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Pour tout dire (42)

14520579_10210714233158818_465051496764755982_n.jpgÀ propos du caractère diabolique de l'écrivain de caractère. Ce que m'en dit Georges Haldas à notre première rencontre. Des raisons qui ont poussé certains proches de Karl Ove Knausgaard à l'attaquer publiquement. De la tendance actuelle à recourir aux avocats ou aux juges sur tout et n'importe quoi, y compris les rumeurs infondées, etc.


"Méfiez vous, JLK: il y a un diable sous le paletot de chaque écrivain", me dit Georges Haldas à notre première rencontre, un jour de 1974 (j'avais 27 ans), à la fin d'un après-midi qui m'avait semblé hors du temps, quasi magique, semblable aux heures denses et hors du temps que j'ai passées avec quelques autres écrivains de forte présence, entre cent ou deux cents littérateurs, tels le Chinois François Cheng, l'Israélien Amos Oz, le Vaudois Jacques Chessex, l'Anglaise Doris Lessing, l'Américaine Patricia Highsmith, l'Ivoirien Amadou Kourouma, ou encore Philippe Jaccottet (vomi par Haldas et Chessex), Nicolas Bouvier (vomi par Chessex et Haldas) et quelques autres à titre occulte, dont Charles-Albert Cingria, Stanislaw Ignacy Witkiewicz ou Robert Walser, et celui qui m'est le plus cher, à savoir Anton Pavlovitch Tchékhov, sans doute le plus pénétrant observateur des démons de petite envergure s'agitant sous le paletot des écrivains de plus ou moins grande envergure.

L'adulation ou la condamnation des écrivains, assimilés aujourd'hui à des stars cantonales ou mondiales, est un signe de l'égarement collectif excité par l'envie et la publicité, mais le caractère démoniaque de l'écrivain de caractère ( je ne parle pas des littérateurs ordinaires ou des bas-bleus) est une réalité plus profonde, découlant notamment de l'extraordinaire vanité de cet état et du non moins extraordinaire sacrifice que représente aussi ce même état, explicitement invoqués par Henrik Ibsen, qui en savait quelque chose...

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Ce très grand dramaturge norvégien, qui plaida pour l'émancipation des femmes avant la plupart de ses contemporains, fut aussi un véritable vampire à l'égard de plusieurs jeunes filles qu'il entoura de mille flatteries le temps de les observer avant de les jeter pour en faire des personnages de ses pièces, au point de les compromettre aux yeux du public et de les pousser même au désespoir, avec un cynisme total. 

Le reproche d'exposer son entourage dans son autobiographie a également été fait à Karl Ove Knausgaard, mais on peut douter que ce procès lui eût été intenté si ses livres n'avaient pas eu le retentissement énorme mais imprévu qui a été le leur. Or le fait a été observé maintes fois ces dernières années : qu'une personne identifiable, à tort ou à raison, dans un livre à succès, tend désormais à réclamer justice à proportion du nombre de lecteurs touchés et du gain personnel qu'elle pourrait en tirer - honneur et bénéfice à la clef.

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Le tapage médiatique lié à ces interférences se substituant de plus en plus aux qualités propres d'une oeuvre, et la focalisation sur le "personnage" de l'écrivain devenant l'obsession du public même non lecteur, l'on en arrive à "diaboliser" certains auteurs sur la foi de rumeurs infondées, comme celle qui fait de Knausgaard un "Judas" familial, contre toute évidence, car aucune de ses pages (à mes yeux) ne relève de la trahison réelle ou de la délation, en tout cas dans les 1800 premières pages traduites qui nous sont accessibles...

Cependant Knausgaard, pas plus qu'aucun écrivain de caractère, n'est innocent, et quel lecteur n'a pas lui aussi un diable sous son paletot, mélange de concierge et de juge, de flic et d'espion ?
Reste à savoir la finalité du droit de certains auteurs, abordant le roman familial ou son secret, à "casser le morceau" et à dire "ce qui ne se dit pas". Georges Haldas lui- même, quand il attaquait tel ou tel personnage connu dans ses carnets, se contentait de le désigner par une initiale, le plus souvent transparente. Entre hypocrisie et respect humain, la nuance est parfois imperceptible. Pour sa part, un Proust façonnait un personnage à partir de cinq ou six "modèles", et la majorité des auteurs en reste aux précautions d'usage en la matière, tandis que maints lecteurs réclament à n'en plus finir "des noms !"
Or le TOUT DIRE dire d'Haldas ou de Proust, de Knausgaard ou d'Ibsen ne saurait s'évaluer en fonction de critères de bienséance bourgeois ou petit-bourgeois. J'en ai fait la cuisante expérience dans une espèce de journal intime/extime, intitulé L'Ambassade du papillon et où j'appelais les gens connus par leur nom. J'y ai notamment décrit, entre mille autres observations, le glissement progressif d'un ami très proche, le grand éditeur serbe Vladimir Dimitrijevic, dans la paranoïa nationaliste, et j'y ai exposé les riches heures de ma relation avec l'écrivain Jacques Chessex, et les circonstances dans lesquelles il a trahi notre amitié. Or je ne regrette ni ma scandaleuse franchise ni, s'agissant de Chessex, avec lequel je me suis réconcilié des années plus tard, de la chronique abjecte qu'il publia dans un hebdomadaire pour me "tuer". Je l'avais bien cherché: tant pis pour moi !
Un écrivain de caractère est forcément excessif, et l'évangélique Haldas, se réclamant à qui mieux mieux du Seigneur et fondant son oeuvre sur la "relation à l'Autre", se sera montré mesquin ou même méchant plus souvent qu'à son tour, dans ses carnets, autant que nous tous, pauvres pécheurs.
Au reste, si tout cela ne relevait plus que des lois et de la justice policière pour les appliquer, le diable qu'il y a sous le paletot de chaque écrivain se tiendrait-il mieux ? J'espère bien que non! Car j'aime ce diable autant que son double candide voire angélique : j'aime qu'un écrivain soit aussi plein de défauts que n'importe quel frère humain, j'aime la littérature parfois aussi monstrueuse que la réalité de notre drôle de monde, etc.

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