles des pandémies, d’un anthropologue du nom de Frédéric Keck qui a enquêté pendant des années sur les recherches liant, sur trois territoires frontaliers de la Chine (Hong Kong, Taïwan et Singapour), des microbiologistes , des responsables de la santé publique, des vétérinaires et des observateurs d’oiseaux qui conjuguent leurs efforts de capter et coordonner les signes des sentinelles animales détectant l’apparition des maladies infectieuses.
L’idée centrale du chercheur en question est que le paradigme nouveau de la réflexion et de l’action qui en découle devrait être la préparation, plus encore que la prévention; et la préparation incluant un retour à une forme de «collaboration» entre humains et animaux qui existait au temps des chasseurs-cueilleurs, mais qui devrait être repensée et relancée par un nouvel effort d’imagination – il insiste aussi sur cette composante créatrice de l’imagination dans l’approche des probables catastrophes à venir. Bref, je vais m’efforcer de lire ce «rapport» en poursuivant ma lecture du dernier essai de Michel Serres consacré à un autre aspect des relations entre bipèdes et animaux, à la lumière des fables de La Fontaine…
Dans l’immédiat, ce que me plaît dans ce livre est qu’il s’en tient à des faits observés sur le terrain et progresse à l’écart des discours idéologiques en cours « sur le climat », où je retrouve l’inquiétude majeure et combien légitime de ceux-là qui sont eux, aussi, ou ont été, des sentinelles et je pense à Thoreau, à Jim Harrison et à Annie Dillard, au vieux Theodore Monod et à tant d’autres… (Ce lundi 19 juillet)
MISE EN SCÈNE. - En poursuivant ma troisième lecture des Illusions perdues, je découvre une composante qui m'avait échappé jusque-là, qui relève à la fois du théâtre et du cinéma, ou plus précisément de la mise en scène, avec une occupation de l'espace par le mouvement des personnages et le dialogue d'autant plus surprenants, si l'on y regarde de près, qu'ils semblent d'une totale fluidité et d'un parfait naturel.
À cet égard, l'entrée de Lucien de Rubempré dans le cercle des journalistes et des littérateurs en vue, des mondains et des belles actrices, avant, pendant et après la rédaction de son brillantissime premier papier, qui lui vaudra la jalousie non moins immédiate de ses initiateurs, est une suite de scènes-séquences magistralement agencées - et probablement "à l'instinct"...
ALERTES. – Sans lien apparent avec un rêve morbide de la nuit dernière, soudain ma vue se disloque le temps de quelques minutes, mais assez pour me faire vaciller devant la fenêtre ouverte et voir tout à coup deux fenêtres non alignées, comme décalées en diagonale, comme deux tableaux disjoints, à la fois semblables et dédoublés et comme une douleur dans l’œil ou dans les deux yeux couplés l’un à l’autre je ne sais trop comment, donc je m’assieds, je reste immobile, puis je me lève et je marche de travers jusque vers Lady L. qui me dit comme ça que « c'est peut-être les écrans » alors que je ne m’y suis guère collé ce matin, et bientôt la vision « normale » me revient, mais l’impression de dislocation me reste, comme me reste la sensation du rêve de cette fin de nuit où je me voyais «passer», etc. (Ce mardi 20 juillet)
BONTÉ DE BALZAC. – J’y ai pensé ce matin en marchant le long du Grand Canal, voyant de loin le clocher de la petite église blanche de Noville qui me rappelle à tout coup l’église de Combray en plus modeste, j’ai pensé à cette qualité d’extrême et bienveillante attention que Balzac porte à tous ses personnages, et je trouve ce soir confirmation de mon sentiment en lisant le portrait si délicat que Lamartine fait d’abord de ce type trapu, carré, massif, à cou de taureau et trop long pif, mais d’une lourdeur à la fois légère et mobile, volubile autant de la voix que du geste et parlant sans cesse mais sans cesser de s’adresser personnellement à son interlocuteur au lieu de s’écouter, puis le portrait se précise , de plus en plus proche, et finit par le regard, les yeux à l’éclat et à la vivacité maintes fois remarqués et enfin cette aura de bonté que Lamartine souligne avec une sympathie particulière et qui rejoint la bonté de celui que j’appelle The Good Will...