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  • Ceux qui se gênent

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    Celui qui a toujours l’air de s’excuser d’être là / Celle que résument sa jupe plissée et sa blouse ton sur ton / Ceux qui ne veulent pas déranger mais insistent à leur façon / Celui qui craint les timides en sa qualité d’officier du renseignement par ailleurs rompu aux ruses des faux modestes / Celle qui n’a jamais supporté l’imbécillité vulgaire d’un Patrick Sébastien sans le proclamer trop haut au bureau vu qu’elle n’a qu’un diplôme de sténo-dactylo / Ceux qui ont toujours trouvé que le sans-gêne des gens de télévision reflétait en somme la muflerie ambiante / Celui qu’amusent de moins en moins la stupidité et la vulgarité de la meute / Celle qui craint les hyènes médiatiques se précipitant sur elle chaque fois qu’elle change de rouge à lèvres / Ceux qui à l’instar de Chief Brenda Johnson fuient les estrades / Celui qui se sachant dépositaire d’un secret tâche d’en assurer la protection / Celle qui se cache pour souffrir / Ceux qui attentent à la pudeur de la lectrice et du lecteur de façon trop ostentatoire pour être remarquée en zone de muflerie généralisée / Celui qui est d’un pessimisme noir à son éveil avant que ses fenêtres ne hissent les couleurs / Celle qui apprécie le coucher de soleil sur les docks sans en fait pour autant un poème sur Facebook / Ceux qui dans la Vita Nova du jeune Dante ont appris ce qu’était le Dolce stil nuovo auquel ils n’adhèrent pas entièrement vu son tour un peu désincarné par les temps qui courent / Celle qui s’est toujours tenue à distance des jacteurs et des cafteuses qui lui en veulent pour cela même et jactent donc à son propos et caftent à l’avenant / Ceux qui arborent des chapeaux en sorte de rappeler à tout un chacun (et chacune) qu’ils sont écrivains / Celui qui rappelle à ses clients qu’il est d’abord écrivain mais c’est bien le chauffeur de taxi qui les conduit à l’aéroport / Celle qui déballe tout à la commissaire qui lui a ordonné d’accoucher / Ceux qu’une certaine réserve retient de montrer leur derrière sur les sites concernés / Celui que la chiennerie généralisée de la meute a conforté dans la discrétion de sa vie de chat / Celle qui est toujours restée décente comme le lui a enseigné sa mère militaire au doigt sur la couture / Ceux qui aiment bien revoir les Portraits de femme au travail d’Alain Cavalier dont l’aristocratie naturelle console de la vulgarité et de la stupidité gagnant tous les étages de la société / Ceux qui ont pressenti par intuition et ont vérifié par expérience que la quête effrénée du quart d’heure de célébrité ne relevait pas tant du besoin d’exister que de celui d’écraser / Celui qui prie à sa façon sans que le Seigneur ne lui en tienne rigueur vu qu’ils ont bon cœur tous les deux / Celle qui supplie le Bon Dieu de la rendre meilleure et de fait cela se remarque au bureau sauf les jours de congé / Ceux qui ne se gênent pas de se dire qu’ils s’aiment et d’ailleurs ça ne gêne personne tant qu’ils restent entre eux, etc.

    Peinture: Max à la poule, d'Albert Anker.

  • La forêt de Bellouve

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    Ce n’est pas un rêve mais la réalité même. Cela mérite d’être souligné d’emblée dans le temps d’inattention où nous vivons. Il va de soi que ceux qui en retrouvent le chemin ne sont pas forcément les plus instruits ou les mieux nantis, mais les plus assoiffés de retrouver la sensation première que dispense naturellement l’eau du gour de Bellouve.

    Vous vous trouvez dans la forêt de Bellouve. Vous ne savez comment cela s’est fait, mais vous buvez de cette eau et pour la première fois vous vous apercevez que vous êtes nu.

    En vous penchant sur le miroir liquide c’est cependant plus que votre corps que vous apercevez: c’est le corps du monde et la forêt s’ouvre alors à vous.

    Tout ce qu’ensuite vous vivez dans la forêt de Bellouve advient comme à jamais, et chaque lieu en gardera la trace et en vous.

