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  • Le test Houellebecq

     

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    À propos de Soumission et de son interprétation.

    Soumission n’est pas plus un pamphlet contre l’islam qu’une apologie de celui-ci. Comme l’ont bien vu et écrit Laurent Nunez et Jacques Julliard, dans leurs analyses de Marianne, ce roman est bien plutôt le portrait d’un intellectuel un peu flagada, « collabo » par veulerie, idiot utile comme il en prolifère…

     

    Lire Houellebecq comme il faut ne va pas de soi. C’est en tout cas ce que je me répète en annotant un petit essai admirable de Bernard Maris, assassiné la semaine passée avec ses camarades de Charlie-Hebdo, intitulé Houellebecq économiste. J’y reviendrai car il me semble indispensable  de recentrer notre lecture du plus pénétrant des observateurs de notre monde, parmi les écrivains français actuels, dont Bernard Maris illustre l’originalité de la réflexion en revenant sur les thèmes essentiels de son œuvre et leur modulation.

     

    Dans l’immédiat, le texte de Jacques Julliard intitulé Figures du collabo, paru cette semaine dans Marianne, est à lire et à méditer.

     

    Jacques Julliard situe le protagoniste de Soumission dans le droit fil des intellectuels séduits par telle ou telle idéologie, des gens de lettres plus ou moins « collabos » (tels  Céline ou Rebatet, mais aussi Chardonne ou Jouhandeau) aux « compagnons de route » du communisme, d’Aragon à Sartre, entre tant d’autres de moindre format.

     

    Houellebecq écrit :«  Tant d’intellectuels au cours du XXe siècle avaient soutenu Staline, Mao ou Pol Pot, sans que cela leur soit jamais vraiment reproché. L’intellectuel en France n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature ». 

     

    De fait,si vous reprochez à un Philippe Sollers de parler aujourd’hui de Mao comme d’un des plus grands criminels de tous les temps, après l’avoir encensé, vous commettrez une faute de goût, n’est-ce pas ? 

     

    Mais où se situe Michel Houellebecq par rapport à son personnage ? La question se pose évidemment, dans la mesure où jamais le romancier ne « dénonce » le protagoniste de Soumission.

     

    Jacques Julliard : « Cette question n’a strictement aucun intérêt, sauf pour les vigilants à l’âme de flics, à l’affût d’un éventuel « dérapage ». Il m’importe peu de savoir ce que l’individu Houellebecq pense ou ne pense pas de notre société. Il me suffit qu’il m’aide à la décrire et même à la décrypter ». 

     

    Avant de conclure en des termes auxquels je souscris absolument : « Le roman de Houellebecq est un puissant discriminant : il se pourrait que, dans le futur immédiat, il contribue à remodeler la géographie des passions intellectuelles dans la société française. Les réactions de chacun à la lecture de ce livre en disent long sur sa sensibilité propre : il y a désormais, en matière politique, un test Houellebecq ».

     

    Et j'ajouterai pour ma part: pas qu'en matière politique, car Michel Houellebecq, comme le rappelle Bernard Maris, est  essentiellement un écrivain et que la Littérature, avec une grande aile, est interpellée au premier chef par le test Soumission...  

