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  • Le drill des garçons

    littérature

    C’est au bout de la grande jetée qu’elle donne ses leçons. Dans le rêve elle est en grande tenue et nous aussi, tous les élèves en âge d’être initiés.

    Elle ne s’attarde guère à la théorie.

    - Venons-en tout de suite aux mains, nous dit-elle, et nous les lui présentons.
    A ceux qui n’ont pas de don elle en donne.

    Puis elle nous montre le mouvement approprié:


    - Le petit trot, la croupe au mur, la palotade.

    Dès qu’elle sent un emballement, elle invite l’intempestif à ralentir.

    - Le saut n’est que ce qui le prépare, nous répète-t-elle à l’envi.

    Puis elle chevauche l’un d’entre nous dont elle blesse parfois les flancs de ses éperons.
    La règle tacite est cependant de ne paraître jamais souffrir.
    Nos familles nous ont choisis pour être dressés et c’est un honneur.
    A marée haute il semble que nous dansions sur les flots.

  • SMS

    _DSC0060.JPGPour S. et F.

    Je ne sais pas comment te le dire mais j’ai le sentiment d’être tellement légère en pensant à toi, je marcherais sur les rivières pour te revenir d’un lac à l’autre en passant par les glaciers dont l’eau des crevasses est du même bleu blanc sableux que tes yeux de noiraud mal rasé, tu es à la fois mon arbre et le creux dans lequel j’aime à me lover pour te dire des trucs à l’oreille; les autres n’en finissent pas de nous seriner que le monde c’est galère, mais avec toi c’est plutôt pirogue en hiver et brise-glace en été, ça vient, ça vogue, j’aime bien aussi quand on fait la mer avec les draps et ensuite quand on se repose sur le sable noir sous le ciel rouge comme au Costa Rica l’année dernière ; aussi personne ne grimpe comme nous aux arbres pour rejoindre notre cabane au Canada, et là c’est vraiment Byzance avec toi quand on est seul comme à Paris loin des manifs (ou bien dedans à lever le poing, ça dépend), ou en Colombie l’autre fois ou l’an prochain en Californie, mais là faut que je te quitte, j’ai moins le temps que le lac et le Pacifique réunis - je la fais hyper-court : LOVE U +++ Je T’M…

     

     

    Aquarelle: Pieter Defesche.


    (Extrait de La Fée Valse)
  • Cerfs-volants

    littérature

    Nos maîtresses aiment à se tenir sur le chemin de ronde de l’ancien rempart du front de mer, où le vent donne à plein dans nos cornes tandis qu’elles manoeuvrent les filins.


    Nous sommes sept à baratter l’azur de nos mâles sabots, sept en comptant Apollonius, qui nous domine comme il en alla toujours de ses aïeux du Caucase, à la grande époque.
    C’est une loi de la nature qu’il y ait toujours un Dominant.
    Dans les gangs des banlieues aussi ce serait le mec du genre que nul n’affronte.
    Et je te le donne en mille: c’est la plus friquée qui tient Apollonius et le fait se battre au-dessus de nous contre les caïds de la tramontane.
    Elle se prénomme Elena. Tout à fait le style de la femme qui en veut. Elle se prétend Moldo-Valaque d’origine. Son père était un proche du dictateur communiste, et c’est par son frère, actuellement à la tête du trafic des go-go girls russes de Catalogne du nord, qu’elle a rencontré le Renne dont l’effigie flotte au-dessus de nous
    Mais les tabloïds ont déjà tout dit à ce propos...

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Au jardin

    bacchus.jpg

    La terre en coupe est comme un rêve d’enfant: un merveilleux terrier à étages où l’on descend et remonte à n’en plus finir par tout un réseau de galeries fleurant la vieille farine et les fleurs séchées.

    Il y a des greniers et des cachettes: c’est là qu’on range les réserves de fruits et les chaînes de saucisses, les jarres et les barriques, les souvenirs de toute sorte.

    Il y a des balcons de bois d’où l’on surplombe tout le pays et les montagnes d’en face, selon la lumière, forment tantôt un dernier diadème himalayen et tantôt une cordilière pelée.

    Les mains dans la terre je divague. Je creuserais bien jusque de l’autre côté, comme lorsque je me suis fait azorer pour grave atteinte à la pelouse familiale, ce jour de l’été de mes sept ans où j’avais décidé de partir à la rencontre des Têtes Bêches à corps peints.

    Résumé de la situation: nous sommes au jardin pour toujours et convions la mort à goûter nos tomates. Les anges envient notre miam miam.

    (Extrait de La Fée Valse)