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  • Ceux qui se la pètent

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    Celui qui parle très fort à sa future ex friquée qui vient de l’appeler de La Barbade alors qu’il trépigne dans la file d’attente d’une caisse de l’UBS et j’te raconte pas les têtes de gnous qu’ils me font tous attends mais je rêve y en a un qui veut me dépasser non mais on va où là attends que j’le piétine et j’te rappelle dès que j’aurai endossé ton chèque allez cœur cœur cœur / Celle qui de La Barbade vient d’appeler ce blaireau de Jean-Patrick qui va faire une tête comme ça quand les blafards de l’UBS lui diront tout à l’heure que son chèque est en bois / Ceux qui jonchent le parcours de Vanessa la mytho / Celui qui d’ailleurs ne sait même pas où est La Barbade donc il y a une justice / Celle qui dit à son éditrice femen qu’elle DOIT figurer sur la prochaine liste des prix sinon elle ira voir ailleurs / Ceux qui affirment sur Facebook qu’ils ne liront pas le prochain roman-tapage de Céline Lapente afin de montrer qu’ils en ont et d’ailleurs si vous aimez Pierre Michon faut faire un choix / Celui qui n’a pas lu le nouveau roman de Maria del Piante mais les passages hot hot hot parus sur les Inrocks le branchent à fond / Celle qui a fait relier la collection des Inrocks avec l’argent que sa mère lui a envoyé pour ses chats / Ceux qui découpent les pubs de Gucci et autres Armani pour se donner une ligne de conduite au niveau fringues / Celui qui réfléchit au contenu implicite des SMS que lui envoie Gavalda / Celle qui se fait appeler Cheyenne de garde / Ceux qui posent la chemise ouverte sur leur torse glabre en se proposant d’envoyer leur selfie à Arielle Dombasle et ensuite tu laisses venir / Celui qui se dit le nouveau Finkielkraut les lunettes en moins / Celle qui a lancé le jeune auteur sénégalais sans savoir où il retomberait après sa rencontre avec Delphine Tankol / Ceux qui étaient très proches de Ludivine quand elle a composé son roman femen écolo à la Duras  paru sous le titre de L’Amiante Celle qui pense déjà à L’Amiante « en cas de film » / Ceux qui ont défloqué les locaux où étaient entreposées les palettes de L’Amiante / Celui qui conseille à son auteure-culte de publier un Comment j’ai écrit L’Amiante dans Les Inrocks / Celle qui ne lit plus Les Inrocks depuis l’arrivée au pouvoir du président Houellebecq l’ancienne taupe pro-chinoise de la CIA / Ceux qui font du ramdam pendant ramadan ce qui montre un manque de respect au niveau gastro / Celui qui prétend que les terroristes se les roulent à Guantanamo Beach / Celle qui se soumet à l’imam Michel qui lui propose de le faire « à la Ben Laden » / Ceux qui se soumettent ce matin à un examen de conscience dont ils ressortent blanchis comme le paysage alentour « paré d’or blanc » ainsi que le dirait le poète romantique Marcel Lebecq, etc.       


    Image: Philip Seelen

  • Mémoire vive (73)

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    À la Désirade, ce dimanche 18 janvier. – Dix jours après les « événements », les médias et les politiques français associés parlent tous de « tirer les leçons » de ceux-là, et chacun y va de son train de « mesures urgentes » évidemment opposées mais sur une ligne rhétorique comparable. Ainsi découvre-t-on, à la UNE de l’hebdo de gauche Marianne, le titre Méfions-nous du bal des faux-culs, alors que la UNE de l’hebdo de droite Valeurs actuelles désigneLa Tyrannie des tartufes. Rien à voir avec Tartuffe, évidemment, qui avait deux « f » et figurait le bigot souverainiste avant la lettre…   

     

    °°°

    En octobre 1553, Michel Servet fut brûlé vif à Genève, convaincu d’hérésie par le réformateur-ayatollah Jean Calvin. Or Sébastien Castellion, autre réformateur entré en conflit avec Calvin sur la question du droit à entretenir une opinion personnelle, écrira dans son Traité des hérétiques :    « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine,ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle »…

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    images-13.jpegDans la suite romanesque  des Misérables, Victor Hugo consacre 14 chapitres très documentés à la bataille deWaterloo, avec des pages relevant du cinéma à grand spectacle en 3D, pour aboutir à ce qui éclairera le lecteur sur l’abjection de Thénardier, repéré dans la racaille des pilleurs de cadavres.

    « Toute armée a une queue, écrit Hugo, et c’est là qu’il faut accuser. Des êtres chauve-souris, mi-partis brigands et valets, toute les espèces de vespertillo qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre », etc.

     

    Avec le cinéma et d’autres adaptations au music-hall, cet incroyable roman fourre-tout que représente Les Misérables a été réduit à une espèce de feuilleton mélo aux figures stéréotypées, dont l’épilogue a été complètement falsifié par un Robert Hossein, comme l’a montré Guillemin en son temps. Le même intraitable démystificateur a rétabli la vérité sur la haute spiritualité du vieux rebelle passé de la droite à la gauche, souvent occultée ou tenue pour peu de chose par les esprits secs de son temps, bons cathos compris, myopes par snobisme de classe comme Châteaubriand ou pratiquant un total déni à l’instar de Sainte-Beuve…

    °°° 

    Cézanne ne s’intéressait qu’à l’Objet. Pareil pour Céline et le Van Gogh des vieux souliers-soleils. Ce que j’essaie de suggérer à un jeune ami en veine d’écriture vraie : qu’il n’y a que la Chaise. Qu’un texte se travaille comme une Chaise, quitte à monter ensuite dessus pour se montrer. Mais la Chaise d’abord : la qualité artisanale de l’objet bien fabriqué et les finitions artistes - le supplément d’âme de la Chaise.

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    Génie du portrait, quand Victor Hugo décrit la Thénardier, « produit de la greffe d’une donzelle sur une poissarde ». Et plus précisément : « Quand on l’entendait parler,on disait : c’est un gendarme ; quand on la regardait boire, on disait : c’est un charretier ; quand on la voyait manier Cosette, on disait : c’est le bourreau. Au repos, il lui sortait de la bouche une dent »

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    Bacon.jpgÀ propos de l’art du portrait, le peintre Francis Bacon parle de « la flaque » d’une personne, qu’il s’efforce de saisir et de restituer, entendant par là le vrai visage-synthèse, le visage « sous le visage » ou le visage recomposé dans sa totalité de sourires et de grimaces et d’expressions. Or ce qui me gêne chez Bacon est que la grimace convulsive tire vers l’expressionnisme maniéré de « la flaque », alors que son ami-ennemi Lucian Freud manque « la flaque » par excès de réalisme et que Picasso déconstruit à outrance.  Bref, on en revient aux vrais charnels visités par l’esprit : aux portraits de Munch et de Goya, de Soutine et de Rembrandt.

