À propos du péril brun, des complots contre l’Amérique et autres « vieux démons » peints sur la muraille…
Ce vendredi 15 janvier. - Je devrais avoir la mine sombre et soucieuse, ce matin, l’air gravement «concerné» en me rappelant le reportage «alarmant» que Lady L. m’a recommandé de voir hier soir sur ARTE, consacré à l’infiltration du jeune étudiant suédois Patrik Hermansson dans les mouvements d’extrême-droite anglais et américains ; je devrais m’indigner, et cela a été ma première réaction à la découverte de ces affreux idéologues en cravates et culottes courtes et des hordes d’imbéciles hargneux tout pareils à ceux qui viennent de déferler sur le Capitole, mais à ce mouvement panique de colère a succédé un autre sentiment plus en phase avec ce que je crois la réalité tant anglaies qu’américaine , européenne et suisse, qui fait que « ça »ne passera pas, ou pas comme ça…
KATYN ET LES JUIFS.- Bien entendu, je sais que « ça » existe et je le savais avant de voir ce reportage. Je ne suis pas vraiment étonné d’entendre tel fasciste anglais vociférer dans une rue de Londres que le Goulag et le massacre de Katyn est imputable aux Juifs, ni de voir un de ses comparses gesticulant proposer qu’on réunisse les migrants dans le tunnel sous la Manche et qu’on y foute le feu, ou encore que tel idéologue américain recommande le bombardement nucléaire du Pakistan et prédise une monnaie unique à l’effigie d’Adolf Hitler.
Je sursaute évidemment d’horreur comme le jeune Patrik à Charlottesville quand se défoule la meute raciste et judéocide, mais je sais aussi, au même moment, que tout ne va pas dans le même sens, et je me rappelle alors Le complot contre l’Amérique de Philip Roth, dans lequel il est montré que, même au temps où le nazisme séduisait certains Américains et certains Anglais (dont un certain monarque), « ça » n’a pas vraiment passé.
En entendant Jez Turner, leader surexcité du London Forum parler de Katyn comme d’un crime juif, je me suis rappelé que notre ami Czapski a passé cinquante ans de sa vie à rétablir la vérité selon laquelle ses camarades polonais n’ont pas été massacrés par les Allemands mais par les Soviétiques, comme je me rappelle les théories conspirationnistes antisémites fondées sur le Protocole des sages de Sion - inventé comme chacun sait par la police du tsar pour accuser les Juifs d’un complot mondial - quand je découvre les thèses de Q-Anon & Co…
Cependant, tout convaincu que je sois du danger réel que représente l’Alt-right américaine, je crois que « ça » ne passera pas, ou pas comme ça, mais peut-être « ça » va-t-il évoluer et ne sera pas moins grave sous de nouvelles formes ?
LE COURAGE DE L’OPTIMISME. – Contre la gauche perdante et la droite arrogante, le nouveau catastrophisme relancé par la pandémie et l’aveuglement consentant, Rutger Bregman plaide pour ce qu’il y a de fondamentalement bon dans la créature humaine et défend des « utopies réalistes » dont la redistibution des richesses est l’un des points forts, au dam des frileux, et tel sera le thème de ma 120e chronique sur le « média indocile » de Bon Pour La Tête.
Dès que j’ai commencé de lire Humanité, une histoire optimiste, le ton et plus encore le formidable matériau documentaire accumulé et analysée par ce Batave hors norme et hors partis m’a botté, me rappelant le réalisme joyeux de notre chère Katia, et la lecture, ensuite d’Utopies réalistes, consacré notamment au succès des applications du revenu de base universel, m’a surpris et séduit bien plus que les scies actuelles sur le retour des « vieux démons » et autre « montée des périls. Dans la foulée, j'ai offert ces livres à nos filles pour Noël après que Lady L. s'en est régalée elle aussi...
Non, ce n’est pas se leurrer ou s’illusionner que de parier sur la générosité plus que sur le cynisme ou le sempiternel égoïsme des nantis, même si l’on sait l’infinie ingéniosité de notre espèce à creuser sa tombe et préférer trop souvent le pire au meilleur, etc.
Images: Charlottesville et Patrik Hermansson.