  • Ceux qui s'accusent

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    Ceux qui désignent les musulmans de France comme le nouvel ennemi intérieur et en Suisse faut se méfier sauf des rois du pétrole qui font tourner nos palaces ça c’est clair / Celle qui invoque Voltaire pour lui faire dire que le nouvel infâme n’est pas Français AOC / Ceux qui citent le J’accuse de Zola sans l’avoir jamais lu plus que ceux qui se sont réjouis à l’époque de son exil et de sa mort d’origine possiblement criminelle / Celui qui est typiquemenet Français de souche genre Sarkozy ou Valls comme leurs noms l’indiquent /Celle qui recommande le renvoi des Roms en Roumanie à commencer par leurs chiens / Ceux qui disent la France aux Français  y compris les Français del’étranger qui ont un compte en Suisse / Celui qui écrit (Edwy Plenel) que « sous toutes les latitudes, le sort fait aux minorités dit l’état moral d’une société »/ Celle qui estime qu’à force de peindre le diable sur la muraille on l’en fait descendre / Ceux qui (avec Emile Zola) estiment que l’antisémitisme et l’islamophobie procèdent du même « poison caché qui nous fait délirer tous » / Celui dont le NON se distingue résolument du NON de Renaud Camus / Celle qui bien calée dans sa BMW se dit de la France debout / Ceux qui se rappellent l’appel de la Lettre à la jeunesse d’Aimé Césaire déclarant : « Ne commets pas le crime d’acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l’intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux - le crime est au bout » / Celui qui comme Marcel Proust (rêveur du début du XXe siècle) en appelait à une France éveillée /Celle qui (avec Claude Guéant) affirme haut et fort (sur la plateforme Haut etfort où elle tient un blog haut en estime de soi et fort en gueule) que« toutes les civilisations ne se valent pas » / Ceux qui sont pour la déchéance nationale des économiquement trop faibles pour réfléchir / Celui qui accuse les imams des banlieues de ne pas souscrire à l’Opus Dei / Celle qui voit un infiltré en la personne du nouveau pape latino / Ceux qui (avec Nicolas Sarkozy) pensent qu’il faut aider les Africains et autres peuples retardés à grandir mais ça prendra du temps comme avec les handicapés / Celui qui écrivait (Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme) que l’aventure coloniale a fini par déciviliser le colonisateur et ensauvager l’Europe / Celui qui (encore ce Sarkozy) a reconnu qu’Aimé Césaire (enfin mort) avait fait honneur à la France en réclamant l’égalité des droits mais ça reste à relativiser a précisé Claude Guéant et Sarko a salué ce bon sens / Celle qui est pour le vote des étrangers en Suisse sur la base de cours particuliers et seulement s’ils savent par cœur Sur nos monts quand le soleil et Ô monts indépendants dans les quatre langues nationales / Ceux qui ne trouvent pas que la foule sentimentale étanche leur soif d’idéal / Celui qui (avec Michel Foucault) redoute le racisme interne « de la purification permanente qui sera l’une des ambitions fondamentales de la normalisation sociale » / Celle qui rappelle qu’être Suisse se mérite surtout quand ne l’est pas de naissance mais on peut quand on veut sans faire de vagues / Ceux qui estiment qu'en Suisse  la barque est pleine malgré les milliers d’appartements vides hélas trop chers pour des migrants faut pas rêver, etc.

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  • Mémoire vive (68)

     

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    Deux siècles avant Internet, Goethe notait ceci dans ses Maximes et réflexions que je viens de pêcher sur e-Books, comme s’il pressentait la mondialisation de l’indiscrétion :  «Je regarde comme le plus grand mal  de notre siècle, qui ne laisse rien mûrir, cette avidité avec laquelle on dévore à l’instant tout ce qui paraît. On mange son blé en herbe. Rien ne peut assouvir cet appétit famélique qui ne met en réserve pour l’avenir. N’avons-nous pas des journaux pour toutes les heures du jour ? Un habile homme en pourrait encore intercaler un ou plusieurs. Par là tout ce que chacun fait, entreprend, compose, même ce qu’il projette, est traîné sous les yeux du public. Personne ne peut éprouver une joie, une peine,qui ne serve au passe-tenps des autres. Et ainsi chaque nouvelle court de maison en maison, de ville en ville, de royaume en royaume, et enfin d’un epartie du monde à une autre, avec une effrayante rapidité ». 