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    Jules Renard en son réalisme terrien :« Si les hommes naissent égaux, le lendemain ils ne le sont plus.

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    Une scène de Soumission est censée illustrer le fait que le protagoniste a complètement perdu le contact avec la réalité la plus immédiate quand il enjambe, comme si de rien n’était,  le cadavre de la caissière de la boutique d’aire d’autoroute qui vient d’être attaquée, avant de montrer la même indifférence totale à l’égard de deux Maghrébins trucidés un peu plus loin.

    Houellebecq7.jpgCela pourrait être très fort, comme dans American Psycho de Bret Easton Ellis, quand on comprend, à d’imperceptibles indices, que la violence insensée d’une scène de massacre n’a de réalité que dans le psychisme taré de Pat Bateman, mais chez Houellebecq cela tombe à plat.

    Peut-être est-ce qu’à vouloir toujours jouer au plus fin, avec son sourire futé, le romancier manque de l’humilité et du feeling médiumnique, devant la réalité, et des moyens physiques et poétiques de la re-créer, comme Simenon y parvient à tout coup.   

     

    °°°

    images-9.jpegLe hasard m’a fait tomber, tout à l’heure, sur un florilège d’hommages à Staline réuni par la revue Commentaire en 1979, où figure notamment un texte d’Aragon publié dans les Lettres françaises en février 1953, donc un mois avant la mort du tyran que le poète appelle successivement « l’homme en qui les peuples sur la terre placent l’espoir suprême de la paix »,  le Père universel « à qui les mères serrant contre elles le tremblant avenir font appel, pour que leurs enfants vivent », « le plus grand philosophe de tous les temps » et « celui qui proclama l’homme comme le souci central des hommes ». 

    On m’objectera qu’Aragon, idiot utile du communisme, n’était pas LE véritable Aragon, d’abord et surtout poète. Ce que prouve en effet (!!!) cette ode publiée en mars 1954 dans les Cahiers du communisne :

     

    Ô Grand Staline, ô chef des peuples

    Toi qui fais naître l’homme

    Toi qui fécondes la terre

    Toi qui rajeunis les siècles

    Toi qui fait fleurir le printemps

    Toi qui fais vibrer les cordes musicales

    Toi splendeur de mon printemps, toi

    Soleil reflété par les milliers de cœurs.  

     

    °°°

    Sous la plume de Gilles Kepel, pourtant éminent connaisseur du monde arabo-musulman, je lis (sur une pleine page de L’Obs) ceci d’assez éberluant à propos de Soumission : « Pour tisser cette œuvre où le comique désopilant (sic) tutoie la tragédie (re-sic), Houellebecq a faufilé la matière textuelle disponible en ligne sur la fachosphère identitaire et les salafosphère ou frérosphère islamistes : les mots sont exacts – si la mise en scène est de fiction. C’est la fable de notre temps où Mme Le Pen caracole en tête et où Daech recrute par centaine nos adolescents sur internet ». 

    On croit rêver ! Est-il possible que nous ayons lu le même livre ? Où Gilles Kepel a-t-il trouvé, dans Soumission, la « matière textuelle » disponible en ligne sur la« fachosphère » et la « salafosphère » ? 

    Il est vrai que le protagoniste se branle un peu en surfant sur Youporn, mais à part ça ? Où sont les salafistes connectés et les identitaires dans les observations directes du romancier ? 

    C’est au contraire cette matière« textuelle » autant que factuelle (Marine Le Pen n’y apparaît qu’en bref débat télévisé et Daech semble avoir disparu en 2022) qu’on espérait en effet que le romancier brassât, mais Gilles Kepel semble se faire son roman à lui, non sans tirer sa dernière cartouche sur l’ambulance de l’Université française…    

     

  • Ceux qui regardent l'Avenir

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    Celui qui voit un myosotis (ein Vergissmeinnicht, ne-m’oubliez-pas dans la langue de Wolfgang von Goethe et d’Adolf Hitler) au bout du tunnel / Celle qui dit « lendemains me voilà ! » en misant tout sur son prochain lifting / Ceux qui se programment en mode le-futur-est-mon-affaire / Celui qui a affirmé que le XXIe siècle serait métaphysique sans se prononcer sur la suite / Celle qui affirme que Dieu est une banque où il suffit de puiser pour effacer la Dette / Ceux qui lisent La Fabrique d’absolu de Karel Capek où l’on voit que la foi fait carburer le nucléaire et inversement si ça se trouve / Celle qui se reconnaît dans la pin-up de La Guerre des salamandres autre contre-utopie du même Tchèque (prononcer Tchapek) à redécouvrir ces jours de fièvre absolutiste  / Ceux qui estiment que dans toute Révolution il y a du mal pour ton bien / Celle qui sort de sa Mercedes blindée pour prêcher la pauvreté dans les rues de Kinshasha / Ceux qui prêchent l’Amour sur le territoire des adeptes de l’Espérance et v’là que déboulent le gang de la Charité avec  ses lance-flamme du Saint-Esprit / Celui qui est devenu évangéliste après son apprentissage à la Banque du Vatican hélas mal vue au Congo depuis l’affaire Dutroux / Celle qui écrit des poèmes abscons destinés à la postérité en attendant mieux / Ceux qui lisent l’avenir de leurs  amis Facebook contre rétribution sur Paypal / Celui qui pense que sans discrétion (sur Facebook et dans les files d’attente de la poste) il n’est pas de commerce d’avenir ni de durée durable / Celle qui défend ce Dieu qui a envoyé  son Fils unique (on ne crucifie pas les jumeaux même albinos) au charbon en sorte d’en faire jaillir La Lumière / Ceux qui s’agenouillent tous en même temps et en divers pays à l’exception des femmes qui n’ont pas plus de genoux que les serpents comme c’est  d’ailleurs marqué dans la Bible / Celle qu’on dit intermittente de la foi au motif qu’elle ne prie que d’une main depuis que l’autre s’est fait choper par la machine-outils de l'imprimerie des soeurs de Saint-Paul de Lubumbashi / Ceux qui se projettent dans le futur antérieur où tout était plus-que-parfait affirment-ils par ouï-dire à la douche du club de badminton souverainiste, etc.        

