Du voyage qui nous recentre par décentrage. Des grands arbres et du souffle océanique. Sanctuaires naturels et pèlerinages littéraire, etc.
Au tournant de la 100e séquence de cette suite lyrico-méditative placée sous le signe de l'impossible TOUT DIRE, dont l'impulsion initiale m'a été donnée il y a un an de ça par la lecture de la pléthorique et splendide autobiographie de l'écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard, la présente étape de notre périple américain, le long de la toujours ébouriffante côte Ouest, nous a fait découvrir, sur les hauts de la Carmel Valley où se tastent des vins tout à fait recommandables, des crêtes d'un inimaginable vert tendre nous évoquant à la fois les bords de ciels irlandais et les hautes terres toscanes du côté de Montalcino - où le vin n'est pas mal non plus !
Or, ces résonances de couleurs et de saveurs parentes ne vont pas sans vifs contrastes de nature et de culture - la tosillada mexicaine d'hier soir, arrosée de Merlot de la région, dans l'espèce de saloon de western du Runnig Iron -, et les arbres géants faisant parfois voûte au-dessus de la Cabrillo Highway (dite aussi Route 1), entre San Francisco et Big Sur, autant que l'immensité de l'océan aux eaux tour à tour placides et déchaînées n'auront cessé de nous dépayser et de nous tonifier dans la même alternance de décentrage et de remise au point.
Le portefeuille de Lady L. mystérieusement disparu - avec son contenu de cartes de crédit et autre fine liasse de dollars - à un guichet de location de voitures de l'aéroport de San Francisco , aura jeté une ombre sur notre partance en Chevy direction plein sud, mais les mécomptes font aussi partie du voyage et nous aurons rebondi en faisant bon cœur à momentanée infortune , non sans la bénédiction d'un officier de police évidemment sensible à l'irrésistible et rayonnant enjouement de Lady L!
De façon significative, ainsi, le voyage activement vécu - et non subi passivement comme par trop de nos congénères processionnant aujourd'hui aux ordres de leurs Tours Operators - a toujours la vertu de nous resituer dans l'espace et le temps , et c'est ainsi bon pied bon œil que, tout à l'heure, nous reprendrons à l'envers la piste désormais macadamisée des plus ou moins bienfaisants colonisateurs catholiques et apostoliques de jadis, next stop San Luis Obispo...
Bref l'expression-cliché "que du bonheur" s'imposerait dans la foulée même sans avoir pu saluer, dans leurs sanctuaires respectifs, les papillons monarques déferlant en ces lieux entre l'automne et la fin de l'hiver, ni les mémoriaux fléchés des grands dissidents plumitifs que furent Jack London, à Sonoma, John Steinbeck a Salinas ou Henry Miller le faune génial cher à Cendrars mais dont la mythique cabane de Big Sur est ces jours inaccessible du fait des intempestifs ravages naturels de l’hiver dernier.
Enfin pour nous recentrer mieux encore, les mots des poètes nous tiendront lieu de boussole de secours, à commencer par ces quelques vers du beatnik bientôt nonagénaire Lawrence Ferlinghetti: “The world is a beautiful place / to be born into / if you don’t mind happiness not always being /so very much fun/ if you don’t mund a touch of hell / now and then /just when everything is fine /because even in heaven / they don’t sing all the time...”