    °°°

    Après trois jours de montée aux extrêmes de l’émotion- gesticulation répercutée par les médias et les réseaux sociaux, où le meilleur et le pire des sentiments humains se sont bousculés dans ce que René Girard appelle une crise mimétique, tout le monde reste plus ou moins abasourdi et en somme désorienté à proportion des multiples directions indiquées par les uns et les autres, dont la plupart ne visent qu’à une sorte de promotion d’idées et de résolutions qui se dissoudront aussi vite qu’elles se sont formées.

     

    À La Casona, ce samedi 10 janvier.– Sur la route de retour d’une virée au village portuaire de Llardes, suspendu à la pente comme à Positano ou dans les Cinque Terre, je nous ai lu la nouvelle de Patricia Highsmith, tirée de Catastropheset intitulée Panique aux Jade Towers, évoquant l’invasion d’une résidence de luxe, en plein Manhattan, par des cafards rappelant les oiseaux de Hitchcock. Or, tout en lisant ce récit traversé par le sarcasme de l’amie avérée des animaux qui a signé Le rat de Venise, je me suis rappelé ma visite à Aurigeno, en 1989, où, constatant l’absence de télé dans la petite maison de pierre, je m’étais entendu répondre, par celle qui venait de publier le plus noir et pessimiste de ses recueils, qu’elle craignait trop la vue du sang pour disposer chez elle d’un petit écran… 

     

    °°°

    10376755_10205843778520496_6324485720768578317_n.jpgPendant que ces dames allaient se royaumer avec Snoopy sur les falaises herbeuses à bufones, l’autre après-midi, je me suis attardé une fois de plus à l’inspection de La Casona, vaste demeure asturienne entièrement rénovée et transformée en maison d’hôte, que je pourrais dire l’œuvre de la vie de ma frangine et de son jules - ou le chef-d’œuvre dans le langage des compagnons artisans-, qui surclasse tout ce que j’en ai vu (de loin) dans les émissions spécialisées, d’un confort extrême mais sans ostentation de luxe tapageur, avec mention spéciale pour le goût sans faille de l’agencement mobilier et de la déco (pas une once de kitsch ou de chiqué) conçus par Doña Hermana Grande…

     

    Si j’étais un peu cuistre - ce dont le Seigneur m’a préservé dans sa grâce agissante -, je pourrais me demander comment un simple prolo des Asturies et une modeste jardinière d’enfants sont parvenus, sans diplômes académiques reconnus -, à concevoir La Casona et ses constructions attenantes (le cenador et les magnifiques villas locatives d’en dessous), mais il n’y a là ni mystère ni miracle, juste : ambition légitime et travail et gain d’expérience faisant avec les années d’un ouvrier l’équivalent d’un ingénieur puis d’un bâtisseur aux allées et venues trasatlantiques, suivi partout et défendu quand il le fallait (en Suisse xénophobe, qu’il traite à vrai dire moins sévèrement aujourd’hui que le mariage homo à l’espagnole ou les menées aventuristes de Podemos) par notre sœur aînée à la main ferme dans un gant de velours, dévouée en apparence non sans gouverner en parfaite parité, avec une option spéciale sur le choix des tableaux et des rideaux...

     

    °°°

    Dans la soirée d'aujourd’hui, Don Ramon m’a raconté ses premières tribulations à Caracas quand, à  cheval et flanqué d’un garde du corps, il allait jeter les bases d’une vaste urbanisation ; ses démêlés avec les syndicats; la violence et la corruption devenues monnaies dominantes aujourd’hui. Et l’écoutant, je repensais à ses amis rencontrés hier, souvent émigrés eux aussi et revenus au pays ; à tout ce savoir-faire accumulé, à toute cette vraie culture humaine revivifiée par le voyage et les difficultés; et demain nous recommencerons de nous engueuler, je m’en réjouis, quand il dégommera les Arabes et que je le contrerai pour le principe en humaniste pourri que je suis, qu’il vomira les pédés et que je les défendrai, qu’il célébrera la grandeur espagnole de la Conquista et que je lui balancerai les objections évangéliques de Las  Casas à la Controverse de Valladolid où de grands catholiques niaient aux Indiens toute dignité humaine.

