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  • Spiritisme

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    …Bon, je m’excuse, Madame Olga, mais le truc mystique, jusque-là, c’est vrai que je demandais à voir, même que je me méfiais, d’ailleurs c’est pour ça que je suis resté un peu loin de la table, quand elle a commencé de tourner, mais là je reconnais, j’y crois pas, surtout je LE reconnais, Madame Olga, vous pouvez pas savoir ce que ça me fait, mais à présent c’est comment que ça se passe, Madame Olga, comment je fais pour lui dire que je kiffe tout ce qu’il a fait, surtout Les Misérables avec Depardieu – eh là mais ça va pas, ça ferait encore 100 euros pour lui dire juste ça ?

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui corrigent le tir

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    Celui qui affirme que Michel Houellebecq est le plus grand écrivain français vivant / Celle qui compare L’Homme qui rit de Victor Hugo et Soumission de Michel Houellebecq avant de s’interroger sur la dérive du concept de grand écrivain / Ceux qui infèrent du succès mondial de Houellebecq pour en conclure que c’est du Marc Levy pour intellos mal barrés / Celui qui pense que le problème de peau de Michel Houellebecq en dit plus long que ses déclarations sur Sat1 la chaîne allemande non cryptée / Celle qui voit bel et bien une vision dans les vues de Soumission / Ceux qui concluant que ce roman « fait débat » en inviteront l’auteur ce soir même sur leur plateau en prime time et Jessica tu lui poses les questions-qui-dérangent / Celui qui ayant lu et apprécié Houellebecq économiste de Bernard Maris voit un peu mieux les apports critiques et poético-existentiels de cette œuvre autant que ses limites / Celle qui trouve les propos de Houellebecq sur la peinture un peu philistins sur les bords / Ceux qui savent  que Léon Bloy était mille fois plus intéressant et génial (et siphonné mystique) que ce qu’en dit le protagoniste de Soumission / Celui qui voit en Houellebecq un « homme du ressentiment » tel que l’a décrit Friedrich Nietzsche le philosophe allemand traité de « vieille pétasse » par le protagoniste de Soumission / Celle qui se demande à quoi correspond le goût vestimentaire réellement« à chier » de l’auteur de Plateforme / Ceux qui ont connu Houellebecq à l’époque où on disait qu’il se branlait trente fois par jour mais ce devait être une légende urbaine qu’il avait lui-même répandue va savoir / Celui qui réflexion faite estime insuffisante l’observation de Jacques Julliard (dans l’hebdo Marianne) selon quoi Soumission pointerait la tendance« collabo » des lettrés français /Celle qui a toujours trouvé que l’expression d’auteur-culte relevait de l’imbécillité publicitaire et médiatique /Ceux qui préfèrent les qualités de l’homme aux défauts de l’écrivain ou inversement selon l’humeur / Celui qui lit attentivement Ultima necat le journal intime de Philippe Muray qui avait lui aussi des qualités de lucidité (bonne lecture de René Girard) mais ne parvint jamais (son tourment) à incarner ses idées-force dans un roman qui tînt la route / Celle qui a toujours considéré avec ironie le culte voué à certains auteurs plus ou moins maudits et autres joueurs de tennis plus ou moins vernis / Ceux qui sont tout à fait capables de lire Houellebecq et Quignard et Camus (Albert, pas Renaud le médiocre à gants jaunes) ou Muray ou Küng (dont le rejet ternit la mémoire de Jean Paul II) ou Kamel Daoud (Meursault contre-enquête) ou Abdelwahab Meddeb (Contre-prêches), avec la même attention non exclusive et anti-dogmatique, et donc Peter Sloterdijk (Tu dois changer ta vie) et ThéodoreMonod (Révérence à la vie) aussi bien que Les misérables de Victor Hugo (les pages sublimes sur les petites nonnes cloîtrées et l’adoration perpétuelle des sœurs du Petit-Picpus) et les approches critiques d’Hugo (et de Hans Küng) par Henri Guillemin ou Berezina de Sylvain Tesson ou Marquises de Blaise Hofmann – et là c’est reparti pour Ne me quitte pas, etc.   