     

  • Mémoire vive(72)

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    Dans le préambule de ses Interventions datant de 1998, donc publiées en même temps que Les Particules élémentaires, Michel Houellebecq remarquait que les « réflexions théoriques » constituent « un matériau romanesque aussi bon qu’un autre, et meilleur que beaucoup d’autres ». Et d’ajouter : « Il en est de même des discussions, des entretiens, des débats. Il en est encore plus évidemment de même de la critique littéraire,artistique ou musicale ». 

     

    Ce que Proust, Thomas Mann ou Wikiewicz eussent sans doute contresigné. Et cela encore : « Tout devrait enfin pouvoir se transformer en un livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort ; ça me paraît une manière de vivre raisonnable, heureuse, et peut-être même envisageable en pratique – à peu de chose près. Enfin de conclure sur cette observation beaucoup plus discutable à mes yeux, notamment en pensant aux Misérables et  à L’Homme qui rit de Victor Hugo : « La seule chose en réalité qui me paraisse vraiment difficile à intégrer dans un roman, c’est la poésie. Je ne dis pas que ce soit impossible, je dis que ça me paraît très difficile. Il y a la poésie, il y a la vie ; entre deux il y a des ressemblances, sans plus. »  

     

    Sur quoi je me rappelle l’irradiante poésie de la Recherche du temps perdu ou du Voyage au bout de la nuit, des romans d‘Audiberti ou de Torugo, en cherchant la moindre trace de génie lyrique dans ces « vers » de l’incontournable (sic) Configuration du dernier rivage du même Houellebecq:

     

    « Quand on ne bande plus, tout perd peu à peu de son importance ;

    Tout devient peu à peu optionnel.

     

    Demeure un vide orné, empuanti de plaies et de souffrances

     

    Qui afflige le corps. Le monde est d’un seul coup plus réel ». 

     

    Je veux bien qu’on puisse faire de la poésie avec le matériau le plus trivial, voire le plus trash, comme l’ont prouvé un Bukowski et tant d’autres dans la filiation enragée des contempteurs du bel canto verbal, mais fait-on mieux ici que chercher à épater le bourgeois ou le petit con en écrivant comme ça, dans Mémoires d’une bite :

     

    «J’ai connu bien des aventures / Des préservatifs usagés / J’ai même visité la nature, / Et je l’ai trouvé mal rangée » ? 

     

    Michel Houellebecq poète ? Dans ses romans peut-être, mais dans ses poèmes de bric et de brocante ? 

     

    °°°

    Houellebecq est-il sincère quand il sanglote sur le manque d’affection qu’il a ressenti en son enfance ? Je n’en doute pas, même s’il en remet dans Ennemis publics, le numéro de duettistes victimaires qu’il joue avec Bernard-Henri Lévy, autre « maudit » de luxe. 

     

    Et Philippe Sollers, est-il sincère quand il dit qu’il « craque » en découvrant la « poignante confidence » du mal aimé ? Je l’ai cru en ma douce naïveté, mais à relire la page en question j’y perçois le cynisme souriant du ponte parisien invoquant en ricanant son (très)improbable  « tempérament social » pour justifier un Goncourt qu’il n’aura probablement  jamais et qu’il souhaite donc à son rival en notoriété locale, car « le malheur doit être récompensé, le bonheur puni ».  

     

    Reste que je ne sais si je dois préférer la sentimentalité ostentatoire du premier au sarcasme du second…

     

    °°°

     

    Unknown-5.jpegJacques Julliard dans Marianne  : « Soumission, de Michel Houellebecq, n’est pas un pamphlet contre l’islam, mais une charge meurtrière contre les intellectuels à la française. Autrement dit les compagnons de route des idées dominantes ».

     

    Question subsidiaire : l’excellent Jacques Julliard n’est-il pas un compagnon de route du christianisme de gauche, et ne sommes-nous pas tous des compagnons de route de telle ou telle « idée dominante » ?

     

     Ce qui est sûr, c’est que mon éditorialiste français préféré propose ici, sous le titre de Figures du collabo, une interprétation de Soumission qui m’a d’abord intéressé avant de me paraître de plus en plus discutable.

     

    En sous-titre de son papier on lit ceci : « L’intellectuel ne serait-il pas celui qui, tout en invoquant Voltaire, se soumet aux dictatures et à la raison dominante ? C’est ce que laisse à penser le dernier roman de Michel Houellebecq ». 

     

    Ainsi « l’intellectuel » François, protagoniste de Soumission, prof de lettres spécialiste de l’oeuvre de Husymans, auteur d’une thèse monumentale consacrée à celui-ci – dont nous ne saurons à peu près rien du contenu – et chargé de cours à la Sorbonne à raison d’un jour de travail par semaine pour un public de quelques jeunes filles accrochées à leur téléphone portable, serait-il le parangon de l’ « intello » français contemporain, égocentrique à l’extrême et complètement coupé des réalités, vieillissant et ne survivant que d’une érection l’autre, ne croyant plus en rien mais trouvant assez accommodant le tableau qu’un certain Rediger lui fait de l’islam (le Coran « ce poème », etc.) alors que la Sorbonne vient de se faire racheter par l’Arabie saoudite et que l’arrivée au gouvernement d’un parti musulman (allié au PS et à l’UMP) préside à la réforme de l’enseignement. 

          

    À en croire Jacques Julliard, la « charge meurtrière » ne viserait donc pas l’islam (contrairement à ceux qui ont taxé le roman d’islamophobe, ce qu’il n’est en rien), mais « les intellectuels à la française » qui, à travers le XXe, se sont soumis aux idéologies dominantes du fascisme ou du communisme, soit directement comme les idéologues d’extrême-droite (RobertBrasillach et Lucien Rebatet en tête) ou les staliniens ( Aragon et son ode fameuse à Staline), soit plus mollement comme autant d’ « idiots utiles »,de Jouhandeau se faisant promener en Allemagne à Sartre chantant les louanges de Fidel Castro.

     

    La soumission des écrivains à tel pouvoir ou telle idéologie est une histoire vieille comme Confucius, auquel le Grand Timonier cherchait encore des poux dans les années 60 alors qu’une fraction de l’intelligentsia parisienne bêlait JE SUIS MAO, mais réduire les « intellos » français à des larbins de tel ou tel bord est à la fois injuste et dangereux, nous ramenant une fois de plus à un manichéisme vite réapparu au lendemain des événements récents.

     

    Et Michel Houellebecq là-dedans ? Justement, il incarne le type de l’écrivain peu récupérable, taxé de « libertaire sympathique » par les uns (Julliard précisément) et de réactionnaire par d’autres, dans les rangs d’une hypothétique nouvelle droite intellectuelle. 