     

    °°° 

    images-18.jpegEt nous voici, réunis encore en fin de soirée, devant la téloche espagnole. Dernière vision parfaitement en phase avec la délirante logorrhée crescendo de ces derniers jours : six confrères et sœurs, faiseurs d’opinions et autres spécialistes d’on ne sait quoi  réunis autour d’une table : tous parlant en même  temps des événements de la semaine, de plus en plus fort et de plus en plus fébrilement, pour ne former finalement qu’une bouillie sonore – véritable débauche  de jactance que notre Hermana Grande, stoïquement habituée au genre, appelle bonnement Le Poulailler…  



  • Ceux qui ne sont pas sûrs

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    Celui qui affirme que rien ne sera désormais comme avant le 7 janvier comme on l’a dit au mois de mai d’une année antérieure et au printemps dans un autre pays mais ces choses-là s’oublient tandis que cette fois on est sûr / Celle qui a dit plus jamais ça quand Ben Ali  a dégagé et l’a répété quand Ghannouchi s’est planté mais sait-on jamais / Ceux qui sont sûrs (sans l’avoir lu) que Soumission de Michel Houellebecq fait le lit du Front national au contraire de ceux qui pensent (sans l’avoir lu non plus) que ce roman sert le potage aux Frères musulmans / Celui qui voyant tout ça de son cabanon brésilien pense aux millions d’enfants des rues qui ont d’autres soucis que d’être CHARLIE / Celle qui est sûre qu’on va ressusciter mais sans préciser comment et où vu que le pasteur et l’imam du quartier sont pas encore tombés d'accord / Ceux qui affirment tout et son contraire en sorte de se conformer à l’impression générale / Celui qui dit à sa nouvelle épouse que la soumission s’impose comme c’est marqué dans le Livre / Celle qui cite le Coran sans s’en douter / Ceux qui affirment que Moïse n’a jamais existé historiquement (les dernières recherches en cryptographie le prouvent) mais que ça ne change rien à ce que proclament les Dix Commandements même si le premier ne relevait que de la morale d’une seule tribu autorisée à taper sur les autres / Celui qui a écrit que le massacre perpétré par le Norvégien dont on a oublié le nom était le fait d’un artiste alors que celui des frères Kaouchi selon lui manque de style / Celle qui est sûre que l’auteur de ces listes est payé par la branche palestinienne du Mossad / Ceux qui ne sont sûrs de rien vus qu’ils sont manipulés par les médias que l’ombre du doute ne touche pourtant point / Celle qui estime qu’une autre lecture doit être faite de la trajectoire des frères Kaouchi ces grands incompris que son Groupe de Parole aurait écoutés ça c’est sûr/ Ceux qui ont cru comme les eaux du Gange dans lesquelles les croyants se lavent le cul, etc.



    Peinture: Robert Indermaur.

  • Mémoire vive (67)

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    La Casona, ce mercredi 7 janvier. – L’ambiance était au lendemain d’hier plutôt indolent, cette fin de matinée, lorsque nous avons appris au téléphone, par le frère de Lady L., que la rédaction de Charlie-Hebdo venait d’être attaquée par un commando d’islamistes qui avait massacré une douzaine de journalistes en pleine conférence matinale, dont Wolinski et Cabu ; et lorsque j’ai entendu le nom de Cabu j’ai fondu en larmes comme lorsque, une autre fin de matinée, ma nièce m’a annoncé la mort de mon frère. 