     

    (Cette liste, établie en marge de la lecture de Meursault contre-enquête de Kamel Daoud, se veut un plaidoyer pour une pratique panoptique poético-critique de la lecture)  

     

    Image: Philip Seelen

     

  • Ceux qui ne servent à rien

     

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    Celui qu'on a laissé avec sa chaise roulante sur l'aire des Alouettes au motif que l'Etat-Providence n'est pas que pour les immigrés / Celle qui s'est toujours intéressée aux statistiques / Ceux qui enregistrent les bulletins météo les plus optimistes pour garder le moral / Celui qu’on a renvoyé pour excès de zèle au travail risquant de déstabiliser le groupe / Celle qui n’a jamais servi de Barbie à ses sœurs lettrées / Ceux qui instrumentalisent l’amalgame / Celui qui a appris chamelier et se retrouve chef de rang au Ben Ali Palace de Sousse / Celle qui a servi de punching-ball aux fils de Ben Laden/ Ceux qui te remercient d’exister comme si tu avais le choix / Celui qui te rappelle que même Prix Nobel tu as une vie privée qui intéresse les tabloïds sinon la démocratie c du pipeau / Celle qui dit qu’il faudrait « tous les fusiller » en précisant qu’il ne faudrait pas pour autant « jeter la télé avec l’eau du bain » / Ceux qui remettent la pendule à Zorro / Celui qui a été si vite remplacé qu’il ne s’est pas senti partir / Celle qui regarde encore une série américaine alors qu’elle est six pieds sous terre / Ceux qui constatent qu’il n’y a rien à jeter du cadavre dans le placard / Celui qui avait un projet d’avenir dans le passé récent / Celle qui supllie son aérostier prussien : ô Wotan suspends ton vol / Ceux qui introduisent la clause du petit besoin  dans l’ordre du jour des nettoyeuses sans papiers / Celui qui jette son dévolu au panier percé / Celle qui  s’est toujours senti de trop  dans la famille des sept garçons utiles /Ceux qu’on met à la place du mort et plus si affinités / Celle qui estime que l’argent est un pont entre le présent et l’avenir et qu’avec ça on peut voir venir / Ceux qui se dépassent dans la courbe de Peter, etc.    

     

    Image: Philip Seelen

  • Kundera signifiant

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    Diverses choses qu’on peut retenir de la lecture de La Fête de l’insignifiance de Milan Kundera. Comme une apostille…

     

    Pourquoi le camarade Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline en littérature et en politique, a-t-il choisi, en 1946, de rebaptiser la ville prussienne de Königsberg, où vint au monde le philosophe Emmanuel Kant, du nom de Kaliningrad ? Comment expliquer que l’homme le plus puissant au monde, en cette fin de guerre, décide de mettre en vue le nom de Mikhaïl Kalinin,  le plus nul de ses séides, naguère son adversaire déclaré,  qui venait d’ailleurs de défunter alors que sa veuve revenait du goulag ?

     

    À cette question hystérico-politique d’apparence peut-être secondaire, l’un des personnages de La Fête de l’intransigeance, prénommé Charles, répond en affirmant que Staline entendait ainsi honorer, par tendresse inavouée mais certaine, la mémoire d’un pauvre bougre tyrannisé par sa vessie qui, plus d’une fois, se pissa dessus faute d’oser quitter les lieux où le Maître du Kremlin racontait quelque interminable blague.

     

    Le prénommé Charles, intermittent du spectacle recyclé dans la préparation de cocktails mondains, est l’un des personnages que Milan Kundera fait dialoguer dans ce roman qu’on pourrait dire une conversation théâtralisée à la Diderot (auteur que le romancier ci-devant tchèque prise autant que Rabelais), qui se poursuit avec quelques autres protagonistes-marionnettes  prénommés Alain, Ramon, D’Ardelo et Caliban, notamment.  

     

    Si je parle de marionnettes, alors même que Charles envisage d’écrire une pièce de ce genre mineur à partir d’un épisode comique de la vie de Staline rapporté dans ses Mémoires par Nikita Krouchtchev, c’est que Milan Kundera lui-même, tire les ficelles de son récit comme en retrait, à la fois distant et présent, ironique et sympathisant, sur le même mode (mais disons : en mineur) que dans l’inoubliable Livre du rire et de l’oubli, dans la célébrissime (et surfaite à mon goût) Insoutenable légèreté de l’être, ou dans L’Immortalité constituant le dernier des grands romans de Kundera dont le premier, La Plaisanterie, relève du chef-d’œuvre.