     

    Or Soumission est-il  la « charge »  salubre de ce « combattant de la liberté » que voudrait voir Jacques Julliard en Houellebecq ? En ce qui me concerne, j’aurai trouvé beaucoup plus d’observations claires et « décapantes », comme on dit aujourd’hui, dans La carte et le territoire, sur la France contemporaine, que dans ce dernier roman dégageant mal le relief social actuel et, s’agissant d’une projection de ladite réalité en 2022, ne marquant aucune conjecture intéressante sur la transformation du monde à venir. Plus précisément, pour évoquer le nœud géo-politique du livre, le personnage de l’ancien agent des services secrets français avec lequel s’entretient le protagoniste  me semble une pâle caricature, et la France des banlieues, la France réelle du nord et du sud, la démographie française de demain, entre autres composantes d’un roman supposé parler d’un pays déliquescent, se détachent à peine d’un flou même pas artistique. L’humour pince-sans-rire de l’auteur, assez démagogique ici quand il évoque le monde académique, met évidemment les rieurs de son côté, mais encore ?  

     

    ROULET73.JPGJ’ai lu ces jours pas mal de pages de George Orwell, socialiste sincère aussi sincèrement opposé au fascisme qu’au stalinisme, et je lis à présent Meursault contre-enquête de Kamel Daoud, dont la voix d’opposant algérien non moins sincère s’est fait entendre après la tragédie des 7 et 9 janvier derniers, comme d’autres voix (rares)d’intellectuels arabo-musulmans. Enfin, dans une chronique publiée par Libération, le philosophe Abdennour Bidar, auteur d’une éclatante Lettre au monde musulman, a détaillé ses raisons de ne pas prendre trop au sérieux Soumission, résultant selon lui d’une mauvaise connaissance de l’islam et jetant des prédictions farfelues.

     

    Pour conclure y a-t-il donc, cher Jacques Julliard, tant de « collabos » dans la littérature et l’intelligentsia françaises contemporaines ? Et la littérature, pour l’essentiel, a-t-elle vraiment des comptes à rendre à la Juste Position idéologique ou politique ? 

     

    Comme l’a rappelé maintes fois le chrétien de gauche Henri Guillemin, qui avait lui aussi ses partis pris, Voltaire, dont tout le monde s’est réclamé ces derniers temps, des souverainistes aux républicains, fut à la fois un esprit libre et un lécheur de bottes, un ennemi de l’obscurantisme calotin et un laudateur de l’esclavagisme – même un sale délateur quand il s’est agi de traiter Rousseau d’« immigré ».  

     

    Tout cela pour recommander la lecture de Soumission, du dernier livre de Jacques Julliard consacré à Simone Weil, la relecture du Candide de Voltaire et de la cinquième Rêverie d’un promenenur solitaire qui nous rappelle que la nature est belle et que les montagnes se gravissent par toutes leurs faces…

  • Mémoire vive (71)

     

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    À La Désirade, ce jeudi 15 janvier. – Après une dernière étape sans encombre, agrémentée par la lecture du Joueur d’échecs de Stefan Zweig, nous faisant renouer avec la grande littérature européenne, nous avons retrouvé nos pénates avec reconnaissance. De fait, quel lieu mieux accordé à notre vie que celui-ci ? Pourtant nous ne souscrivons pas vraiment à la pantouflarde pensée de Jules Renard, selon lequel le voyage serait embêtant du fait qu’il oblige à se déplacer, ou alors ce serait renier ingratement les 7000 bornes que nous avons parcourues l’an dernier à travers la France, l’Espagne et le Portugal, y faisant des quantités d’observations et de découvertes que nous n’aurions pas assimilée de la même façon en restant plantés devant la télé, comme Lady L. aura vécu la Thaïlande et le Cambodge, et moi le Dorsoduro de Venise, plus récemment, en nous déplaçant bel et bien.   

     

    °°°   

    Ramuz2.jpgÀ propos de la défiance que Samuel Belet, le personnage de Ramuz, manifeste envers la rhétorique politique et l’idéologie révolutionnaire, j’ai retrouvé le passage du roman rapportant les discours enflammés de son ami Duborgel, et  sa réticence de terrien toute pareille, d’ailleurs, à celle de Ramuz.

     

    Il y a d’abord ceci, marquant un premier recul de Duborgel par rapport à son compère vaudois qu’il ne sent pas assez engagé :«Tout ça était venu de ces discussions politiques qu’il continuait à avoir chez le marchand de vin. J’étais effrayé de l’entendre. Confraternité des peuples, indignité des gouvernants, suppression des frontières : il n’y avait pas de mots qui lui parussent trop gros. Ca ronflait terriblement, mais c’était le creux du tambour »... 

     

    Quand Duborgel demande à Samuel s’il est de son avis, Belet lui répond : « Pas tant ». 

     

    Duborgel l’ardent : « Qu’est-ce que nous attendons ? N’avons-nous pas la force pour nous ? Ne sommes-nous pas mille contre un ? La réponse est facile : nous n’osons pas, voilà tout. Chacun de nos gestes est dirigé contre nous-mêmes ; nous sommes nos pires ennemis. Seulement attendez un peu (alors il posait la main sur sur son cœur et il étendait le bras droit), le jour viendra bientôt où chacun d’entre nous sera appelé à montrer de quoi il est capable ; nous passerons des paroles aux actes, et l’aspect du monde changera. Travailleurs,opprimés, pensez à vous-mêmes, tâchez de prendre conscience de vos droits :quand vous y serez arrivés, vous n’aurez plus qu’un geste à faire pour mettre en fuite l’exploiteur. »

     

    Et Samuel de poursuivre son récit :« Les applaudissement éclataient. Tout le monde applaudissait, même ceux qui étaient loin de partager ses idées. C’est un goût qu’on a à Paris. On aime l’éloquence pour elle-même. On ne s’inquiète pas du contenu des phrases, si elles sont bien faites. »

    Et parlant de son ami Duborgel :« Il ne supportait plus la contrtadiction. Il s’irritait de voir que je ne le suivais pas dans ses raisonnemsnts, mais ils étaient trop compliqués pour moi, et puis je les trouvais un peu vides. J’ai le goût des bases, moi. Quand on construit un mur, j’aime qu’il soit d’abord bien enfoncé en terre, bien assis sur ses fondations ».