    Or Cabu, que je n’avais rencontré qu’une fois après la sortie d’un de ses livres, sur sa Russie je crois, ne m’était rien de personnel, en dépit de la bonne heure assez complice que nous avions passée ensemble, mais le contraste si choquant de cette mort brutale, sûrement affreuse par sa violence, et du bonhomme à face lunaire  si gentiment malicieux que je me rappelais, avec le retour mental immédiat de tout ce que  le nom de Charlie-Hebdo, de Cabu, de Wolinski, donc de Cavanna et des anars du Canard, brassant la même culture de l’insolence bravache et de la résistance à tous les pouvoirs, qui fut l’air même de notre jeunesse, ne pouvait que nous bouleverser avant même que d’en savoir plus  - comme si des tueurs, surgissant soudain dans une classe, s’en étaient pris aux loustics des derniers rangs qu’ils auraient égorgés ou mitraillés. 

    Tristesse immense, partagée par ma bonne amie, avec laquelle nous sommes immédiatement allés aux nouvelles sur la Toile…

    °°°


    On attrape tous les jours des bribes de nouvelles plus atroces les unes que les autres, et ces derniers temps nous en auront particulièrement régalés, de décapitations en massacres divers, mais ce qui s’est passé aujourd’hui à Paris nous aura touchés différemment, quasi personnellement d’abord, et propageant ensuite une véritable onde de choc au fil des heures alors même que les suites policières de l’attentat de ce matin prenaient une tournure de chasse à l’homme à travers les rues de Paris, suivie pour ainsi dire en temps réel sur Internet et à la télé. 

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    Dès ce soir en outre, une espèce de slogan, assorti d’un logo de deuil, proclamant un JE SUIS CHARLIE immédiatement repris par des centaines, puis  des milliers d’internautes, a concrétisé cette émotion collective manifestée par d’innombrables réactions en France et dans le monde. 

    Nous avions beau nous trouver à plus de 1000 kilomètres de Paris : ce soir il nous semblait être à la table de Philippe Val, l’ancien rédacteur en chef de Charlie-Hebdo pleurant à la télé  l’impertinente équipe sacrifiée sur l’autel du fanatisme, alors même que tournaient en boucle les images de la journée, et notamment la séquence de l’abjecte exécutuon à bout portant d’un pauvre Ahmed en uniforme de la police française…       

    Unknown-9.jpegPour ma part, cependant, non du tout pour me désolidariser de qui que ce soit ni me placer non plus au-dessus de la mêlée, je me suis refusé d’emblée, instinctivement, à l’identification du fameux JE SUIS CHARLIE, qui m’a tout de suite paru de ces incantations collectives  tournant bientôt à l’émotion  de masse conditionnée…

    °°°

    Le hasard de mes lectures actuelles m’a fait tomber, dans le recueil de Philippe Sollers intitulé Littérature et politique,  sur une chronique datant de 2006 et traitant de Mahomet, des anciennes tribulations de Charlie-Hebdo et, plus surprenant, de l’image du prophète dans la Divine comédie, que je me suis fait un devoir de recopier et de diffuser sur la Toile:  « ll faut s'y faire: Mahomet est désormais la grande vedette du spectacle mondial. Je m'efforce de prendre la situation au sérieux, puisqu'elle est très sérieuse,mais je dois faire état d'une certaine fatigue devant la misère de son ascension au sommet. 