     

    Milan Kundera est une espèce de penseur-en-romans, comme on pourrait dire de PhilippeS ollers qu’il est un lecteur-causeur-en-romans, à cela près que le premier a, plus que le second, le sens de l’espace romanesque et l’aptitude à se projeter en de multiples personnages autonomes – ce qui n’est guère le cas à vrai dire dans La Fête de l’insignifiance.

    De fait, le casting de ce dernier roman est mince, mais tout de même plus fourni que celui du Médium de Sollers, qui a d’autres qualités en revanche, à commencer par l’éclat du style.

     

    Quant  à l’insignifiance annoncée, elle est, pourrait-on dire, à double face, procédant d’une ambiguïté fondamentale qui a toujours été le propre de Kundera, ou je dirais plutôt : une profonde ambivalence, caractéristique de  celui qui a toujours refusé le manichéisme ou la position d’un littérateur idéologiquement engagé.

     

    Milan Kundera est un « traître » à la patrie communiste, mais jamais il n’a été ce qu’on peut dire un dissident. Le véritable procès de la calamiteuse religion communiste, fauteuse de 100 millions de morts entre la Russie et laChine, sans compter les divers satellites, reste à faire, comme le rappelle le philosophe allemand Peter Sloterdijk, mais l’insignifiance consiste à noyer ce poisson-là comme, en 1997, le relevait aussi un Cornelius Castoriadis, socialiste non aligné pointant le social-fascisme de Lénine.

     

    Milan Kundera est plus cool que le furieuxCastoriadis. Son point de vue sur l’insignifiance est double. D’une part, et ce n’est pas d’hier, il n’a de cesse de railler la dérision d’une culture purement grégaire, qui fait s’allonger les files d’attente à la porte des musées, comme ici au Luxembourg où l’on attend de se pâmer devant « les Chagall ». Mais d’autre part, l’ « insignifiance » de la vie ordinaire et du commun des mortels  continue de susciter son intérêt et sa sympathie de romancier. Ainsi s’intéresse-t-il par exemple au nombril...

     

    Qu’est-ceà dire ? C’est une observation de son personnage  prénommé Alain, qui constate qu’après les jambes, les fesses, ou les seins de la femme, le nombril devient un pôle de la séduction féminine. Au préalable, Alain a constaté que son propre nombril d’ado de dix ans a suscité un regard appuyé de sa mère, lors de leur dernière rencontre. Plus loin, il sera question d’Eve, l’Eve de la Bible, dont il est notoire qu’elle n’a point de nombril. De quoi nourrir la gamberge du lecteur…

     

    Au cœur de La Fête de l’insignifiance, une scène très significative du génie kundérien raconte comment une femme, en passe de se jeter à l’eau avec son embryon, est menacée d’être sauvée par un jeune homme dont elle provoque la noyade en se sauvant elle-même.

     

    Ainsi, l’ironie non sentimentale de Kundera n’en finit-elle pas de nous confronter aux paradoxes de la vie même. Schopenhauer a beau conclure qu’il vaudrait mieux ne pas naître: Alain, que sa mère ne désirait pas, est quand même venu au monde et s’en trouve bien, quitte à s’en excuser…

     

    De la même façon, le prénommé Ramon, qui n’aime guère son ancien collègue D’Ardelo, se sent-il soudain un regain de sympathie à son égard en apprenant que le pauvre est cancéreux. Or ledit D’Ardelo vient justement d’apprendre, par son médecin, qu’il échappera finalement au cancer. Mais ne risque-ton pas de devenir insignifiant si l’on ne peut annoncer qu’on « va mal » ou qu’on a le cancer ou mieux : le sida -  LA maladie ?     

     

    Le roman de Milan Kundera, léger comme une rêverie de vieil homme (l’écrivain a tout de même passé le cap des 84 ans), peut sembler un peu désabusé, genre foutez-moi-la-paix, sans rien conclure sur le monde dans lequel nous vivons, qu’il a déja jugé au demeurant. Par rapport à l’Oeuvre définitif, on le prendra comme une apostille…

     

    Mais aussi merde : que les youngsters lisent donc La Plaisanterie ! Qu’ils lisent Risibles amours, premières nouvelles de l’écrivain qui avait alors leur âge, ou qu’ils lisent Le livre dur ire et de l’oubli, fondant la narration dialectique relancée dans ce dernier livre tellement au-dessus, d’ailleurs, de l’insignifiance actuelle…

     

    Milan Kundera. La Fête de l’insignifiance. Gallimard,141p.