    Image: Philip Seelen

  • Les grappes

    littérature

    - Voulez-vous de nos grappes ? nous demandent les femmes à la vendange sur les terrasses baignées par la lumière orangée du dernier soleil .

    Nous arrivons de la Montagne Noire (Crna Gora). Ce matin encore nous étions dans les mines. Nous sommes affamés et nos yeux sont dilatés par la longue obscurité. Seules les paumes de nos mains sont roses après le long savonnage sous la cascade.

    Le ciel aussi est rose et le soleil paraît une amulette scythe au ras des derniers ressauts des monts.

    La marche nous a tués, mais les grappes que nous tendent les femmes sont elles-mêmes comme des femmes: nous brûlons de les prendre à pleines mains et cependant une pudeur nous retient. Nous titubons de fatigue et notre sueur ruisselle le long de nos torses. Nous devons puer comme des fauves.

    La première grappe est comme une première femme, et voici que la vigne se remplit d’autres vendangeuses, puis ce sont les époux qui arrivent dans la rumeur des cloches, les vieux et les enfants impatients de nous arracher aux premières femmes pour jouer. Nous savons que refuser le jeu serait passible de lapidation.

     

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Celles qui grimpent en opposition

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    Celui qui aime bien leur côté terre à terre avec vue sur le ciel / Celle qui ne crie pas sur les toits que c’est là-haut qu’elle se lâche avec Anaïs et ses Boyards papier maïs / Celles qui ne trouvent pas si normal que le nouveau Conseiller fédéral ait été élu par les gens normaux de ce pays si normal / Ceux qui ne se font pas une idée si haute de la chambre basse et ça aussi c’est normal et d’ailleurs valable pour la chambre haute / Celui qui aime bien leur côté précis et méthodique genre Marie Curie observant un bacille de coq / Celle qui prétend avoir vu Notre Seigneur marcher sur l’eau sans être sûre qu’il portait des DOC MARTENS ou des MEPHISTO’S / Celles qui prenant le thé avec sainte Anne n’ont rien vu venir alors qu’on était à la veille de l’Immaculée Conception / Ceux qui aiment bien leur côté nature quand elles ruminent sous l’édredon / Celui qui dans les îles se sent des ailes / Celle qui a perçu le côté féminin du général Sharon hélas dans le coma depuis un bout de temps / Celle qui rajoutent un glaçon à leur Martini pour pallier le réchauffement de la planète / Ceux qui en rajoutent une couche d’ozone en tout cas devant les caméras / Celui qui de son père resté l’enfant qu’il fut à hérité la collection d’œufs de pinsons qui chanteront encore quand nous ne serons plus / Celle qui a toujours refusé de cracher au bassinet du sanatorium « dans l’intérêt de la science » / Celles qui ont toujours été en quête de quelque « fraternel paria » et ça continue sur Facebook / Ceux dont le développement intellectuel s’est accompli avec tant de lenteur qu’à sept ans ils ne savaient pas encore L’Illiade par cœur ni d’ailleurs L’Odyssée / Celui qui apprécie les limites de leur crédulité pas vraiment dupe des recommandations éthiques de l’OTAN en Arctique / Celle qui en tant que magicienne infiltrée dans la famille Dessous L’Eglise a changé la réalité divine en sa propre cuisine, l’univers divin en son propre jardin, et l’immanente nature en ses divines confitures / Celles qui trouvent assez vulgaire et malappris d’offrir aux enfants des jouets onéreux / Ceux qui savent que les jouets les plus appréciés des enfants sont les plus simples et faits de bois comme les échelles pour monter aux arbres ou au ciel, etc.

     

  • Le cabinet du Maître

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    Le Maître nous reçoit dans un cabinet d’une blancheur aveuglante et nous fait nous déshabiller devant son assistante Blumlisalp en simple culotte.

    Lui-même ne porte qu’une vareuse de l’ancien régime, mais sa barbe taillée au ciseau menaçant et ses médailles d'argent repoussé signalent assurément un tempérament d'aumônier militaire.

    Blumlisalp nous propose de faire le test de Roczak, mais nous déclinons poliment.

