Mon oeuvre a quelque chose d'un taillis dans lequel il n'est pas aisé de dégager mes traits décisifs. En cela je suis patient. Je n'écris que pour être relu. Je compte sur le temps qui suivra ma mort. Seule la mort fera ressortir de l'oeuvre la figure de l'auteur. Alors on ne pourra plus méconnaître l'unité de mes écrits...
(Walter Benjamin)
Dans les multiples aspects de la lecture, le phénomène de la relecture est une expérience en soi, qui peut prendre elle-même les formes les plus variées. Du livre lu en adolescence, type Vol à voile de Blaise Cendrars, ou Crime et châtiment de Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski, et qu’on éprouve la nostalgie ou la curiosité de relire dix ou vingt ans plus tard, à ces auteurs ou ces ouvrages auxquels on revient sans discontinuer à travers les années, la relecture équivaut le plus souvent à une redécouverte, laquelle dépend évidemment de l’évolution du texte autant que de celle du lecteur.
Lire Les possédés à dix-huit ans, même si Dostoïevski a pu passer pour le champion des exaltations de la jeunesse, revient le plus souvent à ne pas en percevoir les dimensions les plus profondes, faute d’expérience. Mais relire Dostoïevski à trente ou cinquante ans peut, aussi, nous en éloigner. Et lire Dostoïevski dans la traduction nouvelle d’un André Markowicz, qui serre le texte initial de beaucoup plus près que ce ne fut le cas des «belles infidèles», revient positivement à redécouvrir l’écriture frénétique du grand romancier russe.
Ingeborg Bachmann écrivait dans le chapitre consacré aux Problèmes de poésie contemporaine, dans ses Leçons de Francfort: «Au cours de notre vie il arrive souvent que nous changions plusieurs fois de jugement sur un auteur. A l’âge de vingt ans, nous l’expédions avec un mot d’esprit ou nous le classons comme une figurine de plâtre qui n’a rien à voir avec nous. A l’âge de trente ans, nous découvrons sa grandeur et, dix ans plus tard encore, notre intérêt à son égard s’est à nouveau éteint ou encore nous sommes saisis de nouveaux doutes ou pris par une nouvelle intolérance. Ou, au contraire, nous commençons par le prendre pour un génie puis nous découvrons chez lui des platitudes qui nous déçoivent et nous l’abandonnons. Nous sommes sans merci et sans égards, mais là où nous ne le sommes pas, nous ne prenons pas non plus parti. Il y a toujours tel ou tel aspect d’une époque ou d’un auteur qui nous convient et dont nous sommes prêts à faire un modèle, mais d’autres aspects nous gênent et nous devons les éluder par la discussion. Nous citons en portant au triomphe ou en condamnant comme si les oeuvres n’étaient là que pour prouver quelque chose à nos yeux»…
Preuves attendues ou révélations inattendues, sources auxquelles nous revenons ou rivages à découvrir encore : peu importe en définitive, n’était l’acte vivifiant de lire - et là je vais finir de relire Voyage de Céline avant de reprendre La Légende du Grand Inquisiteur, formidable recueil publié à L'Age d'Homme et rassemblant, autour du chapitre fameux des Frères Karamazov, des essais de penseurs russes suréminents, à savoir Leontiev, Soloviev, Rozanov, Boulgakov et Berdiaev...
Commentaires
Puis, n'y a-t-il pas des oeuvres qui sont tout particulièrement sujette à ce phénomène de relcture? Par exemple, une oeuvre poétique, il ne m'est jamais arrivé de relire deux fois un recueil quelconque sans l'éprouver de façon différente. Le Zarathoustra de Nietzsche est aussi assez spécifique, le genre d'oeuvre que l'on interpétra différemment selon la période de notre vie. Voilà qui fait la richesse tant particulière de certains auteurs, ce que l'on ne retrouvera peut-être pas chez les auteurs modernes.
Mais pourquoi pas, amigo ? Tu peux relire cent fois Don quichotte ou Le comte de Monte Cristo, c'est vrai, mais nous parlions l'autre jour de Bukowski, dont les nouvelles se lisent et se relisent aussi bien que celles de Carver ou de Tchékhov ou de Buzzati ou de Bowles. D'ailleurs à propos de Paul Bowles, je lis à l'instant ceci: qu'il a lu TOUS les livres de Patricia Highsmith PLUSIEURS FOIS. Soit dit en passant, tu devrais lire les nouvelles de Paul Bowles. C'est très DeathPoe... Et tu devrais lire aussi les nouvelles de Patricia Highsmith, toutes et PLUSIEURS FOIS...
Et bien Monsieur, merci du conseil.
Dans la lignée des oeuvres qui peuvent se lire plusieurs fois, toute sa vie durant, j'ai retrouvé, par hasard, la nouvelle "William Wilson" de Poe, où la majesté du fantastique britannique y déploie tous ses talents.
Tout à fait d'accord pour Patricia Highsmith. A lire et à relire...
Salut, toi
J'ai parlé de ça aussi, mais en beaucoup moins bien :
http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2010/03/18/le-passeiste.html
Dzien dobry Bertrand des marches polonaises, j'ai pensé à toi en lisant Stasiuk au bord du Tage et là je reviens à Nabokov tandis que déboule le printemps fol. Vsio dobrze !
Jls
Stasiuk au bord du Tage...
C'est drôle..Je pense souvent que ces deux pays, la Pologne et le Portugal, ont des choses à se dire et je m'appuie sur mes souvenirs du Portugal, 83 et 88....
Tutaj, tech wiosna....Zima było bardzo trudna !
Amitiés