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Le cercle des vivants

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Carnet nomade de René Zahnd
 
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Toute la journée, dans la Land Rayer que conduit Abdallah, nous avons traversé des steppes dominées par les cônes de volcans gigantesques, avec de temps à autre des gazelles ou des zèbres qui regardent passer notre véhicule et son panache de poussière. Ici ou là, dans la savane, apparaissent aussi des trou-peaux gardés par leurs bergers, des masaïs longilignes, drapés dans leurs tissus aux couleurs éclatantes, blessures de vie dans un paysage de saison sèche. Herbes mortes, sables et rochers. Nous sommes en Tanzanie, dans la vallée du grand rift, berceau de l'humanité à ce qu'on dit.
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Au bout de la route, pour l'étape, s'offre un coin de verdure. Nous nous installons près de la rivière. Nulle part. Ou alors partout, sous les yeux de quelques indigènes, même plus surpris par l'incongruité d'une telle irruption sur leur territoire. Vient alors cette impression, plus forte que jamais, d'être de passage. Juste de passage. Pourquoi venir ici ? Pour aller à la rencontre des « autres » ? De soi-même ? L'incandescence de l'instant? Comme on pourrait la trouver dans l'écriture, la lecture, l'amour ? La «vraie vie » rêvée par ce voyou d'Arthur?
La vraie vie... Les tentes sont montées. L'air brûle. Les masaïs alentour se tiennent à l'ombre, filant d'interminables conversations que le vent emporte — de quoi peuvent-ils bien parler sans fin ? —, comme il emporte le chahut d'oiseaux aux noms fabuleux (le tisserin-moineau à sourcils blancs, un piaf robuste et familier qui mène grand tapage).
Un des livres récemment lus qui, à sa façon, parle de la vraie vie, vient d'un ami. Les passions partagées de Jean-Louis Kuffer est là, sur la table. Et c'est un peu de Jean-Louis qui est avec moi en voyage. Ou plutôt beaucoup de Jean-Louis.
 
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Voici saisis vingt ans d'existence, en suivant un fil rouge : la lecture. Des oeuvres sont découvertes, commentées, appréciées. Des auteurs rencontrés, interrogés (et ceci donne l'occasion de portraits magnifiques). De Georges Haldas à Milos Tsernianski, de Patricia Highsmith à l'irremplaçable Charles-Albert, c'est tout un paysage qui se dessine, s'affine, évolue. En vérité, la littérature parait une nébuleuse à explorer et Les Passions partagées témoigne d'un désir toujours intact d'y plonger, d'y découvrir de nouvelles voix. Oui, voilà déjà un élément frappant : à quel point la lecture — tout comme l'écriture d'ailleurs — est vitale, c'est-à-dire nécessaire à la vie.
D'ailleurs ces carnets retravaillés, qui suivent un ordre chronologique, englobent dans une même coulée des notations plus personnelles, jamais pesantes. Les doutes et les crises, la famille, les amis, puis la rencontre de l'amour et la naissance du premier enfant, qui permet d'intégrer le « cercle des vivants », tout cela est restitué avec un bonheur d'expression, avec une force de pensée aussi, qui font de ces Passions partagées un livre vibrant de vie, le livre authentique de quelqu'un qui scrute d'un même regard les oeuvres qu'il lit, les gens qu'il rencontre, les événements qui l'atteignent, et qui parvient d'un mouvement à nous les restituer en déployant les ressources et les fastes du langage.
Ici, le vent charrie des rumeurs millénaires, qui semblent dire l'obstination de l'homme à vivre debout, et je suis heureux en feuilletant Les passions partagées, en relisant certains passages, d'y mêler les bruissements qui s'en échappent. Depuis la nuit des temps, les masaïs veillent sur leurs troupeaux. Ce matin on en a vus, dans une plaine parsemée de collines, organiser une bat-tue pour débusquer un félin qui leur avait rapté un âne : leurs minuscules silhouettes remplissaient l'immensité de cris stridents. Notre vie à nous, en Europe, semble plus confuse. Nos besoins vitaux sont différents. La lecture peut en être un. Les Passions partagées en est le témoignage somptueux.
(Lake Natron, Tanzanie, 24 août 2004)
 
R. Z.
Jean-Louis Kuffer. Les Passions partagées (lectures du monde 1973-1992). Bernard Campiche Editeur, 2004, 438 pages.
(Le Passe-Muraille, No 62, Septembre 2004)
 
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