     

    Voilà précisément l’écrivain Ramuz face au « bon français » de l’Académie. On l’a dit lourd voire « traduit del’allemand ». L’excellent Jean Dutourd n’a rien vu de « ses bases » et l’a réduit aux dimensions d’une sorte de provincial pataud, alors que les « bases » de Ramuz, bien plus que paysannes au sens régionaliste, sont d’une humanité fondamentale mieux comprise par Henry Miller ou Dino Buzzati que par le docte académicien, et Céline, fondateur d’une langue, a vu en lui un auteur selon sa sensibilité musicienne et sa tripe. 

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    Olivier.JPGÀ propos de la récente consécration de Ramuz par la Pléiade et du « chantier » à millions qui a mobilisé une armada de spécialistes universitaires plus ou moins auto-proclamés, et surpayés, pour l’établissement de l’édition critique, l’ami JMO se demande si ce pactole n’aurait pas pu être mieux employé vu que les Oeuvres complètes, achevées chez Slatkine après l’édition de La Pléiade, semblent destinées essentiellement à des lettrés ferrés tant elles sont plombées par un appareil critique envahissant et souvent illisible en son jargon pseudo-scientifique – nous nous en sommes fait des lectures hilarantes avec mon vieil ami Alfred Berchtold, imaginant le pauvre Ramuz confronté à ce déploiement de cuistrerie digne des femmes savantes ou des sorbonnicoles de Rabelais.

     Tout ça pour un Ramuz qu’on ne lit d’ailleurs plus, à en croire le même JMO. Mais le lit-on moins que « de notre temps » ? Je me souviens d'être arrivé au bac sans que notre prof, le cher Georges Anex, nous en fasse lire une seule ligne, et je ne crois pas que nos filles en aient été plus régalées par leurs enseignants. Telle étant la vérité : que les profs de nos régions sauf exceptions rares (le Tunisien Rafik Ben Salah, et peut-être JMO et sa moitié...), ne lisent plus Ramuz sauf obligation et ne savent pas le faire aimer comme j’ai eu le bonheur d’apprendre à l’aimer avec un vrai ramuzien du nom de Moreillon, en mes douze ans de collégien saisi par la « peinture » de ces mots…

     

    Bref, ma conviction reste qu’aucun chenapan amateur de rap, ni aucune Lolita crochée à Facebook, ne viendront à Ramuz par La Pléiade ou par l’édition-parpaing de Slatkine, mais bien plutôt par communication de ferveur ou par conseil d’ami, comme mon poulain camerounais Max Lobe  a croché à Aline, puis à Jean-Luc, puis à La Grande peur dans la montagne, n’y trouvant ni la misogynie ni la lourdeur qu’on reproche à l’auteur incomparable de Jean-Luc persécuté et de Circonstancesde la vie, de Vie de Samuel Belet et des essais magistraux rassemblés dans La pensée remonte les fleuves, entre autres romans plus encombrés de poésie métaphysique, après le virage décisif d’Adieu à beaucoup de personnages,  où Ramuz fait de plus en plus « du Ramuz » et « creuse » au ravissement, bien entendu,  des belles âmes de la paroisse littéraire romande qui n’aiment rien tant qu’on « creuse » pendant qu’elles scrutent le ciel profond…

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    La lecture « en croix » des journaux accumulés pendant notre absence, ou des magazines que j’ai ramenés (Marianne,L’ObsLe Canard et Valeurs actuelles pour me faire une idée de ce qui se dit de CHARLIE à gauche et à l’extrême droite) me vaut une sorte de debriefing,comme on dit par les temps qui courent.

    À la UNE de l’édition de 24 Heures du 12 janvier, sur fond de place de la République noire de monde, se détache le titre qui doit forcément faire date : UNE MARCHE POUR L’Histoire. Quant au titre de l’édito (d’ailleurs excellent) du compèreThierry Meyer, rédacteur en chef, De cette communion inouïe créer de l’espoir en agissant, il laisse un peu songeur même après quelques jours, tant la « communion inouïe » s’est vite fissurée, notamment sous les attaques de la droite dure désignant les musulmans de France comme le nouvel « ennemi intérieur » et présentant l’islam sous les traits d’une résurgence du fascisme.  

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    Jules Renard en son Journal :« Poëte nouveau. Retenez bien ce nom, car on n’en parlera plus ».  

    Ce qui me rappelle tant de  révélations passées aux oubliettes des saisons littéraires se suivant comme les clients du bordel de Brel.

     

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    En revenant une fois de plus aux inépuisables Choses vues de Victor Hugo, toujours instructives quand on voyage autour de sa chambre sans se déplacer, je note que « le membre sexuel du morse est un os », que « le premier guillotiné s’appelait Léotaud » et que « l’haleine des baleines est fétide, à tel point qu’elle incommode les navires près desquelles un baleine passe », la chose tenant « à des millions de parasites qui rongent intérieurement la gueule de ces monstrueuses bêtes et qui y font des ulcères dont l’infection se répand au dehors ». Ce qui rivalise d’enseignement positif avec le fait que « les sauvages de la Nouvelle-Zélande appellent les Françaisles Oui-Oui » et que « la lettre R manque à l’alphabet des Chinois » au motif qu’ elle leur est presque impossible à prononcer ».

             
    Houellebecq44.jpgÀ La Désirade, ce vendredi 16 janvier.– 
    J’ai achevé, tôt ce matin, la lecture de Soumission de Michel Houellenecq, sur une impression meilleure qu’à mi-parcours et cependant mitigée, comme si ce livre restait d’une importance secondaire, voire anodine par rapport aux événements récents. Le  talent pince-sansrire de l’auteur y est sans doute, et en crescendo après une première partie parfois ennuyeuse, mais l’enjeu de cette fable conjecturale reste limité, me semble-t-il, en somme, terriblement littéraire dans son développement, coupé de la réalité et d’autant plus que celle-ci postule un avenir relevant plus de la fantasmagorie que de l’extrapolation crédible,voire éclairante. Comme il s’agit d’une fable, on ne demandera pas à la chose d’être sociologiquement plausible, comme l’était l’uchronie de Philip Roth, dans Le complot contre l’Amérique, mais le gros défaut du livre est tout de même qu’on ne sent absolument pas, dans une France qui reste celle de Coppé et de Vals, ou de Bayrou que le protagoniste conchie plus qu’aucun autre, ce qu’on pourrait dire l’épaisseur de l’Histoire.