    Philippe-Sollers-photo-Sophie-Zhang-artpress-fevrier14.jpg"Bien entendu, je me range résolument du côté de la liberté d'expression, ma solidarité avec Charlie-Hebdo et Le Canard enchaîné est totale, même si les caricatures ne sont pas ma forme d'art préféré. Que ces inoffensives plaisanteries, très XIXe siècle, puissent susciter d'intenses mouvements de foules, des incendies, des affrontements, des morts, voilà qui est plus pathologiquement inquiétant, à supposer que le monde où nous vivons soit tout simplement de plus en plus malade. Il l'est, et il vous le crie. Là-dessus, festival d'hypocrisie générale qui, si mes renseignements sont exacts, fait lever les maigres bras épuisés de Voltaire au ciel. On évite de se souvenir qu'il a dédié, à l'époque, sa pièce Mahomet au pape Benoît XIV, lequel l'a remercié très courtoisement en lui envoyant sa bénédiction apostolique éclairée. Vous êtes sûr ? Mais oui. Je note d'ailleurs que le pape actuel, Benoît XVI, vient de reparler de Dante avec une grande admiration, ce qui n'est peut-être pas raisonnable quand on sait que Dante, dans sa Divine Comédie, place Mahomet en Enfer. Vérifiez, c'est au chant XXVIII, dans le huitième cercle et la neuvième fosse qui accueillent, dans leurs supplices affreux, les semeurs de scandale et de schisme. Le pauvre Mahomet (Maometto) se présente comme un tonneau crevé, ombre éventrée "du menton jusqu'au trou qui pète" (c'est Dante qui parle, pas moi). Ses boyaux lui pendent entre les jambes, et on voit ses poumons et même "le sac qui fait la merde avec ce qu'on avale"). Il s'ouvre sans cesse la poitrine, il se plaint d'être déchiré. Même sort pour Ali, gendre de Mahomet et quatrième calife. 

    "Ce Dante, impudemment célébré à Rome, est d'un sadisme effrayant et, compte tenu de l'oecuménisme officiel, il serait peut-être temps de le mettre à l'Index, voire d'expurger son livre. Une immense manifestation pour exiger qu'on le brûle solennellement me paraît inévitable.  

    "Mais ce poète italien fanatique n'est pas le seul à caricaturer honteusement le Prophète. Dostoïevski, déjà, émettait l'hypothèse infecte d'une probable épilepsie de Mahomet. L'athée Nietzsche va encore plus loin: « Les quatre grands hommes qui, dans tous les temps, furent les plus assoiffés d'action, ont été des épileptiques (Alexandre, César, Mahomet, Napoléon) ». Il ose même comparer Mahomet à saint Paul: « Avec saint Paul, le prêtre voulut encore une fois le pouvoir. Il ne pouvait se servir que d'idées, d'enseignements, de symboles qui tyrannisent les foules, qui forment les troupeaux. Qu'est-ce que Mahomet emprunta plus tard au christianisme ? L'invention de saint Paul, son moyen de tyrannie sacerdotale, pour former des troupeaux: la foi en l'immortalité, c'est-à-dire la doctrine du Jugement ».

    "On comprend ici que la question dépasse largement celle des caricatures possibles. C'est toute la culture occidentale qui doit être revue, scrutée, épurée, rectifiée. Il est intolérable, par exemple, qu'on continue à diffuser  L'Enlèvement au sérail de ce musicien équivoque et sourdement lubrique, Mozart. Je pourrais, bien entendu, multiplier les exemples. »

     

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    Unknown-12.jpegAu cœur de la nuit, alors que les commentaires les plus contradictoires, voire les plus délirants se répandent sur la Toile avec leur lot d’arrière-pensées idéologiques et de haine tripale tous azimuts, je pense aux deux tueurs traqués comme des bêtes, dont les faciès de brutes ont déjà fait le tour du monde, après leur prompte identification sur des indices signalant leur excessive assurance ou leur affolement, fuyant mais comme s’ils devaient être pris, et dont je ne serais pas étonné qu’ils se piègent eux-mêmes dans je ne sais quelle trappe, avec la mort au but, la kalachnikov au poing et la bénédiction des fous furieux de l’islam se caricaturant lui-même.

     

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    De Raoul Vaneigem, dont Philippe Sollers commente son essai Pour l’abolition de la société marchande, pour une société vivante, je relève ce soir ceci d’actuel :« Dans un monde qui se détruit, la création est la seule façon de ne passe détruire avec lui. Seule la puissance imaginative, privilégiée par un absolu parti pris de la vie, réussira à proscrire à jamais le parti de la mort, dont l’arrogance fascine les résignés ».