    Le Maître nous promet alors qu’il va nous faire parler et que nous apprendrons, de gré ou de force, à gérer notre libido; pourtant c’est lui qui baisse les yeux lorsque nous l’affrontons du regard. Nous sommes de la génération Jung et c’est un vioque : voilà pour les faits.

    Lorsque je lui dis que nous aimons LE faire dans les clochers et les rochers, il le note dans son registre d’un air satisfait de poule tombant sur un couteau.

    Il précise sûrement : rêve du clocher, rêve du battant, rêve de l'homme au sable à Monaco, mais avec Wanda nous n’en avons rien à secouer. C’est pourtant clair : la morale bourgeoise, nous, ça nous gonfle.

    Enfin nous retrouvons nos vêtements et autres ornements soigneusement rangés dans les dépendances de l'Institut. Nous avons hâte de nous en aller. Au même instant, dans le rêve, une foule en délire nous acclame car Wanda me le réclame, ce soir, à l’italienne.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Rue de la Félicité

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    Moi j’aime Paris, j’veux dire : les rues de Paris, les maisons de Paris, le blanc des murs des maisons de cinq étages de Paris, et les femmes de Paris : j’veux dire les jambes des femmes de Paris qui sont plus fermes de se faire tous les jours les escaliers des cinq étages des chambres de bonnes de Paris, voilà ce que j’veux dire quand j’te dis que j’aime Paris, et le gens de Paris : la vie des gens de Paris qui n’est pas que de Parisiens imbus ou déçus d’un Paris prétendu disparu…

    Plus que toutes les autres de Paris, pour commencer, j’te dirai que j’aime la rue de la Félicité, cette année-là, juste au mois de mai, les jambes en coton de la première fois que je me suis fait mon Paris tout seul, le cœur en coton comme les blancs nuages du ciel tout neufs au-dessus du quartier gris chaulé à toits bleutés, l’asphalte un peu mol annonçant l’été et le café maure d’à côté et la porte vert Véronèse délavé à la fine main de bronze et l’escalier penché de bois craquant jusqu’au comble des combles là haut au ciel retrouvé par les tabatières, et Paris tout autour, des Batignolles à Monceau et vers Montmartre où le lendemain j’avais, entre le Lapin agile et Ménilmontant, à vérifier qu’Utrillo et Carné n’en auront pas rajouté, et le surlendemain par la rue des Cascades et le long des quais je file le train du chien Macaire jusqu’à ceux de Léautaud, de l’autre côté de la Seine, et plus loin les jours d’après en tourniquant de la Butte aux-Cailles à l’impasse de l’Homme armé; et chaque soir, tu peux m'croire, des rues par les ponts et retour par les jardins sous la lune des Tuileries je m‘retrouve dans ma soupente de la rue de la Félicité, et ce sera pas deux fois, j’te dis que ça : pas deux fois que ce sera la première fois.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • On continue

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    En mémoire de J.C.P.

    Le fait que mon père fût un géant aux semelles mythiques ne m’a pas empêché, en tout temps, dès la nuit des scores, de préserver en mon tréfonds, et de maintenir tout alentour ce sens très délicat de la juste proportion qui fonde l’équanimité innée et la douceur acquise d’un jugement à la fois sage et fou bien balancé.

    Mon père gesticulait en chaire et courait la brebis gueuse en vitupérant celle qu’il saillait (contradiction pointée dès Paul de Tarse et même avant, jusques en Chine passionnée et plus prudente que prude), mais mon père était mon père.

    Nous autres du haut Derbyshire, portés sur la hache de bois dur comme chacun sait, continuons de célébrer la poussée des élans vitaux avec l’imagination requise par les divers sens sensitifs et sensuels, au dam des pions glabres à tampons moroses, et cela vaut pour tous les arrière-pays à torrents vifs croulés du ciel, et les fronts de mer cornouaillés d’écume animale ne sont pas en reste.

    L’irrécupérable passé n’est qu’une illusion pour la Magicienne à l’accueillante maison sous la table, et le présent ne sera point relégué demain fussions-nous devenus silence et poussière d’engrais.

    Du moins nos livres, édités entre arbres et rochers, diront aussi que tout passe et continue sous le vent tournant leurs pages.

    Portrait: John Cowper Powys

    (Extrait de La Fée Valse)