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Poésie de Bruges

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Chemin faisant (141)

Élégie à l'amour perdu. - Tout à été écrit sur la poésie de cette ville comme ensablée dans le temps, mais tout est aujourd'hui à relire tant l'époque est à l'agitation distraite et à la consommation pressée, aux circuits et aux programmes.

Comme à Venise le soir, les ruelles et les quais ne tardent pas à se rendre au silence où retentit votre seul pas, et voici que vous réentendez cette voix préludant au récit déchirant d'un veuvage, tel que le module le roman mystique et mythique à la fois que Georges Rodenbach publia en 1892 sous le titre de Bruges-la-Morte, qui associe un grand deuil et l'évocation rédemptrice d'une ville-refuge.
RV-AF225_MASTER_G_20111209015126.jpgEn préambule, ainsi, avant d'introduire son protagoniste au nom d'Hugues Viane, l'auteur présente la ville comme un autre personnage combien présent: "Dans la réalité, cette Bruges qu'il nous a plu d'élire apparaît presque humaine. Un ascendant s'établit d'elle sur ceux qui y séjournent. Elle les façonne selon ses rites et ses cloches".

Or faisant écho au romancier, maints poètes, de Baudelaire à Rilke ou de Zweig à Verhaeren ont dit eux aussi le "sourire dans les larmes" de Bruges, selon l'expression de Camille Lemonnier, "le sourire de cette tendre, vivante, spirituelle lumière, avivée ou décolorée selon les heures, aux heures où la grande buée grise s'entrouvre" et prolongeant la mélancolie de Rodenbach Henri de Régnier dit à son tour la "Belle Morte, dont le silence vit encore / Maille à maille et sur qui le carillon étend / Linceul aérien, sa dentelle sonore"...

Miller contre McDo. -Si vous êtes choqué par la présence d'un débit de junk food au cœur du vieux quartier de Bruges, dans une haute et vénérable maison à blason, c'est sous la plume d'un Américain des plus civilisés en dépit de sa dégaine de libertin bohème que vous trouverez le meilleur interprète de votre rejet.

"Je suis sorti du labyrinthe stérile et rectiligne de la ville américaine, échiquier du progrès et de l'ajournement", écrit Henry Miller dans ses Impressions de Bruges. "J'erre dans un rêve plus réel, plus tangible que le cauchemar mugissant et climatisé que les Américains prennent pour la vie." Et de noter ceci encore, datant de 1953 mais qui reste si juste aujourd'hui, sinon plus: "Ce monde qui fut si familier, si réel, si vivant, il me semblait l'avoir perdu depuis des siècles. Maintenant, ici à Bruges, je me rends compte une fois de plus que rien n'est jamais perdu, pas même un soupir. Nous ne vivons pas au milieu des ruines, mais au cœur même de l'éternité".

Un temps retrouvé. - Comme Venise, Bruges est en effet hors du temps et au cœur de celui-, dans l'ambiguïté d'un rêve plus que réel. "Le temps, le lieu, la substance perdaient ces attributs qui sont pour nous leurs frontières", remarque le Zénon de Marguerite Yourcenar, dans L'Oeuvre au noir, marchant lui aussi "sur le pavé gras de Bruges", qui a soudain l'impression de se sentir traversé, comme d'un vent venu de la mer, par "le flot des milliers d'êtres qui d'étaient déjà tenus sur ce pont de la sphère", alors même qu'il lui semble n'avoir jamais quitté Bruges de toute sa vie où il vient à vrai dire de se retrouver à la courbe de son temps perdu et retrouvé.

Et Michel de Ghelderode de conclure à son tour: "Oui, Bruges possède ce don hypnotique et dispense de singulières absences. Quand on revient à soi, on est chez Memling: le panneau sent l'huile, vient d'être achevé. Il y a en Bruges quelque chose qui finit dans quelque chose qui commence : le Songe"...

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