    Reste à préciser ce qu’on entend par « création », qui ne saurait se réduire au tout-culturel de pacotillefaisant florès sur le Marché ; et ce qu’on entend par « puissance imaginative », alors que le slogan fameux de Mai 68 prônant L’imagination au pouvoir relève aujourd’hui de la guenille; reste aussi à dépasser l’opposition binairesimpliste de l’ « absolu parti pris de la vie » et du« parti de la mort », autres formules-valises dans lesquelles chacunpeut fourrer ce qui le conforte…

     

    La Casona, ce jeudi 8 janvier. – "La libertad asesinada", lit-on ce matin en titre  dans El Mundo qui consacre toute sa UNE au massacre d’hier en reprenant le logo JE SUIS CHARLIE en surtitre; et l’immédiate inquiétude, portant sur  l’activation de la xénophobie en Europe, filtre en bonne logique espagnole. Me frappe en outre l’image de UNE, représentant l’exécution du policier gisant à terre par l’un de tueurs. Dans un édito bien charpenté sur « la liberté assassinée », Felipe Sahagûn resitue très précisément Charlie-Hebdo dans son contexte, rappelle l’incendie de 2011 suite à la parution de Sharia Hebdo et plaide pour la défense inconditionnelle de la liberté de pensée et d’expression, jusqu’au blasphème, en rappelant en outre les interventions françaises en Syrie et au Sahel contre les terroristes. Or ce qui m’impressionne, amorcé dès hier, et confirmé ce matin par les cinq premières pages du Mundo, est le véritable séisme public qu’a provoqué l’attentat que d’aucuns, sur la Toile et dans les médias français, comparent déjà au 11 septembre - ce qui me semble évidemment délirant.

     

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    À la télé du soir, alors que se poursuit la traque des tueurs de Charlie, je relève quelque chose que je n’aime pas sur lesvisages de certains officants de la messe médiatique : comme une espèce dejubilation.   

     

    À La Casona, ce vendredi 9 janvier.- Revenant d’une grande balade dans les landes marines surplombant l'océan, aux alentours de la farouche côte de San Martin, je retrouve, sur un de mes carnets, cette citation qui tranche heureusement avec les nouvelles terribles que nous avons apprises à notre retour. Il s’agit d’un  fragment des dictées de  Simenon, dans On dit que j’ai soixante-quinze ans, datant du 22 mars 1978 :«Le début du printemps est une saison intermédiaire où tout, autour denous, change avec une sage lenteur qui parfois nous impatiente. Il y a trois jours, Teresa cueillait, dans un talus voisin, sa première violette. Et, après l’avoir contemplée, la mangeait consciencieusement. C’est un rite. Chaque année elle mange ainsi la première violette aperçue mais elle ne continue pas par lasuite, se contenant de les regarder ». 

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    (Soir) - Les amateurs de séries télévisées ultra-violentes en auront eu pour leur content aujourd’hui, avec deux épisodes sanglants qui se sont soldés par la mort à fracas de trois démons djihadistes et de leurs victimes, policiers ou otages du troisième larron semant la terreur dans une épicerie juive. Comme on pouvait s’y attendre, le dernier assaut de l’armada policière cernant les frères Kouachi a signé la mort de ceux-ci, les armes à la main, mais, quasiment au même moment, la libération des otages juifs retenus par un « frère » des deux terroristes, a été plus dramatique et meurtrier pour quatre innocents.  

    images-19.jpegAvant l’excellent souper rituel de notre Hermana Grande, nous avons suivi les journaux télévisés français et espagnols,où revenaient en boucle, comme au lendemain du 11 septembre, les images de l’attentat et de la folle traque, et comme un malaise m’a peu à peu submergé,mêlé de dégoût et de chagrin, de révolte et d’agacement de plus en plus aigu,notamment en voyant l’espèce d’excitation trouble qui semblait posséderlittéralement certaines et certains, sur le petit écran, où l’apparition d’unsous-titre, LA FRANCE AU CENTRE DU MONDE, m’a fait réagir avec autant de perplexité qu’au premier JE SUIS CHARLIE…