(Page d'un journal)
Ce jeudi 6 mai 2021, Jour J de la Bataille.- Réveillé ce matin à 4 heures, j’ai composé un poème évoquant la présence de nos chers défunts qui nous demandent de les écouter, comme Floristella me l’avait fait remarquer en constatant que Thierry, disparu depuis peu, lui reprochait de ne pas le faire alors qu’elle n’en finissait pas de lui parler…
Prière de l’aube
(A nos mères)
Ils sont survivants parmi vous,
ceux qui vous ont quittés,
ils vous écoutent, semblant muets,
mais laissez-les donc vous parler,
ne les laissez pas seuls...
Ta mère murmure en bord de mer:
les murs l’impatientaient,
et tous ces barbelés autour
des cours de détention;
libérez donc les prisonniers
des viles intentions,
libérez-nous Monsieur, là-haut
qui vous prenez pour Dieu,
et partout où vous êtes,
et vos prophètes vrais ou faux -
faites-vous donc plutôt poète,
clamait-elle sur ses ergots...
À toi la douceur insoumise,
à nous la vive crainte:
on ne sait jamais, au jardin,
ce que sait le destin
au pourtour des églises
de vos élans et de vos plaintes -
on reste désarmé...
Mais ils sont là qui vous attendent,
espérant votre accueil,
comme des enfants sur le seuil
au moment de l’offrande...
.
Quant à Lady L., après nos échanges un peu mélancoliques d'hier soir, nous nous sommes quittés tout à l’heure, juste avant 8 heures, la voix claire et sans un trémolo, en nous disant juste, justement : «À tout à l’heure... », avant que je n'ajoute un inhabituel « Dieu te garde » de ma voix un peu tremblante...
Auparavant, je lui avais écrit que j’allais rester avec elle tout le jour en me livrant aux tâches domestiques les plus banales jusqu'au téléphone du Dr Niclaus auquel je me suis promis, quoi qu’il m’annonce, et même le pire, de le remercier pour ce qu’il aura fait, sachant qu’il aura tout fait pour la sauver…
En attendant, je ne cesse de recevoir des témoignages d’amitié et de solidarité sur le réseau social dont j’apprécie, pour une fois, le lien qu’il permet de maintenir, et tout particulièrement en ces temps d’atomisation anonyme liée à la crise sanitaire.
Passé à 10 heures à l’Atelier, après avoir émietté des croissants à la terrasse de la boulangerie, place de l’Hôtel de ville, à Vevey, au milieu des pigeons et des moineaux dont l'un picorait dans ma main sans se gêner, et maintenant, revenu à la maison bleue, j’écoute et réécoute le poignant Only a man de Jonny Lang en attendant d’apprendre l’issue de la bataille…
Ah mais que j’aimerais sauter par dessus les heures et la tenir dans mes bras… L’attente dans ces conditions est une vraie torture…
Le plus curieux, c’est que les tribulations accidentelles et la proximité de la mort ne m’ont jamais inquiété personnellement malgré deux chutes graves à moto et en montagne, cinq ou six opérations, le cancer, et un infarctus, alors que la mort de trois de mes amis proches m’a laissé effondré et que j'ai été marqué à vie, à vingt-cinq ans, par un séjour de quelque temps dans un pavillon de traumatologie, entouré de splendides jeunes gens plus ou moins fracassés et promis, pour certains, à la paralysie partielle ou complète, dont l’un passait ses journées à plat ventre et sans jamais se plaindre…
Il est presque 3 heures de l’après-midi, j’attends toujours des nouvelles de l’hôpital et voilà que, par hasard je lis dans le premier roman traduit du coréen que j’aurai jamais lu jusque-là et que je me suis procuré via Kindle, intitulé Je veux aller dans cette île et signé Lim Chul-woo, cette petit phrase lumineuse qui va se développer en métaphore pleine de sens et de poésie.
La petite phrase est celle-ci : « À une époque nous avons tous été des étoiles » et ensuite : « Chacun d’entre nous brillait, avec une beauté, une clarté et une taille à sa mesure, quelque part dans le ciel crépusculaire, dans sa propre constellation, et en son seul nom, chacun, sans exception, a été une splendide étoile »...
Et ensuite : « Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir été des étoiles. Ceux qui sont venus vivre sur cette terre et l’ont quittée depuis longtemps, ceux qui naîtront dans un proche avenir ou bien les nombreux visages qui sont assis, roulant des yeux de tous côtés, attendant leur tour dans une gare d’un futur très lointain, tous sont aussi des étoiles ».
Sur quoi l’auteur invite le lecteur à regarder le ciel, où qu’il soit, dans un fossé ou sur un toit, et de se concentrer sur telle ou telle étoile de son choix, qu’il verra se déplacer comme un petit poisson, puis il découvrira les bancs de poissons en mouvement et la mer nocturne dans laquelle vivent les étoiles, et de s’exclamer dans la foulée « ah, combien de nouvelles vies d’homme sont-elles en train de naître, continuellement, quelque part dans le monde, et ailleurs, encore, ah, combien de vies sont-elles en train de quitter la terre sans même laisser de trace ?»
Et de conclure enfin ce Prologue poétique : « Grands ou petits, rayonnants ou ternes, laids ou jolis, carrés ou ronds, longs ou courts, peu importe, nous sommes tous ces mêmes étoiles qui sont descendues, qui sait quand, de cette très lointaine mer nocturne et qui viennent du même pays natal»…
Je notes ces phrases en pensant à nos parents qui nous ont quittés et aux enfants qui nous sont venus. Je ne sais pas, à l’instant, si l’étoile de ma vie qu’à été Lady L. s’est éteinte dans le ciel pendant ma lecture ou si elle se réveillera après avoir été opérée du cœur, à tout instant le chirurgien qui s’est battu avec elle contre le Monstre pourrait interrompre ma lecture, mais celle-ci, mystérieusement, oriente tout à coup ce que nous sommes en train de vivre de façon nouvelle, sous la mer des étoiles ou les proportions de chacun retrouvent leur modeste mesure...
Et de fait, à 15hh 38 m’arrive enfin la nouvelle tant attendue par la voix du Dr Niklaus, chirurgien au CHUV, qui m’apprend que l’opération s’est relativement bien déroulée, marquée au début par un arrêt du cœur vite contrôlé, qui a nécessité l’insertion d’un pacemaker après l’ablation da la tumeur et la reconstruction de l’oreillette, comme il nous l’avait décrit et sans les mauvaises surprises qu’il redoutait.
Je lui demande de nombreuses précisions relatives à la suite des traitements oncologiques, mais en mon for intérieur je ne suis que reconnaissance immédiate, mon étoile n’a pas filé dans le ciel des vapes et je lui dis quelque chose comme Doc sei Dank vu que c’est un haut-Valaisan, etc.
Jawohl: mein Liebling wird bis Sonntag auf der Intensiv Station bleiben, doch bin ich endlich so zufrieden, sie lebendig zu wissen, etc.