     

    Sans entrailles physiques, résigné à n’être plus qu’un has been intellectuel,   juste frémissant du bout du zob (et encore, si peu) et confinant ses autres raisons de ne pas se suicider entre fumée et gastro bas de gamme, le protagoniste François  cite Huysmans, Léon Bloy (dont il ne dit que des sottises), Nietzsche (qu’il qualifie de « vieille pétasse »), l’excellent Chesterton (pour sa doctrine économique) ou René Guénon (le contempteur de la décadence occidentale rallié à l’islam) mais comme en effleurant chaque thème, ramenant tout finalement à une sorte  d’éloge de l’islam soft couvant les élites intellectuelles mâles (François aura sa chaire surpayée dans la Sorbonne saoudite et trois mousmées au moins) et ramenant les femmes à leur juste place, en cuisine ou à la nursery. 

     

    Et pour dire quoi tout ça ? Qu’en 2022 la France mahométane se portera mieux qu’en se disant massivement CHARLIE,aujourd’hui, pour ne pas voir la réalité réelle ?  J’ai beau me dire que « tout ça » relève du deuxième degré et de la rêverie conjecturale, et qu’on ne saurait identifier l’écrivain à son pleutre cynique sanglotant sur lui-même et enjambant les cadavres (deux Maghrébins flingués, sa mère ou son père) sans la moindre compassion, mais tout de même…

     

  • Mémoire vive (70)

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    Michel Houellebecq dans Soumission : « Les études universitaires  dans le domaine des lettres ne conduisent comme on sait à peu près à rien, sinon pour les étudiants les plus doués à une carrière d’enseignement universiraire dans le domaine des lettres – on a en somme la situation plutôt cocasse d’un système n’ayant d’autre objectif que sa propre reproduction, assorti d’un taux d’échec supérieur à 95%. »

    Ce qu’on pourrait prendre pour du cynisme. Mais je suis ravi, émargeant au « déchet supérieur » recyclé dans la catégorie des chroniqueurs littéraires bénéficiant du service de presse  des livres de Michel Houellebecq, sauf ce dernier payé 22 euros (ce sera le double en francs suisses) de relever encore ceci de pas mal vu : « Une jeune fille postulant à un emploi de vendeuse chez Céline ou chez Hermès devra naturellement, et en tout premier lieu, soigner sa présentation ; mais une licence ou un mastère de lettres modernes peuvent constituer un atout secondaire garantissant à l’employeur, à défaut de compétences utilisables, une certaine agilité intellectuelle laissant présager la possibilité d’une évolution de carrière – la littérature, en outre, étant depuis toujours assortie d’une connotation positive dans le domaine de l’industrie du luxe. »

    Sur la lancée, on salue la réussite de l’écrivain-gigolo François-Marie Banier ajoutant, à la fortune colossale de Madame Loréal, le prestige du « poète »…

     

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    Dans sa Vie de Samuel Belet, Ramuz a ressaisi un élément fondamental des rapports liant (ou distinguant) les Suisses romands des Français ou plus exactement des Parisiens, qu’on pourrait dire la défiance envers le trop beau parler et la rhétorique. Ainsi du mouvement de recul de Samuel, sympathisant naturel du peuple et des communards, quand il entend ceux-là se griser de trop belles paroles et se dire que « cela n’est pas pour nous », ou quelque chose dans ce goût-là – il faudra que je retrouve la page…

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    Basquiat09.jpg« En somme tu ne t’es jamais intéressé à l’argent », me disait l’autre jour Don Ramon, affirmant qu’au contraire l’argent avait beaucoup compté pour lui, dans la vie, ce que je n’aurais pas l’idée de lui reprocher le moins du monde vu qu’il ne s’agit aucunement, dans son cas, de rapacité ou de profit acquis sur le dos des autres, mais du travail d’un constructeur et de ses investissements légitimes.

    En ce qui me concerne, je suis beaucoup trop indolent, en ces matières-là du moins - ambition, plan de carrière et tutti quanti – pour m’en soucier. Lorsque je vivais seul, ma négligence absolue dans ce domaine m’avait valu une fantastique collection de Commandements de Payer et d’Avis de Saisie, dont certains portaient sur des sommes à deux zéros.Travaillant autant, en free lance pendant une première douzaine d’années, qu’un journaliste encarté, je gagnais le tiers d’un salaire ordinaire et m’en suis bien porté avant de rencontrer en 1982, en la personne de ma bonne amie, un ministre des Finances plus scrupuleux. Depuis lors, Lady L. s’est occupée de tout et conduit même  notre calèche pour me laisser nous lire des poèmes et autres polars à haute voix…

    Dicker10.jpgÀ maintes reprises, Don Ramon est revenu à la charge en s’impatientant de me voir écrire enfin un best-seller, mais là encore il est tombé sur un os.  Et pourquoi donc ? Qu’aurais-je à fiche de me donner cette peine ? Tu me vois aligner des poncifs à la Marc Musso ou à la Guillaume Levy, qui font juste leur job comme je fais le mien ? Alors lui de me balancer Joël Dicker, qu’il a lu d’une traite tout en reconnaissant que ce n’est pas de la grande littérature selon lui, comparable aux deux Garcia, Marquez et Lorca. Quant à moi je défends La vérité selon Harry Quebert, que j’ai d’ailleurs lu avant tout le monde sur tapuscrit au temps où Bernard de Fallois prenait ses avis, et me réjouis de la success story de l’auteur, auquel je souhaite de faire aussi bien sinon mieux la prochaine fois malgré le poids de l’argent et de la célébrité. Mais être riche : quelle barbe et surtout quelles complications, même avec Lady L. s’occupant de tout...  

     

    À Carcassonne, ce mardi 13 janvier. – Une fois de plus, le faux médiéval plaqué sur le vrai vieux bourg muraillé de Carcassonne me fait grimacer, comme toute forme de kitsch. Mais le pire n’est pas là, vu qu’il y a encore là-haut une petite place charmante avec trois terrasses et une fontaine à l’effigie de je ne sais quel poète local , où l’on nous sert du vrai café : le pire est plutôt, bien vu par Houellebecq, dans la disparition des bistrots et autres zincs de province partout ailleurs où tout devient Logis Rural classé et musée de la Sympathique Charrue sacrifiée à la mondialisation.  

     

    Regarder la télé à Carcassonne, « lieu cathare » forcément « magique », c’est aussi apprendre que Nabilla Benattia, célébrité d’un quart d’heure jetée  au trou en novembre dernier pour tentative d’homicide volontaire (enfin quelque chose de vrai dans sa pauvre vie…) cumulait plus d’un million de followers sur Twitter avant sa disgrâce, « plus que François Hollande » - et c’est ainsi, comme aurait conclu Alexandre Vialatte, qu’Allah est grand.

