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  • Transcendance.com

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    … Avant ils se mettaient à genoux, ils fermaient les yeux et ça y était : ils se croyaient connectés, mais ça c’était avant et pas maintenant, t’y croyais t’y croyais pas, de toute façon t’avait aucune preuve, tandis que maintenant t’as pas besoin de croire ou de pas croire : suffit d’un clic et t’es Online et ça, maintenant, ça se prouve : t’as qu’à regarder la facture…

     

    Image : Philip Seelen

  • Lire et relire

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    Mon oeuvre a quelque chose d'un taillis dans lequel il n'est pas aisé de dégager mes traits décisifs. En cela je suis patient. Je n'écris que pour être relu. Je compte sur le temps qui suivra ma mort. Seule la mort fera ressortir de l'oeuvre la figure de l'auteur. Alors on ne pourra plus méconnaître l'unité de mes écrits...

    (Walter Benjamin)


    Dans les multiples aspects de la lecture, le phénomène de la relecture est une expérience en soi, qui peut prendre elle-même les formes les plus variées. Du livre lu en adolescence, type Vol à voile de Blaise Cendrars, ou Crime et châtiment de Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski, et qu’on éprouve la nostalgie ou la curiosité de relire dix ou vingt ans plus tard, à ces auteurs ou ces ouvrages auxquels on revient sans discontinuer à travers les années, la relecture équivaut le plus souvent à une redécouverte, laquelle dépend évidemment de l’évolution du texte autant que de celle du lecteur.
    Lire Les possédés à dix-huit ans, même si Dostoïevski a pu passer pour le champion des exaltations de la jeunesse, revient le plus souvent à ne pas en percevoir les dimensions les plus profondes, faute d’expérience. Mais relire Dostoïevski à trente ou cinquante ans peut, aussi, nous en éloigner. Et lire Dostoïevski dans la traduction nouvelle d’un André Markowicz, qui serre le texte initial de beaucoup plus près que ce ne fut le cas des «belles infidèles», revient positivement à redécouvrir l’écriture frénétique du grand romancier russe.
    Ingeborg Bachmann écrivait dans le chapitre consacré aux Problèmes de poésie contemporaine, dans ses Leçons de Francfort: «Au cours de notre vie il arrive souvent que nous changions plusieurs fois de jugement sur un auteur. A l’âge de vingt ans, nous l’expédions avec un mot d’esprit ou nous le classons comme une figurine de plâtre qui n’a rien à voir avec nous. A l’âge de trente ans, nous découvrons sa grandeur et, dix ans plus tard encore, notre intérêt à son égard s’est à nouveau éteint ou encore nous sommes saisis de nouveaux doutes ou pris par une nouvelle intolérance. Ou, au contraire, nous commençons par le prendre pour un génie puis nous découvrons chez lui des platitudes qui nous déçoivent et nous l’abandonnons. Nous sommes sans merci et sans égards, mais là où nous ne le sommes pas, nous ne prenons pas non plus parti. Il y a toujours tel ou tel aspect d’une époque ou d’un auteur qui nous convient et dont nous sommes prêts à faire un modèle, mais d’autres aspects nous gênent et nous devons les éluder par la discussion. Nous citons en portant au triomphe ou en condamnant comme si les oeuvres n’étaient là que pour prouver quelque chose à nos yeux»…
    Preuves attendues ou révélations inattendues, sources auxquelles nous revenons ou rivages à découvrir encore : peu importe en définitive, n’était l’acte vivifiant de lire - et là je vais finir de relire Voyage de Céline avant de reprendre La Légende du Grand Inquisiteur, formidable recueil publié à L'Age d'Homme et rassemblant, autour du chapitre fameux des Frères Karamazov, des essais de penseurs russes suréminents, à savoir Leontiev, Soloviev, Rozanov, Boulgakov et Berdiaev...

     

  • L'inutile beauté

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    En lisant Des éclairs de Jean Echenoz.

    C’est dans un grand fracas nocturne, cisaillé par un formidable éclair initial, qu’on entre dans le dernier roman de Jean Echenoz et que son protagoniste, prénom Igor, entre lui-même dans la vie, juste avant que l’électricité ne pallie, la nuit, la Lumière des chandelles et de loupiotes. Et vite s’impose, avec l’évidence d’un caractère de sanglier, celle du talent de cet Igor, ou plus précisément de son génie, plus exactement encore sa vocation d’ingénieur génial à large vision et pénétration visionnaire. Son plus grand apport à l’Humanité eût pu être la Turbine Universelle résolvant le problème mondial de l’énergie par le truchement de l’énergie du monde lui-même, mais le monde est une affaire plus compliquée que le rêve d’un vieil enfant, la nature et les hommes surtout, jaloux, ingrats, voleurs d’idées et mal disposés à la réalisation réelle des utopies.

    Or Gregor est foncièrement un artiste. L’ingénieur se rendra certes utile, par exemple en devinant le potentiel du courant alternatif dont profitera largement la maison Westinghouse, au dam de la General Eletric d’Edison, qui lui a ri au nez, et Gregor fera même fortune dans la lancée de la nouvelle Amérique électrifiée. Mais nombre de ses inventions ultérieures, enchaînées les unes aux autre à la vitesse de sa lumineuse ingéniosité, telles que le radar ou le missile, le compresseur de fluides élastiques ou le paratonnerre à système, resteront à l’état de projets ou seront piqués et exploités par d’autres, sa nature profonde étant d’un découvreur plus que d’un réalisateur.

    Sous ses dehors éminemment antipathiques (pour une fois qu’héros de roman est une sale gueule !), et même si sa compétence immense fait de lui un nabab et un personnage public, l’incarnation à divers égards de l’homme du Nouveau Monde à l’énergie tourbillonnante et qu’on imagine sabrant le champagne dans un cocktail avec l’homme pressé de Paul Morand, Gregor est essentiellement un poète dont la poésie de la vie (inspirée par celle de l’ingénieur Nikola Tesla né en 1856 et mort en 1943) se trouve mimée à merveille par l’écriture incessamment inventive et gracieuse, dansante, malicieuse de Jean Echenoz, autant que dans ses deux autres « biographies » récentes de Ravel et Courir, mêlant l’évocation de la civilisation technique en plein essor et, en contrepoint, celle d’une passion toute personnelle et peu mathématique (encore que…) de Gegor pour les pigeons.

    Bref, Des éclairs nous réserve un vrai régal de lecture en sa suite de fugues et de variations sur les thèmes de l’art et de ses parasites, de l’art et de la solitude de l’art, du génie et de ses contrefaçons, de l’art et de sa foncière inutilité fondant ce qu’on appelle la beauté de l’art…

    Jean Echenoz. Des éclairs. Minuit, 174p.