En mémoire de Reynald.
Ce soir j’avais envie de te téléphoner, comme ça, sans raison,
pour entendre ta voix, comme tant d’autres fois.
Après tout c’était toi, déjà, ces longs silences.
Mais je sais bien, allez vous étiez occupés :
les patients, les enfants, l’éternelle cadence.
Ce n’était plus, alors, le temps de nos virées
au biseau des arêtes ;
ou comme ces années en petits étudiants dans l’étroite carrée :
les rires, avec ta douce, que nous faisions alors !
L’emmerdeur d’en dessous qui cognait aux tuyaux.
tout ce barnum : la vie !
Et ce soir de nouveau j’aurais aimé semer
un peu ma zizanie.
Ou parler avec toi, comme tant d’autres fois.
J’avais presque oublié ce dimanche maudit,
cette aube au bord du ciel
au miroir effilé,
la griffe de ta trace
au-dessus des séracs.
Tu vaincras, tu vaincras scandes-tu : tu vaincras!
L’orgueil de ton défi !
Mais soudain à la Vierge là-haut qui te bénit -
à toi sans le savoir est lancé le déni
d’une glace plus noire.
Ce dimanche maudit, juste à ton dernier pas.
Et ce cri ravalé, et ce gouffre creusé.
Et l’effroi des parois – et la mort qui se tait…
Sais-tu que je t’en veux ce soir,
ami, parti tout seul
comme un bandit !
(ce 13 décembre 1987,
après le 15 août 1985)
Martial Leiter, Le pilier hivernal.