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    Les cent premières pages de Soumission ne sont pas, me semble-t-il, du meilleur Houellebecq. L’auteur a l’air aussi flagada que son protagoniste, qui peine à faire passer sa passion du « généreux » Huysmans ; et les autres personnages sonnent un peu creux, à peine esquissés (tel le thésard spécialiste de Léon Bloy) ou (les femmes) manquant de chair. Mais on me dit sur Facebook que « ça décolle » dès la page 101, donc on s’accroche.

     

    À Valence, ce mercredi 14 janvier.– Entre la tonitruante autoroute du Sud et un agreste ruisseau, le Novotel de cette dernière étape de notre retour ressemble à ses homologues de Montpellier et de Toulouse, avec la même déco sobre chic et les mêmes prix cassés hors saison, le tiers d’une nuit dans un **** de haute Engadine. Moi qui ai toujours froid dans les cubes de glace à l’américaine genre Hilton ou Sheraton, je souscris au choix de Dulcinée surtout soucieuse du confort de Snoopy, et puis une nuit par-ci, par-là dans une crèche stéréotypée (partout le même tableau minimaliste genre sous-conceptuel en litho de série) n’est pas vraiment le martyre pour peu que la connexion fonctionne et que le breakfast soit aussi fastueux que le prétend la pub de la Chaîne. N’empêche : le faux luxe, pas plus que le vrai d’ailleurs, ne me feront jamais oublier le vrai confort bohème des hôtels sans étoiles du Quartier latin ou de Greenwich Village, de Cortone en Toscane ou de Séville en Andalousie… 

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    Au temps de Cohn-Bendit, ils  furent tous priés de se sentir juifs allemands, puis vint le temps d’être tous Américains contre Ben Laden, et les voici tous CHARLIE, donc tous à genoux devant l’Unique à dégaine  juste un peu différente selon le cas : avec ou sans papillotes, barbe ou tonsure, laïcité brandie ou fils-de-marie, et caetera.  

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    Kamel Daoud dans L’Obs de cette semaine : «Comment devient-on djihadiste ? Comment cet enfant avec lequel je jouais a-t-il pu tomber dans l’intégrisme ? J’en connais. J’ai vu des proches, des amis, des parents basculer. Qui finance ? Qui propage ces idées ? En Algérie, on reçoit par satellite 30 chaînes francophones et plus de 1200 chaînes religieuses financées par l’Arabie saoudite, les pays du Golfe,l’Iran, le Liban. Des chaînes qui visent prioritairement les mères des zones rurales, celles qui accouchent et élèvent les générations futures. On inonde de propagande les écoles. Alors qu’un roman coûte 6 ou 7 euros, les livres religieux se vendent à peine quelques centimes. Voilà qui donne du sens à mon combat. On le voit, c’est avant tout un combat d’idées et donc de livres, un combat de crayons. Il faut écrire et faire des livres ».  

  • Ceux qui carburent à la foi

     

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    Celui dont le foie l’a perdu / Celle qui avait une foi qui déplaçait les montagnes à l’époque où celles-ci pesaient un max / Ceux qui font fi de la foi des filous / Celui dont la Mercedes rappelle que Dieu lui l'a cédée en leasing / Celle qui se dit croyante mais pas crépitante / Ceux qui parient à la fois pour l’atome et la lévitation assistée / Celui qui demande à Thomas de lui montrer ses tatouages sinon j’te crois pas / Celle qui ne croit qu’à Nazar de Nazarée le maître de la parabole à douze chaînes / Ceux qui réclament la suppression de leur dette avec l’air d’y croire / Celui qui dit que tout est affaire de foie gras / Celle qui n’a pas cru Rocco Siffredi quand il lui  a promis La révélation / Ceux qui croient même ce qu’on ne leur dit pas / Celui qui a la science infuse et la foi confuse/ Celle qui commence tous ses contes édifiants par « il était une foi » / Ceux qui croient que Boko Haram est le nom d’un clown / Celui qui ne croit pas qu’on puisse être incroyant devant l’incroyable Mystère de la Croix de Bois Croix de fer sinon que tu vas en Enfer / Celle qui dit « mafi » au lieu de ma foi sans que le pasteur n’y puisse mais / Ceux qui ont la foi du chardon niais / Celui qui estime qu’à la fin Sisyphe est heureux vu qu’il peut se payer L’étranger en livre de poche / Celle qui s’achète un insecticide après que le pasteur a signalé des agnostiques dans le quartier / Ceux qui pensent « mais non » quand on leur annonce un messie / Celui qui pense qu’il y a quand même « quelque chose en haut » sinon comment expliquer qu’en bas tout soit si beau / Celle qui donne un coup de coude à son conjoint quand le curé parle des voisins en chaire / Ceux dont le cœur est intelligence et l’esprit bonté, etc.      


    (Cette liste voudrait incidemment inciter à la lecture de La Fabrique d'absolu de Karel Capek, fable géniale "à ne pas croire" récemment rééditée à La Baconnière)

  • Mémoire vive (69)

     

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    À La Casona, ce dimanche 11 janvier. – S’agit-il d’un raz-de-marée de solidarité, ou d’un accès collectif de jobardise, d’un élan unanimiste visant à la défense sincère de la liberté d’expression, ou d’un emballement médiatico-politique ;  d’une poussée de colère légitime contre l’obscurantisme et la terreur, ou d’un phénomène passager de grégarisme ; d’une saine réaction contre l’horreur ou d’un peu tout ça, qui a rassemblé aujourd’hui plusieurs milllions de Français, à Paris et dans les grandes villes  de France ?

    La vision de ce premier rang de politiciens de tout acabit, parmi lesquels Benjamin Netanyahou et son ennemi palestinien Mahmout Abbas,  se la jouant CHARLIE sur la même ligne, m’est tout de suite apparue comme une mascarade, mais les litanies incantatoires de la télé française psalmodiaient l’Unité de la Nation et la France redevenue centre du monde, avec des odes au Chef de l’Etat et de la police d’une obscénité caricaturale - c’est le cas de dire, et les sceptique ne pouvaient que se sentir des traîtres à la « patrie ». Or, les braves gens n’auront pas manqué de compatir à la peine des proches des victimes, dont les policiers abattus par les tueurs, mais cette récupération si soudaine m’a semblé présager du plus mauvaise usage de cette tragédie, outrageusement comparée au 11 septembre par d’aucuns…       

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    Dernière vision parfaitement en phase avec la délirante loghorrée de ces derniers jours : six confrères et sœurs de la téloche espagnole, faiseurs d’opinions et autres spécialistes d’on ne sait quoi,  réunis autour d’une table : tous parlant en même  temps des événements de la semaine, de plus en plus fort et de plus en plus fébrilement, pour ne former finalement qu’une bouillie sonore – véritable charivari de jactance que notre Hermana Grande, stoïquement habituée au genre, appelle Le Poulailler… 

     

    À Saint-Jean-de-Luz, ce lundi 12 janvier. – Notre cher père aurait eu cent ans aujourd’hui. Or, me rappelant notre début de relation plus personnelle, confinant à l’amitié, nouée lors de notre séjour en Catalogne, en mai 1981, puis notre virée en Toscane, avant notre dernière journée avec toute la smala l’accompagnant du matin au soir jusqu’à son dernier souffle, jeme dis, trente-deux ans plus tard, que jamais il ne m’a vraiment quitté , au contraire, me restant comme une partie de moi que je préfère peut-être à toute autre, filtrant ce qu’il y avait en lui de foncièrement bon.

