(Journal de ce matin à valeur testamentaire)
À la Maison bleue, ce lundi 30 mars. – Je me le suis dit et répété, j’ai signé déjà deux formulaires explicites, lors de mes récents séjours à l’hosto, exprimant ma volonté claire, en décembre 2019 après mon deuxième infarctus, et le 13 mars dernier, enfin je l’ai répété ce matin à Lady L. qui m’a prié d’en faire une note aussi explicite qu’un codicille de Testament : PAS D’ACHARNEMENT.
Ce qui signifie qu’on n’intubera pas mon corps immortel, je dis bien : mon corps immortel dont les cendres légères seront déposées au pied de l’épine noire de La Désirade, face au ciel et au lac donc face aux montagnes qui s’en foutent - me suis-je souvent dit, malpoli que je suis, sans en croire un mot -, face à ceux que j’aime ou n’aime pas, ce qui revient au même, donc face à l’Univers à jamais vibrant de mystère.
Ma conviction actuelle étant que je suis une Bible à moi seul, de la Genèse à l’Apocalypse, de même que les enfants petits de nos enfants sont des Bibles en train de s’écrire, je me fie tout entier à la sainte Écriture qui est celle de tous les savoirs et des non-savoirs, du Dieu caché et de ses multiples avatars, et la note que je laisse aux soignants de l’Urgence a valeur elle aussi de texte sacré : PAS D’ACHARNEMENT.
Je ne suis pas une machine. J’ai admis formellement qu’en cas de défaillance de mon cœur ou de mon souffle, d’humaines mains ou d’humaines bouches me réanimassent, mais pour s’acharner sur ma carcasse mortellement immortelle au moyen d’une machinerie relevant de la machination technique, je décline poliment et me répète non moins fermement : PAS D’ACHARNEMENT.
Je le dis assez joyeusement, quelque tristesse que j’éprouve de ne pas voir peut-être grandir nos petits enfants : PAS D’ACHARNEMENT, ce qui ne signifie aucunement que j’aie baissé les bras et vous abandonne à votre triste sort, mes pauvres vivants ; j’étais réaliste à sept ans, je suis devenu idéaliste entre seize ans et vingt ans, et ce manque d’humilité m’a passé avec la reconnaissance clairvoyante de mes faiblesses et de celles de l’Espèce, pour me retrouver dur et doux comme en enfance, donc PAS D’ACHARNEMENT, mais rassurez-vous les enfants, rassure-toi ma bonne amie : le vieux sapajou s’accroche à la branche et trouve encore, miracle, la force têtue de se laver les mains…