    La douceur et la bonté sont assurément les qualités humaines qui me sont les plus chères, et notre père les incarnait à sa façon.  D’où cela lui venait-il ? Etait-il essentiellement bon, ou l’est-il devenu par dégoût de la violence et de la vilenie, comme le donnent à penser les pages qu’il a rédigée à mon intention ? L’homme avait été blessé en son enfance, comme je l’ai été à ma façon. Ensuite il a beaucoup « pris sur lui », de la génération d’entre les deux guerres où le peuple et la classe moyenne, dans notre pays, peinaient à trouver un emploi quand ils n’étaient pas contraints à l’exil. Nos aïeux, de souche paysanne, ont suivi la filière internationale de l’hôtellerie. Nous ne serions pas là si nos grand-père, le Romand et l’Alémanique, ne s’étaient pas rencontrés en Egypte au début du siècle passé. Mon père eût aimé « faire architecte », mais les études coûtaient cher et son père, avant lui, était du genre résigné. Moi qui n’en ai jamais fait qu’à ma tête, je n’en ai aucun mérite, mais l’important est ailleurs : c’est ce legs de bonté.

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    Dès notre arrivée à Saint-Jean-de-Luz, j’ai foncé à la librairie pour y acheter Soumission, dont j’ai entamé la lecture ce soir même en souriant illico à l’évocation assez carabinée des facultards, dont certains cuistres méchants m’en ont rappelé d’autres. Détail particulier : ce prof de littérature, spécialiste de Léon Bloy, dont le souci principal et toute conversation ramènent aux bruits de couloirs, rivalités et nominations,  ragots d’alcôves et autres rumeurs des coulisses de la Sorbonne. C’est évidemment exagéré, mais la réalité n’exagère pas moins dans la République des pions, qui est aussi une Internationale documentée par Roberto Bolano dans La Partie des critique de 2666.

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    En cas d’intoxication mentale, liée aux effets délétères de la logorrhée idéologique tous azimuts, le recours à la poésie s’impose. Ainsi, le cœur brandi,  ces jours, des foules faisant assaut de vertu suave, appelle l’écho de Michaux :  

    « Ce cœur ne s’entend plus avec les cœurs ce cœur

    ne reconnaît plus personne dans la foule des

    cœurs

    Des cœurs sont pleins de cris, de bruits,

    de drapeaux

    Ce cœur n’est pas à l’aise avec ces cœurs

    Ce cœur se cache loin de ces cœurs

    Ce cœur ne se plaît pas avec ces cœurs ».   

        

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    L’effervescence de ce dimanche de masse me rappelle la crise mimétique décrite par René Girard, avant le repérage de quel bouc émissaire ?

     

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    À la télé, une journaliste aux ordres affirme gravement, tout en célébrant la grandeur retrouvée du pauvre François Hollande, déclaré soudain « homme d’Etat reconnu du monde entier », qu’il va s’agir maintenant de repérer et de « traiter » les non-CHARLIE. Du type boulotte de choc, Marie-Chantal de l’idiotie utile léchant les bottes du Pouvoir, cette dame au nom à particule préfigure, à l’instant même de célébrer l’Unité nationale, la traque des esprits libres assez prévisible dès ce soir.

     

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    L’amorce de notre retour s’est bien passée, sur les autoroutes, à la lecture de Lumière morte de Michael Connelly, où le cher Hyeronimus Bosch, en première personne, se trouve en butte au Patriot Act d’après le 11 septembre, dans une histoire de terrorisme qui en cache une autre. L’autre jour, un ineffable penseur des médias osait parler de « notre 11 septembre » à propos des événements du 7 et 8 janvier derniers, mais de là à imaginer que CHARLIE fonde un nouvel Axe du Bien…   

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    L’hommage d’un écrivain à un pair m’a toujours ému, et je colle ainsi, sur un banc du quai faisant front au même océan que celui du Bordelais, un bon point à Philippe Sollers écrivant ceci en date du 25 août 2005 : « Quoi qu’il en soit, La Possibilité d’une île reste le meilleur roman de la rentrée, et voici un argument sentimental en faveur de l’auteur.

    « Dans une curieuse déclaration, intitulée Mourir, Houellebecq fait cette poignante confidence. « Lorsque j’étais bébé, mamère ne m’a pas suffisammentbercé, caressé, cajolé ; elle n’a simplement pas été suffisamment tendre ; c’est tout et ça expolique le reste, et l’intégralité de ma personnalité à peu près, ses zones les plus douloureuses en tout cas. Aujourd’hui encore,lorsqu’une femnme refuse de me toucher, de me caresser, j’en éprouve une souffrance atroce, intolérable ; c’est un déchirement, un effondrement, c’est si effrayant que j’ai toujours préféré, plutôt que de prendre le risque, renoncer à toute tebtative de séduction… Je le sais maintenant : jusqu’à mamort, je resterai un tout petit enfant abandonné, hurlant de peur et de froid, affamé de caresses ».

    Et Sollers de conclure, non sans une pointe de son cynisme railleur d’enfant gâté ou « à peu près » : « Quand je lis ça, que voulez-vous, je craque. Houellebecq a de l’argent, soit, mais l’argent ne fait pas le bonheur. J’ai un tempérament social : le malheur doit être récompensé, et le bonheur puni. Le Goncourt, donc, ou au moins le Femina s’il y a encore des entrailles de compassion en ce monde »…  

    Le mauvais esprit relèvera naturellement que le « bonheur puni » est celui que Sollers lui-même ne cessait de célébrer dans ses derniers livres. Mais les jurés des divers prix d’automne ne l’écoutèrent pas plus, cette année-là (à la fin de laquelle il publia Une vie divine, très belle célébration de Nietzsche) qu’ils ne consentirent à distinguer La possibilité d’une île du tout-venant saisonnier...